vendredi 25 juillet 2008

Archi-émouvant : l’architecture émotionnelle

L’architecture en effet est à l’honneur en ce moment, en France et ailleurs, de Lézigno à Valenciennes, de Gênes à Genève, de Londres à Biarritz, à la croisée des chemins entre art et politique, entre qualité maximale et désastres environnementaux, entre rêves et réflexions, rires et émotions - tout cela pendant que l’architecture suisse, elle, s’exporte sans complexe, à Pékin et Calcutta, archi-local et archi-global.


Archi-émouvant : l’architecture émotionnelle

Architecture émotionnelle? Vous ne trouvez pas, vous, que cela suffit, la structure, la hauteur, la perspective, la performance, la technique, la forme, le style? Oui oui, c’est très bien tout cela, mais… et la beauté b…?

Luis Barragan, Prix Pritzker 1980, affirmait déjà qu’ «il est très important que l’architecture puisse émouvoir par sa beauté.» Barragan se référait à Mathias Goeritz, concepteur de l'architecture émotionnelle (Manifeste pour une architecture émotionnelle, 1953) : «J’ai travaillé en totale liberté pour réaliser une œuvre dont la fonction serait l’émotion: il s’agit de redonner à l’architecture son statut d’art». L’architecture d’aujourd’hui, dit encore Goeritz, semble avoir effacé de son vocabulaire non seulement la beauté, mais aussi l’inspiration, la magie, l’envoûtement, l’enchantement, ainsi que les concepts de silence et d’étonnement: autant de causes et d’effets de l’architecture émotionnelle. Poème plastique, introspection, l’architecture émotionnelle, selon le critique et écrivain français Michel Seuphor (Seuphor, rien moins que l’anagranne d’Orpheus), renvoie l'observateur à ses sensations intimes.

Et si l’architecture émotionnelle n’est pas (encore) un large mouvement architectural, elle pourrait bien s’avérer être l’architecture de demain. Elle est en tous cas celle des architectes italiens 5+1AA. 5+1 ? Cinq Terres et une forme. Les Cinq Terres, classées «paysage culturel», se retrouvent, dans le catalogue des projets de 5+1AA, en bordure d’un champ de maïs, en plein été: une femme assise dans l’herbe tient dans son giron, une forme. Et les mots? Foin de concept, de structure, de fonction– l’âme italienne est bien au-delà de ces nécessités. Alfonso Femia et Gianluca Peluffo utilisent d’autres mots: réalisme magique, émerveillement et effroi, contexte versus cynisme, sensorialité et sensualité. Il s’agit d’inventer des bâtiments, affirment-ils, qui deviennent des instruments de perception et de connaissance d’une identité qui ne saurait être que plurielle.

L’architecture émotionnelle est aussi celle d’un Rudy Riciotti, même si les émotions de l’enfant terrible de l’architecture française ont d’autres sources que la nostalgie des brumes du Po ou l’élégance de la Cité des Doges: il s’agit pour Riciotti de violence et de passion, d’excès, voire de brutalité, de révolte toujours, kalachnikov si nécessaire. Le célèbre Stade de Vitrolles que certains ont paraphrasé, le Stade au Vitriol, n’est que l’une des réalisations passionnelles de ce militant sans répit.

L’architecture émotionelle, celle de demain donc? En tous cas celle du futur Nouveau Palais du Cinéma du Lido de Venise. Conçu par qui? Par Rudy Riciotti et 5+1AA. Un projet qui, selon eux, unit métaphysique et sensualité. Le septième art, celui d’écrire le mouvement, aura inspiré une architecture en adéquation: aussi émouvante que la volonté humaine toujours renouvelée de raconter la vie. Jamais sans émotion, et toujours en beauté.

Publié dans les Quotidiennes, le 25 juillet 2008

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