vendredi 21 décembre 2007

Les hommes, les femmes, et les voitures...

Le cri primordial : l’angoisse absolue. Jamais humain ne vivra angoisse plus terrible que lorsque qu’il est éjecté de son véhicule premier, de ce merveilleux moyen de transport qui fut le sien pendant neuf mois. Rien, aucune possibilité de retour, ni même de négociation, aucune consolation : la guillotine claque, sèche, c’est fini terminé, adieu le doux balancement, l’intériorité, la passivité, la chaleur, le déplacement protégé et sans effort. La sortie est à sens unique. Hurle mon bébé hurle, tu n’as pas d’alternative que celle de vivre désormais. Jeté dans la vie sans aucun moyen, même pas celui de se mouvoir par soi-même, le petit d’homme va passer ses toutes premières années à maîtriser l’élémentaire : se déplacer seul, sans véhicule, marcher, courir - tomber des centaines, des milliers de fois, pour marcher encore. Et puis, une fois cette étape surmontée, il va rêver, le petit d’homme, d’une seule chose : retrouver un moyen de transport à peu près équivalent. Alors, aujourd’hui comme depuis la nuit des temps, il se met à construire. C’est par nostalgie profonde de son véhicule originel qu’il invente la roue, pour la facilité ; le train, pour le balancement ; les navires, pour la fluidité ; l’avion, pour le temps suspendu. Auto-mobile : la mobilité autonome. Je n’ai plus besoin de ma mère. Je me moque de l’utérus. Je construis une carrosserie bien plus belle, plus solide, plus résistante, plus légère même que celle des femmes : regarde ces courbes, regarde ce brillant, touche cette carrosserie qui se laisse toujours joyeusement caresser. La carrosserie, caressée, n’est-ce pas.

Le véhicule une fois construit, le retour dans l’utérus passe du rêve à la réalité. Mais pas trop vite… il faut prolonger la frustration. Le refus du permis de conduire aux adolescents ? Une stratégie supplémentaire pour leur faire ressentir plus profondément encore le manque d’automobile. Il faut le mériter, le retour dans l’utérus, faire preuve de patience et de majorité. Mais une fois acquis, alors la portière claque, aussi sèchement que les ciseaux de la sage femme lorsqu’elle coupait le cordon ombilical. Et pour actionner le véhicule retrouvé, un manche à vitesse forcément phallique. Mon phallus actionne mon véhicule. Juste retour des choses.

Et pendant que les hommes se construisent et habitent des utérus déterritorialisés, nous les femmes, continuons à servir de véhicules : au suivant ! Nous sommes nous-mêmes le moyen de transport rêvé, idéal et parfait, le plus sophistiqué et le plus efficace qui soit : pourquoi donc chercher autre chose ? Que les hommes s’amusent, s’ils le souhaitent, à nous reproduire à l’extérieur de nous-mêmes. Nous les regardons faire, en souriant. Ils sont touchants, vraiment, de nous aimer au point de nous re-produire, encore et encore.

Mais, me demande un ami, et le moteur, alors ? Le moteur qui fonctionne, qui tourne, qui vrombit, le moteur parfait - elle fonctionne comment, là, ta comparaison avec l’utérus ?

Le moteur, en effet, ce n’est pas l’utérus. Les hommes ne sont pas idiots. Ils savent faire la différence entre la carrosserie carressable, l’intérieur luxueux, les sièges moelleux, et le moteur. Le moteur, c’est autre chose, bien plus important encore. Le moteur, c’est la vie-même.

Nous, les femmes, sans effort et parfois même sans conscience, nous avons pourtant l’exorbitant privilège d’être porteuses d’un magnifique moteur de vie enfoui dans notre ventre. Comme dit le dicton, cinq minutes de plaisir, neuf mois d’attente, un de plus à table. Neuf mois d’attente, pendant lesquels nous nous parons de magie et réclamons tout ce qu’il est possible de recevoir comme attention, comme dévotion, comme admiration. Nous voulons être admirées pour quelque chose qui n’est ni le fruit de notre intelligence, ni celui de nos efforts, ni de notre créativité maîtrisée, pour quelque chose que nous n’avons pas choisi et sur quoi nous n’exerçons aucune action, nous voulons être cajolées pour la seule survie de l’espèce. Le moteur de la vie tourne, il tourne tout seul, bientôt d’ailleurs nous n’aurons même plus besoin du manche. Nous n’avons rien d’autre à faire qu’à attendre le suivant. Et si souvent en effet, nous ne faisons rien d’autre que d’attendre le suivant, puis attendre encore, pour les garçons, qu’ils construisent leur utérus externalisé, et pour les filles, qu’elles réalisent comme nous le bonheur d’être femme. Car seules les femmes peuvent être mères… il suffit d’attendre.

Les hommes, eux, n’attendent pas. L’angoisse n’attend pas. Ils vivent cette frustration à la fois terrible et magnifique : ils n’ont pas de moteur. Alors, autant nos privilèges nous rendent passives, autant leur désespoir les rend actifs. Pas de moteur de vie dans le ventre ? Eh bien, qu’à cela ne tienne, ils en construiront, des grands, des petits, des minuscules, des moteurs dont le bruit délicieux leur rappelle les bruissements intrautérins mais qui désormais ne dépendent que d’eux, des moteurs dont le bruit assourdissant couvrira enfin le souvenir déchirant de leur premier et définitif hurlement. Et bientôt, ils construiront des moteurs de vie, la bioinformatique est à portée de main et les machines-ordinateurs deviennent déjà, dans le secret des laboratoires des technologies du futur, capables d’écouter, d’échanger, de s’auto-réparer et bientôt de se reproduire.

J’aimerais être impliquée dans la construction du monde. Pas seulement dans sa perpétuation. J’aimerais moi aussi construire les voitures de demain, les bio-ordinateurs d’après-demain, les autoroutes, les viaducs, les aéroports pour avions solaires ; j’aimerais m’envoler sur Vénus et sur Mars dans une fusée dont j’aurai moi-même conçu la spatiotemporalité à ma mesure. Je ne veux plus, toujours, me laisser transporter comme un bébé. Je veux remercier le monde de m’avoir accordé le merveilleux privilège d’être le véhicule de base en en construisant d’autres, plus efficaces, plus moelleux, plus doux et surtout plus durables.

Quand les hommes construisent, achètent, conduisent et entretiennent leur voiture, c’est à chaque fois (ou presque) une déclaration d’amour immémoriale faite à la femme – si tant est que la mère n’existe pas sans la femme. Ou presque ? Lorsque l’amour n’est pas retourné, il peut parfois se tranformer en une déclaration de guerre : le véhicule maternel m’a jeté ? Eh bien je me construis le mien, et voilà, je n’ai plus besoin de personne. D’aucune femme. « Ma Corvette » – me disait un ami – « c'est tellement mieux qu'une femme. Le même plaisir à l'accélération, la même jouissance dans la vitesse, mais à la fin, quand je la mets au garage, et elle me fiche la paix, je n'ai pas besoin de l'écouter, ni de lui parler, ni d'aller me promener avec elle sur la plage la main dans la main et ses cheveux dans le vent. »

Pire, parfois encore, cette rancune à l’égard de la femme-véhicule va si loin que certains en viennent à vouloir, symboliquement, lui faire exploser l’utérus. Les terroristes à la voiture piégée ne font rien d’autre. Ils introduisent à l’intérieur du véhicule des phallus de dynamite. Et la voiture explose. Fin de l’histoire. Enfin vengé.

A paraître dans Intersection

mercredi 19 décembre 2007

Mon petit Mari, le Nouvel Age – ou de la taille des hommes et de celle de leur sexe

Deux romans récemment publiés, l’un, Mon petit Mari (Grasset 2007), d’un auteur fort admiré en Suisse romande, Pascal Bruckner, et l’autre, Le Nouvel Age (Le Grand Miroir 2007) d’un auteur plus connu pour son engagement dans l’art contemporain que pour ses romans, Paul Ardenne, traitent tous deux, sur un mode assez différent - la tragi-comédie contemporaine pour Bruckner, le roman moderne intello-trash pour Ardenne – de la position de l’homme, ou plus exactement du mâle, au tournant de ce siècle.

Pour Bruckner, il est minuscule. A peine un petit soldat de plomb. «C’est d’abord une histoire de taille», dit Bruckner, «Mon Petit Mari, c’est l’histoire de la prédominance des grands, de leur domination sur les petits». Mais c’est aussi une farce sur le couple, sur la confiscation de la liberté qu’il ordonne, sur le patriotisme viril à la dérive, sur ces hommes qui se laissent volontiers dominer dans le couple et qui ne s’en trouvent que mieux.

La transformation de la femme en maman, cette femelle universelle qui tout à la fois génère et déplore la perte de la virilité «domestique», son surinvestissement compensateur à l’extérieur et l’irresponsabilité de l’homme nouveau, blame son compagnon de n’être pas à la hauteur quand bien même elle fait tout pour le diminuer, et nous rappelle avec acuité le travail de sape de la masculinité d’une Sophie Calle et de ses compagnes d’infortune (Christine Angot exclue).

Quant à l’homme, dit Bruckner, pas de chance, «même quand il est opprimé il est encore oppresseur - ou alors une victime vraiment ridicule». Heureusement, la fin inventée par Bruckner est lumineuse: finalement il suffit, pour ne pas être un petit mari, de ne pas choisir une grande femme – il en est tant de petites… Plus aucune chance désormais pour celles qui mesurent plus de 165cm.

Quand au Victor de Paul Ardenne, il n’est guère plus victorieux.

Le pauvre Vic rêve d’une société de l’harmonie - celle «préfabriquée par les charlatans de la réunification humaine» -, mais sans arriver à la trouver dans sa propre existence. Non seulement «il bouffe et grossit en conséquence, mais de plus, il ne bande plus.» En tous cas plus dans le cadre de son couple qui se devrait pourtant d’être harmonieux.

Rares sont les hommes qui abordent ainsi de plein fouet cette problématique pourtant quotidienne. Problématique qui plus est escamotée dans ce cas, car cela indiffère à Madame (Madeleine): une autre manière de diminuer le mâle. Victor développe alors des stratégies alternatives: il rencontre des femmes actives, avec lesquelles il adopte une attitude clairement passive d’homme objet servile et heureux de l’être.

