jeudi 23 juillet 2009

Les coûts de la maladie, pas de la santé

On parle de la succession de Pascal Couchepin, on oublie de parler de la santé. Et de cet objectif absurde qui va être transmis en prime impériale à son successeur : maîtriser les coûts de la santé. Et pourtant, ce qui coûte, c’est la maladie, et non la santé. Et malgré la boutade bien connue: « La santé coûte cher ? Essayez donc la maladie… » – la notion fondamentale de coûts de la santé continue de polluer les esprits.

Trois éléments essentiels pour enterrer cet héritage empoisonné à jamais : premier élément : la santé est un cadeau, et comme tous les cadeaux, elle ne se mérite pas, elle se reçoit avec reconnaissance. Elle s’entretient aussi – mais ce deuxième élément non plus ne semble pas encore avoir pénétré l’esprit des gestionnaires : investir dans la prévention ne coûte rien en comparaison des économies potentielles sur les coûts de la maladie. Troisième élément : la recherche. L’économie va mal ? On resserrre l’investissement dans la recherche. Calcul absurde là encore. La recherche ne devrait pâtir d’aucune restriction, y compris sur la base des plus pures considérations économiques.

Ce même 21 juillet 2009, les deux quotidiens français majeurs s’inquiètent, qui de l’impact économique de la grippe (Le Monde) et qui du SOS du Sud à propos du SIDA (Libération). Le Monde et le monde entier s’inquiètent, entre catastrophe modeste et catastrophe sévère, des coûts économique de la pandémie de la grippe A, qui selon la banque mondiale pourraient aller de 0.7 à 4.8% du PIB mondial. Absentéisme des parents pour garder leurs enfants à la maison en cas d’alerte (qui pourrait selon des calculs anglais mener à la fermeture de 120.000 PME) ; diminution drastique des voyages, une fois encore ; baisse réitérée de la fréquentation des lieux publics commerciaux et donc de la consommation… tous les ingrédients sont là pour que les coûts de la maladie viennent potentialiser les effets de la crise économique.

La recherche de vaccins, la prévention… tiens, cela paraît soudain fort intéressant. Mais au titre de l’efficacité, il ne faudrait jamais oublier, quelle que soit la situation économique, que pour être fonctionnelle en temps voulu, la recherche et la prévention doivent se faire très en amont, bien avant que l’on ne puisse se rendre compte d’un bénéfice possible. Il faut investir constamment, et en temps de crise plus que jamais, dans la recherche, et ceci sans aucune exigence d’utilité à court terme. La recherche ne devrait avoir à justifier d’aucune application au moment où elle se fait pour être subventionnée, elle s’avèrera toujours utile en temps voulu… et souvent, d’autant plus que l’utilité immédiate n’apparaissait nullement évidente.



Il en va de même pour le SIDA, cette autre pandémie qui touche aujourd’hui avant tout les pays dits du SUD. Le Fonds mondial pour le SIDA voit ses ressources menacées pour 2010. « La santé » en l’occurrence coûte d’autant plus cher qu’elle ne nous concerne pas directement. Dans la course aux milliards, il y a fort à parier qu’une bonne nouvelles grippe qui touche tous les pays - et notamment les pays riches - attire bien plus l’attention des investisseurs que la pathologie éculée que semble être devenue aujourd’hui le SIDA. Et pourtant, c’est bien d’économie mondiale qu’il s’agit ! La recherche sur la prévention et le traitement du SIDA – et de nombreuses autres maladies qui pèsent tant sur la qualité de vie des populations concernées que sur l’économie globale – doit se poursuivre. Il faut que les chercheurs trouvent à terme des médicaments plus efficaces et surtout plus simples pour traiter le SIDA. Les investissements dans la prévention doivent être multipliés par dix… non sans oublier que la prévention suppose une connaissance parfaite des mécanismes sociaux qui en permettent l’application possible. Il s’agit donc aussi d’investir dans la recherche humaine, celle qui permet parfois de comprendre et de contourner les mécanismes intimes qui régissent l’attitude de groupes de populations face à la maladie, la santé, la prévention. Mais qui investit aujourd’hui dans ce type de recherche anthropologique, pourtant essentielle elle aussi si l’on veut que les résultats de la recherche dite « dure » – des médicaments ou des vaccins par exemple – puissent atteindre leurs groupes cibles ?

Mais revenons en Suisse. S’il fallait que les fées se penchent sur la corbeille du prochain Conseiller fédéral, je proposerais qu’elles écartent définitivement du pouvoir les « assurances maladie ». Que les assureurs fassent leur devoir : assurer oui, c’est bien de cela dont il s’agit, non pas les coûts de la santé, mais ceux de la maladie. Et qu’ils développent une gestion intelligente, c’est-à-dire durable. Et pour ce faire, plutôt que de réfléchir à comment rétrécir encore l’offre de soins, qu’ils commencent donc à réfléchir, modestement comme il sied à leur position de service, à comment investir dans l’avenir. A soutenir la recherche et la prévention, en oubliant un instant, ne serait-ce que pour maximaliser leur efficacité, le souci du bénéfice au très court terme. Et plutôt que de fréquenter les allées du pouvoir et de passer le plus clair de leur temps à influer sur des décisions politiques qui devraient dépendre de visions strictement politiques – et c’est notamment sur la base de ces visions d’ailleurs que devrait se faire le choix du prochain Conseiller fédéral – que les représentants des assurés s’en aillent donc faire un tour dans les laboratoires, dans les universités, qu’ils voient comment ils pourraient soutenir le Fonds national de la Recherche scientifique, qu’ils conduisent des campagnes en faveur de la recherche… Voilà qui leur devrait leur permettr bien mieux que tout lobbying politique d’assurer la meilleure prise en charge de tous les malades potentiels et de toutes les maladies qui nous guettent, aujourd’hui comme demain.


Publié le 23 juillet 2009 dans l'AGEFI.

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