vendredi 20 mars 2009

Conférence: ART ET MODE, LIAISONS CRÉATIVES, LIAISONS DANGEREUSES ?

Conférence à la HEAD (Haut école d'art et de design de Genève) le 30 mars.

Cette conférence explorera, à la lumière notamment des expériences personnelles de Barbara Polla en tant que galeriste exposant à la fois des artistes et des stylistes, les liens entre art et mode, par rapport auxquels sans cesse les mêmes questions se reposent : qui enrichit qui, qui utilise qui, comment et pourquoi ? Qu’est-ce qui différencie l’acquisition de sens (par la mode, aux dépens de l’art) d’une intégration organique des deux domaines ? Comment faire en sorte que l’art et la mode s’engagent dans une relation réciproquement productive ? Y a-t-il des hiérarchies à appliquer (entre l’argent et la création notamment), et si oui lesquelles ? Comment se définissent les temporalités respectives de l’art et de la mode ?

La conférence s’attachera à apporter quelques éléments concrets de réponses à ces questions, en abordant notamment le concept fondamental de « qualité », « l’utopie réaliste » de l’inspiration réciproque et de la collaboration, les différences entre saisons de la mode et les « petits arrangements entre amis », ainsi que des éléments plus théoriques comme la notion d’excentricité (Florence Müller), d’ « expansion » de l’art (Paul Ardenne), la question du capitalisme cognitif et celle de la contemporanéité.

Selon Agamben : « le contemporain n’est pas seulement celui qui, en percevant l’obscurité du présent, en cerne l’inaccessible lumière ; il est aussi celui qui, par la division et l’interpolation du temps, est en mesure de le transformer et de le mettre en relation avec d’autres temps, de lire l’histoire d’une manière inédite, de la ‘citer’ en fonction d’une nécessité qui ne doit absolument rien à son arbitraire, mais provient d’une exigence à laquelle il ne peut pas ne pas répondre ».

Lundi 30 mars 2009 à 10h
Head – Genève, Bd James-Fazy 15, 1201 Genève, Auditoire
Plus d'infos: http://head.hesge.ch/spip.php?rubrique447

Cette nuit on baise

Il entre dans la maison de Loth, indifférent et solaire. Je le regarde. Je ne suis pas le seul. En fait nous le regardons tous, nous tous qui sommes là, à attendre la fin du monde, dans la maison de Loth.

Il a les cils recourbés, c’est la première chose que je vois, des cils recourbés sur ses yeux verts, comme des fougères, comme un sous-bois, comme une forêt avec des troncs graciles. Les yeux en pleine lumière et la peau mate. Mais en même temps, je vois son corps tout entier, petit, souple et puissant, j’imagine car je ne vois pas sous sa robe et ses pantalons flous ses fesses rebondies, ses pantalons que je devine bas sur la taille. Il doit être poilu d’après ce que je vois de ses cils et de sa barbe. Un homme. Il pénètre dans mes yeux, dans mon cerveau, qui le reçoit comme une empreinte attendue, espérée, qui va s’imprimer au plus profond de mon ventre, de mon thorax, et à la racine de mon sexe. Il est ce semblable dissemblable qui correspond pixel par pixel au preprint de l’autre enfoui oublié au tréfond de moi-même.

Ils le regardent tous, leurs regards glissent de ses yeux à ses cuisses, de sa nuque à ses fesses, je vois leurs regards sur lui quand il danse, quand il bouge, et déjà la rage me prend, la rage - et pourtant, c’est la première et la dernière nuit. La nouvelle s’amplifie et s’étend comme une nappe de pétrole sur les rivages ravagés : les Villes de la Plaine seront détruites demain.

