vendredi 25 juin 2010

dimanche 20 juin 2010

Les Tables de Rorschach du XXIème siècle : une femme invente

Aujourd'hui, j'ai envie - en vie... - de vous raconter l'histoire d'une femme hors du commun. Une histoire qui est loin d'être finie, car elle est en train de s'écrire : Luciana Russo est vivante, bien vivante ! - et son avenir est devant elle, même si elle fête ses quarante printemps ce mois de mai, à Turin, où elle est née. D'elle-même elle dit qu'elle est polyédrique. Vous ne la connaissez pas encore, mais vous la connaîtrez bientôt. Car voilà une femme qui invente. Qui invente sa vie au quotidien - polyédrique donc - mais qui invente, aussi et surtout, une nouvelle approche de la psychothérapie qui évoque immédiatement les Tables de Rorschach. Dans quelques années, on parlera des DVD de Russo !

Les Tables de Rorschach ? Il s'agit d'un formidable outil d'évaluation psychologique de type projectif élaboré par le psychiatre et psychanalyste Hermann Rorschach en 1921, qui consiste en une série de planches sur lesquelles sont dessinées des taches symétriques et qui sont proposées à la libre interprétation de la personne évaluée. Les réponses fournies serviront à évaluer sa personnalité sur la base de critères désormais parfaitement codifiés par les psychothérapeutes.
Luciana Russo utilise depuis quinze ans, quotidiennement, les Tables de Rorschach. Elle obtient d'abord une maturité scientifique et diplôme de piano (mathématiques et musique résonnent dans des régions cérébrales proches), puis poursuit des études de psychothérapie et se spécialise en psychothérapie familiale avec une orientation dite systémique (globale). Sa thèse en psychologie porte sur le test de Rorschach, qu'elle applique en particulier pour l'évaluation de jeunes adultes psychotiques.
Mais Luciana Russo est aussi passionnée d'art, depuis toujours. Proche notamment de Marina Abramovic ou de Vanessa Beecroft, des artistes qu'elle rencontre, qu'elle soutient, qu'elle collectionne, et aux performances desquelles elle participe avec joie. Il y a cinq ans, elle installe dans son cabinet de psychothérapie une grande oeuvre lumineuse de l'artiste Robert Gligorov : La bonne nouvelle. Une photogaphie si troublante et si évocatrice, que spontanément, au début de chaque consultation, les patients vont lui en parler, d'une manière à la fois très diversifiée, singulière, mais aussi reconnaissable pour qui connaît comme Russo l'âme humaine. Luciana Russo se met alors à consigner systématiquement ce que les patients lui disent, et à organiser ces témoignages en fonction des diagnostics.

Russo se tourne ensuite vers la vidéo : la vidéo d'art, reflet artistique peut-être le plus significatif de notre temps, l'image mouvante, le son, l'histoire suggérée, la situation symbolique évoquée... Pendant le Festival de film de Turin, elle ferme son cabinet et s'enferme dans les salles de cinéma pendant dix jours pour visionner en continu des dizaines de films. Sa collection de vidéos d'art est d'une grande richesse. Pour les visionner avec ses patients, en général dans le cadre de ses psychothérapies familiales, la psychothérapeute va choisir celles qui l'ont elle-même le plus touchée - voire, qui l'ont fait pleurer, car la jeune femme pleure volontiers lorsque l'émotion l'étreint. A un couple qui souffre d'amour-haine et de dépendance réciproque, elle montrera ainsi Glima, de Masbedo ...

Non contente d'avoir inventé une nouvelle approche de la psychothérapie, qu'elle a baptisée Videoinsight® et dont elle va détailler les applications et les résultats dans plusieurs ouvrages en cours de préparation, Luciana Russo va ouvrir à Turin un espace culturel du même nom, Videoinsight, un espace dans lequel elle va montrer oeuvres et vidéos d'art et élargir le cercle des personnes à qui elle montre ces vidéos au public tout-venant de Turin et d'ailleurs. Comme si nous étions tous ses patients. C'est vrai qu'elle dit volontiers "je n'ai pas eu d'enfants. Mais j'ai eu tant et tant de patients, des jeunes psychotiques, des familles, de tout...".

L'art et la vie, l'art est la vie - et Luciana Russo leur invente de nouvelles rencontres.



Libre Livre Boris Cyrulnik, Je me souviens...


Le merveilleux auteur d' "Un merveilleux Malheur", l'inventeur de la résilience, parle de lui pour la première fois. Celui qui comme psychiatre a tant écouté, tant reconstruit, nous dit : "C'est dur de dire à quelqu'un "Voilà ce qui s'est passé, voilà ce qu'a été ma vie. Moi, ça fait soixante quatre ans que je n'ai rien pu dire. C'est la première fois que je le fais."

