jeudi 31 décembre 2009

De l'utilité des fêtes

Certains diront que Noël est une célébration de l’amour. Il faut bien un jour par an, pour célébrer l’amour divin, comme il faut un jour pour les femmes. D’autres parleront d’une « coupure » bienvenue, un arrêt sur image, une boîte à souvenirs, un moment de repos, un « break ». Les Fêtes servent à marquer le temps et à nous donner l’illusion qu’il ne passe pas, que le passé revit, que le futur n’existe pas.
Les Fêtes sont aussi une formidable relance de l’économie (15 millions de paquets distribués par la Poste suisse en décembre…), un moment que tous les économistes attendent avec impatience pour évaluer l’allant des consommateurs. Un allant qu’ils mesurent à l’aune de la capacité de la production à générer la consommation, par l’intermédiaire d’un rêve, celui de l’échange, du cadeau, du don. Du Père Noël qui veille à ce que chaque enfant reçoive son cadeau et des parents qui aident le Père Noël à remplir sa mission. Un allant qui se mesure donc in fine à l’aune de l’efficacité du « marketing Père Noël » : n’oublions pas que sous sa forme de gros barbu habillé en rouge (aujourd’hui critiqué pour son image qui promeut l’obésité auprès des petits enfants), il a été inventé pour Coca-Cola !
Moi j’aimerais que les Fêtes servent (aussi) à autre chose.
Pas forcément à dépenser l’argent « autrement », ou « mieux » comme le demande l’économie dite « éthique ». Car ce que demande l’économie éthique, c’est avant tout de dépenser l’argent pour elle, d’une manière extraordinairement similaire à celle de l’économie « classique » (inéthique, donc).
Pas forcément non plus, à transformer notre économie de l’offre en une économie du don. Le don (« gift ») n’est pas sans ambiguïté...
Sans doute une telle économie aurait-elle des effets positifs, mais elle signerait aussi notre incapacité à gérer le monde de demain avec une vraie « économie ».

Alors quoi ? Ce que j’aimerais, en fait, c’est que les Fêtes de fin d’année deviennent aussi les Fêtes de l’intelligence et de la créativité économiques. Sans que l’économie n’ait à se camoufler pour dissimuler le rouge de la honte sous un bonnet de Père Noël, ni à se draper d’éthique pour se faire pardonner d’exister. Imaginons par exemple, que nous reconsidérions la possibilité d’une économie des besoins, en oubliant un instant les désirs, ou plutôt, en laissant à chaque individu le soin d’identifier ses propres désirs et de les vivre dans leur dynamique propre, sans vouloir les gérer par l’économie. «L’humanité peut en effet satisfaire les besoins de tous, mais non les désirs de chacun» disait Gandhi.
Une économie des besoins, alors ? Impossible, les besoins ne sauraient faire tourner la machine économique, diront la plupart. Pas si sûr. Un tout petit surplus d’intelligence économique devrait permettre d’identifier les besoins qui permettront, mieux que la Conférence de Copenhague, de préparer l’avenir des habitants de la Planète.
Quels sont ces besoins ? Avant toute chose, l’enseignement, la transmission du savoir, des connaissances et de l’Histoire, la formation. Une économie immense, centrée sur le besoin, plus verte que verte, plus éthique qu’éthique. Si l’économie, collectivement, prenait en main cette nécessité absolue au bien-être et à la puissance de l’humanité que sont l’enseignement et la formation, et qu’elle investissait dans ce chantier ses plus belles intelligences, sans nul doute elle saurait en faire le plus grand self-service du monde, le do it yourself le plus prisé, la chaîne universelle la plus rentable. A quel autre chantier l’économie pourrait-elle atteler ses plus beaux esprits pour que les Fêtes ne soient plus seulement des Fêtes nostagiques du passé, mais des Fêtes d’un avenir radieux ? Au chantier de la paix, par exemple. J’aimerais voir fleurir les études démontrant la supériorité économique de la paix sur la guerre. Imaginons que les plus grands économistes, les plus beaux cerveaux de Harvard Business School, de France et de Navarre, démontrent par A + B que la paix est économiquement plus rentable que la guerre, enterrent l’industrie de l’armement, et développent une vraie économie de la paix ? On vendrait de la paix partout pour le bénéfice de tous… Utopie ? Pourquoi donc l’économie, qui réussit à générer tous les désirs même les plus absurdes, ne serait-elle pas capable de sublimer le désir de paix, preuves à l’appui et jeux vidéos en prime ? Une vraie économie de la paix pourrait être à la fois une économie de l’offre et une économie du besoin. J’aimerais entendre, partout, dans tous les cerveaux d’économistes, grésiller le désir non pas d’un objet pour chacun, mais d’un avenir pour tous.
«L’homme n’est pas un être de besoin, il est un être de désir» affirme le philosophe Gaston Bachelard. Il est probablement les deux. Selon Hugues Puel, économiste qui a dirigé longtemps l’association Economie et Humanisme, si l’homme est être de désir, ce n’est en tous cas pas « d’un désir particulier qui puisse trouver sa satisfaction dans quelque bien ou dans quelque service. Il s’agit d’une orientation fondamentale du sujet humain, en ce qu’il est, dans sa condition même de sujet désirant. » Les économistes et les patrons des plus grandes entreprises mondiales sont des êtres comme les autres. Animés sans nul doute, les lendemains de fêtes, par le désir d’inventer une nouvelle économie. La vieille économie de l’offre est désormais surrannée. Inventons demain !



Publié dans l'AGEFI, le 30 décembre 2009

L’estime de soi en cadeau, ou la lucidité bienveillante

Tribune libre

Noël approche, les cadeaux à offrir, les cadeaux à s’offrir. Le plus beau probablement : le travail sur soi. – « Non mais vous voulez rire, c’est Noël, et encore du travail ? » Eh oui…. car l’estime de soi est un travail de chaque jour. Un travail de construction de soi, jamais acquis, toujours à remettre sur le métier. Et peut-être le plus beau des cadeaux !
L’estime de soi ? Selon le Docteur Christophe André, psychiatre et psychanalyste français : le regard et le jugement que l’on porte sur soi-même, sous l’influence du jugement et du regard - réels ou supposés - des autres. Le miroir de soi, en somme, par son propre prisme et par le filtre des autres. L’estime de soi n’est pas une dimension stable de la personnalité, elle nécessite des apports réguliers pour se maintenir à un niveau satisfaisant, elle doit être entretenue par au moins deux nourritures essentielles : d’une part, toutes les formes de lien social (reconnaissance, approbation, admiration, affection… et élection) et, d’autre part, les différentes formes de sentiment de contrôle (réussir suffisamment souvent ce que l’on entreprend, se sentir en situation de faire de libres choix). De l’ensemble des travaux scientifiques qui portent sur l’estime de soi émerge une notion particulièrement importante sur l’équilibre intérieur et l’estime de soi : tous deux reposeraient « l’acceptation de soi ». Oui, une bonne estime de soi requiert cette acceptation, mais pas dans le sens de la résignation par rapport à ses défauts ou limites. Jamais de résignation – never surrender ! - mais une « lucidité bienveillante ». Une lucidité bienveillante envers soi-même, soucieuse de s’engager vers l’amélioration constante et le développement personnel. En d’autres termes, prendre conscience de nos faiblesses pour nous améliorer – mieux, utiliser nos faiblesses ou ce que nous considérons comme telles comme un levier de notre développement personnel.
Ce concept de lucidité bienveillante s’applique de manière particulièrement intéressante au domaine de l’esthétique et de la cosmétique. Une partie de l’estime de soi repose en effet sur la satisfaction de chacun de nous avec sa propre apparence physique. Et d’autres études montrent que la majorité d’entre nous pense qu’il est possible d’améliorer l’estime de soi et les relations avec autrui en prenant soin de son apparence physique. Là encore, acceptation oui, résignation non : la « lucidité bienveillante » envers notre propre apparence physique nous permet ainsi de révéler le meilleur de nous même, de notre esthétique fondamentale, voire de nous améliorer constamment. Il ne s’agit ni de se contraindre à des critères de beauté rigides et obsolètes ni de dériver dans le jeunisme à tout crin, mais d’être au mieux avec soi-même, dans son corps et dans sa peau, en utilisant sa personnalité, ses goûts et ses éventuels défauts physiques comme un levier d’amélioration. Bien manger (fruits et légumes y compris pendant les fêtes), se mouvoir avec plaisir (trente minutes de marche rapide au quotidien ou Saint Jacques de Compostelle, à choix), soigner son visage et son corps, retrouver une sérénité qui d’apparente peut-être au départ entraînera dans son sillage une sérénité plus profonde. Cosmétique, étymologiquement, vient de cosmos : décorer son visage c’est aussi décorer le monde. La cosmétique et l’art, d’une certaine manière, procèdent ainsi d’une même volonté de décorer le monde et de nous enrober de beauté. Pour une meilleure estime de soi, ou, en d’autres termes, parce que je le vaux bien !
Finalement, la notion d’estime de soi et de développement personnel est également essentielle dans le contexte entrepreneurial. Selon le Professeur William B. Finnerty, professeur d’entrepreneurship à Georgetown University, le développement de l’entrepreneur est essentiel au bon développement de l’entreprise : en effet, le concept même du succès de l’entreprise, à savoir, selon Finnerty, « la Maison de l’Equilibre », ne tient debout que si le chef d’entreprise s’attache autant à son propre développement personnel qu’à celui de ses collaborateurs. Le développement personnel ? La formation continue, l’innovation réussie, la créativité partagée… tous facteurs d’estime de soi. A s’offrir et à offrir. Joyeux Noël de travail !