Elle choisit l’hôtel, le jour, la position – quand bien même les deux qui intéressent Vic sont symptomatiques: d’une part le sexe oral, «étouffoir métaphorique de la parole féminine», commente Ardenne, et d’autre part le sexe anal, qui abolit lui aussi la puissance féminine dans la mesure où celle-ci, contrairement à celle masculine, est fondamentalement puissance d’absorbtion et non pas d’émission. Contre nature. La fin est sans espoir… mais ne se laisse pas dévoiler.

Bonne lecture à toutes celles qui s’intéressent aux désastres des hommes, qui sont forcément aussi les nôtres - les désastres donc, pas les hommes, car finalement, comme nous, ils n’appartiennent qu’à eux-mêmes.


Publié dans les Quotidiennes le 7 décembre 2007

lundi 19 novembre 2007

Analix Forever: deux expositions

Deux expositions à Analix Forever:

analix north: Crosswords, curated by Michele Robecchi









analix south: Hertha, Second Book, Matt Saunders

Opening: November 15
Show: November 16 - January 10







Infos sur www.analix-forever.com

mercredi 14 novembre 2007

Les critères de la beauté: la liberté d'abord

Aussi loin que la philosophie a existé, l’esthétique fut sa compagne. Guy Mettan en organisant cet automne sur le thème de la beauté les troisièmes rencontres internationales de la philosophie francophone à Saint Maurice ne l’a pas oublié. J’ai déjà abordé dans une chronique précédente la question de la beauté des idées et de l’indispensable liberté que nous devons encore conquérir au quotidien(nes) par rapport aux critères de beauté trop souvent imposés par la société. Il s’agit, comme le disait à Saint Maurice Jean-Marc Tétaz, le Président de la Société romande de philosophie, de «conserver l’authenticité de l’être par contraste à la façon dont la société veut le définir».

L’une des manières de conserver une telle authenticité est de s’exercer continuellement à «penser à l’envers», une expression parfois utilisée par le célèbre publiciste Jacques Séguéla. Penser à l’envers par rapport à la beauté: par exemple, la beauté des personnes handicapées. En général, quand nous pensons au handicap, la beauté n’est pas la première idée qui nous vient à l’esprit. Et pourtant… porter notre regard sur la beauté des personnes handicapées est une manière de souligner l’authenticité de l’être.

"Tout de suite, j'ai su que j'étais différente"
C’est aussi l’un des messages de Elle, moi, une autre… de Delphine Censier, qui souffre d’une amyotrophie spinale de Werdnig-Hoffmann. Son livre commence ainsi: «Tout de suite, j’ai su que j’étais différente. Tout de suite, j’ai eu conscience de ce que je ne pouvais pas faire. A l’âge de cinq ans, on m’a mise dans un fauteuil à roulettes et je me suis adaptée à la situation.» Aujourd’hui, Delphine présente ses autoportraits photographiques qui découvrent la beauté de son corps et la tendresse de ses formes. «Emerveillée et ravie», dit-elle, « je découvrais ce que je pouvais faire avec mon corps et repoussais mes limites». Et surtout: « Ma différence ne me pèse plus depuis que j’ai commencé à poser pour les photos. Je me sens légère et libre, pleine de projets et d’espoir. Demain sera encore plus beau qu’aujourd’hui… ».

A voir aussi, le défilé de John Galliano. «Everything and everybody is beautiful» dit Galliano, le nain et le géant, le jeune et le vieux, l’obèse et l’anorexique, chacun dans son plus grand apparat. Le message est très clair: vous êtes tous beaux, je vous vois tous beaux, chacun avec ses particularités et souvent son excentricité (excentrique, en dehors du cercle, différent…) et je vous habille en conséquence.

Sans oublier Alison Lapper, née sans bras et avec les deux jambes atrophiées, aujourd’hui mère d’un enfant non handicapé et inspiratrice, pendant sa grossesse, de la monumentale sculpture en marbre de Marc Quinn, Fourth Plinth, montrée à Trafalgar Square à Londres. «I regard it as a modern tribut to feminity, disability and motherhdod. The sculpture makes the ultimate statement aboiut disability – that it can be as beautiful and valid a form of being as any mother » dit Alison – et je me plais à ajouter, as any other.

Dans ce même contexte, chère lectrices des Quotidiennes, venez toutes à la soirée de l’Association Handiculturelles, le 6 décembre 2007. Pour information et inscripition: handiculture_6@hotmail.com.

La beauté sauvera le monde!


Publié dans les Quotidiennes le 14 novembre 2007

mercredi 7 novembre 2007

Invitation à un brunch-débat



L’Institut Constant de Rebecque
avec Barbara Polla et Avenir Suisse

est heureux de vous inviter
à un brunch-débat convivial le dimanche 25 novembre
dès 11 heures, à l’Hôtel Montbrillant, à Genève

en compagnie de

Vincent GINOCCHIO
Président de Liberté Chérie

sur le thème « Vers des syndicats enfin au service des salariés ? ».

Liberté Chérie est une fédération de militants libéraux qui agissent sur une quinzaine de grandes villes françaises, dont le but est d'éveiller le public aux idées de liberté et de responsabilité individuelles, tout en faisant pression sur les hommes politiques.

Vincent Ginocchio est président de Liberté Chérie depuis février 2006, après en avoir été un militant de terrain actif. En novembre 2005, il a notamment été l'un des organisateurs d'une contre-manifestation dans la ville de Marseille qui était paralysée par les syndicats communistes. Il a également organisé quatre manifestations à Paris en mars et avril 2006 pour libérer les universités qui étaient bloquées pendant la crise du « Contrat Première Embauche ». Ces deux événements ont eu un impact médiatique au niveau national.

M. Ginocchio, vingt-neuf ans, travaille dans l'informatique industrielle et les télécommunications pour plusieurs entreprises multinationales.

Entrée gracieuse – inscription indispensable à ic@institutconstant.ch
jusqu’au 21 novembre 2007 (nombre de places limité).

vendredi 2 novembre 2007

Cet obscur objet du design

J’ai participé à la conférence AC*DC et admiré l’expo du Centre D’art Contemporain Wouldn’t it be nice – faites de même, cela vaut la peine.


AC*DC, Art Contemporain*Design Contemporain : dans la foulée du colloque international organisé par Jean-Pierre Greff, le directeur de HEAD (Haute Ecole d’Art et de Design), les 26 et 27 octobre derniers, n’oubliez pas de visiter le Centre d’Art Contemporain, ce haut lieu de l’art créé à Genève par une femme d’exception, Adelina Von Fürstenberg, et dirigé aujourd’hui par une autre femme d’exception, Katya Garcia-Anton, organisatrice de l’exposition Wouldn’t it be nice autour de laquelle foisonnent questions, accords et désaccords: art et design, faut-il vraiment les conjuguer au présent composé, ou au contraire, au conditionnel exclusif ?

Au milieu de toute une jouissance de fertilité créative, de convergences soigneusement cultivées et d’un syncrétisme euphorique, ce questionnement s’est concrétisé, au cours du colloque AC*DC, en trois critiques ultra du design. Premièrement, le design n’est pas de l’art. Deuxièmement, le design n’est pas démocratique. Et troisièmement, le design n’est pas humain.

Le design n’est pas de l’art : l’art est objet symbolique qui s’adresse à la pensée et le rôle des artistes est de démonter les idées reçues esthétiques et sociales du moment. Le design quant à lui crée des objets d’usage, dont la valeur de signe est certes importante et qui habillent nos vies, mais dont la fonctionnalité reste prépondérante. En témoigne Design and Crime de l’Américain Hal Foster, historien de l’art et du design, qui soupçonne ce dernier d’être «la revanche du capitalisme sur la postmodernité».

Le design n’est pas démocratique. La démocratie : un homme, une voix. Pour être démocratique, le design devrait donc proposer: un homme, une forme. Mais ce n’est pas le cas et le design se situe en fait du côté du capital, des forces de domination et d’aliénation, et non de celui de l’individu démocratique, libre et autodéterminé. C’est en tous cas l’argumentaire développé par Paul Ardenne, historien d’art et écrivain français, qui va plus loin même.

Le design n’est pas humain. Il met nos vies en scène, mais n’éclaire pas le rapport de chacun à sa propre existence. Il contribue au contraire «à l’accentuation du simulacre universel», éloigne l’individu de l’expérience vraie du monde et de ce qu’Ardenne appelle «la vie nue». La seule qui vaille la peine d’être vécue et pensée.

En toute logique, Katya Garcia-Anton, partenaire privilégiée de Jean-Pierre Greff dans l’organisation d’AC*DC, s’oppose violemment à cette vision du design, pour privilégier une position ouverte, fluide, utopique et joyeuse, pour valoriser l’esthétisation du quotidien de chacun et pour rêver, à l’unisson des étudiants en design de HEAD, que leur champ d’étude conserve le potentiel de réenchanter notre monde et de rassurer ses habitants du futur par sa contribution à l’ordre et la beauté.

AC*DC : selon Jean-Pierre Greff, au-delà de Art Contemporain*Design Contemporain : circulation et courant d’énergie, alternatif ou contenu dans cet obscur objet du design... Laissons-lui donc le dernier mot : circulation d’énergie.


Publié dans les Quotidiennes, le 2 novembre 2007

Rencontre chez Take5 à Paris


Cocktail chez Artcurial à Paris, le mardi 13 novembre (la veille de Paris photo), de 18h à 21h, organisé par les éditions Take 5 pour présenter Vetri Rosa, en présence de Ornela Vorpsi et Mat Collishaw, artistes et amis chéris de Analix Forever

Pour info : ctake5@yahoo.com

Les Quotidiennes: portrait d'homme

Les Quotidiennes m'ont demandé une série de huit portraits d'hommes que j'aime...

24 septembre 2007: Pascal Bruckner aime la Suisse

« Faire l’amour et travailler jusqu’au dernier jour »
Picasso


Pascal Bruckner, le plus glamour, drôle et gentil des intellectuels français – un intellectuel « dégagé » - a vécu, enfant, quelques années en Suisse - et l’amour de notre pays, la fascination pour sa beauté, ses montagnes et ses montres sont restés très vivaces. L’arrivée à Paris est un éblouissement qui se concrétisera très vite en un premier succès retentissant avec la publication, avec Alain Finkielkraut, du Nouveau Désordre amoureux – un succès suivi de quelques années difficiles, avant la reconnaissance internationale actuelle. Mais aujourd’hui, à Genève, quand on a besoin d’un intellectuel, d’un débataire, d’une référence, de glamour - un nom, toujours le même : Bruckner. Bruckner qui m’a fait l’amitié de rédiger la quatrième de couverture de mon dernier livre, Handicap entre différence et ressemblance, dans laquelle il parle de « la richesse inépuisable de l’altérité ». Pour Pascal Bruckner, l’autre c’est notamment la femme. Inépuisable.


