samedi 23 mai 2009

Meeting Antoine de Galbert

Interview par Barbara Polla du Createur de la Maison Rouge, Foindation pour l’Art contemporain
www.lamaisonrouge.org

Mon parcours ? J’étais un jeune bourgeois de province qui avait un premier métier dans la gestion d’entreprises. Mais cette vie tracée m’est vite devenue insupportable, je ne voulais pas rester dans le milieu du travail traditionnel. Tous les milieux d’ailleurs sont insupportables, celui de l’art contemporain autant que les autres. La notion même de « milieu », m’ennuie. Mais là, ce qui était vraiment insupportable, ce n’était pas le travail en tant que tel, c’était de ne pas être intéressé par ce que je faisais. A la Maison Rouge, je suis aussi dans le monde du travail - on travaille beaucoup ici ! - mais je suis passionné : j’ai toujours eu cette cette passion de regarder les choses, très tôt déjà, regarder, encore...

La galerie ? J’avais trente ans, ma femme aussi, elle a décidé de devenir comédienne et moi galeriste… C’était une petite galerie de province, pas du tout inscrite dans le marché, mais un lieu où j’ai appris de fil en aiguille l’histoire de l’art, les œuvres contemporaines, les réseaux… J’avais beaucoup de mal à faire vivre la galerie : j’étais plus riche que la plupart de mes clients et cela ne fonctionnait pas. Pour être un bon marchand, il faut avoir faim.

La Maison Rouge ? En 1997, il y a douze ans donc, j’ai fermé ma galerie et je me suis progressivement lancé dans la création de cette Maison. Il n’y a que peu de liens concrets entre la galerie que j’ai eue et ce lieu, si ce n’est leur origine : le désir d’aller à l’essentiel. L’essentiel ? Les civilisations, la culture, la trace de l’homme, la mémoire collective. L’art contemporain bien sûr - parce je veux vivre dans mon époque, et m’inscrire dans une histoire, celle de l’art. Mais même si l’objet de la fondation est de montrer l’art d’aujourd’hui, je suis en fait très éclectique et si je pouvais faire une exposition de peinture flamande, je la ferais ! Il me plairait aussi, de montrer plus souvent des oeuvres anciennes en parallèle aux œuvres les plus contemporaines, une manière de montrer le fil rouge de la création humaine d’une manière qui serait complémentaire, voire plus intéressante, au fait plus habituel désormais de montrer des œuvres contemporaines dans des contextes classiques. Montrer un Rembrandt aux côtés d’un Nitsche par exemple… J’aimerais décloisonner, encore et toujours. La culture française a besoin de ce décloisonnement, pour donner sa pleine mesure !

La Maison Rouge – rouge ?
La Maison est rouge grâce à ma femme. Quand elle a visité la friche elle m’a dit : « tu devrais peindre la maison en rouge ». Je ne suis pas un intellectuel et je fais les choses d’abord, parfois je les comprends après. Rouge c’est le cœur, le cœur de la maison, c’est ma couleur, celle de la famille. Et puis, il y a un tableau de Monet qui s’appelle Maison Rouge, et une toile de Malevitch aussi… mais cela, je ne l’ai réalisé que bien plus tard.

« La crise » … ? J’ai d’abord un regard personnel, un regard pour la Maison Rouge. La Maison Rouge n’est pas dans le marché mais elle dépend du capitalisme… Je me dois donc d’être extrêmement attentif à sa gestion. J’ai ensuite un regard de collectionneur, moi qui collectionne dans de nombreux domaines. Comme bien d’autres collectionneurs, je vois mon pouvoir d’achat fondre – avec cette sensation très particulière, quand je vais visiter des foires ou des expositions, d’être comme un chasseur qui part à la chasse alors qu’il n’a plus de cartouches. Il me faut réapprendre à regarder, regarder en faisant abstinence… Mais le désir de possession est tellement inhérent au plaisir de regarder que j’ai tendance à ne plus vouloir regarder : acheter des œuvres, cela m’excite comme ses jouets peuvent exciter un enfant… Alors je me dis, peut-être vaudrait-il mieux ne plus jouer ?