Quatre vingt pages d'émotion contenue ; quatre-vingt petites pages qui ne sont une suite de perles, d’enseignements, à prendre tels quels. Où l'on comprend la différence entre les coups et l'humiliation : la douleur des premiers passe, la douleur de la seconde est rémanente. Où l'on comprend pourquoi et comment Cyrulnik est devenu éthologue : "tous les enfants en carence affective fonctionnent ainsi : ils surinvestissent la poésie du monde vivant, les insectes, les plantes, les animaux...". Moi j'ai eu la chance de préférer toujours les hommes aux arbres et de pouvoir être relativement indifférente aux animaux. Quatre-vingt pages qui vous donnent envie d'aller embrasser l'auteur - même si on l'a déjà fait pour la résilience, on voudrait encore, pour la beauté, pour la représentation.

"C'est difficile de s'adresser à quelqu'un pour expliquer ce que l'on a vécu. Mais si on le fait par le biais de l'oeuvre d'art, par le détour du film, de la pièce de théâtre, de l'essai philosophique ou du travail psychologique, vous devenez le tiers dont vous pouvez parler."

"A ma sortie de la synagogue, je suis arrivé devant la porte. Elle était ouverte et je garde, là encore, un sentiment de grande beauté de cette porte ouverte, parce qu'il y avait dehors un soleil éclatant et que c'était le symbole de la liberté."

"Si j'ai seulement des images comme souvenirs, c'est parce que dans le même temps, j'ai vécu des émotions et qu'elles ont été déniées, refoulées. Il ne me reste alors que les images..."

"De l'émotion qu'on éloigne, on fait une représentation." C'est ce processus "qui met l'émotion à distance et permet d'être maître de la situation. On fait ainsi un travail de résilience."

"Beaucoup d'enfants abandonnés me confirment qu'ils étaient toujours à l'affût de la beauté, même au milieu des pires atrocités."

La beauté de l'image, qui révèle celle de la vie. La beauté de l'image, qui en vidéo, permet aux patients de Luciana Russo de dire qui ils sont, de devenir ce tiers dont ils peuvent parler, d’élaborer la représentation de leur propre histoire.




Publié dans l'Extension, juin 2010

jeudi 17 juin 2010

Dries Van Noten, une touche helvète


Dries Van Noten, Président du Jury du Festival d'Hyères 2010, aime les jardins. Celui de la Villa Noailles et le sien surtout, à Anvers - jardins de fleurs et jardins secrets, jardins d'Hyères et de demain. Libre en ses jardins, Dries Van Noten est son seul maître, n'ayant de comptes à rendre qu'à lui-même. Un homme qui joue et travaille avec ses valeurs, ses couleurs et ses fleurs, qu'il aime toutes, mêmes celles que l'on croit démodées, les dahlias, les glaïeuls... ces fleurs que l'on retrouvera sur ses imprimés floraux, peints à la main à grands coups de brosse libres par des artisans italiens sur du satin duchesse.

La touche helvète alors, outre les fleurs ? Elle fut apportée par Malcolm McLaren pour la bande sonore du dernier défilé de Dries Van Noten. Le compositeur anglais, ancien impresario des Sex Pistols, s'est inspiré pour la circonstance des ancêtres d'Appenzell, notre merveilleux mouchoir de poche de Suisse centrale où selon McLaren le temps a été oublié et où "les gens" (les Appenzellois donc, car à Appenzell le monde entier est Appenzellois) célèbrent le Nouvel An le 13 janvier avec d'immenses cloches de vaches sur leur dos... Et Malcolm McLaren de faire résonner pour Dries Van Noten les cloches folkloriques d'Appenzell dans un Appenzeller Zauerli, Swiss alpine folk music, yodelling with cowbells... McLaren n'est plus, mais les cloches résonnent encore. Merci Dries Van Noten. La Suisse, pays de la liberté et de la neige en hiver, vous est reconnaissante et rend hommage à Malcolm McLaren.

Une différence entre la Suisse et la mode ? Selon Dries Van Noten, "si dans la mode on veut de la neige à un défilé, on fait neiger, dans la nature par contre, la neige vient quand elle veut, et cela remet les pieds sur terre." La Suisse les pieds sur terre. dans les parterres de fleurs !