Pascal, tout d’abord, à quel groupe te sens-tu appartenir ?
Aux bobos du centre ville, éventuellement une partie de l’intelligentsia parisienne.

Tes trucs pour réussir ?
Dormir le plus possible, faire ce qui me plaît, me préserver des importuns. Et bien sûr, travailler…

Tes rencontres déterminantes ?
Les femmes d’abord, les rencontres amoureuses, le grand choc existentiel. A l’âge de 16 ans, je me suis trouvé dans un dortoir de filles à la Clusaz, on a passé la nuit à se caresser avec ma petite amie, dans le silence attentif des autres filles, moi seul au milieu de ce gynécée… ce fut une découverte assez bouleversante. Je suis sorti à 5h du matin par la fenêtre avec l’intuition d’une différence absolument fondamentale entre jouissance féminine et la jouissance masculine, fondatrice des différences entre hommes et femmes, une intuition qui a pris le caractère d’une obsession.

Et Alain Finkielkraut, avec lequel j’ai vécu à la post adolescence une vraie fusion intellectuelle qui a duré pendant 15 ans.

L’une de tes plus grandes fiertés ?
Ma fille. Elle est belle, intelligente et drôle et elle m’enchante en permanence. C’est une fierté un peu puérile et narcissique, mais elle n’est pas négligeable… En tant que femme je lui donne les armes pour se défendre dans se monde, je lui apprends à grandir et à se protéger, car le corps féminin, à tout âge, est beaucoup plus exposé à la violence que le corps masculin, c’est une vraie découverte. Quand on est une petite fille, le problème de la sécurité est prépondérant !

Et la dernière action dont tu es fier ?
J’ai sauvé une petite souris de l’écrasement. Tout le monde voulait la tuer, on l’a sortie de l’appartement avec ma fille et j’a été très fier de la sauver de la fureur des humains - évidemment j’aurais bien voulu être un vrai héros, mais l’opportunité ne s’est pas présentée…

Une nécessité ?
Travailler et écrire tous les jours, passer un certain nombre d’heures à lire à écrire à travailler - travailler consistant à lire et à écrire - sinon je deviens fou je coule comme c’est une passion je ne peux pas m’en passer – et éviter tout ce qui est administratif perte de temps et dispersion.

Ta valeur prépondérante ?
Profiter de la vie jusqu’au dernier jour, ne renoncer à rien, surtout pas aux rêves de l’enfance - éviter toute « sagesse de l’âge » qui me paraît un autre nom du renoncement dont je ne veux à aucun prix.

Ta recommandation pour tous ?
Ne vous résignez pas à votre sort, osez toujours, et ne mettez pas tous vos œufs dans le même panier.

Et un mot pour les femmes ?
Bienvenue !


http://www.lexpress.fr/mag/arts/dossier/proust/dossier.asp?ida=333306




24 septembre 07: Philippe Nantermod, jeune il est vrai… mais

« Le monde a fait de moi une pute et je ferai du monde un bordel »
La visite de la vielle dame, Dürenmatt

J’ai connu Philippe quand il avait tout juste 17 ans. Il était écolier et chef d’entreprise. Il a participé à un forum de start-up’eurs que j’avais organisé, le 19 septembre 2001. Le prix du meilleur participant : un voyage au Swiss House à Boston. Ils avaient tous été excellents, je ne savais à qui donner le prix. Alors j’ai demandé : qui aimerait aller à Boston ? Et ils ont été seulement deux à lever la main, Philippe et Pascal Perez, 17 ans lui aussi. Ils sont partis tous les deux… et je me suis dit, pour gagner, vraiment, il faut d’abord le vouloir et ensuite oser le dire… et depuis, Philippe de m’a jamais déçue. Il s’occupe de mes ordinateurs – c’est-à-dire de moi - la nuit et le week-end, entre deux meetings politiques, trois examens, quatre copines, cinq voyages, six clients et quelques rêves… le bordel, en somme.

Philippe, tout d’abord, à quel groupe te sens-tu appartenir ?
J’appartiens au groupe des jeunes radicaux-libéraux, auquel j’ai adhéré il y a 6 ans et que j’ai pu en partie façonner. C’est avec ce groupe que je peux m’épanouir dans ce que j’aime, à savoir la contestation politique – changer les choses à l’intérieur de règles strictes…

Tes trucs pour réussir ?
La passion d’abord, surtout dans un monde comme la politique, les choses prennent du temps, sont couronnées de succès de manière très aléatoire, il faut une tête de mule, et plus encore que de la patience, une vraie passion.

Et puis l’apprentissage – tous les apprentissages - il faut être malléable - cela ne veut pas dire être une girouette - mais savoir se remettre continuellement en question, en jeu face à l’autre, se rendre compte qu’on peut avoir tort. Le meilleure apprentissage: celui des échecs personnels…

Et enfin, la famille : la mienne, d’un côté, me remet constamment les pieds sur terre – et de l’autre, elle me perd la tête dans les nuages - les nuages de la vie et de l’amour.

Tes rencontres déterminantes ?
La première, c’est Jean Christophe Conticello, membre du team directeur de Oven Digital. En 1999, j’avais 15 ans, j’avais pu accéder à la partie conférence de la grande messe Telecom, j’étais assis à côté de lui, on a bavardé et hop, je l’ai suivi, je suis parti trois mois à New York - un petit changement de mon village de 600 habitants – plouf dans le bain de l’informatique, toute ma vie à ce moment là… mais surtout, plouf dans cette fantastique dimension humaine et sociétale de la grande ville la plus passionnante du monde, une dimension qui manque dans l’informatique…

La deuxième, virtuelle d’abord - par le biais des media – un vrai déclic - Pascal Couchepin, personnage assez particulier que depuis j’ai rencontré souvent en vrai et qui m’a par son franc parler m’a fait apprécier la politique.

L’une de tes plus grandes fiertés ?
L’initiative sur le droit de recours. Un projet lancé en 2003, que j’ai défendu devant mon parti, j’avais 19 ans, cela a pris beaucoup de temps - je ne suis qu’un des auteurs bien sûr – mais c’est tout de même la seule initiative radicale qui ait jamais abouti sur le plan fédéral ! Et en 2009 toute la population suisse va devoir voter sur ce texte: preuve que même à 19 ans tout est possible-

Et la dernière action dont tu es fier ?
Cet été, j’ai emmené mes deux petits frères en voyage, l’occasion de passer du temps avec eux, juste nous trois, de resserrer les liens entre nous, on avait grandi tout de même depuis les dernières vacances ensemble…

Une nécessité ?
Parler à mon père, au moins deux minutes, tous les jours. J’ai vécu longtemps seul avec lui, nous sommes restés très proches et je reste extrêmement sensible à ses critiques mêmes mineures !

Ta valeur prépondérante ?
Ma liberté.

Ta recommandation pour tous ?
« Tous », ce sera les moins de 20 ans, je me vois mal faire des recommandations à mes aînés… Avant tout, crochez aux études. Ne lâchez jamais prise même dans les passages à vide… Et puis, réaliser que sans chaînes, il n’y a rien à briser : j’ai toujours aimé les règles, pour les contourner quand j’étais ado – pour les changer désormais.

Et un mot pour les femmes ?
Je les voudrais devant, des leaders, et pouvoir les suivre – sans attendre.

www.nantermod.com




1er Octobre 2007: Cent dîners avec Frédéric Chaubin

« The first day of the rest of your life »
Jean Baudrillard


Frédéric Chaubin est rédacteur en chef de Citizen K, magazine glamour français, support haut de gamme incontesté de la pensée et de l’image, qui appartient désormais à Edipresse. L’image ? Notamment celle de l’architecture soviétique des années 1980 que Chaubin, qui est aussi photographe de génie, documente de manière inédite et presque compulsive sous le titre de CCCP, Cosmic Communist Constructions Photographed. Vous retrouverez avec CCCP, publié à plusieurs reprises dans Citizen K et exposé à Paris, Tokyo, New York et en Lituanie, un monde déjà oublié auquel Frédéric redonne vie et passion…

Frédéric est aussi mon meilleur ami depuis plus de dix ans, nous avons dîné ensemble à Paris plus de cent fois… et à chaque fois, il me parle de son dernier voyage à l’est, de sa dernière blonde de l’est, de ses dernières lectures et de ses dernières trouvailles… Et moi j’écoute et je prends des notes, car il sera un personnage clé d’un de mes prochains romans !


Frédéric, tout d’abord, à quel groupe te sens-tu appartenir ?
La vie est une aventure individuelle. Je n’appartiens à aucun groupe. Je n’aime pas les chapelles. J’ai une énorme tendresse pour les modestes, les idiots et les enfants à lunettes – même si cela ressemble à une posture de dire cela.

Tes trucs pour réussir ?
Je ne suis pas carriériste. Je n’ai jamais prémédité quoi que ce soit, je suis incapable de définir et de suivre un plan de carrière. C’est certainement le secret d’une liberté d’action et de manœuvre qui me permettent de me singulariser. Et puis, je suis un dilettante… j’ai l’intelligence du texte aussi bien que celle de l’image, alors que le secret de l’époque, c’est précisément le décloisonnement. Et finalement – ou plutôt d’abord – mon éducation : en fait j’ai été à la fois bien et mal élevé - mal élevé parce que l’on ne m’a jamais appris l’importance de l’argent – et très bien élevé dans la mesure où l’on m’a appris à considérer le monde de la manière la plus passionnée et respectueuse qui soit.

Tes rencontres déterminantes ?
La première rencontre c’est celle du père, la seule personne qui m’ait jamais aimé de manière inconditionnelle - or l’amour est fondateur… Ce père était dans l’extrême à tout point de vue, d’une humanité vertigineuse. Un grand chirurgien, un virtuose de l’esprit et du geste, à la fois dans la démesure la plus absolue et dans une maîtrise de soi extrême, une complexité paradoxale qui m’a constitué. Il est mort en me laissant la prunelle de ses yeux: une bibliothèque de 5000 livres. Mon seul malheur c’est son absence – mais il a fallu qu’il disparaisse pour que je me mette à exister.

Et puis, Jean Baudrillard. Gourou de mon adolescence, le seul qui ait offert un décryptage lumineux du modernisme finissant. Je l’ai rencontré par le biais du magazine. N’ayant jamais su être ponctuel, je suis arrivé chez lui avec une demi-heure de retard… et me suis trouvé face à un homme d’une liberté d’esprit absolue, avec quelque chose de très oriental dans l’attitude et la pensée, une extrême sympathie adossée à une distance totale – et ce monumental personnage avait la voix de Pierre Perret !