Il est beau comme un guerrier, comme ces guerriers qui portent des fleurs dans leurs cheveux, et plus les cartouches s’enroulent en ceintures concentriques autour de leurs hanches, plus ils sont fleuris. Je l’imagine au milieu de tous ces hommes, sujet élu de leur conculpissence, nu et couvert de fleurs. Sweet dirty. L’euphorie de la saleté me tord le cœur. C’est la dernière nuit. Demain nous serons tous morts et lui aussi. Je sens l’odeur de la pluie, de souffre et de feu. Vite, baiser, là, maintenant, tout de suite. Seuls au monde sous le regard des autres. Posséder. Je mets ma main sur mon sexe, je le sens, chaud, odorant de la plus âcre de ses odeurs, moelleux autour de son centre dur. Je mets ma main sur son sexe. Demain Sodome sera détruite. Posséder – vite ! Fulgurante jouissance - mais les autres désormais le veulent aussi. « Où est cet homme qui est entré chez toi ? Fais-le sortir, que nous ayons nous aussi, des relations avec lui. » Je vois monter de la terre une fumée semblable à celle d'une fournaise. L’empreinte que nos corps tout en s’aimant laisseront l’un sur l’autre sera carbonisée demain. Fossilisée.

Demain je t’offrirai des fleurs, mon amour, comme un homme offre ses douilles à un autre guerrier. Demain je te couvrirai de roses, dans les décombres de Sodome en ruine. Mais ce soir on baise. En pleine euphorie sous les yeux des hommes de Sodome. Demain nous boirons l’eau du désert. Demain nous serons morts. La mort et le désir face à face exacerbés : cette nuit on baise.


Publié dans Last Night in Sodom, Nuke Hors Série N°
3, mars 2009

jeudi 19 mars 2009

Le livre au cœur d’une exposition inédite et flamboyante

Arienti travaille sur les livres depuis longtemps, les effaçant, les pliant, les sculptant, les trouant et les coupant Avec Airò, il a voulu créé, à quatre mains, toute une atmosphère. « Pour le bonheur de créer », expliquent-ils à deux voix.

Une atmosphère à la fois studieuse et ludique, qui relie les mots à la nature, à commencer par un filtre végétal qui se déploie comme une tenture odorante à l’entrée de la galerie : des branches de sapins, au milieu desquelles sont enfouis des mots, qui forment une phrase posthume de Nietzsche, Ogni giorno sale sino a me uguale e splendente come oro. Une calligraphie dynamique, une écriture en négatif, des mots sculptés, qui font musique aussi…

Airò et Arienti se réclament de leur liberté de créer, sans obsession aucune de construire par là leur propre personnalité. Il s’agit bien plus pour eux de rendre compte de leurs paysages intérieurs d’une part, et de la complexité de la réalité d’une part, une complexité qui n’a recours, pour s’exprimer, ni à l’addition, ni à la superposition, ni à la complication ni encore à la spectacularisation.

Airò et Arienti, dans leur travail en général et dans cette exposition en particulier, rejettent la pensée linéaire, lui préférant, selon leurs termes, une « poétique », recherche de forme et de contenu, invention conjuguée de formes et de figures : une vraie « pratique du faire » qui correspond d’ailleurs, selon les artistes, à « la seule manière possible de faire ».

Bookmark, littéralement, le signe du livre – est la troisième exposition présentée ces deux dernières années par Analix Forever et qui parle de mots : Crosswords, grâce au commissariat de Michele Robecchi, Emotional Emergency de Robert Montgomery, et maintenant Bookmark, dont le finissage sera peut-être l’occasion de réitérer une Nuit de la Poésie…


Exposition dès le 20 mars jusqu'au 1er mai, galerie Analix Forever, 25 rue de l'Arquebuse.

lundi 16 mars 2009

Femmes et économie, la porte n’est pas fermée!

Magnifique! Mais quelle extraordinaire nouvelle en manchette du gratuit (évidemment, qui l’achèterait?) Entreprise romande! Didier Fleck insiste: poussez la porte Mesdames elle n’est pas fermée! Poussez vite Mesdames, vous savez qui il y a derrière la porte?

Des hommes, quelle merveille! Qui la gardent bien, la porte, vérifient que le seuil ne soit passé que par celles qui le méritent – notamment celles qui ne sont ni vedettes de l’écran, pipolettes (c’est le féminin de pipole) siliconées (il n’y a que les pipolettes pour avoir encore recours à cette préhistorique esthétique, les hommes sont beaucoup plus modernes à cet égard), ni péripatéticiennes panthéonisées (à quand un prostitué aussi engagé que Griselidis Real?), ni sportives d’exception (restez chez vous Mesdames, parce que ça, c’est pas normal), ni de la presse féminine (c’est quoi ce truc affreux qui en plus se vend, vous vous rendez compte! – il faudrait peut-être renommer LE journal d’ailleurs, Entrepris romand), ni kamikazes sorcières excisées ou autres victimes – donc disais-je, si vous n’êtes rien de tout ça et ne vous intéressez aucunement à ces conditions honteuses: alors poussez la porte elle est ouverte! Vous pourrez travailler à plein temps à salaire inégal grâce à la « marge d’interprétation ». Chicissime!