Publié dans les Quotidiennes, le 17 juin 2010

mardi 15 juin 2010

SCOPE Basel

Analix Forever est à SCOPE Basel et je serais ravie de vous accueillir. Robert Montgomery est à l'honneur à l'entrée de SCOPE, avec son installation lumineuse fonctionnant grâce à l'énergie solaire

THE PEOPLE YOU LOVE
BECOME GHOSTS INSIDE
OF YOU AND LIKE THAT
YOU KEEP THEM ALIVE

The people we love ? Les artistes avant tout - mais aussi, Casanova and other men

Pour en savoir plus : le communiqué pdf
Les œuvres : le dossier en pdf

jeudi 10 juin 2010

Paris, la ville heureuse, merci Renzo Piano

A n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, n’importe quel jour de l’année, toujours et encore, la place Beaubourg vit comme un théâtre. Si la ville heureuse de Renzo Piano signifie quelque chose, c’est là qu’elle s’est concrétisée, devant les tuyaux colorés du Centre Pompidou, avec ses escalators qui montent vers le ciel de Paris dans leurs tuyaux protecteurs, toute cette machinerie organique à l’intérieur de laquelle le monde entier vient découvrir l’art, à côté de l’atelier Brancusi où l’on peut rêver qu’il travaille encore, avec toute cette aura créative et résistante qui chaque jour redonne aux marchands, aux mendiants, aux errants, aux avaleurs de feu, aux musiciens, aux comédiens, aux sans domicile fixe, à ceux avec domicile trop fixe, aux chiens, aux autres, l’illusion heureuse d’être là où il faut être, dans le rayonnement de la beauté de cette ville plus éternelle encore que celle que l’on nomme ainsi, d’être les héros de leur propre histoire, sans regrets, sans remords, dans la joie et le sentiment de puissance aussi précieux qu’éphémère que nous donne notre présence dans la lumière des scènes du monde.

A n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, n’importe quel jour de l’année, toujours et encore, la place Beaubourg vit comme un théâtre. Un théâtre de l’amour. De l’amour heureux, toujours. Les plus transis, les plus désespérés, les plus colériques, les plus mesquins, les plus solitaires, les plus abîmés, les plus violents, les plus déchirés, les plus solides, les plus gros, les plus laids, les plus malades, les plus dégradés, les plus sérieux, les plus abandonnés, tous trouvent là un moment de bonheur après avoir systématiquement déposé leur détresse de serait-ce que quelques instants d’émerveillement devant l’architecture bienfaisante de Renzo, ce corps organique en pleine élévation : « non pas un monument, mais une fête, un grand jouet urbain ». Merci Renzo. Piano, piano… pianissimo, écoutez les bruissements du vent sur la place et humez les effluves de la volonté affirmée de plaisir.

Publié dans les Quotidiennes, le 10 juin 2010

jeudi 3 juin 2010

Natalie Bader, le branding dans le sang



Natalie Bader est l'une des rares femmes président dans le groupe LVMH. Ce serait certes une raison suffisante pour faire connaissance - mais au-delà de la fonction, Natalie Bader personnifie le talent et l'imagination au service d'une marque. A une époque où le “branding” est une telle nécessité que la plupart des marques n'en finissent pas d'engager des consultants, voilà une femme qui est la marque, qui fait la marque, qui sent la marque, la forme et la transforme...

Après avoir été le bras droit de Jacques Levy chez Sephora, et modernisé la maison de beauté jusque dans ses désormais très célèbres accessoires érotiques, elle est arrivée chez Fred. Fred ? “La joaillerie ultra-traditionnelle, une marque un peu endormie, avec une très belle notoriété mais ne sachant pas vraiment qui elle est.”

Et Natalie Bader de se promener dans l'histoire de Fred, dans tous ses recoins oubliés, dans ses ateliers et ses boutiques, de rencontrer ses clients et ses artisans, de se pencher sur ses valeurs. "Je n'ai rien inventé, dit-elle, je raconte une histoire qui existait avant moi."

Toujours est-il qu'elle définit les valeurs de la marque : l'expertise, la vie, l'androgynie, l'étonnement... “Fred Samuel travaillait pour les femmes, pour toutes les femmes, créant des bijoux avec lesquels je vis aujourd'hui, avec lesquels je dors, je me douche, je travaille et je sors... Alors pour souligner cette générosité, cette accessibilité j'ai voulu un magasin tout en transparence” - nous sommes Place Vendôme à Paris - “et non pas un coffre-fort.”

Moi j'aime bien sûr l'androgynie de Fred, ou plutôt sa mixité, ses bracelets marins et ses bagues aux rondeurs féminines et au carré masculin qui évoquent avec une allure d'avant-garde des références de l'Egypte ancienne. Fred, masculin et féminin : une androgynie incarnée par Kate Moss - qui d'autre ? - une Kate Moss dans très dans la vie, comme décoiffée par l'air marin... Et l'étonnement aussi, car Fred, avant tous les autres, collabore avec des artistes - rien moins que Jean Cocteau en 1962 déjà !
“Une marque humaine, une marque urbaine”, insiste encore Natalie Bader, qui lui invente une musique : des verres qui teintent, des portes qui claquent, des heures qui passent. N'hésitez pas à pousser sa porte, Place Vendôme : vous serez reçu dans la vie !

Publié dans les Quotidiennes, le 3 juin 2010