L’une de tes plus grandes fiertés ?
D’avoir réécrit pour Citizen K l’un des textes de Baudrillard et d’avoir obtenu son aval pour publication.

Et la dernière action dont tu es fier ?
J’ai rendu un service à un ami d’enfance qui m’a maintenu autrefois à bout de bras. Il avait besoin dans l’heure d’une importante somme d’argent. La spontanéité avec laquelle je l’ai tiré d’affaire m’a moi-même surpris. Je suis fier d’avoir concrétisé ce lien… le monde manque de liens…

Une nécessité ?
L’ordre et la propreté. Je suis un maniaque intégral. A ma manière, je suis plus Suisse qu’un Suisse !

Ta valeur prépondérante ?
La liberté reste la valeur absolue, unique.

Ta recommandation pour tous ?
La seule chose qui paie de façon imparable et objective, c’est la prise de risque et l’action continuelles, le fait de mettre un pied devant l’autre.
Pour moi à priori plutôt contemplatif, le monde a commencé à bouger le jour où je m’y suis attaqué…

Et un mot pour les femmes ?
Un peu moins de violence, s’il vous plaît.


http://www.french-wave.com/art/cosmic_communism.html



9 Octobre 2007: Kris Van Assche, le nuage en pantalon


« Avoir une idée, c’est une fête »
Gilles Deleuze


Entre mes mains, une invitation à un défilé. Kris Van Assche. A part Hussein Chalayan, je ne vais pas souvent aux défilés, mais Kris Van Assche, cela chantait du nord, cela faisait rêver, le carton était beau et j’étais à Paris ce jour là… Emerveillement absolu. Pure poésie. L’élégance comme en rêve, entre modernité et nostalgie. Je venais de publier mon livre sur la Beauté des Hommes et je préparais une exposition sur le même thème : Handsome. Après le défilé, je suis allée féliciter Kris, et je l’ai invité à participer à Handsome. Il a tout de suite accepté et préparé un travail magnifique. Déclaration d’admiration : il est l’un des hommes les plus concentrés que je connaisse. Et son dernier défilé m’aura inspiré le thème d’une prochaine exposition, Working men, en mars 2008, dont Paul Ardenne sera commissaire. Cela lui va bien, à Kris, qui est désormais aussi responsable de la mode homme chez Dior : working man.


Kris, tout d’abord, à quel groupe te sens-tu appartenir ?
Je reviens de vacances… et sur la plage, je voyais comment tout ce beau monde essayait désespérément de faire partie d’un groupe, les sorteurs, les consommateurs en tout genre, les tatoués, les gays… aucun à qui m’identifier vraiment. J’aimerais penser que je fais partie d’une génération créative – mais d’aucun groupe ni mouvement, et paradoxalement, certainement pas du monde de la mode.

Tes trucs pour réussir ?
Le travail. Mon travail est ma liberté. Et puis, une évidence : je n’ai jamais eu l’impression d’avoir le choix, je ne voyais pas ce que je pouvais faire d’autre que de réussir. A l’arrivée, à l’Académie (la Royal Académie
d’Anvers), nous étions 150 – au final sept – il était évident qu’il fallait faire partie de ces sept-là. Et puis, le succès, c’est toujours le prochain défilé, jamais le précédent… La réussite est constamment repoussée et c’est ce qui nous fait avancer.

Mais avant même le travail, pour réussir en tant que créatif, il faut avoir l’idée… tu peux avoir une équipe de 100 personnes mais si l’idée n’est pas là personne ne bouge. Personne ne sait exactement comment elles viennent, les idées… Je collectionne le plus d’images possibles, je les colle contre le mur, elles commencent à vivre entre elles, les liens se créent, il faut être très réceptif, très concentré… la concentration, elle m’accompagne toute la journée, c’est très naturel - le vrai effort, c’est de me déconnecter !

Tes rencontres déterminantes ?
Ma grand mère d’abord : une vraie esthète. Elle m’a appris la différence entre manger et dîner à une jolie table, entre mettre des vêtements et se faire beau. Pour elle, l’effort supplémentaire de répondre constamment à l’exigence esthétique était indispensable, et c’est devenu l’histoire de ma vie : je ne suis que dans l’effort supplémentaire.

L’autre rencontre déterminante, c’est celle de l’Académie. Pas un professeur en particulier, mais l’Académie dans son ensemble. J’avais 18 ans et c’était la première fois que j’étais bien, c’est comme si finalement j’étais arrivé au bon endroit…

L’une de tes plus grandes fiertés ?
De ne jamais avoir renoncé à mon rêve, et de ne pas avoir « pété les câbles ». Toutes ces années de pétage plausible tout de même, dans mon village, les premières années à Paris dans une chambre de cafard, les premières années d’assistanat dans la cage dorée de Dior…

Et la dernière action dont tu es fier ?
D’avoir invité, cet été, mes parents et mes amis dans une maison de vacances, d’avoir mélangé famille et amis pendant une semaine …

Une nécessité ?
D’être fier de soi

Ta valeur prépondérante ?
La même que ma nécessité : être fier de moi à la fin de la journée. Pour cela, il faut faire toujours le choix du cœur, qu’il s’agisse de politique, d’argent, de vie sociale… le choix du cœur. La liberté absolue, c’est de pouvoir faire ce genre de choix.

Ta recommandation pour tous ?
Identifier son propre rêve et savoir que rien n’est impossible. Une fois identifié ce qu’on veut faire, il faut juste le faire… Ma mère me disait, « ça va être tellement dur, comment tu vas faire » - mais en fait, c’est ne pas faire ce dont on rêve qui est dur.

Et un mot pour les femmes ?
Les habiller représente pour moi un défi particulièrement intéressant - celles qui m'intéressent sont les femmes de 40 ans plus que celles de 14 ans, de vraies femmes, avec leurs formes de femmes, et inspiratrices de liberté.


www.krisvanassche.com


13 Octobre 2007:
Samuel Schmid, l'homme derrière le conseiller fédéral

«La richesse suprême, pour un être humain, et la clé de son bonheur, a toujours été l’accord avec soi-même »
Jean Claude Michéa



Samuel Schmid est Conseiller fédéral UDC chargé du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports, il sera réélu cet automne et changera probablement de département. Il n’est peut-être pas le chouchou des médias, et pourtant… savez-vous que cet homme, quand il travaillait, au Conseil des Etats, sur notre nouvelle constitution, était allé consulter Jeanne Hersch à Genève, convaincu que la philosophie doit être à la base même de la pensée et de l’action politiques? Elle n’était pas vraiment de droite, mais Samuel Schmid a l’intelligence de privilégier l'intérêt intellectuel et philosophique aux intérêts partisans. Savez-vous qu’il reçoit – et écoute – les meilleurs connaisseurs de l’islam, avant de se prononcer sur les questions musulmanes? Savez-vous que celui qui se plaît à dire que l’Etat n’embrasse pas est quelqu’un de très attentif aux autres, qu’il aimerait rencontrer Pascal Bruckner et qu’il est plein d’humour ?

Samuel, tout d’abord, à quel groupe te sens-tu appartenir?

Au groupe des citoyens. Je viens de la classe moyenne. Je peux parler avec (presque) tout le monde.

Tes trucs pour réussir ?
Il faut d’abord définir le but, puis suivre les processus de près, et parfois faire confiance au hasard... Personnellement, je pratique l’analyse permanente, la fidélité aux principes et la tactique qui veut qu’on peut gagner en perdant. Ce n’est pas toujours une catastrophe si l’on perd… ce n’est pas forcément parce qu’il y a erreur, simplement ce n’était pas (encore) le moment… En politique, il faut savoir laisser mûrir les fruits: les succès qui prennent du temps sont en général plus durables que les succès vite acquis.

Tes rencontres déterminantes?
La plus décisive, celle avec mon père mort. J’avais 14 ans, sa dépouille était chez nous à la maison, c’était la tradition à l'époque, et pendant une heure je me suis trouvé seul avec lui, dans cette chambre, une rencontre fondamentale, avec la vie, avec la mort – avec sa mort, avec ma vie.

Et puis, la rencontre avec ma femme. Nous sommes mariés depuis plus de 35 ans, et pendant tout ce temps, elle a assuré la formation de nos trois garçons et toute notre vie familiale.

Et puis, bien sûr, mes rencontres avec des hommes politiques, Ariel Sharon par exemple, qui m’a dit quand on s’est rencontrés, «enfin un soldat avec lequel je peux parler». Avec des enfants handicapés aussi : pendant mon année présidentielle, j’ai eu l’opportunité de faire du sport avec des enfants handicapés, je me souviens de ce jeune garçon aveugle, à Zoug, qui m’a battu… et finalement, avec tout le monde. Il suffit de garder les yeux ouverts.

De quoi est tu fier ?
Des choses qui durent. La constitution bernoise, la modernisation de l’armée aussi, même s’il y a encore des résistants, la réduction des effectifs de l’administration militaire. A un niveau plus personnel, je suis fier d'être resté moi-même, d'avoir gardé mon sens de l'humour et une certaine modestie.

La dernière action dont tu est fier ?
D’être parmi les personnalités célèbres interviewées par Barbara Polla -j’aimerais beaucoup, par exemple, pouvoir parler avec Bruckner…

Ta valeur prépondérante ?
Rester soi-même et être crédible. Etre en accord avec soi-même.

Une recommandation pour tous ?
Restez vous-mêmes et ayez confiance.

Et un mot pour les femmes ?
Restez vous-mêmes. Le monde a besoin de vous, restez vous-mêmes !
Quand on est la couronne de la création, il ne faut pas démonter cette couronne !




21 Octobre 2007: Marc-Olivier Wahler: un brillant Suisse à Paris

« Breast in piece »
Epitaphe du Sun en hommage à Lolo Ferrari


Marc-Olivier Wahler est philosophe, historien de l’art, commissaire d’expositions et fondamentalement critique. Après avoir remué ciel et terre en Suisse romande pour y faire vivre l’art contemporain, il part à New York pour diriger pendant cinq ans le Swiss Institute – Contemporary Art. En 2006, MOW comme on l’appelle est nommé à Paris à la tête du Palais de Tokyo – site de création contemporaine – Paltok pour les amis - l’un des centres d’art contemporain les plus visités d’Europe. Sa référence? Tyson, pour la vitesse et l'effet de surprise. Sa prochaine exposition? Carte blanche à un artiste suisse, Ugo Rondinone. Son artiste préféré? Un autre suisse international, Gianni Motti. Vous voulez soutenir cet homme aussi drôle que compétent, aussi beau qu’intelligent? Adhérez à l’Association suisse des Amis de Palais de Tokyo, email barbara.polla@vtx.ch, présidente !


