lundi 1 novembre 2010

La preuve par la Belgique

Cela fait des mois et des mois désormais que la Belgique vit sans gouvernement central. Le pays est géré par les gouvernements régionaux. Et très bien géré. Personne ne fait grève, les gens sont souriants comme toujours, le pays vit, travaille, mange, dort et les écoles sont ouvertes. Economiquement parlant, la Belgique se porte mieux, les investisseurs étrangers affluent, le pays est presqu’au top de l’attractivité pour les sociétés et investisseurs d’ailleurs. Personne n’ose le dire, parce que bien évidemment, cela met en cause, très profondément, l’existence de gouvernements centraux – tout en valorisant les gouvernements régionaux, le travail proches des gens, proches des ressources réelles, proches des préoccupations du quotidien.
Alors imaginez un instant qu’en France on décide de supprimer le gouvernement central et centralisateur – voilà bien une abyssale source d’économies : de quoi financer les retraites, les hôpitaux, les universités, l’enseignement et la culture. La France qui a dévelopé ces dernières années ses gouvernements régionaux pourrait parfaitement fonctionner sur cette base. Alors mes amis français me rétorquent, mais non ce n’est pas possible, les Français ont besoin d’être « menés », ils élisent toujours celui, non pas qui est le plus intelligent ou le plus compétent, mais qui a la plus grande g… Mais est-ce si vrai encore ? Ne serait-ce pas, au contraire, là justement que se niche la grande lassitude des Français, d’être conduits par de beaux parleurs qu’ils ont élu malgré eux et dont ils doivent subir la parole sans effets ? N’est-ce pas cela justement, la grande lassitude des Français, que de voir cet immense appareil inutile consommer une si grande partie de leurs ressources sans réaliser l’importance fondamentale des questions « du terrain » - du terrain de vie donc ? Toutes ces questions que les gouvernements locaux et régionaux connaissent si bien et essayent de résoudre de manière pragmatique – la seule qui vaille finalement – mais en se heurtant trop souvent à la politique centrale. Oui, n’est-ce pas là justement, la plus grande lassitude française, celle qui explique les grèves, et leur acceptation aussi, par le plus grand nombre de citoyens de ce pays ?
Alors d’autres amis français, préoccupés avant tout de culture – et dieu sait qu’elle est magnifique en ce pays – me disent, mais alors, comment vivrait la culture dans les régions ? Elle vivrait très bien, par elle-même, elle se fédérerait spontanément pour réaliser les aspirations des artistes, des étudiants, des intellectuels et des autres, elle se laisserait davantage guider par les mouvances locales que par les désirs et décisions encore une fois top-down qui tentent de guider la culture des régions. La puissance culturelle française est partout, de Calais à Metz, de Marseille à Lyon… et à Paris bien sûr ! A-t-elle vraiment besoin d’être centralisée et gouvernée ? Rien n’est moins sûr.

Et en Suisse ? Imaginez un instant que notre pays, qui si souvent se pose en exemple à la Belgique, prenne soudain exemple sur elle, suive le même chemin et décide d’affaiblir jusqu’à l’inexistence le gouvernement central. Tous les fonctionnaires centraux mis au chômage technique seraient rapidement réengagés dans les économies régionales florissantes et solidaires. Nous ne garderions qu’un département des affaires étrangères qui serait alors renforcé - car oui évidemment, les relations étrangères doivent être fortes pour pouvoir faire passer aux pays partenaires le message que le pays existe ! Peut-être le seul souci de la Belgique en ce moment, c’est qu’elle ne semble pas à même de faire passer ce message, oui la Belgique existe et se porte même très bien !
Cette Belgique qui revisite allégrement la théorie libérale et fédéraliste qui dans sa pureté donne l’essentiel des pouvoirs aux régions. Vite, saisissons cette chance de modèle expérimental qu’elle représente en ce moment, et étudions-le sérieusement, pour pouvoir nous en inspirer au mieux. Et félicitons les Belges pour leur pragmatisme plutôt que de hocher la tête en nous demandant, mais existe-t-il encore ce pays – comme si nous étions tous convaincus qu’un pays n’existe que par son gouvernement central ! Et qu’à notre suite, même le Président Obama et tous les Américains avec lui, ceux de l’Arkansas ou du Dakota Nord, ceux de l’Indiana et de la lointaine Caroline du Sud, à leur tour revalorisent les gouvernements locaux et affaiblissent leur gouvernement central, notamment dans son hypertrophie sécuritaire absurde, pour traiter les vraies questions du terrain – en ce moment, celle de la pauvreté menaçante avant tout, une question qui ne se traite jamais par la dissimulation.



Publié dans l'Agefi, le 1er novembre 2010

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