La crise serait-elle donc porteuse de valeurs, comme beaucoup semblent le suggérer ? Difficile de le prétendre quand on sait que l’effet principal de cette crise est son impact sur l’emploi. Le chômage va indubitablement se développer, aucune crise n’est moralisatrice. Mes amis galeristes, mes amis artistes vont tous vivre deux ou trois ans très difficiles. Dans la réalité, un très faible pourcentage d’artistes profitent réellement des périodes d’euphorie, la plupart n’ont pas de galeries et vivent péniblement. on parle toujours des valeurs du marché, mais ce que l’on appelle le marché de l’art ne représente qu’une toute petite partie de l’art. La seule valeur que je pourrais trouver à la crise est donc personnelle, me réapprendre à regarder l’oeuvre pour ce qu’elle est avant de me demander si je peux l’acheter !

Et quels effets culturels cette crise va-t-elle avoir ? En France, le niveau du mécénat va certainement diminuer, c’est grave pour notre culture car ce mécénat commençait tout juste à se développer ! En revanche je ne pense pas que cela soit une catastrophe pour la consommation culturelle ; au contraire : on renoncera peut-être à une semaine de ski, mais on ira davantage au cinéma, au musée, au spectacle. Oui, les gens sont prêts à faire des sacrifices, mais non, ils ne sont pas prêts à tout arrêter, et heureusement !

Aviez-vous vu venir cette crise ? Au niveau du marché de l’art, oui. Du moment où l’art contemporain – où quoi que ce soit d’ailleurs - devient une mode, il est condamné à passer de mode. Le temps de la mode est toujours évanescent, elle vit rarement plus d’une saison. Par ailleurs, l’idée de rareté d’une œuvre avait disparu, remplacée par la notion de multiplicité : voyez Gursky, Damien Hirst… un tel phénomène est nécessairement annonciateur de crise.

Et comment voyez-vous l’avenir ? Je ne vois ni passé ni avenir pour l’art : c’est un long fleuve qui représente ce qu’il y a au delà de l’homme. Je ne joue aucun rôle dans ce monde, je ne puis donc avoir ni raison ni tort. Jean Genet disait que c’est le peuple des morts qui juge de la pérennité d’une œuvre… Alors je vis dans mon temps, je n’achète que ce que j’aime, je n’ai donc pas de raison de me tromper à titre personnel. En revanche pour l’avenir du monde, je suis inquiet… et je me demande, comme tout le monde, si et quand « les choses » vont redémarrer. Et si cela ne redémarrait plus ? Cette possibilité m’angoisse bien sûr – mais peut-être devrais-je d’ores et déjà dire à mes enfants : « vous serez moins riches que moi ». En tout cas, je leur dis déjà, travaillez et gagnez votre vie ! Nous avons tous peur de perdre quelque chose, peut-être devrions-nous aussi nous mettre à partager, spontanément, avant que le partage ne devienne inéluctable, et qu’alors il ne soit, de ce fait même, plus vraiment partage.

Et votre avenir, à vous ? La collection n’est pas mon seul projet. Je dirais même que la sagesse, peut-être, serait d’arrêter de collectionner. Le collectionneur n’est-il pas comme un enfant ou un adulte inabouti qui risque à tout moment de ne plus s’intéresser à ses jouets ? Mais cela me fait peur aussi, parce que collectionner répond à un désir, et le désir c’est la vie… Mais je n’ai pas fini, je veux faire autre chose. Me rendre utile, encore. Sortir mes jouets de leurs cartons et en faire profiter les autres. Mes jouets qui ne sont pas tous dans le domaine du contemporain. Mes reliquaires par exemple, ma collection d’art brut… Je rêve de ce lieu, en pleine campagne, une forêt de peupliers, en Savoie d’où je viens, construire un pavé de verre sur des pilotis qui seraient le prolongement des arbres, un lieu pour accueillir de jeunes artistes de la région, un lieu de silence aussi… Le silence est un avenir. Mon Fontana blanc, c’est l’oeuvre la plus silencieuse que j’aie. C’est lui que j’emmènerais s’il me fallait partir dans le désert.

Mais que feriez-vous, concrètement, si vous aussi, deviez désormais travailler pour vivre ? Je crois que j’aimerais devenir salarié de la Maison Rouge. Ou alors, me faire embaucher, par un autre centre d’art…

Publié dans Crash, mai 2009

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