Marc-Olivier, tout d’abord, à quel groupe te sens-tu appartenir?
A aucun vraiment. Mais je suis attiré constamment par ceux qui passent par la marge - toutes les marges, parce que, comme disait Godard, ce sont les marges qui font tenir les lignes. On essaie constamment de les ignorer, mais sans les marges il n’y a rien. Pas de ligne, pas de vie.

Tes trucs pour réussir ?
Ceux qui pensent qu’il y a des «trucs» ne réussiront jamais. Ce n’est pas de trucs dont on a besoin, mais de passion, de sincérité avec soi-même, de persévérance et de modestie. Beaucoup de persévérance: les choses peuvent ne pas fonctionner pendant trente ans… mais si on a la passion et la conviction dans ce qu’on fait cela finira bien un jour par porter ses fruits. Quant à la modestie, elle génère la reconnaissance et contribue à l’hygiène de l’esprit. Cette même hygiène d’esprit, cet instrument de survie que m’apporte aussi l’art contemporain.

Tes rencontres déterminantes ?
Maradona, le meilleur joueur de l’histoire, le seul qui t’arrache des larmes, ce n’est pas seulement un footballeur, c’est un vrai danseur - et le skieur Franz Klammer, parce qu’il était le seul descendeur à gagner des secondes lorsqu’il se mettait en situation de chuter. Les gens qui savent chuter en savent plus sur la vie que les autres. Maradona et Klammer ont habité chez moi pendant longtemps…

Et puis Marcel Duchamp, le premier qui a compris que pour aborder l’art dans son essence il fallait l’aborder par un biais complètement différent, c’est à dire par le biais de la physique, de la science, des jeux d’échec, qu’il fallait pointer en dehors de l’art les nouvelles façons de faire. Une fois qu’on a compris Duchamp, on comprend les mutants, la transfiguration et même l’eucharistie: le passage d’un état à un autre, le passage du pain à la chair.

Et surtout Eveline Steinmann, ma muse, ma compagne depuis 26 ans, celle qui a accompagné la gestation de toutes mes idées et initiatives, la personne qui dans ma vie compte le plus aussi bien au niveau amoureux qu’au niveau intellectuel.

L’une de tes plus grandes fiertés ?
Le strudel aux pommes. Je fais le meilleur strudel du monde, je suis le spécialiste incontesté du strudel et d’ailleurs j’écris le guide mondial du strudel avec une interview exclusive de Maradona sur le sujet.

Et la dernière action dont tu es fier ?
J’ai bien dormi cette nuit et je me suis levé content d’avoir bien dormi, comme tous les matins d’ailleurs (ou presque).

Une nécessité ?
Le strudel.

Ta valeur prépondérante ?
Le doute positif.

Ta recommandation pour tous ?
Mangez du strudel et ne faites pas comme les autres.

Et un mot pour les femmes ?
La valeur essentielle c’est l’intuition. Malheureusement pour nous c’est une vertu qui vous appartient entièrement, à vous les femmes, et j’en suis très jaloux.

http://www.palaisdetokyo.com


29 Octobre 2007: Jean Revillard,
"Les lignes droites de A à Z, ce n’est pas pour moi"

« La mer "existe". On peut la toucher. En même temps, l'eau n'a pas de forme propre, c'est à dire qu'elle les prend toutes. Cette double nature de la mer, matérielle et informe, explique pourquoi tant de cosmogonies placent un océan à l'origine des origines" »

Erik Orsenna, Portrait du Gulf Stream

Jean Revillard, c’est Rezo à Genève, la meilleure agence de photos de presse de Suisse. Après avoir étudié la photographie à Vevey, puis l’histoire de l’image et du cinéma à Dublin, Revillard revient à Genève et commence par portraiturer les politiciens dont j’étais à l’époque, puis monte un magnifique projet de mémoire vivante : il photographie tous les habitants de Cartigny et expose leurs portraits en plein air, devant chez eux ou dans les champs qui entourent le village. Je l’ai accompagné avec passion, aussi quand il s’est mis à suivre les traces des animaux, en ville (les sangliers descendent en hordes du Parc Bertrand, la nuit, pour aller s’ébrouer dans les glaises du bord de l’Arve, en pleine ville) et au bord des autoroutes, dans ce «tiers paysage» protégé parce que les oiseaux de proie ne s’y risquent pas. La photographie représente pour lui ce lieu de rencontre privilégié et d’interactions continuelles avec l’autre, un espace de liberté que surpasse seulement la mer. C’est pour cet espace-là que Jean Revillard le marin disparaît parfois, pendant des mois ou des années, pour revenir ensuite, buriné, caméra au poing et pellicule dans la poche, rôder entre Plainpalais et les Pâquis.


Jean, tout d’abord, à quel groupe te sens-tu appartenir??
A celui des aventuriers.

Tes trucs pour réussir ?
Toujours tenir compte de la 3ème dimension. D’ailleurs, plutôt que de réussir, je dirais que je me déplace dans l’espace: je ne vais jamais de A à Z sans dévier, donc d’une certaine manière je ne réussis jamais rien, en tous cas pas par rapport à mon objectif de départ - mais j’ai par contre un vrai espace d’existence. Les lignes droites de A à Z, ce n’est pas pour moi. C’est pour cela que j’aime la mer: tu ne vas jamais en ligne droite, tu es dans un espace virtuel, la réussite c’est quand à l’arrivée, tu n’es pas mort. Ceux qui nourrissent par trop l’obsession de la réussite linéaire finissent par tourner en rond.

Et puis, je fonctionne de manière empirique, je trouve des solutions, je me mets en disponibilité par rapport aux autres. Par exemple, tu arrives chez moi et tu me demandes, il est où le vent quand il ne souffle pas, et tout de suite, j’abandonne tout ce que je suis en train de faire et je me passionne pour ta question…

Tes rencontres déterminantes?
En fait, enfant, j’ai eu beaucoup de familles, toutes de très grande qualité : il n’y avait pas une personne, une famille en particulier, mais tous ces gens qui s’occupaient de moi, dans ce village très intéressant qu’est Dardagny… Je me nourris de chaque rencontre, au quotidien : Luc Chessex, Paul Bowles, des livres aussi, Kerouac, London, Slocum, et finalement, la mer. Toujours déterminante.


De quoi est tu fier ?
En fait, je commence tout juste à être fier, par exemple de Rezo, mais aussi de ce que je pense ou dis, d’oser désormais exprimer des avis personnels, de pouvoir combattre et convaincre. Et je suis fier de ma relation avec Flora, de notre construction amoureuse et de la séduction perpétuelle qui nous lie…

La dernière action dont tu est fier ?
Trois fois par an je vais à Calais pour suivre des migrants afghans dans leur quête pour passer en Angleterre, un travail photographique qui me fait renouer avec ce que j’avais fait à Cartigny.

Ta valeur prépondérante ?
La disponibilité d’esprit. Oublier le calcul.

Une recommandation pour tous ?
Pour vivre heureux, il faut se créer son propre univers, cultiver son originalité, avoir et parfois réaliser des idées folles, mais surtout les partager… se poser des questions en permanence et rester fidèle, à ses amis, à ce qu’on pense, à soi-même.

Et un mot pour les femmes ?
J’aimerais que vous soyez plus authentiques, plus en accord avec vous-même et que vous osiez davantage sortir de votre propre plan. Si souvent, vous êtes à la limite de faire un truc génial mais vous n’osez pas, pour les plus mauvaises raisons. Il faudrait que vous soyez plus solidaires avec celles d’entre vous qui osent, justement. Et puis, lâchez, lâchez prise…


5 novembre 2007: David Hiler, l’épaisseur humaine
«A l'éternelle triple question toujours demeurée sans réponse : "Qui sommes-nous ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ?" je réponds : "En ce qui me concerne personnellement, je suis moi, je viens de chez moi et j'y retourne."» Pierre DAC

Quand je suis entrée dans la députation genevoise, David Hiler fut d’emblée l’un de ceux qui m’impressionnèrent. Par son intelligence et sa culture, son ouverture aux autres conjuguée à une grande fermeté d’idées, par sa connaissance de l’histoire genevoise qui n’avait d’égale que ma propre ignorance, par son humour. Avez-vous remarqué que David Hiler se mordille constamment la lèvre inférieure pour ne pas éclater de rire ? Impressionnée aussi par l’épaisseur humaine, la stature de l’homme quand il intervenait sur les budgets, comme s’il défendait déjà sa chose, et cette sorte d’intelligence du cœur de ceux qui savent ce que décalé veut dire. Une manière d’interagir avec les femmes sans préjugé certes, mais sans complaisance non plus. Une personnalité, en somme, moulée par une enfance à double face, académique et populaire. Adolescent, le plus important c’était le match de foot aux Charmilles. Aujourd’hui, David Hiler est Conseiller d’Etat, avec café et cigarettes, mais sans cravate. Les finances genevoises se sont mises au vert.


David, tout d’abord, à quel groupe te sens-tu appartenir?

Au groupe des verts : je m’y sens en sécurité et entouré d’amis. A priori, j’ai plutôt tendance à créer le groupe autour de moi que de m’y fondre et je me sens fortement lié à ceux avec qui je travaille, que ce soit au Conseil d’Etat ou dans mon propre département. Je me sens aussi très proche de la communauté d’origine de ma femme, les Kosovars de Genève, la vraie vie.


Tes trucs pour réussir ?

C’est très simple : il faut travailler (sans travail on ne saurait réussir quoi que ce soit), suivre ses intuitions et faire ce qui vous intéresse vraiment. Pour décider il faut de l’intuition… alors mieux vaut la suivre et se tromper parfois, que de ne pas décider - et se consacrer à ses vrais intérêts plutôt qu’aux contingences.

Tes rencontres déterminantes?
Chaque rencontre amoureuse - elles ont toutes été importantes - m’a fait évoluer comme seule la relation amoureuse peut le faire, en profondeur, du fait de la remise en cause et de la souffrance, cette nécessaire souffrance qui te fait avancer.