Libre livre
Le Paradoxe amoureux de Pascal Bruckner

Le dernier livre de Pascal Bruckner, cet universel « spécialiste ès amour » comme je me plais à l’appeler, est à la fois didactique et littéraire. L’amour, toujours l’amour : depuis le tout début de l’étonnante production de romancier, d’essayiste et de philosophe de Pascal Bruckner, de Lunes de Fiel (adapté au cinéma par Roman Polanski) aux Voleurs de Beauté, de Mon Petit Mari à L’Amour du Prochain, du Nouveau Désordre amoureux au Paradoxe Amoureux, l’amour et ses splendeurs et ses misères (si misères il y a ?), tiennent une place essentielle. Avec ce dernier ouvrage (dont les plus belles pages sont dans les encadrés, comme des bijoux dans leur écrin), Pascal Bruckner, en pleine maturité, nous apporte sans en avoir l’air, une bonne nouvelle et beaucoup de judicieux conseils. La bonne nouvelle ? C’est qu’il n’y a pas de progrès en amour. Les conseils ? Aux couples déçus de ne pas retrouver l’absolu qu’ils attendaient au quotidien, il faut rappeler qu’aucune demande d’absolu ne peut être satisfaite. A ceux que terrasse le besoin de performance sexuelle, que le terrorisme de l’orgasme n’est que l’un des cadavres de mai 68, à enterrer au plus vite et définitivement. A nous tous : que nous devrions cesser d’attendre de l’amour ce qu’il ne peut pas offrir, à savoir la réalisation de soi. A tous ceux que tenaille la peur de la déception et des moqueries, il faut au contraire répéter : n’ayez pas honte de vos contradictions ou d’être qui vous êtes, « il n’y a pas une seule route vers la joie ». Sans oublier la plus fondamentale de toutes les recommandations de Pascal Bruckner : « Ne jugez pas ! ». Ni les autres, ni surtout vous-même. Lucide bienveillance, là encore.
Parce que… « Fuir qui vous aime, aimer qui vous fuit. Se jurer chaque matin de quitter l’autre et tenir ainsi vingt ans en caressant l’idée de la rupture. N’être sûr de rien, ni de son orientation sexuelle ni de son attachement, habiter le pays du peut-être, de l’hésitation sentimentale, n’être qu’un point d’interrogation qui dit : Je t’aime. Pleurer le départ d’un être auquel on croyait ne pas tenir, qui s’était fiché dans votre coeur à la manière d’une écharde. Vénérer, morte, une personne qu’on avait maltraitée, vivante…. Telles sont quelques-unes des inconséquences de l’amour. Pourquoi voudrions-nous qu’il en soit autrement ? Parler d’amour, c’est toujours partir de son désordre intérieur, fouiller le fond boueux de son âme pleine de bassesse et de noblesse. Mettons en scène sans les juger les folies du cœur des hommes. »

Publié dans l'Extension, décembre 2009

Picaflor revisited

© studio KVA

The creation of A#7 was a very personal journey for Kris Van Assche, a project he shared with close friends and like-minded artists and creatives.
- A Blog Curated By

Kris Van Assche has a hummingbird drawn on his arm. Once we were visiting together Jeremy Deller’s show at the Palais de Tokyo and talking… and Kris inspired by what we were looking at explained me that art requires freedom – without freedom you can’t see art – it’s like the hummingbird, the bird has to be free to nurture himself in the heart of flowers, told Kris pointing to his tatoo. It is this very moment, this association of thoughts and images that gave birth toPicaflor (hummingbird in the language spoken in Buenos Aires, one of Kris Van Assche’s city of the world.) Picaflor ? The word itself sounds like a thorn, like a difficulty. The difficulty to getting closer and closer to beauty in our everyday life, a difficulty that requires constant efforts, attention, and humility. We must dare to choose freedom: the hard way but the only one to nurture our soul.

The bird is also a symbol of freedom, freedom of the soul liberating itself from the body, a symbol for transfiguration for the Egyptians, or, according to Freud, an analogy for erection – unless being caged. From childhood with caged birds (as drawn by the Andrea Mastrovito, in the context of a long lasting artistic friendship) to the hummingbird on Kris’ arm, free to fly away any time, a continuous search for freedom and meaning.

Drawing, Andrea Mastrovito, 2008

After Hyères, last spring, this winter, starting January 26, 2010, you will find, in the the Galeries des Galeries, the gorgeous showroom of the Galeries Lafayette in Paris, as in a wild urban meadow, a dozen flowers, perched on stalks like orchestra tripods, like waders – geometrical flowers, warrior flowers, robot flowers, made out of mirrors in which you can see the reflection of the outside world. And in the heart of the corolla of these mysterious flowers, you will discover the virtual and sensorial images, sounds and smells that nurture Kris Van Assche’s inspirations.

Picalfor by Kris Van Assche, Hyères 2008, photography © Gaëtan Bernard


Publié dans "A Blog Curated By".

lundi 28 décembre 2009

Larry Sultan, la vie les yeux ouverts

Le photographe californien Larry Sultan est mort d’un cancer le dimanche 13 décembre . A ses amis, dont j’avais la chance de faire partie, il envoyait régulièrement des courriels, pour nous tenir au courant de l’évolution de sa maladie. Avec l’autodérision qu’on lui connaît.

En 2005, le Musée de L’Elysée lui avait consacré une exposition monographique. En 2008, son travail photographique fut inclus dans l’exposition Working Men à Genève.

«Avec The Valley, Larry Sultan a signé l’une des réalisations visuelles les plus fortes de sa carrière de photographe documentariste. Cette série de clichés pris en Californie, entre 1998 et 2002, sur les lieux de tournage de films pornographiques fera en 2004 l’objet d’un portfolio éponyme, publié chez Scalo… Au registre de la fabrique des images, Larry Sultan neutralise tout effet de spectaculaire, d’emballement et d’exaltation au profit d’un «regard pensif» (Régis Durand) à la fois précis et pudique.

