Aussi loin que la philosophie a existé, l’esthétique fut sa compagne. Guy Mettan en organisant sur le thème de la beauté les troisièmes rencontres internationales de la philosophie francophone à Saint Maurice ne l’a pas oublié. Il m’a été donné de réfléchir sur “Beauté des femmes, beauté des hommes, différences et ressemblances” – une opportunité de revisiter une question que j’avais négligée depuis mon célèbre livre “Les Hommes, ce qui les rend beaux” qui a fait de moi la spécialiste à laquelle on a désormais recours chaque fois qu’il faut commenter les splendeurs d’un Federer ou les attraits d’un Chabal…
Beauty is a byproduct of intelligence: cette phrase que je ferai mienne est en fait une invention brevetée. Je ne sais par qui, Platon ou Hegel ou encore quelque société de marketing ? Platon qui dans le Banquet propose déjà que c’est par la beauté des corps que l’on peut accéder à la beauté des sciences puis finalement à «l’essence même du beau», Hegel qui affirme que «la beauté dans la nature n’apparaît que comme un reflet de la beauté dans l’esprit » et que «c’est par l’idée du beau que nous devons commencer...” ou la société de marketing qui a rajoute un TM (Trade Mark) possessif à cette magnifique maxime?
Quoiqu’il en soit, il m’apparaît qu’il nous faut plus que jamais militer pour la beauté de l’esprit comme valeur supérieure, comme valeur qui nous rassemble, et affirmer qu’entre la beauté des femmes et la beauté des hommes, la ressemblance la plus importante est celle de la beauté des idées.
Cette affirmation est la seule manière de nous libérer des critères sociaux de beauté, parmi lesquels le plus puissant est aujourd’hui celui de la survie de l’espèce. Notre société, prise de panique devant la diminution de la natalité, modèle le regard et impose sa vision du beau: sa propre survie. Alors que l’individu désire toujours l’Autre, l’espèce, elle, ne désire rien d’autre qu’elle-même. Tous les critères de beauté, largement inconscients d’ailleurs, rejoignent aujourd’hui les critères de fertilité. La jeunesse est belle parce qu’elle est fertile. La santé est devenue un critère de beauté parce qu’elle augmente les chances de fertilité et les anorexiques sont désormais chassées des temples de beauté - les podiums - où elles étaient reines. Le ratio taille/hanche de 0,7 (d’une beauté incontestée) correspond bel et bien aux réserves de graisses idéales nécessaires à la gestation et les premiers mois de l’allaitement. On dira volontiers d’un homme de plus de 60 ans qu’il est beau – il est encore fertile – mais on n’entendra que rarement dire – «quelle belle femme!» d’une femme du même âge. Les jeunes femmes qui préfèrent les hommes âgés (et plus souvent riches) sont mues par la même nécessité sociale, et non pas par un matérialisme qui leur est souvent reproché à tort: un homme âgé et riche offre tout simplement davantage de garanties d’assurer non seulement la survie de l’espèce mais la pérennité de sa lignée… et c’est ainsi que les bourses pleines rendent les hommes beaux !
Et pourtant, j’aimerais penser que nous sommes désormais arrivés à un degré de civilisation qui nous permette de nous dégager des lois imposées dans le domaine de la beauté. A l’époque où beau était synonyme d’élancé et de blond, «être beau» - dit Laurent Wolf – «me paraissait un impératif extérieur, un ordre de marche, une contrainte non négociée, dont il était urgent de se libérer... Les nazis avaient une certaine idée de la beauté et voulaient construire un monde rigide débarrassé de ce qui leur était étranger… Ce fut la mort». La société d’aujourd’hui, elle, semble vouloir nous imposer la vie. C’est mieux certes – mais cela reste une contrainte. La beauté des idées, elle, ne saurait être que libre. La beauté en toute liberté, sans modèle, sans marche à suivre, sans critère de bon goût, est un produit dérivé de l’intelligence. Pour les femmes comme pour les hommes.
Publié dans les Quotidiennes, le 26 septembre 2007
mercredi 26 septembre 2007
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