La rencontre avec les antinucléaires, en 1975, à l’époque où ce que mai 68 avait eu de fondamentalement novateur – la liberté derrière les revendications – était en train de périr dans le retour des grands dogmatismes. Erika Sutter-Pleines, par ailleurs amie de ma mère, Monique Bauer-Lagier, Robert Cramer, Erika Deuber, René Longet, les Petitpierre… m’ont fait évoluer vers une vraie philosophie de gauche, ni marxiste ni productiviste, qui me porte encore aujourd’hui.

Et Anne Marie Piuz, seule femme professeure de la faculté des SES, qui m’a

donné le goût de l’histoire locale et économique et m’a fait confiance malgré mon côté rebelle. Elle a représenté pour moi une référence féminine intéressante, à la fois autoritaire et modeste, et m’a toujours soutenu...



jeudi 1 novembre 2007

Coup de coeur pour les moutons noirs

La Suisse veut éjecter ses «moutons noirs». Pitié ! Pitié pour l’AVS, pour les vieux, pour les jeunes, pour l’avenir et surtout pour l’économie ! Mais… l’UDC n’est-elle pas supposée, justement, soutenir l’économie? Aurait-elle oublié, l’UDC, que l’économie aime les moutons noirs (notez que c’est bien de «moutons noirs» dont je parle, alias, dans le vocabulaire UDC, les étrangers, et non pas de quiconque «au noir»). Combien y en a-t-il d’ailleurs à EMS Chemie (l’entreprise de la famille Blocher)? Intéressant d’aller faire un tour, non? A Genève aussi, d’ailleurs, juste pour faire un check de réalité. Une descente en famille. Car dites-moi, comment feraient-elles, toutes ces femmes qui décident envers et contre tout de travailler à l’extérieur de leur foyer ET d’avoir des enfants, ces femmes de la classe moyenne qui ne peuvent pas payer une nurse à 4500 CHF / mois pour 8h par jour, mais comment feraient-elles donc, s’il n’y avait pas de «moutons noirs» ? Il est certain en tous cas que si, en Suisse, tous les moutons blancs qui emploient des moutons noirs devenaient tout soudain gris, notre pays sombrerait définitivement dans la grisaille la plus irrémédiable.

La sève vitale de notre économie vient de l’enrichissement continuel de notre pays par l’immigration, un enrichissement sans lequel notre développement économique n’existerait pas. Je dédie ce coup de cœur à tous ceux qui, venus d’ailleurs, ont fait, font et, je l’espère, feront la Suisse. Et pas seulement pour des raisons économiques. Pas seulement parce qu’à Genève, près de 50% de la population est étrangère comme l’est 25% de la force de travail. Non, aussi et tout simplement, parce que sans diversité, on ne peut pas vivre.

Mais, me direz-vous, bien sûr, ce que veut l’UDC en fait, ce n’est pas empêcher une immigration qui soit bonne pour la Suisse. C’est juste proscrire la mauvaise. Le problème, c’est que la limite entre «la bonne» et «la mauvaise» est bien trop ténue pour que l’on puisse distinguer le blanc du noir. Et finalement, l’Empire du Moindre Mal du libéral français Jean Claude Michéa (Climats, 2007) vaut toujours mieux que le Meilleur des Mondes de Aldous Huxley.

mardi 30 octobre 2007

Leader d’action, leader de pensée, leader de liberté

Depuis les élections, on parle partout de leadership. La presse en bruisse : il n’y en a que pour les leaders, pour les leaders des leaders, pour les talents qui font le top leader. En transparence, on entend bien sûr le nom de Blocher : la Suisse a un leader, un seul, un vrai… Mais il y a leader et leader.

Le leader d’action a une vision et sait la faire partager. Il indique la direction et inculque aux autres avec la plus grande conviction le désir de le suivre, comme un chef d’orchestre : « c’est là que nous allons parce que c’est là qu’il est bon d’aller, qu’il n’y a pas d’alternative et que c’est là que nous devons aller ». Et tout le monde y va en effet, juste là où le leader voulait, parce que c’était vraiment là qu’il fallait aller, n’est-ce pas ? Puisqu’il l’a dit. Et tous ceux qui ont besoin d’un chef d’orchestre pour donner le meilleur d’eux-mêmes (ou parfois, malheureusement, le pire) reconnaissent au leader son charisme, sa grandeur, sa supériorité.

Mais le leadership des uns va parfois à l’encontre de la liberté des autres. Et puis, les solistes, comme chacun sait, sont des individualistes qui ne se plaisent pas forcément au sein du groupe, sous la direction d’un seul et même chef. Et heureusement, des solistes, il en reste quelques-uns dans ce pays comme ailleurs. Alors, quel leadership pour ces solistes, pour les individualistes, pour tous les amants forcenés de la liberté ? Quel leadership pour augmenter, et non brider, la liberté de ceux qui suivent ?

Un leader de liberté est un leader de pensée plus qu’un leader d’action. Il ne donne pas de direction définitive, il ne guide pas, il ne cherche pas forcément à convaincre ni à emporter l’adhésion coûte que coûte. Un leader de pensée réveille. Il stimule la contradiction. Il dérange. Il brouille les cartes plutôt que d’aligner les troupes et sème le doute plus que l’évidence. Les chemins du doute sont complexes, faits de tours et de détours, et pour être en pointe, le leader de pensée se positionne sur ces chemins de traverse. Il est objecteur de conscience plutôt que général. Il génère lui aussi le désir, comme le leader d’action - mais un autre désir que celui de suivre : celui de penser de manière autonome. Ainsi tous ceux qui suivent ce leader-là cessent en fait immédiatement de « suivre » et deviennent à leur tour des leaders de pensée.

En Suisse romande, on peut donner en modèle de ce deuxième type de leader Xavier Comtesse, l’homme qui a su créer notre premier consulat scientifique à Boston, directeur romand du think tank Avenir Suisse, qui sans relâche nous amène à repenser notre gouvernance, nos modes de faire de la politique, à réévaluer nos valeurs. Xavier Comtesse qui s’il avait une baguette magique pour mettre en place un monde meilleur, choisirait « La liberté pour tous - la valeur suprême qui implique toutes les autres ». Les vrais leaders contribuent ainsi à ce que le Professeur de sociologie Philippe Zarifian appelle « l’émergence difficile des hommes libres » non sans préciser qu’ils doivent être « des hommes libres au pluriel, car il n'y a de liberté possible que dans la coopération. »

C’est bien de leaders de liberté dont nous avons constamment besoin !

Publié dans l'AGEFI, le 30 octobre 2007

jeudi 25 octobre 2007

Un pays de moutons: soyons les bons !

Le Courrier International consacre sa une et cinq pages à notre Pauvre Suisse de moutons blancs et noirs. Il cite notamment El Mundo, sous la plume de Carlos Alvaro Roldan, regrette la Suisse «ouverte et généreuse» dans laquelle il est arrivé, jeune immigré espagnol, bien avant les victoires de l’UDC. «Beaucoup d'anciens émigrés espagnols retournés au pays, dont mes parents, ont appris avec tristesse le durcissement des lois sur le droit d'asile et le séjour des étranger ». Mais il n’y a pas que l’Europe qui se désole: d’après l’International Herald Tribune aussi, la Suisse entière semble désormais faite de moutons. Blancs bien sûr, qui éjectent les noirs.

Devant cette avalanche bêlante, il est plus que jamais temps que ceux qui n’ont pas voté UDC – et nous sommes plus des deux tiers des votants tout de même – disent haut et fort que si moutons nous sommes, nous sommes tous des moutons noirs ! Tout d’abord parce que l’indignation doit toujours être exprimée. Comme le dit si bien le libéral français Jean Claude Michéa dans l’Empire du moindre mal (Climats, 2007): «La richesse suprême, pour un être humain – et la clé de son bonheur – a toujours été l’accord avec soi-même. C’est un luxe que tous ceux qui consacrent leur bref passage sur terre à dominer et exploiter leurs semblables ne connaîtront jamais. Quand bien même l’avenir leur appartiendrait.» Mais outre cet idéal de l’accord avec soi-même, demanderez-vous, y a-t-il vraiment d’autres raisons de se démarquer de l’UDC sur cette question clé de l’immigration ? Bien sûr ! En voici quelques-unes seulement: pour la vie et le respect des droits de l’homme, pour la dignité, pour des raisons économiques, de politique extérieure et d’image.

Tout d’abord, pour la vie. La vie n’existe que dans la diversité. Disons-le clairement : l’enfer, le vrai, ce serait une Suisse avec seulement des moutons blancs. Laine blanche sur neige blanche, la monotonie absolue… Respect des droits de l’homme, dignité et politique extérieure ensuite: alors que toute la politique extérieure suisse est basée sur la neutralité, la médiation, le soutien à la paix, le respect des droits de l’homme et des Conventions de Genève, comment paraître encore un tant soit peu crédibles si nous stigmatisons les étrangers - qui constituent, faut-il le rappeler, 20% de la population suisse, plus de 40% de celle genevoise et 25% de notre force de travail – comme les moutons noirs de notre paradis ?

Raisons économiques encore: toutes les études, toutes les analyses, tous les checks de réalité n’ont-ils donc toujours pas suffisamment établi que l’économie suisse s’écroulerait immédiatement en l’absence d’étrangers? Que la sève vitale de notre économie, qu’elle soit au blanc ou au noir, déclarée ou non, vient de l’enrichissement continuel de notre pays par les moutons noirs, un enrichissement sans lequel notre développement économique n’existerait pas?

Raisons d’image enfin : même si ce n’est jamais un impératif catégorique, vous avez vraiment envie, vous, que le monde entier nous considère comme de débiles moutons à la droite du front national, comme le suggère l’International Herald Tribune?

Publié dans l'AGEFI, le 25 octobre 2007

mercredi 24 octobre 2007

Art et design : Wouldn’t it be nice ?