Haskell Avenue, 1998 (The Valley)

Il s’attache avec méticulosité aux moments creux de l’action, aux phases d’attente, aux lieux du « crime », aussi, intérieurs kitsch de belles demeures recyclées en studios improvisés pour le moment d’un film ou d’une scène. Ce traitement au ras des choses donne de l’atmosphère du travail entourant la réalisation d’un film X une traduction qui est sans doute la plus juste possible : le moment d’une activité comme une autre, avec ses contraintes et ses respirations, son dispositif social et ses impératifs de rentabilité. Le travail, c’est l’action qui concentre l’énergie et vous épuise… » (Working Men, Paul Ardenne et Barbara Polla, Ed Que, 2008)

Den, Santa Clarita, 2002 (The Valley)


Larry Sultan, un homme et un photographe remarquable.
« Remarquable, entre autres, la capacité de Sultan à tisser ses références multiples, littéraires, bibliques, cinématographiques, familiales, et sa conscience de l’actualité sociopolitique, au creux d’histoires riches de détails et de la texture du présent. La tension est constante entre les mythes et les faits. Remarquable aussi sa capacité à produire des images séduisantes – bien au-delà du raisonnable. Remarquable encore, l’usage de la couleur comme grande réconciliatrice. Remarquable enfin, la prise de risque : Sultan, photographe, auteur, artiste, s’engage les yeux ouverts dans les territoires interdits de la pornographie, du vieillissement, de l’humiliation, des mythes défaits des banlieues californiennes, de l’amour malgré tout de cette famille qui lui permet d’explorer sans jamais arriver à satiété, son enfance, ses propres obsessions, sa sexualité adolescente en contrepoint de la violence des scènes familiales dans la cuisine de la maison : Pictures from home, artéfacts d’un paradis illusoire de pelouse de golf et tapisserie fleurie. Manipulateur sans scrupule de la réalité poignante des autres qui deviennent ses acteurs consentants malgré eux, mais toujours respectueux et fidèle à son propre imaginaire qu’il continue avec acharnement d’essayer de cerner, Sultan nous livre la déréliction humaine comme des marguerites jaunes dans un vase somptuaire. Plus nue la fragilité, plus éclatante la servilité, plus solitaire la dérive : plus belle sera la lumière. Parce que la vraie vie est perméable à la lumière. Les yeux ouverts, au plus vite, Sultan nous transmet, dans la joie de pouvoir voir, des images, encore, encore, encore avant la nuit. » (Publié dans CRASH, octobre 2009, Barbara Polla et Stephen Vincent).

Backyard, Woodland Hills, 2002 (The Valley)



A Larry Sultan j’ai écrit quelques chansons ces derniers mois. Il avait aimé celle-ci, dont le titre se référait à un mail qu’il m’avait envoyé, « I’ve been bad and still am » – il avait tardé à m’envoyer des documents que je lui avais demandés. A Larry Sultan, qui a vécu les yeux et l’objectif ouverts sur la lumière du monde.


I've been bad and still am

My name is Lucky
Black blood down my veins
Black rain down the valley
Californian cancer
And safety razor blades

I catch my breath
And wade through chaos
Each picture from home
Unveils despair
Yellow daisies
In lavish vases
Illusion of paradise

My name is Lucky
Black blood down my veins
Black rain down the valley
Californian cancer
And safety razor blades

I'm an old man now
Smacked with a stone
Not a sultan any more
Not a tsar not a star
In the patio sunlight
In the dark underside
Want to live forever

Sweet broken hearth
You make my laugh

I've been bad and still am


Publié dans les Quotidiennes, le 28 décembre 2009

samedi 26 décembre 2009

KVA, an artist among artists

Kris Van Assche is a stylist and an artist. At first sight, a very fashionable position : many stylists, at one point or another of their career, develop an artistic production. Many of them become photographers, others produce objects that are, in some way or another, an artistic representation of their creative word as a whole – such as Walter Van Beirendonck for example.

Andrea Mastrovito's work in Dior Homme photographed by Vincent Lappartient

There is though something very special about Kris Van Assche as an artist – I won’t talk about his installations, just show them, Poet on Strike, at Analix Forever in May of 2009 – no, that specific KVA touch is the presence with him, or his presence with, other artists. One could nearly think of Kris Van Assche as a gallerist, or a prince, the type of those who invite artists to show their work for delight, for beauty and for joy, as they are aware that life without art is just not the kind of life they feel worthwhile.

About one year ago, Kris Van Assche invited Andrea Mastrovito to invade the Dior Homme boutique at Rue Royale in Paris. Freedom for the artist is the secret. Not only did Mastrovito invent a very special world for the boutique, but the two men became close friends and continue to work together. They are born the same day and showed at Analix Forever the day after their birthdays this last May : a mural sculpture for Mastrovito, and Poet on Strike for Kris Van Assche.

Andrea Mastrovito

At Hyères, in April, where Kris Van Assche, as President of the Jury, was invited to present another installation, Picaflor, he again favored the possibility to share the space with another artist, David Casini – who presented a performance entitled This thought crossed my mind – rather than use it all for himself. Artistic collaborations nurture him – and he nurtures the artists. Kris Van Assche and David Casini : encounter of the third type between artist and designer, in the “far away interior” of a fifth dimension in which even time gets lost.

David Casini and Kris Van Assche photographed by Gaetan Bernard

David Casini and Kris Van Assche photographed by Gaetan Bernard

The story continues… and beginning January 26, Kris Van Assche will present his next exhibition at the Galerie des Galeries in Paris along with the American artist Matt Saunders. Free and dedicated to both art and fashion, in distinct though aesthetically parallel paths, Kris Van Assche is a stylist among the stylists, and an artist among the artists.

Kris Van Assche's 'Poete en greve' photographed by Gaetan Bernard



Publié dans "A BLOG curated by", le 26 décembre 2009

Noël, épiphanie du souvenir ou de la création?

Pourquoi les fêtes ont-elles des dates ? Pourquoi fêtons nous Noël en décembre, toujours ? Je crois que les dates essaient certes de structurer le présent, mais aussi et surtout de conserver le passé, de le perpétuer, de conserver nos souvenirs d’enfance et les autres, comme on conserve des fleurs dans un herbier, et leur parfum suranné…

Comment étaient les Noëls de votre enfance ? Les miens ressemblaient à des contes germaniques : regarder le ciel avec mon grand père par la lucarne du grenier, mon grand-père qui me montrait le Jura dans la lumière dorée et rose du soir, ou dans la brume blanche de la neige attendue, et me disait et redisait chaque année que Saint Nicolas venait de là, et qu’il m’apporterait des verges si je n’étais pas sage... délicieux frisson de peur dans les bras de mon grand-père. Ma mère décorait la maison, c’était simple et beau, il faisait froid dehors, dedans les bougies sur le sapin (des vraies, à l’époque), et les chants...

Ce paradis que l’enfance est parfois, nous voulons le célébrer, encore et encore, pour arrêter le temps... Mais aujourd’hui ma mère a 87 ans, et je lui dédie ce billet, pour la remercier d’un moment plus beau même que les souvenirs : un moment de création. Peintre, elle peint toujours. Et en cet après-midi de Noël, elle a dessiné dans une concentration absolue, une concentration d’artiste au travail, peu importent les années, nulle date n’importe si ce n’est celle d’aujourd’hui, et le passé n’est que le vivier où elle puise son savoir-faire. Le trait est sûr, sans hésitation… Epiphanie sans âge de la création.

Alors fêtons encore, pour enrichir nos souvenirs d’hier et créer ceux de demain !

Publié dans les Quotidiennes, le 26 décembre 2009

mardi 22 décembre 2009

Kris Van Assche, The Renaissance Face

From the series '22 Portraits for Kris Van Assche' by Matt Saunders. Courtesy of the artists and Analix Forever gallery, Geneva.

The portrait has always occupied a central place in art, through the whole history of humanity. The French philosopher Levinas has extensively elaborated on the fact that the face is pure signification and refuses itself to possession. According to Levinas, the face both appeals crime and forbids killing ; it simultaneously reveals human beings’ vulnerability and triggers their own responsibility towards their peers.

In contrast to art, fashion often tends to dissimulate the face, to replace its epiphany by stereotypes, by clones of what « beauty » should be and to replace individuals by « mannekins » (ie, smaller versions of man). Impossible to recall one single face after most défilés… unless they are « people » that you will find the day after on the cover of all magazines. This absence of the face is sometimes radicalized to its extreme by designers who hide it completely and sometimes it is just cut off. After all, fashion is about clothes – so who cares about the face ?

Some care. Kris Van Assche for example : his objective is not (only) to make beautiful clothes : it is to render individuals more beautiful. « Individuals » though have faces, individual ones… Among the many innovations Kris Van Assche is bringing into the fashion scene, the Renaissance of the Face is an fundamental one. Simple though genius intuitions : in order to enhance beauty, I need to enhance freedom – in order to reveal beauty, I need to reveal singularity. The singularity is hidden in each individual face.

For Kris Van Assche, Renaissance of the Face also includes collaborations with other artists, such as the Berlin-based American artist Matt Saunders, who recently realized « 22 portraits for Kris Van Assche ». To be seen in the next issue of Londerzeel, the magazine created by Kris Van Assche.
The Renaissance of the Face, and art is back in fashion !