Bon vous savez quoi? Moi je dis que nous sommes assez grandes pour nous engager dans l’économie sans que nous y soyons invitées. D’ailleurs – et heureusement mon cher ami Didier le rappelle également – en Suisse, quatre entreprises sur dix sont fondées par des femmes. Reste à nous déterminer sur les quotas : à combien d’hommes allons-nous ouvrir la porte de nos entreprises?

Publié dans les Quotidiennes, le 16 mars 2009

dimanche 15 mars 2009

Je reviendrai … à Vitry sur Seine

Vous n’êtes encore jamais allés à Vitry sur Seine ? Normal : pourquoi donc se rendre dans ces municipalités, depuis toujours communistes, de la banlieue parisienne, où le taux d’immigrés est maximal ? Une cité où le meurtre d’un adolescent de 15 ans, Abdelkader de son prénom et de nom oublié, provoque en 1980 manifestations et émeutes et où celui de Sohane Benziane, 17 ans, brûlée vive dans un local à poubelles, devient le symbole de la lutte des jeunes filles des banlieues contre une violence que l’on ose à peine à nommer « machiste » ?

Non, vous n’irez pas à Vitry sur Seine pour faire votre shopping ou pour dîner. Mais vous devriez vous y rendre pourtant, car Vitry sur Seine est aussi, ville de culture. Au plein cœur des émeutes des banlieues « sensibles », à l’automne 2005, Vitry sur Seine inaugure son musée, labellisé Jacques Ripault, un architecte qui aime le béton, sa capacité à réaliser l’intériorité et protéger le mystère d’un lieu dédié : le MAC/VAL.

Au MAC/VAL (http://www.macval.fr), vous découvrirez Nocturne - le titre de l’exposition « mise en scène » par Alain Bublex. L’artiste français a conservé l’accrochage préexistant à sa propre exposition, Je reviendrai , (imaginé par Alexia Fabre, conservateur du MAC/VAL) pour faire des œuvres de la collection une sorte de toile de fond, un voyage dans une mémoire qui se perd d’autant plus aisément qu’elle est plus récente. Je reviendrai en Nocturne, donc : Alain Bublex a éteint les lumières pour que ses projections vidéo, urbaines et archi-complexes, se voient d’autant mieux : éteindre, pour que la mémoire revienne. Revenir, pour se souvenir. S’insinuer, insinuer son travail dans un musée plein plutôt que vide : les sens se superposent, comme les oeuvres, et l’accumulation fait œuvre de mémoire.

Dans la vidéo Plug In City, Bublex réinvente une ville construite sur les décombres d’autres cités d’hier ou de demain. Que montrer d’autre d’ailleurs, à Vitry sur Seine, que des travaux en rapport avec la ville, tels
la peinture–photographie de Philippe Cognée (Immeuble, 1997), ou les portraits de Pierre Faure, lui-même photographe de scènes urbaines, réalisés par Valérie Jouve (1997-2000) : un homme seul marche dans la rue, regardant le sol – ou encore, pour revenir à Bublex, ses motos et sa célèbre Aérofiat… « Voyager, partir, quitter, emporter, imaginer, rêver, espérer, chercher, trouver, fabriquer, réaliser, revenir… », tels sont les verbes d’Alexia Fabre pour décrire son accrochage. « Remettre en chantier mon propre travail et plonger le visiteur dans l’obscurité et la découverte d’un temps énigmatique, intime et mystérieux » tels sont les objectifs de Alain Bublex.

Rencontre d’un nouveau type. A voir jusqu’à l’été.
Allez donc à Vitry sur Seine, et vous y reviendrez...

Publié dans l'Extension le 10 mars 2009.