Le 25 octobre s’ouvre à Genève une exposition exceptionnelle.
Exceptionnelle d’abord parce que la complicité entre les organisateurs de cette manifestations, Katya Garcia Anton pour le Centre d’Art Contemporain et Jean-Pierre Greff pour la Haute Ecole d’Art et de Design, s’est avérée inaltérable au cours des deux ans et demi qui se sont écoulés depuis que l’idée a germé dans le cerveau du directeur de la plus grande école d’art de Suisse romande.
Exceptionnelle aussi parce qu’elle s’inscrit dans un projet plus vaste, AC*DC (art contemporain – design contemporain) qui inclut un colloque d’envergure internationale sur le thème des rapports entre art et design, répondant aux volets historique, intellectuel, politique et futuriste de ce rapprochement, ainsi que des masterclasses pour les étudiants, pour le volet pédagogique.
Exceptionnelle encore du fait des questions fondamentales qui sont posées : le design est-il de l’art, quel est son champ politique, quels sont les rapports entre objets symboliques, qui s’adressent à la pensée, et objets d’usage, est-ce durable de chercher à estomper les limites académiques des définitions qui ont établi la ligne de démarcation entre arts appliqués et beaux arts, quels futurs et quelles utopies se désignent respectivement l’art et le design ? Ces questions passionnantes seront développées par des personnalités exceptionnelles elles aussi, tels Paola Antonelli, curatrice du MoMA, le critique d’art et de musique Diedrich Diedrichsen, ou encore l’historien de l’art et universitaire français Paul Ardenne, qui se demande si «En fait, le design …n’est-il pas cosmétique à ce point… qu’il interdit pour finir la vie même, je veux dire la vie nue, celle des organes, celles de la physicalité humaine, celle des passions incarnées? Trop de spectacle, ici, tue le spectacle, ou en fait un spectacle, justement : quelque chose qui se refuse à l’expérience vraie du monde…».
Mais l’exposition Wouldn’t it be nice devrait réfuter ce point de vue. Car elle est exceptionnelle enfin parce qu’elle réunit des artistes et des collectifs d’artistes aussi intéressants que Superflex par exemple, dont les projets théoriques, économiques et esthétiques sont autant d’expériences vraies d’un monde utopique que Superflex rêve démocratique, indépendant et à portée de main. En tous cas, à Genève, à portée des yeux.

Exposition au centre d’Art Contemporain, 10 rue des Vieux Grenadiers, Ma-Di 11-18h, du 26 octobre au 16 décembre 2007. Vernissage le 25 octobre dès 18h.

Publié dans l'Extention, le 24 octobre 2007

lundi 15 octobre 2007

Cellules souches : le passé et l’avenir

Vous avez dit cellules souches ? Vous voulez dire recherche, progrès, guérison ? Pas en Suisse : ici ces deux mots évoquent plutôt inquiétudes, morale de province et Ethique avec un E majuscule comme Embryon, combats politiques stériles entre une gauche conservatrice et une droite progressiste, ou encore lois, votations, réglementations, contrôles… Heureusement, tout espoir n’est pas perdu, grâce à quelques personnalités exceptionnelles comme Marisa Jaconi, qui continue de se battre, sur le front scientifique comme sur le front politique, pour que la Suisse ne rate pas ce train là. En France par contre, le train est pris et les cellules souches attirent d’ores et déjà les plus grands de l’industrie du luxe. Comme le dit Frédéric Bonté, Directeur de la communication scientifique chez LVMH, il ne se passe plus une semaine sans qu’il ne soit fait, d’une manière ou d’une autre, allusion aux cellules souches embryonnaires dans la presse scientifique ou généraliste. Et d’organiser, à Paris, le 20 septembre 2007, un grand symposium sur la recherche sur les cellules souches et leurs applications dans le domaine de la cosmétique – Christian Dior, Givenchy, Sephora notamment… 48 participants de LVMH, 128 de toute la France, d’Allemagne, de Belgique, d’Italie, des Etats Unis - et deux genevoises. L’INSERM (Institut national de la Santé et de la Recherche Médicale) et ses chercheurs (U602, U858, U590) sont très présents, confirmant que le développement des partenariats publics et privés pour la recherche et le développement, qui constituent l’une des nombreuses priorités nationales de Nicolas Sarkozy, est lui aussi déjà en route.

Les débats politiques et éthiques ne sont pas à l’ordre du jour. Ici on parle concret : science, développement et applications. Et la question n’est déjà plus de savoir si oui ou non et sous quelles conditions on va utiliser des cellules souches – mais comment et pourquoi. Et c’est tout naturellement, pour des raisons très pragmatiques, que l’utilisation des cellules souches autologues de la moelle, du muscle ou de la peau, ou encore des cellules souches amniotiques, prend le pas sur celle de cellules souches embryonnaires. Il est urgent, nous dit Eric Perrier, vice-directeur de la recherche chez LVMH, de comprendre mieux encore les origines et les applications des cellules souches non-embryonnaires ainsi que les mécanismes de leurs effets, par exemple sur la prévention du vieillissement (cutané), effets qui pourraient alors être potentiellement reproduits par d’autres approches.

Mais si LVMH se positionne comme un pionnier dans le domaine en organisant ce symposium dans une vision d’applications très concrètes et à relativement court terme, la grande maison n’est pas la seule… Virgin veille de même, et c’est en février dernier déjà que le magnifique Richard Branson a annoncé l’ouverture de la Virgin Health Bank, dont la mission sera de stocker le sang de cordon ombilical des nouveau-nés, riche en cellules souches, qui pourraient être utilisées, plus tard, pour guérir des maladies aujourd’hui incurables ou pour réparer des organes. L’industrie visionnaire ?

Publié dans l'AGEFI, le 15 octobre 2007

jeudi 4 octobre 2007

Visite des radicales valaisannes

J'ai visité les femmes radicales valaisannes, à champéry, le 4 octobre 2007.


Sur la photo: Lise Delaloye, moi, Frédérique Favre. Lise Delaloye, la candidate, a fait un excellent score le 21 octobre. Bien joué !

mercredi 26 septembre 2007

Beauté des femmes, beauté des hommes, Différences et ressemblances

Aussi loin que la philosophie a existé, l’esthétique fut sa compagne. Guy Mettan en organisant sur le thème de la beauté les troisièmes rencontres internationales de la philosophie francophone à Saint Maurice ne l’a pas oublié. Il m’a été donné de réfléchir sur “Beauté des femmes, beauté des hommes, différences et ressemblances” – une opportunité de revisiter une question que j’avais négligée depuis mon célèbre livre “Les Hommes, ce qui les rend beaux” qui a fait de moi la spécialiste à laquelle on a désormais recours chaque fois qu’il faut commenter les splendeurs d’un Federer ou les attraits d’un Chabal…

Beauty is a byproduct of intelligence: cette phrase que je ferai mienne est en fait une invention brevetée. Je ne sais par qui, Platon ou Hegel ou encore quelque société de marketing ? Platon qui dans le Banquet propose déjà que c’est par la beauté des corps que l’on peut accéder à la beauté des sciences puis finalement à «l’essence même du beau», Hegel qui affirme que «la beauté dans la nature n’apparaît que comme un reflet de la beauté dans l’esprit » et que «c’est par l’idée du beau que nous devons commencer...” ou la société de marketing qui a rajoute un TM (Trade Mark) possessif à cette magnifique maxime?

Quoiqu’il en soit, il m’apparaît qu’il nous faut plus que jamais militer pour la beauté de l’esprit comme valeur supérieure, comme valeur qui nous rassemble, et affirmer qu’entre la beauté des femmes et la beauté des hommes, la ressemblance la plus importante est celle de la beauté des idées.

Cette affirmation est la seule manière de nous libérer des critères sociaux de beauté, parmi lesquels le plus puissant est aujourd’hui celui de la survie de l’espèce. Notre société, prise de panique devant la diminution de la natalité, modèle le regard et impose sa vision du beau: sa propre survie. Alors que l’individu désire toujours l’Autre, l’espèce, elle, ne désire rien d’autre qu’elle-même. Tous les critères de beauté, largement inconscients d’ailleurs, rejoignent aujourd’hui les critères de fertilité. La jeunesse est belle parce qu’elle est fertile. La santé est devenue un critère de beauté parce qu’elle augmente les chances de fertilité et les anorexiques sont désormais chassées des temples de beauté - les podiums - où elles étaient reines. Le ratio taille/hanche de 0,7 (d’une beauté incontestée) correspond bel et bien aux réserves de graisses idéales nécessaires à la gestation et les premiers mois de l’allaitement. On dira volontiers d’un homme de plus de 60 ans qu’il est beau – il est encore fertile – mais on n’entendra que rarement dire – «quelle belle femme!» d’une femme du même âge. Les jeunes femmes qui préfèrent les hommes âgés (et plus souvent riches) sont mues par la même nécessité sociale, et non pas par un matérialisme qui leur est souvent reproché à tort: un homme âgé et riche offre tout simplement davantage de garanties d’assurer non seulement la survie de l’espèce mais la pérennité de sa lignée… et c’est ainsi que les bourses pleines rendent les hommes beaux !

Et pourtant, j’aimerais penser que nous sommes désormais arrivés à un degré de civilisation qui nous permette de nous dégager des lois imposées dans le domaine de la beauté. A l’époque où beau était synonyme d’élancé et de blond, «être beau» - dit Laurent Wolf – «me paraissait un impératif extérieur, un ordre de marche, une contrainte non négociée, dont il était urgent de se libérer... Les nazis avaient une certaine idée de la beauté et voulaient construire un monde rigide débarrassé de ce qui leur était étranger… Ce fut la mort». La société d’aujourd’hui, elle, semble vouloir nous imposer la vie. C’est mieux certes – mais cela reste une contrainte. La beauté des idées, elle, ne saurait être que libre. La beauté en toute liberté, sans modèle, sans marche à suivre, sans critère de bon goût, est un produit dérivé de l’intelligence. Pour les femmes comme pour les hommes.


Publié dans les Quotidiennes, le 26 septembre 2007

samedi 1 septembre 2007

Letter from Switzerland

Je suis probablement la seule genevoise à avoir une colonne mensuelle (Letter from Switzerland) dans un magazine du Koweit : Rabaa (les lettre de son prénom sont les mêmes que dans le mien, a, b, r) est mon amie, et rédactrice en chef de ce féminin glamour.

Dearest Rabaa


I would like to share with you a few thoughts about beauty. Indeed, I have been invited at the 3rd International Symposium of French Philosophy, the theme of which was beauty. I gave a talk entitled “Beauty of men, beauty of women, similarities and differences”, and also had the opportunity to attend many other intersting talks. The beauty of ideas was everywhere… and indeed, I proposed that one similarity between beauty of women and beauty of men was the beauty of their ideas, their values, their intelligence. Women and men have the same ability to create concepts, to invent new ideas, to follow their own values. Another similarity is that it has been shown that men spend as much time in front of their mirror as women – with the only distinction that they close the door to do so – at least according to a famous plastic surgeon in New York, who treats both men and women… funny, isn’t it ?