Backstage at Kris Van Assche womens defilé FW09 by Gaëtan Bernard


Publié dans "A BLOG curated by", le 22 décembre 2009

lundi 21 décembre 2009

Collishaw et Freud réunis dans les tréfonds de l’âme humaine

Sigmund Freud a profondément marqué non seulement son époque mais toute la culture occidentale, lui qui explora sans relâche les secrets de l’âme humaine, de son organisation spontanée, de ses structures naturelles, complexes, élaborées avec patience dans le but de donner forme à l’indicible sans le trahir, de notre ingéniosité sans limites à représenter nos sentiments les plus cachés en images, en rêves et en symptômes.

Mat Collishaw, dit the Master of Illusion, artiste anglais qui grandit avec les YBA (Young British Artists dont le représentant le plus célèbre aujourd’hui est Damien Hirst) mais qui s’en distingua toujours par son refus de la simplification et des coups de poing, coups de gueule ou coups de pub artistiques, sait quant à lui tous les tricks sans limites eux aussi, de l’anamorphose à la vision stroboscopique, utilisés par les hommes pour représenter les images les moins dicibles et ne se lasse pas d’explorer l’appétit compulsif des humains pour la corruption.

À Londres, Sigmund Freud a invité Mat Collishaw. Car Sigmund Freud a vécu ici, 20 Maresfield Gardens, et la maison de l’inventeur de la psychanalyse a gardé, dans ce qui est désormais le Freud Museum, son odeur vieillotte, son allure aujourd'hui surannée, son divan, sa bibliothèque, ses collections... Même le parfum de la maison semble d'époque.

Mat Collishaw a accepté l'invitation et l'hommage au passé. It is exactly his cup of tea. Il a donné pour titre à son exposition Hysteria : l’hystérie, grand syndrome clinique de la névrose féminine, aujourd’hui quasiment disparue, remplacée on ne sait comment par l’anorexie, la boulimie, l’automutilation. La pièce dans l'entrée est une anamorphose des cours de Charcot, où l'hystérie était enseignée, patientes en crise à l'appui. Qui se souvient aujourd'hui encore que l’hystérie se traitait notamment par massage pelvien ? Collishaw, peut-être. Dans la bibliothèque, une boîte désuète qui semble avoir été trouvée sur un marché aux puces ou chez un antiquaire, dont Collishaw explique avec délice qu'elle servait à l’époque à l'observation des mouvements des vers dans de la terre fine – dans la boîte d'observation, un morphing de patientes hystériques dans différentes positions.

Dans un miroir se reflète une fumée venue d’on ne sait où, représentation des reflets de l’invisible si présent, et dans le bureau de Freud, juste devant son divan, trois troncs d’arbres étendent leurs racines sur les tapis superposés qui absorbaient à l’époque déjà les paroles qui devaient rester inaudibles, les émanations de la mémoire inconsciente. Sur la tranche des troncs, aux couleurs des tapis, tourne une platine qui émet des chants d’oiseaux, la mémoire de la forêt évoquant la mémoire des névrosés qui se couchaient sur ce divan.

À l'étage, les références sont plus freudiennes encore : sur l’une de ces tables à vision stroboscopiques dont Collishaw a le secret, tourne si vite qu’on ne perçoit plus leur mouvement rotatif une foultitude d’enfants qui frappent avec l’allégresse destructrice qu’on leur connaît les œufs que les oiseux ont délicatement pondus dans de petits nids, tuant, prise de pouvoir maximale, la vie à venir dans son œuf même.

Et deux sublimes pièces de la série Insecticides, des papillons morts soigneusement sélectionnés chez les plus grands entomologistes londoniens, puis écrasés encore, de manière à ce qu’ils montrent à nos yeux émerveillés leurs trésors organiques, le velouté de leurs couleurs suaves et fortes, la légèreté de leurs organes autrefois vivants magnifiés à échelle humaine... Mais Freud prendra ici le pas sur l’artiste, lequel ignorait encore, lorsqu’il a entrepris cette célèbre collection de photographies d’insectes disséqués de ses mains, l’interprétation que Freud lui aurait donnée de ce travail : la relation fondatrice avec la fratrie est celle de l’agressivité et les insectes représentent classiquement les frères (Collishaw en a trois) dont on doit se débarrasser avant d’accéder à sa propre existence.

Mais quelles qu'eussent été les interprétations de Freud, chez Collishaw toujours, la forme prend le pas sur la dégradation. Collishaw se positionne dans la joie nietzschéenne de la reconnaissance du monde dans sa réalité la plus crue et l’affirmation de la vie dans sa pleine richesse, sans rien en exclure, fût-ce la mort et son obscène contemplation. Avec la beauté en partage.

Publié sur daté.es, le 21 décembre 2009
Mat Collishaw, HYSTERIA
Freud Museum London, du 7 octobre au 3 janvier 2010, James Putnam commissaire

www.freud.org.uk

* Mat Collishaw, Insecticide, courtesy the artist & Analix Forever Geneva

mardi 15 décembre 2009

Elena Kovylina à Analix Forever

Article de Nicolas POINSOT

Durant les quelques minutes qui précédèrent ma rencontre avec l’artiste russe Elena Kovylina, j’avais déjà des images d’elle plein la tête. Elena inclinant calmement une théière pour servir sa convive autour d’une table en train de prendre feu. Elena en Maja nue, imperturbable Olympia ayant revêtu sa tenue d’Eve intégrale et posant sur le capot d’un piano à queue au beau milieu de la rue. Elena sur un ring et infligeant la raclée de sa vie à un mâle chancelant du bout de ses gants de boxe ensanglantés, avant de se faire massacrer à son tour par un monsieur muscle impitoyable. Elena surprise dans le viseur d’un fusil d’assaut. Elena la corde au cou, debout sur un fragile tabouret.

Je tiens tout de suite à préciser que ces visions n’étaient pas à imputer aux quelconques délires de mon cerveau lorsqu’il est question de rendez-vous avec une jolie femme, mais bien aux toiles de l’artiste exposées en ce moment dans la galerie genevoise Analix Forever. Adepte des performances, ces représentations éphémères impliquant le corps dans une mise en scène symbolique, Elena Kovylina a pris le parti de mettre en peinture ses réussites les plus marquantes, de se les réapproprier au travers de son propre regard, remplaçant celui de l’habituelle vidéo comme support dédié à recevoir l’œuvre. Une série intitulée «Le malentendu» et qui fut réalisée au cours de sa résidence à la galerie l’été dernier, portant les stigmates d’une introspection minutieuse, prolifique et sans compromis. «L’espace et le matériel mis à disposition, mais aussi le temps qu’on m’accordait, tout cela m’a enfin permis de réaliser ce projet qui me tenait à cœur», explique-t-elle infiniment reconnaissante. «C’était un rêve qui ne me quittait pas depuis quatre ans!»

Parallèlement à cette intéressante auto-rétrospective, l’artiste moscovite poursuit son travail de performer de par les villes du monde entier. Pour preuve cette représentation intitulée «slogan», donnée à Genève dimanche 13 décembre dans un restaurant chic du centre ville, et résolument décidée à tourner en une cruelle dérision les codes traditionnellement utilisés par les marques de luxe pour promouvoir leurs produits. On a donc pu voir la jeune femme armée d’un imposant couteau de cuisine, découpant des parts de gâteaux ornés des photos de ses performances précédentes. Sans omettre de ponctuer chaque dégustation par un «J’ADORE» absolument exquis, articulé dans une moue de poupée capricieuse à la limite de l’écœurement. La bouche pulpeuse et outrageusement maquillée de Mlle Kovylina était évidemment pour quelque chose dans cette jouissive prestation, pastiche des canons féminins régnant sans merci sur les affiches et spots publicitaires.
Désir d’indépendance

Mais en dehors de ces moments décalés, de chute contrôlée en dehors de soi, l’artiste est réservée, presque secrète, créant un contraste saisissant avec ce qu’elle incarne pendant ses performances. Elle avoue d’ailleurs fuir les sphères élitistes et embourgeoisée qui sont trop souvent les uniques réceptacles de l’art contemporain, devenu monde «upperground» selon elle, en opposition à l’«underground» dans lequel les activités de l’avant-garde étaient condamnées à évoluer sous le régime soviétique. Elena s’engage alors dans une analyse lucide de la pratique de l’art en Russie, de l’URSS à nos temps présents. «Les artistes d’aujourd’hui se meuvent parmi les businessman et les oligarques. La plupart vit de cette symbiose étrange où les énormes sommes d’argent assurent un train de vie confortable, mais où l’idéologie est uniforme et complaisante. S’ils mettent un pied en dehors de ces hautes strates de privilégiés, ils n’existent plus. Leur métier n’est tout simplement pas reconnu. Pour ma part, j’essaye d’être dans une posture d’opposition, de rester indépendante. Ce qui forcément est très difficile».