L’éducation par la confiance : effet Obama ou effet Sarkozy ?

L’effet Obama d’abord. Oui bien sûr il y a mille effets Obama. Mais celui qui m’intéresse aujourd’hui me semble remarquable entre tous.
Il est de notoriété publique aux Etats Unis d’Amérique que lorsque l’on fait passer des tests académiques standards à des étudiants blancs et des étudiants noirs, les seconds performent en général environ 30% moins bien que les premiers. Eh bien, ces tests ont été administrés avant, puis après l’élection de Barak Obama à la présidence des Etats Unis. Lorsque les tests ont été administrés juste après, la différence classique avait presque disparu.
Pour étayer encore cette observation riche de sens, le New York Times du 7 février nous rappelle que lorsqu’avant ces mêmes tests académiques, on demande aux étudiants noirs de rédiger un texte détaillant leurs valeurs, la différence de performance est de même abolie.
Que nous disent ces résultats ? Ils nous évoquent des réalités que nous connaissons bien sûr : que la confiance en soi améliore la performance. Que le respect que les autres me portent – l’attention qu’ils portent à mes valeurs par exemple - me donne de moi-même l’image de quelqu’un d’intéressant, donc de performant. Une connaissance tout intuitive souvent, que nous transmettons naturellement en famille, en valorisant nos propres enfants, pour améliorer leur intégration et leur « réussite » sociales.
Connaissance intuitive parfaitement transférable en entreprise aussi : la notion de « capital humain » et de sa gestion optimalisée : mon meilleur « outil », mes collaborateurs ; ma mission prioritaire, en ma qualité d'entrepreneur : les former, les encourager, les valoriser. Leur dire, en mots ou mieux encore en action, la petite phrase magique… Yes we can ! Sans oublier que la valorisation ne va jamais sans écoute.
L’effet Sarkozy ensuite. Les discours, les réformes, les media. Un effet parmi d’autre, particulièrement regrettable : le découragement des professeurs et des enseignants-chercheurs, en province surtout, et, dans la foulée, des étudiants.
Au cours de son discours de présentation de ses futures mesures anti-crise, Sarkozy a omis de se pencher sur ce qui est pourtant l’une des composantes essentielles de la vie en général et de la vie française en particulier, à savoir, l’éducation. Une telle omission ne saurait inspirer confiance. Et pourtant, s’il est une richesse que la France, jamais, ne devrait vilipender, s’il en est une plus précieuse que toutes les autres, c’est bien la richesse intellectuelle. Peu cotée en bourse, peu sujette à la volatilité ou aux spéculations, la richesse de la pensée, sa complexité, les rapports entre réflexions et réalité et comment les premières peuvent infléchir la seconde sont un des fondamentaux français et la source, aujourd’hui comme hier, de la vraie gloire de la France, s’il en est une.
C’est en tous cas pour la pensée française et non pas pour sa politique que très personnellement, pendant des années, j’ai fait et continue de faire le voyage à Paris plus souvent qu’à mon tour : pour étudier, pour chercher, pour enseigner, pour apprendre, pour m’inspirer.
Il suffirait pourtant d’écouter les étudiants français : ils ont bel et bien des idées et cherchent à les appliquer au réel. S’ils aiment l’université, ils savent aussi que là-bas, dehors, dans « le vrai monde » il y a les entreprises et que leur avenir dépend d’elles, entre autres. La Confédération Etudiante a d’ores et déjà récolté les propositions - concrètes, intelligentes, modestes aussi - de … 70.000 étudiants ! Quelles propositions ? En voici quelques-unes, si raisonnables : Pour se préparer au mieux à leur avenir professionnel, les étudiants demandent à savoir ce que sont devenus les anciens de leurs filières. Ils voudraient aussi pourvoir travailler à la Fac même, dans les bibliothèques ou les salles informatiques, et que ce type de job puisse équivaloir à des stages pratiques en entreprise. Ils voudraient avoir plus de possibilités de partir à l’étranger, et pouvoir bénéficier en cours de cursus d’au moins une année d’expérience professionnelle. Ils sont favorables aux bourses d’entreprises : celles-ci leur mettraient à leur disposition des bourses d’études en échange de quelques années de travail, à la fin de leurs études.
Sur cette base, il serait très facile à Nicolas Sarkozy de transformer le découragement en confiance (et donc, d’améliorer significativement la performance estudiantine !) : il lui suffirait de reprendre ces propositions et de les appliquer, telles quelles. Simple, facile, économique, retour sur investissement maximal. Dans le domaine de l’éducation, la confiance n’a pas de prix. Valoriser les étudiants (et les collaborateurs de même…) en leur montrant que l’on tient compte de leur avis et que l’on fait confiance à l’intelligence de leurs propositions nous ramènerait à l’effet Obama !
Ne l’oublions jamais, à Genève non plus…



