lundi 27 avril 2009

A propos de l’écriture 4 – les mots du silence

Mon amie Louise Stern est artiste. Elle est aussi, entre autres, sourde-muette. Je n’aime pas le mot de malentendant – parce qu’il contient «mal». Née de parents tous deux sourds-muets, elle a appris le langage des signes comme sa langue maternelle et arrive à Genève, pour son exposition, Crosswords, accompagnée de son traducteur. Mais le plus souvent, elle communique par les mots. Les mots écrits. Sur les nappes des tables des cafés et des pubs - quand nappes il y a - à Londres, dans ses carnets, dans mon cahier d’écolière aujourd’hui, à Genève. Drôle de pratique que l’écriture…

Lorsque l’on doit écrire tout ce que l’on veut dire, on va à l’essentiel. Nos rêves, nos sentiments, qui nous sommes, l’une et l’autre, ce qui nous anime… Pas de formules, que des mots. Et des questions essentielles: Louise pense-t-elle avec des mots? Est-ce qu’elle les entend, à l’intérieur d’elle, quand elle les écrit? Que signifie «entendre» quand on n’entend pas?

Louise rit de mes questions. De ce rire de gorge puissant et irrésistible comme souvent le rire de ceux qui ne s’entendent pas. Elle se meut et m’émeut, incarnant ses gestes, ses mouvements, comme ses installations – Intoxication, par exemple, de belles et menaçantes bouteilles qui contiennent, encore, des mots…

Je la regarde, je l’observe, et je repense à ce que disait Homer, le héros du livre Farrago de l’écrivain franco-américain Yann Apperry: «Ce n’est pas qu’il utilisait plus de mots… mais il avait cette manière unique de les laisser se détendre qui donnait un swing à tout ce qu’il disait. De même, il donnait l’impression d’être toujours à deux doigts de commencer à fredonner un de ces airs tristes et chaloupés que chantaient ses aïeux pour se donner du courage. Ce n’était pas dans les mots mais dans la manière. Ce soir-là, …devant le feu, j’ai compris qu’une histoire se raconte aussi avec le corps, avec la voix, avec les gestes de la main et que les paroles, aussi belles soient-elles, ne suffisent pas.»Les paroles de Louise, elles, sont pensées puis écrites, et racontées aussi, avec son art, avec son corps, avec son rire.

Publié dans les Quotidiennes, le 24 avril 2009

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