Un problème également rencontré par les journalistes qui tentent de faire un travail d’investigation à contre-courant, et auxquels elle rend hommage dans l’une de ses performances, Dying swans, auscultant le thème récurrent d’une Russie bicéphale et anachronique. Autrement dit la culture classique, idéalisée voire décadente, d’une Russie éternelle et bourgeoise, contre les réalités actuelles, pétries de violence et obsédées par la quête de nouveaux modèles. Un leitmotiv dans son œuvre. «Pour l’instant, ni les artistes ni les journalistes ne peuvent changer quoi que ce soit. Sans un système démocratique revu depuis la base, sans une disparition de la censure à l’égard de ces professions, rien n’est possible et ne peut se résoudre». Des propos qui prennent tout leur sens quand on sait que plusieurs de ses vidéos sont purement interdites dans la patrie de Dostoïevski.

Une étude approfondie des réalités

A l’écouter, on comprend dès lors que la démarche artistique d’Elena Kovylina prend appui sur une réflexion aboutie et une observation quasiment scientifique de la société dans laquelle elle vit. Comme sur le sujet des femmes russes, qu’elle développe volontiers avec la précision d’un sociologue. «La femme soviétique était très bien intégrée à la société car elle travaillait, tout en endossant son rôle de femme et de mère. Elle votait même depuis 1918, ce qui est vraiment une émancipation précoce par rapport à la Suisse! Mais depuis la Perestroïka, l’homme a pris les rênes et possède la grande majorité des propriétés privées du pays, ce qui a eu pour conséquence notable de rendre la femme beaucoup plus dépendante de lui. D’où un mécanisme effréné de séduction et de mise en valeur presque exclusive du corps afin de s’assurer un moyen de subsistance, au risque de se caricaturer».

Elena reconnaît cependant que les choses sont en train de changer encore une fois sur le plan social. Les filles des richissimes oligarques héritent progressivement des fortunes de leurs papas vieillissant, inaugurant une ère où des femmes seront plus libres et trouveront une réelle liberté de mouvement grâce à leur totale indépendance financière. Si pour l’heure les artistes, journalistes et autres intellectuels sont pour un certain temps voués à patiner dans la semoule pour plusieurs années, il n’est pas impossible qu’avec la décennie naissante, la vraie révolution s’opère tout doucement en privé dans les chaumières, pardon, les datchas.

Elena Kovylina ou Le Malentendu,
jusqu'au 9 janvier 2010, Galerie Analix Forever Genève

Publié dans les Quotidiennes, le 15 décembre 2009

Elena Kovylina lors de sa performance. (Crédits photo: Marc Vanappelghem)

Restrictions dommageables sur les cellules souches

A un moment où la garantie constitutionnelle de certaines libertés individuelles semble menacée, il est plus que jamais essentiel de souligner que ce qui fait la beauté de la Constituion suisse, c’est la manière dont les libertés sont garanties, et non comment elles sont contournées, voire allégrement bafouées. Les articles 16 à 28 de notre Constitution garantissent notamment les libertés d’opinion et d’information, la liberté des médias, celle de la langue – et celle, essentielle pour mon propos ici, de la science - celle de l’art aussi, les libertés de réunion, d’association et d’établissement, ainsi que les libertés économique et syndicale...
Les restrictions à la liberté de la science posent la question intéressante de savoir pourquoi personne ne s’en offusque aussi ouvertement, bruyamment, manifestement, qu’à la restriction de la construction de certains symboles. Comment les scientifiques peuvent-ils s’accommoder des infinies restrictions à leur libertés que leur imposent les lois pourtant sensées appliquer le cadre constitutionnel ? C’est très simples : par la restriction, eux aussi.
Les grandes découvertes sur les applications des cellules souches embryonnaires (vous avez dit embryonnaires ? mais n’est-ce pas un « vilain » mot ?) se font désormais ailleurs qu’en Suisse, et ceci quand bien même notre pays forme parmi les meilleurs chercheurs, dans ce domaine comme dans d’autres. Mais ce sont des chercheurs français, Christine Baldeschi et Marc Peschanski (INSERM et Généthon), qui ont publié fin novembre dans The Lancet qu’il est possible « d’encourager » des lignées de cellules souches embryonnaires, maintenues en culture, à produire des quantités illimitées de kératinocytes adultes, ceci grâce à des cellules nourricières qui leur envoient des signaux chimiques spécifiques induisant la différenciation kératinocytaire. Les kératinocytes, quel intérêt ? Ce sont les cellules principales de l’épiderme humain, barrière essentielle et gardien de nos fluides organiques.
Mais à quoi cela peut-il bien servir ? Application médicale immédiate : les grands brûlés. Ils sont 350 en France chaque année. Ces patients doivent pour survivre bénéficier d’ une « couverture cutanée » comme barrière physiologique antibactérienne, faute de quoi ils sont soumis à la déshydratation, aux infections et aux septicémies… Pendant des décennies, les chirurgiens et réanimateurs n'ont eu à leur disposition que les greffes prélevées de la propre peau saine des brûlés. En effet, depuis le début des années 1980, il est possible, avec un prélèvement d'épiderme de la taille d'un timbre-poste, d’obtenir en vingt-trois jours près de deux mètres carrés du propre épiderme du brûlé. La double originalité de l’idée de Baldeschi et Peschanski, c’est d’une part de générer un épiderme bourré de kératinocytes à partir de cellules souches embryonnaires qui n'expriment pas les antigènes reconnus comme étrangers par le corps, et d’autre part d’obtenir, grâce à sa lente maturation, un tissu vivant organisé que l'on pourrait stocker et fournir ad libitum aux chirurgiens pour les soins des brûlés.
En parallèle, aux Etats-Unis, les autorités médicales américaines viennent d’autoriser l'utilisation de treize nouvelles lignées de cellules souches embryonnaires humaines pour la recherche publique. lLes premières dans le cadre de la nouvelle politique décidée par la Président Obama, qui avait annoncé en mars sa décision de revenir sur l'interdiction d'effectuer des recherches sur les cellules souches embryonnaires imposée par George W. Bush en 2001, une interdiction qui se basait sur des considérants moraux et religieux. « Conformément aux réglementations, ces cellules souches sont dérivées d'embryons donnés selon un processus éthique éprouvé », précise le Dr Francis Collins, directeur du National Institute of Health (NIH). Lors de l’annonce de ce changement de politique par rapport à son illustre prédécesseur, le président Obama a notamment invoqué le potentiel des cellules souches embryonnaires à traiter des maladies telles le diabète ou la maladie de Parkinson ou encore à régénérer la moelle épinière endommagée lors d’accidents, accidents qui conduisent aujourd’hui encore à des paralysies qui devraient devenir évitables.
Et en Suisse ? Allez voir sur Google : le premeier item que vous trouverez si vous tapez « cellules souches embryonnaires » et « Suisse » vous dit que « En Suisse, la production de cellules souches embryonnaires est réglementée par la loi depuis mars 2005. » Alléluia, nous sommes saufs, c’est réglementé. Dommage pour le progrès…
Voilà qui souligne encore uen fois combien il est essentiel pour ce pays de se répéter chaque jour, en accord avec sa propre Constitution, que la liberté est mère de toutes les vertus.

Publié dans l'Agefi, le 15 décembre 2009.

jeudi 10 décembre 2009

L'Amérique retourne sur la Lune près d'un demi-siècle après Apollo

Les découvertes indienne et américaine de particules d’eau sur notre satellite relancent le projet d’implanter une base lunaire. Près d’un demi-siècle après la mission Apollo.