What about the differences then? I think that overall, men enjoy much more freedom with respect to their approach to beauty than we do as women. We appear to be more dependent upon the social criteria which define, in your culture as well as in mine, what is beautiful and what is not. And indeed, depending on the studies, scientific reports indicate that only between 4 and 16% of women feel they are beautiful. In contrast, all the men I have interviewed (you certainly remember the book I published two years ago on the beauty of men) – yes, all of them thought they were indeed beautiful. And if not gorgeous, they certainly had at least one particular part of their face or body they thought was outstanding. For these men, beauty is without normative criteria, it’s individual and free. We should all be free alike…

Another very touching aspect we discussed during this symposium was the beauty of handicapped people. I don’t remember whether I told you that I support in Geneva an organisation called Handiculture, which every year elects a Miss Handicap. When I first met the people who started this association, I was impressed by their aims: they want handicapped women not only to be integrated in the society, but to be beautiful and proud. I just published a few months ago my latest book on the subject of Handicap, of which the last chapter is dedicated to Handicap and Beauty. I mention among other exceptional and exceptionally beautiful handicapped women, Brenda Costa, the gorgeous model for the perfume Shalimar by Guerlain. She also wrote a book about her own story, entitled beauty of Silence – because indeed, she was born death – which does not prevent her to start her book with this words: I have always been lucky. And here are the comments of Alison Lapper, the handicapped woman who was the model, handicapped and pregnant, for the beautiful statue by Marc Quinn you may admire in Trafalgar Square in London: “I regard this statue as a modern tribute to feminity, disability and motherhood. The sculpture makes the ultimate statement about disability: that it can be as beautiful and valid form of being as any mother “ – as any other did I add.

I admire the freedom handicapped people are able to take today towards their own beauty. We should go the same path and be at least as good…. And if you and your readers were interested in providing some support to Handiculture, that would be fabulous, even more so that handicapped women from Arabic countries are many in the next contest for Miss Handicap !

In the meantime, I wish you all the best of freedom and beauty, to you, your daughters, your family and all your readers!

With love Forever
Barbara


Publié dans Bariqaldana, septembre 07

mercredi 1 août 2007

Letter from Switzerland

Je suis probablement la seule genevoise à avoir une colonne mensuelle (Letter from Switzerland) dans un magazine du Koweit : Rabaa (les lettre de son prénom sont les mêmes que dans le mien, a, b, r) est mon amie, et rédactrice en chef de ce féminin glamour.

Dear Rabaa, alias Sheherazade…

Welcome to Geneva ! And sorry for the terrible weather. Tons of water that happily enough, just stopped for the most beautiful fireworks we have had in years ! It was magic. I am so happy that you could share this great moment here in Geneva with your beautiful daughters.

But even more so, I was so pleased to have you with us at our traditional summer dinner, where I invite a number of friends, this year essentially from the art world. The fact that you accepted to join and your presence was a delight for all of us ! Thanks again dear Rabaa, it was great having you at home. And I was delighted that you met, among others, a friend journalist of mine, who writes for Le Matin Dimanche, the most read Sunday’s paper of the French speaking part of Switzerland. She was so astonished by you that the next Sunday she published this lovely paper where she talks about you and your family and your work with the magazine and all the poetry you put in it … and she calls you : Sheherazade ! Now everybody in Switzerland finally knows that Sheherazade is alive, who she is and where she lives and how beautiful she is indeed !

One of the reasons why I love Sheherazade is the same reason that makes me love to write. Sheherazade – literally “the girl of the city” – survived thanks to the words. The words, the stories, the books, the invention, the creation, the knowledge, are so much more important even than beauty – though depending on how we define beauty, words and stories and poems such as you write are beauty… .

Only her fascinating stories saved Sheherazade’s life… and we should teach our daughters how to tell stories. We should take care of their health and beauty, for sure, but even more so of their spirit and soul, and their ability to talk and write, night longs ! Telling our own life stories helps us indeed cope with our life more than any other effort. Everyone of us is the hero of his or her own destiny – of his or her own stories. And stories keep those around us full of attention, whether our children or the prince of our life – the words we tell are the ancestral basics of communication and they save lives !

Let’s then tell stories and teach our daughter’s how to tell their own: it’s mandatory for survival, and it’s magics. Even more so than our Geneva summer fireworks…

I wish you a safe trip back to Kuwait and come back soon !

Forever your’s

Barbara

Publié dans Bariqaldana, août 2007





dimanche 1 juillet 2007

Michel Ritter doit encore gagner

Michel Ritter est mort avant d'avoir pu donner tout ce qu'il pouvait donner, surtout face à cette Suisse si frileuse en art contemporain. Heureusement, l'Office fédéral de la culture lui a tout de même décerné en 2005 le Prix Meret Oppenheim, prix dont il distribua la somme entre trois lieux d'exposition alternatifs. Mais à peine est-il disparu que l'Union pour la démission culturelle (UDC) hurle: nous avons perdu contre Ritter vivant, mais nous gagnerons contre Ritter mort! Et le conseiller national Freysinger de proposer de fermer le Centre culturel suisse à Paris. C'est vrai, en quoi peut-il servir un pays qui se refuse à l'ouverture sur l'Europe? Heureusement, Mario Annoni, le président de Pro Helvetia, semble veiller au grain: «Nous voulons que la culture suisse soit présente partout dans le monde... et le Centre de Paris ou celui de Rome restent des phares essentiels dans les relations avec nos voisins. Nous avons la ferme volonté de maintenir le Centre Poussepin. Il est devenu un des passages obligés de la vie culturelle parisienne. Michel Ritter a su l'ancrer dans la création contemporaine.»
Après tous les soutiens reçus de son vivant - à Genève notamment de Véronique Bacchetta - Michel Ritter mort a celui d'un de nos plus grands artistes, Thomas Hirschhorn, publié dans Le Temps [...]. Il explique que Ritter savait non seulement aimer le travail d'un artiste, mais se décider pour le travail d'un artiste: «En tant qu'artiste, je peux mesurer la différence entre choisir un travail - ce qui est déjà très beau - et prendre la décision pour un travail - ce qui est exceptionnel.»
L'amour de l'art, dit encore Hirschhorn, procède du désir et de la passion. Et selon Deleuze, faire de l'art, c'est faire acte de résistance contre la mort. Pour résister contre celle de Michel Ritter, nous avons dès aujourd'hui à nous décider pour l'art, et à faire acte de création, et non de destruction, au Centre culturel suisse à Paris. Pour que Michel Ritter gagne, mort comme vivant, contre les fossoyeurs de la culture.

Publié dans Le Temps, 5 juin 2007

Océans à mains nues


Traverser les océans à mains nues l’Atlantique puis le Pacifique Nord encore et encore avec les avirons comme seuls compagnons couper les cals au creux de ses paumes à la lame du couteau passer des nuits à écouter respirer les baleines des jours et des semaines à vents contraires s’enivrer de cette gestuelle simple qu’est celle du rameur frapper l’eau élever les avirons frapper l’eau élever avirons cette alternance sans fin entre l’appui dans l’eau et le dégagé entre la traction et le relâchement l’endurance c’est le temps il faut du temps pour être endurant et c’est surtout cette capacité de te ressourcer en même temps que tu travailles tu dois mesurer connaître maîtriser à la perfection pour travailler toujours en aérobiose pour que la consommation de glucose soit parfaite et la production d’acide lactique pratiquement nulle pour éviter absolument l’acidose la production d’acide lactique 129 jours dans le Pacifique Nord je repars je me prépare je pars 129 jours seul à m’évader quand tu maîtrises parfaitement tu peux t’évader tu vois le passé et le futur c’est un privilège de l’endurance que de partir à l’évasion je suis souvent absent mais il faut se raccrocher à cette Terre sinon tu t’évades complètement dans le Pacifique j’ai flashé plusieurs fois les flashs sont proches du départ je ne veux pas ne pas revenir l’endurance c’est le temps et la durée pour pouvoir traverser des océans sans t’arrêter il faut ce temps de récupération la traction le relâchement la respiration la traction le relâchement la respiration ce sont des temps obligatoires c’est comme le requin il est toujous en chasse il ne se repose jamais entièrement il ne repose que certaines parties de son corps l’homme croit qu’il est le prédateur numéro un mais le requin est bien plus fort alors moi aussi je fais reposer certaines parties de mon corps sur l’eau ou dans la vie je suis ce que je suis un mec bien quand tu as dit bien tu as tout dit je vais à l’essentiel je suis heureux parce que c’est difficile endurance n’est pas performance c’est un choix une volonté quand tu pars sur du très long terme tu dois être certain de tes choix il faut savoir ce que tu veux et ce que tu ne veux pas moi je veux repartir du Japon et arriver sous le Golden Gate à San Francisco l’endurance c’est la recherche du Graal le pur idéal ce n’est ni la réussite ni le succès mais la limite dépassée l’endurance c’est le contraire de l’instant c’est la connaissance la maîtrise de soi c’est un choix solitaire moi j’ai choisi la solitude dans l’endurance tu deviens de plus en plus seul de plus en plus libre et solitaire l’endurance c’est l’élite j’aime les gens qui rayonnent et il y a un rapport étroit entre endurance et rayonnement je m’intéresse aux gens qui croient qui s’engagent dans la durée qui n’ont pas beaucoup de talent ni beaucoup de moyens mais qui font des choses grâce à leur endurance psychique ou physique ce n’est pas très différent mais moi je suis un sportif je suis d’abord dans l’endurance physique tu n’es jamais endurant que dans un seul domaine mais l’endurance irradie elle contamine le reste l’endurance dans un domaine est un levier pour les autres les gens endurants sont toujours intéressants quel que soit leur domaine il faut s’entraîner s’entraîner toujours les vrais hommes créent leur propre chance il faut être exemplaire avoir un niveau d’exigence très élevé souvent cela dérange cela rend suspicieux je veux repartir c’est très difficile à expliquer cette adrénaline cet engagement il faut être dur avec soi-même et aussi avec les autres l’océan lui aussi est endurant il a un formidable système de régénération il est plein de poésie l’animal le plus endurant c’est la baleine la migration des baleines pour mettre bas un petit elle traversent toutes les eaux froides pour aller accoucher en eau chaude tout cela au détriment de leur propre vie et les saumons aussi ils remontent les rivières jusqu’à la mort et les oiseaux migrateurs les oiseaux qui font des milliers de kilomètres il y en a plein qui n’y arrivent pas migration dureté amour ensemble force tout est fragile

Endurance : Emmanuel Coindre
Paroles : Barbara Polla
Photographie : Ornela Vorpsi

Publié dans NUKE, été 2007