LIBRE LIVRE DE BARBARA POLLA
Journal d’une année noire de J.M. Coetzee, Seuil, 2008

Coetzee, né en Afrique du Sud et résidant australien, prix Nobel de littérature 2003, nous offre un étrange journal, à plusieurs voix, à la fois politique et affectif, présenté comme une musique dissonante se jouant sur trois portées qui ne se rencontrent jamais. Un vieil écrivain donne ses écrits politiques à rédiger à une jeune femme sémillante. Elle travaille – elle commente. Une troisième voix est celle de l’écrivain encore, son regard cette fois-ci non plus porté sur la politique, mais sur sa propre vie quotidienne, dont sa rédactrice fait intimement partie... Le livre se lit à l’horizontale, chacune des voix ayant sa place propre, page après page, et l’intelligence aiguë, la tendresse et la disgrâce se racontent en parallèle.
De l’Université, Coetzee nous dit notamment ceci : « les professeurs, qui auparavant menaient leurs recherches dans une liberté absolue, ont été changés en employés qu’on harcelait pour qu’ils remplissent des quotas sous la surveillance de professionnels de la gestion… » Il ne parle ni de la France ni de la Suisse – heureusement !

Cliquez sur l'image pour télécharger cette libre tribune en PDF.

Publié dans l'Extension, mars 2009

mardi 10 mars 2009

A la recherche de la limite perdue...

La question de la limite est plus aigue que jamais. Limite entre la station debout et l’effondrement, entre la dialectique et la panique, entre l’émotion et la raison. Limite entre les pays, les continents, les cultures. Limites à dépasser, ou du moins à chercher à dépasser, constamment: les nôtres. Limites à ne pas dépasser, celles de notre cupidité, celles qui mettent l’autre à risque, à haut risque, à trop haut risque, au point de nous entraîner nous-mêmes, dans une chute dont le vertige nous prend parfois, quand nous regardons la limite au plus près.

Ralph Rugoff, directeur de la Hayward Gallery à Londres, présente actuellement et jusqu’au 4 mai 2009, un artiste. Un artiste? En fait non, ce sont des artistes et des œuvres particulièrement éclectiques, que réunit sous son thème de prédilection – Frontières, séparations et seuils – l’artiste Mark Wallinger, qui ne montre dans cette exposition qu’une demi-dizaine de créations propres. Quand un artiste expose son espace mental, ses inspirations, ses références, la visite, toujours, est passionnante. Entrer dans le cerveau de l’autre, un privilège rarement possible…

En l’occurrence d’ailleurs, on y entre par les buts. Les buts? Le titre exact de l’exposition: L’arbitre russe. Frontières, séparations et seuils. Les buts, limite symbolique imparable entre la victoire et l’échec. Lors de la Coupe du monde de football 1966 où s’affrontent en finale l’Angleterre et l’Allemagne, un but est accordé de manière erronée aux Anglais. Ils sortent victorieux… mais des années plus tard, interrogé sur le pourquoi de cette décision, «l’arbitre russe» répondra par ce seul mot: «Stalingrad». La limite inférieure entre la mémoire et l’oubli – ou le pardon, s’il est possible: l’offensive des soldats allemands dans le Caucase, bloqués par l’Armée rouge dans la ville de Stalingrad, y fit plus d’un million de victimes. Le texte du catalogue de l’exposition de Wallinger s’intitule d’ailleurs: éveillé dans le cauchemar de l’Histoire.