L’été 1969 promettait la lune à portée de terre. Et le monde entier de se rêver, en scaphandrier plombé, sur une autre planète - une lune en fait – récoltant des cailloux au fond des cratères, avec les enfants, le dimanche après-midi – et tous les militaires des grandes puissances de se rêver des bases nucléaires, les scientifiques des bases d’observation et de recherche et les poètes une nouvelle littérature. Mais l’enthousiasme s’éclipsa aussi vite que la lune le 10 février 1971. Retour sur Terre pour la plupart et pour d’autres, des visées plus lointaines encore, à commencer par Mars, planète des hommes ou des singes…
Mais les Américains, eux, sont tenaces, ce n’est pas la moindre de leurs qualités. Never surrender ! Ils tenaient la Lune, ils ne la lachèrent pas. Et dans une discrétion relative, ils ont poursuivi le travail. Avec, pour leurs recherches et leurs explorations, un fil conducteur absolument limpide et parfaitement cohérent avec les problèmes qui se posent sur la planète Terre : trouver de l'eau partout où elle pourrait possiblement se cacher dans le système solaire. Et voilà que la ténacité, une fois de plus, paie.
Alors que l’Inde avait annoncé en septembre déjà la présence de particules d'eau sur la Lune, les chercheurs américains, eux, se sont penchés spécifiquement sur un cratère baptisé Cabeus, situé dans une zone lunaire non exposée au soleil. La NASA a ciblé cette région après y avoir détecté d'importantes émanations d'hydrogène au début des années 2000, émanations qui pourraient s'expliquer par la présence de glace. Le 8 octobre 2009, la NASA propulse alors Centaur, un projectile de 2,3 tonnes, dans le dit cratère. Une deuxième sonde, la LCROSS (Lunar Crater Observation and Sensing Satellite) a ensuite survolé le cratère pour y amasser de l'information sur les débris en suspension au-dessus du cratère avant de s'y écraser à son tour. C'est en analysant le nuage de poussière que les experts de la NASA ont découvert des particules d'eau. Bingo ! Le 9 octobre, Anthony Colaprete, responsable scientifique de la mission LCROSS, annonce alors en jubilant : « Nous avons trouvé de l'eau sur la Lune, et pas seulement un petit peu, mais des quantités importantes ! » Certes, la notion de « quantités importantes » est relative. « Nous y avons trouvé l'équivalent d'au moins une dizaine de seaux de 7,5 litres », aurait précisé Colaprete en ajoutant qu'il s'agissait des premiers résultats. Espérons qu’en effet il ne s’agisse que des premiers résultats, parce que 10 x 7,5 litres, cela ressemble plus à la sardine qui bouche le port de Marseille qu’à la manne du Seigneur… Anthony Colaprete a d’ailleurs ajouté que « la concentration et la répartition de l'eau ainsi que d'autres substances nécessitent davantage d'analyse des données recueillies » d’autant plus que ces données suggérerent la présence de « substances intrigantes !» Peter Schultz, professeur de géologie à l'Université Brown, membre de l’équipe scientifique de la NASA, a quand à lui comparé l’or transparent à l’or noir : « C'est un peu comme quand on découvre du pétrole en faisant des forages, quand on en trouve à un endroit il y a de plus grandes chances d'en trouver aussi pas très loin… »
Quoiqu’il en soit, la découverte américaine relance le projet d'implanter une base lunaire, près d'un demi siècle après la mission Apollo. Plusieurs observateurs estiment que la découverte d'eau sur la Lune pourrait rendre la construction d'un camp scientifique ou d'une base lunaire plus réaliste. Une commission d'experts créée par le président Barack Obama, vient de rendre un rapport offrant différentes options d'exploration habitée. Il y a fort à parier les menaces de restrictions budgétaires qui planaient lourdement sur la NASA sont en train de s’évanouir comme vapeur au soleil…
Morale de l’histoire ? L’investissement, la foi et le partage font des miracles. De ces trois caractéristiques américaines, les deux premières, l’investissement et la foi, sont volontiers reconnues aux Américains. Pas le partage. Et pourtant, c’est bien grâce la technologie américaine que l’Inde elle aussi avait confirmé la présence d’eau sur la Lune, et ceci même quelques semaines avant la NASA. « De l'eau sur la Lune: la stupéfiante découverte de Chandrayaan », « Un grand pas pour l'Inde, un pas de géant pour l'Humanité », pouvait-on lire en titre dans les quotidiens indiens en septembre. Ou quand la technologie des uns fait la fierté de tous.
Adieu la Lune sèche !


Publié dans l'Agefi, le 10 décembre 2009
La Librairie Le Rameau d’Or
&
les éditions L’Age d’Homme
vous convient à une rencontre amicale
Mercredi 16 décembre 2009
dès 16 h 00

Nos auteurs, publiés ces derniers mois,
partageront ce moment avec leurs lecteurs et amis.
À cette occasion, Jean-Michel Olivier vous présentera
le programme de la collection poche suisse
Librairie Le Rameau d’Or
17, Bd. Georges-Favon, 1204 Genève
022 310 26 33 • rameaudor@bluewin.ch
Jean-Marie Adatte • Antonio Albanese
Rafik Ben Salah • François Berger • Freddy Buache
André Corboz • Julien Dunilac • Christophe Gallaz
Virgile Elias Gehrig • Philippe Grosos
Serge Heughebaert • Hervé Krief • Jean-Louis Kuffer
Georges Ottino • Philippe Paulino • Barbara Polla
François Rothen • Jil Silberstein • Marielle Stamm
Anne-Marie Steullet-Lambert • Sylvoisal
Giordano Tironi • Raymond Tschumi

lundi 30 novembre 2009

Mémoire(s) trace et projection contemporaine - La bonne nouvelle

La vie et ses cycles : la nature et la culture, la naissance et le sexe, la révolution et l’artiste, etc. Ces dialectiques imprègnent profondément la Bonne Nouvelle, dans la lignée des grandes commandes artistiques qui ont pu jalonner, notamment, l’histoire de l’art italien. Andrea Mastrovito, italien de Bergame, nous offre la preuve, une nouvelle fois, de sa grande culture artistique et de son profond humanisme.

Tout d’abord, la nature. Le Centre d’Art contemporain de Lacoux : lieu idéal pour accueillir l’installation de l’Encyclopédie des fleurs de jardin… A première vue, il s’agit de parterres de fleurs à l’italienne ou à la française. Une observation plus attentive permet de voir qu’il s’agit en réalité d’une illusion d’optique. Un amoncellement d’encyclopédies de botanique, ouvertes, dont Mastrovito a soigneusement découpé le contour des fleurs photographiées pour les rendre protagonistes de ces parterres de livres… Alliance de la culture et de la nature, ces pièces répondent au cadre scolaire et bucolique de Lacoux. Mastrovito a le pouvoir de faire pousser des fleurs de papier à l’intérieur d’une ancienne école : voilà en soi une Bonne Nouvelle !

Dans l’installation My Birthday, faite de light boxes, la silhouette de l’artiste, dans la nuit, pointe son revolver vers le ciel qu’il troue des constellations, celles de la nuit de sa naissance : essence de la création, métaphore de la semence. A l’image des grands commanditaires de la Renaissance qui faisaient illustrer par des artistes de renom leur ciel astral, Andrea Mastrovito convoque la cosmogonie pour My Birthday, pour cet acte fondateur qui préside à La Bonne Nouvelle de Lacoux.

Cette exposition clôt un cycle dans le travail de Mastrovito. Nombreuses en effet sont les œuvres qui ont trait à l’acte même de la création, et en premier lieu l’autoportrait, pratique chère à l’art italien. La vidéo Robespierre souligne le rôle de l’artiste qui, tel le révolutionnaire, permet à la société de germer à nouveau, de partir sur de nouvelles bases. Au prix de l’oubli de l’artiste, celui qui casse son crayon et disparaît au terme de la vidéo. Par rapport à l’acte créateur, on songe aussi à ces séries de dessins, qui résultent d’un processus similaire à celui du personnage de la vidéo : un seul trait, réalisé à main levée et la figure s’incarne. Des dessins érotiques viennent rappeler que l’amour est aussi, en soi, une très Bonne Nouvelle.

Mais pas toujours. Un baiser long comme le temps qui nous sépare représente l’artiste, assis dans la nature, sous le regard de sa dulcinée, délicatement perchée sur une branche. Ode à l’amour champêtre ou chanson de geste soulignant la distance entre les êtres et l’ambiguïté de leurs sentiments ? La différence ne semble tenir qu’à quelques feuilles, papiers de couleurs, photocopies, découpages et collages. Ou quand la femme aimée est bel et bien « photocopiée »… La Bonne Nouvelle, alors, peut aussi nous échapper.

Andrea Mastrovito sera présent en août 2009 à Genève avec l’installation Climat poétique, présentée dans la Cour de l’Hôtel de Ville, à l’invitation du Conseil d’Etat de la République et canton de Genève. Il participera ensuite à l’exposition Slash : Paper Under the Knife qui se tiendra au Madmuseum à New York du 7 octobre 2009 au 4 avril 2010, aux côtés d’Olafur Eliasson, Kara Walker ou encore Tom Friedman.

Barbara Polla, galeriste (Analix Forever), Ecrivain
Marylène Malbert, coordinatrice de la galerie Analix Forever, historienne de l'Art

jeudi 26 novembre 2009

Hommage à la critique

Peut-on dire qu’une pièce – une pièce de théâtre, une œuvre d’art - est nulle ? Sous ce titre provocateur, Jacques Magnol, de Genève Active a organisé et modéré, le 17 novembre, un débat portant sur les processus d'évaluation du geste artistique, débat auquel participaient, entre autres, Jean-Pierre Greff, directeur de la HEAD à Genève, Virginie Keller, cheffe du service culturel de la Ville de Genève, et Gabriel de Montmollin, directeur des Editions Labor & Fides. Le concept de « pertinence culturelle » fut développé notamment par Virginie Keller, expliquant avec beaucoup de clarté et de compétence la manière de fonctionner des institutions culturelles de la Ville de Genève, et par Gabriel de Montmollin, soulignant lui aussi l’importance de cette « pertinence culturelle », mais aussi historique, dans ses choix et son travail d’éditeur.


Jean-Pierre Greff, lui, après avoir rendu compte du fait qu’il n’est pas d’œuvre nulle en-dehors du plagiat ou de l’imposture absolus, a souligné le rôle essentiel de la critique dans l’évaluation, dans une vision de coexistence de l’œuvre et de la critique. « La critique ‘informe’ ; elle contribue donc à donner forme à l’oeuvre. » Un point de vue que tous ceux qui écrivent sur les œuvres ne pourront bien sûr que partager…


En reconnaissant cependant, qu’au bout du compte, la seule manière aujourd’hui d’évaluer les œuvres, c’est de les regarder et d’essayer de les comprendre. Et c’est là que les critiques ont bien des longueurs d’avance, eux dont c’est le métier, justement, de regarder, et qui passent un temps infini à essayer de comprendre. Longtemps, longtemps avant de critiquer. Revaloriser la critique, main dans la main avec la création et non pas contre elle, voilà une mission que les institutions ne devraient pas oublier. Pour une critique qui fasse vivre l’œuvre qui fait vivre la critique.


Publié dans les Quotidiennes, le 26 novembre 2009

lundi 23 novembre 2009

Le métier de vivre

Tribune libre

Parler du suicide dans Extension ? Est-ce vraiment adéquat, dans ce magazine d’ouverture et d’esprit positif ? Peut-être que oui, car Extension parle aussi de vie et de santé. Extension parle d’entreprises, et ne saurait être indifférent aux suicides liés au travail, ou à sa perte. En Suisse, 1000 hommes et 400 femmes se suicident chaque année, ce qui représente quatre décès par jour, soit un taux de suicide de 19,1 pour 100’000 habitants.
En 2000, davantage de personnes sont décédées en Suisse par suicide (1378) que par accident de la route (604), consommation de drogue (205) et sida (135) réunis. Selon le rapport de l'Office fédéral de la santé publique, 10% de la population suisse commettent une ou plusieurs tentatives de suicide au cours de leur existence.
Ces chiffres placent la Suisse parmi les pays présentant un taux de suicide supérieur à la moyenne, derrière la Russie, la Hongrie, la Slovénie, la Finlande et la Croatie. Ils correspondent à ceux relevés en Autriche, en Belgique et en France. En France, le suicide des adolescents, en particulier, constitue la deuxième cause de mortalité entre 15 et 24 ans, après les accidents de la route.
Bien sûr, on peut arguer, face au suicide, qu’il représente l’ultime liberté, l’ultime choix de l’homme libre : celui de refuser de vivre. C’est ce que semble nous dire des intellectuels, des écrivains comme Cesare Pavese par exemple, dans Le Métier de Vivre. Un dur métier. Mais si intellectuellement je puis comprendre ce concept et adhérer à cette idée, je ne puis par contre l’éprouver : ni la ressentir, ni la mettre à l’épreuve. Depuis toujours, en amoureuse inconditionnelle de la vie, je suis fascinée par sa puissance et sa fragilité combinées – et surtout, par son unicité. Et dans ma vie de médecin, d’accompagnatrice aussi, de fins de vie, il m’a toujours semblé que le bien le plus précieux – en l’occurrence, peut-être, au delà même de cette liberté qui m’est pourtant si chère et qui définit l’ être humain – était la vie elle-même.
Aurais-je ainsi trouvé une limite à la liberté, outre le respect de celle de l’autre ? Si le choix du suicide peut être une liberté, il ne l’est que dans l’instant. Or notre humanité – notre liberté donc – nous l’exerçons dans la durée de l’existence qui nous est donnée, cette durée déployée devant nous. La mort est au bout et fait évidemment partie de la vie et est d’ailleurs, tout comme le silence l’est à la musique, indispensable à la définition même de l’existence. Mais une fois atteinte, elle ne permet plus à la liberté humaine de s’exprimer, cette liberté modeste qui se niche dans chacun de nos gestes, de nos paroles, de nos choix quotidiens, si minimes fussent-ils. Je pense souvent, à cette amie qui a fait le choix, elle, de se jeter d’un cinquième étage. A la durée infinie qui s’est écoulée, pendant laquelle elle a peut-être désiré mille fois interrompre le cours du temps et revenir à ce moment antécédent où elle avait encore le choix.
Une chose est certaine en tous cas : la liberté, ma liberté future, celle de l’instant suivant, je ne puis l’exercer que si je suis en vie. Le respect de la liberté semble alors exiger de laisser le choix de sa propre fin - la fin de la liberté - à la vie elle-même. La vie comme cadre dans lequel cette valeur fondamentale qui nous rend humains, à savoir la liberté sous toutes ses formes, parole, action, création, et la liberté de penser avant tout – peut encore s’exercer.
Il faut aussi rappeler que le sens des conduites suicidaires n’est jamais univoque et en souligner l’ambivalence. Volonté de mourir ou volonté de changer sa vie ? Agressivité, volonté destructrice, fonction de fuite, fonction d’appel, fonction ordalique… tous ces aspects doivent être pris en compte dans l’analyse de situations telle que celle de France Telecom aujourd’hui.
Chez les adolescents, il s’agit probablement le plus souvent de volonté de changer leur vie. Ils n’aiment pas leur vie, ils en veulent une autre, ils ne voient pas ou ne veulent pas voir que cette « autre vie » à laquelle ils aspirent est à portée de main, à portée de choix, et il leur semble alors que pour changer de vie, mettre fin à la leur est le meilleur moyen. Chez les personnes âgées – le suicide augmente avec l’âge – les questions semblent se poser de manière similaire : comment changer de vie ? Et dans les deux cas, chez les adolescents comme chez les personnes âgées, cette question rémanente, lancinante, parfois déchirante – à quoi sert ma vie ?
Ma réponse : à rien - et à tout ce que je veux bien en faire. Alors nous tous qui avons le privilège d’une part de vivre, et d’autre part de vivre dans un pays dont tous se plaisent à reconnaître et souligner la qualité de vie, vivons ! Apprenons chaque jour le métier de vivre et travaillons, en toute liberté et en toute sérénité…