Prenez le prochain vol pour Londres et allez voir L’arbitre russe. Frontières, séparations et seuils. Mais surtout, ne repartez pas sans le catalogue. Les histoires que raconte Mark Wallinger sont à la limite. Je voudrais toutes vous les raconter ici. Mais je vous les laisse découvrir… non, juste une: à l’aube du 7 août 1974, l’équilibriste Philippe Petit a tiré un fil entre les Twin Tours encore inachevées et s’y est tenu au dessus du vide jusqu’à ce qu’il soit contraint de mettre fin à cette performance non moins prémonitoire que la réponse de Baudrillard, à qui l’on demandait, en 1983, quelle force au monde pourrait troubler la duplication tactique des formes réalisées par les Twin Towers: «l’islam».

Mais plus encore que d’anticiper l’Histoire ou d’essayer d’en découdre avec elle, l’art se doit de «sécréter le doute», comme le souligne le critique d’art Paul Ardenne (Art Press), ne serait-ce qu’entre réalité et perception.

Pour que la limite reste une question ouverte sur le seuil du doute.

Publié dans les Quotidiennes, le 10 mars 2009.

dimanche 8 mars 2009

Les femmes et la crise : éthique et intelligence émotionnelle

Avez vous remarqué une disparité des plus intéressantes ?

Tous les grands fraudeurs, tous les grands perdants de cette époque calamiteuse sont des hommes. Pas de Madame Madoff, pas de Lehman Sisters, pas d’anciennes banquières de l’UBS qui ait créé des sociétés écrans… Sur Google, qui déborde des informations les plus vraisemblables comme des plus invraisemblables sur la crise financière et les fraudeurs, ne semble pas connaître le féminn de fraudeur – et lorsque vous recherchez femme-fraude-crise vous tombez sur la grande fraude des chaussettes… http://www.lepoint.fr/actualites-politique/fraude-a-la-chaussette-deux-femmes-mises-en-examen/917/0/282129
Evidemment direz-vous.Pas de femmes aux commandes – pas de femmes en cause dans la crise. Trop facile !
Mais en fait si vous regardez les statistiques d’un peu plus près, vous constaterez effectivement que les femmes sont fauteuses de troubles et génératrices de crise dans une moindre mesure que les hommes – voire, qu’elles sont protectrices dans ce contexte tumultueux. Les faits sont là, largement reconnus : les entreprises petites ou moyennes qui occupent une majorité de femmes résistent mieux à la crise que les autres. Et il ne s’agit pas là d’un rêve de midinette, non, une étude récente de McKinsey établit cette plus grande performance des entreprises comportant davantage de femmes dans leurs équipes managériales. Le professeur français Michel Ferrary va plus loin et affirme sur la base de ses propres travaux que « les entreprises qui ont un fort taux de féminisation résistent mieux aux tourmentes des marchés boursiers ». BNP Paribas par exemple, qui affiche le taux de féminisation de son encadrement le plus important des banques françaises, a mieux résisté que les autres banques françaises. Question de valeurs ou moindre prise de risque ? Responsable des relations publiques à la banque Lloyds, Caroline Miller n’est pas certaine que les femmes prennent moins de risques – « mais elles les évaluent autrement ».

Autre explication : l’éthique à laquelle les femmes sont généralement très sensibles n’est probablement pas étrangère à ces observations. Le respect des principes fondamentaux de Kant, et notamment de celui qui veut que tout collaborateur ne saurait être seulement un moyen (un moyen de production et de génération de richesse), mais doit également être considéré comme une fin (en tant qu’individu singulier ayant son existence propre), est plus que jamais d’actualité en ces périodes de licenciements parfois inévitables. La plus grande attention portée aux collaborateurs, la prise en compte de leurs besoins, de leurs revendications éventuelles, de leurs difficultés, permet de licencier dans les meilleures conditions. Le collaborateur remercié va alors rester porteur d’une image positive de l’entreprise, et sera probablement prêt à être réengagé une fois que la roue aura tourné.
Il faut une grande pratique de l’intelligence émotionnelle et une vision de long terme plutôt que d’efficacité immédiate et de rapidité maximale pour licencier ainsi ! Les femmes donc, l’un des antidotes à la crise. Trop facile !

Publié dans l'AGEFI, le 27 février 2009

lundi 2 mars 2009