Libres livres
Le Métier de Vivre de Cesare Pavese ; Anna la nuit de José Alvarez

Le Métier de Vivre de Cesare Pavese
Journal intime d’un écrivain d’exception, trop peu connu encore, pourtant magnifiquement traduit et édité par Gallimard… une plume qui allie sobriété et élégance et qui trace le chemin émouvant d’un nouveau romantisme éclairé, quand les sentiments transparaissent en retenue sous les mots. lisez La Plage et la Lune et les Feux. Pavese qui sait tout écrire, philosophie, romans, poésie… Verra la morte e avra i tuoi occhi
Le 9 novembre 1937, dans Le Métier de Vivre :
« Est-ce qu'elle ne devra pas me surprendre, par un quelconque matin de brume et de soleil, la pensée que tout ce que j'ai eu a été un don, un grand don? Que, du néant de mes ancêtres, de cet hostile néant, je suis pourtant issu et j'ai grandi tout seul, avec toutes mes lâchetés et mes gloires et, à grand-peine, échappant à toutes sortes de dangers, je suis arrivé à aujourd'hui, robuste et concret, la rencontrant elle seule, autre miracle du néant et du hasard? Et que tout ce que j'ai goûté et souffert avec elle n'a été qu'un don, un grand don? »
Le don de l’écriture, en tous cas…
Un don que l’on retrouve dans un récit – devenu un roman en cours d’écriture – qui vient de sortir chez Grasset : Anna la nuit, de José Alvarez. José Alvarez, l’homme qui a fait les Editions du Regard. Quand on écrit aussi, on a parfois le privilège de le rencontrer, dans son magnifique bureau – ou mieux dit, lieu de vie - ou œuvres d’art côtoient livres sur l’art. Après avoir tant édité les autres, José Alvarez, dans ce moment dont Roland Barthes dit qu’il est le milieu de la vie - le moment du roman - ressent le besoin d’écrire, lui aussi. Anna la nuit pose, entre autres, cette question : combien de temps parvient-on à retenir la femme qu’on aime, quand elle n’aspire qu’a la nuit ? Anna qui fait partie, selon l’auteur, de cette « société secrète qu’assemblent l’amour du dépassement et une lassitude sans âge. » Anne dont il dit encore « Je devinais qu'en l'aimant, je commençais peut-être à m'accepter tel que j'étais. » Nous devenons, grâce à l'autre que nous aimons. En écrivant Anna, en la racontant aux autres, José Alvarez se raconte lui aussi. Passionnant. Le roman, au milieu de la vie.
L’écriture et la vie, intimement mêlés, dans le métier de vivre et dans celui d’écrire.



Publié dans l'Extension, novembre 2009

samedi 21 novembre 2009

"Victoire" de Barbara Polla

Dans son blog, Francis Richard publie son commentaire à propos de mon dernier livre, "Victoire".
A lire ici.

jeudi 19 novembre 2009

Traitement différentiel du visage dans l’art et dans la mode

Séminaire à la HEAD, Genève
Paul Ardenne et Barbara Polla
Vendredi 20 novembre

Paul Ardenne, historien de l’art et écrivain, est un spécialiste de la position du corps et du portrait au sein des pratiques artistiques contemporaines (L’image Corps, Figure de l'humain dans l'art du XXème siècle, 2001 ; Portaiturés, 2003). Barbara Polla, galeriste et écrivain, travaille et enseigne sur les rapports entre art et mode à Genève et à Paris.

Le visage, sur lequel se centre ce séminaire, occupe dans l’histoire de l’art une place des plus particulières : portrait et autoportrait représentent depuis toujours un domaine irréductible de l’activité artistique. La photographie a encore magnifié cet intérêt : dès l’invention de la photographie, le portrait y joue un rôle de premier plan. Cette passion pour le visage prend racine dans les systèmes même de reconnaissance de l’autre et de soi-même, conscients et inconscients, et a été décrite par Levinas comme « l’expérience fondamentale du visage : celle de la vulnérabilité de l’autre et solidairement celle du sentiment de ma responsabilité envers lui ». Pour Levinas, Le visage est à la fois, par sa vulnérabilité, appel au meurtre et injonction de ne pas tuer.

Paul Ardenne parlera du portrait dans l’histoire de l’art et la photographie contemporaine et des rapports complexes qui s’établissent entre portraiturés et portraitistes. Barbara Polla, elle, abordera la question de la dissimulation du visage dans la mode jusqu’à son obstruction complète chez Martin Margiela par exemple – et de sa réapparition récente, voire de sa glorification nouvelle, chez des stylistes comme Sonia Rykiel ou Kris Van Assche. De l’épiphanie du visage, ou quand le visage n’est plus seulement un identifiant mais devient un paysage.

mardi 17 novembre 2009

Peut-on dire qu'une pièce est nulle ou géniale ?

Les Forums de Genève Active

Mardi 17 novembre 2009, de 12h15 à 13h45.
White Box du Théâtre du Grütli. Entrée libre.

Peut-on dire qu'une pièce est nulle ou géniale ?

Ce débat portera sur les processus d'évaluation du geste artistique et leurs finalités.

Tout artiste se trouve constamment confronté au jugement sur son travail. Jugement sur ses projets puis sur leur réalisation. Jugement de la part des médiateurs (subventionneurs, programmateurs, éditeurs, galeristes,...), des journalistes, et finalement du public. Quantité de questions se posent au sujet de l'évaluation du geste artistique: peut-on dire qu'une oeuvre est mauvaise? Comment faire la part de l'objectivité des critères (nouveauté, pertinence, cohérence, diffusion,...) et de la subjectivité du critique? Quelles sont les finalités de l'évaluation d'un travail? Comment communiquer ses jugements? Ces évaluations sont-elles liées aux tendances du jour ?
Entrer dans lʼévaluation, cʼest examiner les argumentaires permettant de négocier la place d'une oeuvre dans la hiérarchie des valeurs prisées par ceux qui la pratiquent. A quel point les dispositifs dʼévaluation doivent-ils être transparents ?

Avec :
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Jean-Pierre Greff, directeur de la Haute école d'art et de design Genève
Virginie Keller, cheffe du service culturel de la Ville de Genève
Gabriel de Montmollin, directeur des Éditions Labor & Fides
Barbara Polla, galeriste, Galerie Analix
Michèle Pralong, co-directrice du Théâtre du Grütli

modérateur: Jacques Magnol, journaliste, éditeur de Genève Active.ch

Infos : forums (at) geneveactive.ch - www.geneveactive.ch - inscription

lundi 16 novembre 2009

Après les coins fumeurs, les espaces allaitement!

Alors voilà. La bonne nouvelle, c’est qu’il y a de bonnes mamans. Et donc, évidemment, de mauvaises. Les bonnes ? Celles qui allaitent bien sûr. Les autres ? Mieux vaut ne pas en parler n’est-ce pas, mieux vaut faire comme si elles n’existaient pas… parce que donner le biberon à son bébé plutôt que le sein, c’est vraiment la fin de l’amour maternel. Toutes les études le prouvent : les bébés nourris au biberon deviennent tous des adultes malheureux après avoir été des enfants en fort mauvaise santé. CQFD !

Et donc, l’Association genevoise Allaitement dans la cité, afin de promouvoir l’allaitement – « recommandé puisque le lait maternel est SUPERIEUR au lait en poudre, ‘notamment’ pour le système immunitaire du nourrisson » - a fait en sorte de mettre à disposition « des coins accessibles, non-fumeurs et discrets » où les jeunes mères peuvent allaiter en toute quiétude. Des autocollants signalent les lieux partenaires de l’association, cafés, restaurants, bibliothèques… Une initiative qui part sans nul doute des meilleurs intentions. Mais le chemin de l’enfer est pavé de biberons.

Et sur ce chemin, la vie sociale des mamans biberonnantes se voit clouée au pilori et la parentalité du même coup. Que je sache, les pères n’allaitent pas. Même ceux qui adorent leurs bébés en toute intimité (oui oui il y en a), eh bien non, ils n’allaitent pas. Ils adorent par contre donner le biberon à leur rejeton, tout comme certaines excellentes jeunes mères adorent profiter de leur vie sociale au restaurant « notamment » pendant que le bienheureux père biberonne le bienheureux tout petit… Alors, à quand les coins fumeurs, difficilement accessibles et sans aucune intimité pour les parents biberonnant ? C’est tout ce qu’ils méritent n’est-ce pas, parce que donner le biberon, fût-ce avec amour et intimité réciproque et en offrant du même coup une place d’honneur au père, c’est forcément… inférieur.
Et si en fait on laissait les parents faire comme ils l’entendent sans les abreuver de bons conseils et de coins désignés mais en les intégrant tels quels dans la vie sociale de la cité ? Voilà qui serait une bonne nouvelle !

Publié dans les Quotidiennes, le 16 novembre 2009

jeudi 12 novembre 2009

Pascal Bruckner, spécialiste ès amour

Le philosophe, essayiste, écrivain français, dont je disais déjà aux Quotidiennes qu’il était le plus glamour, drôle et gentil des intellectuels français , est aussi un spécialiste ès amour.

En théorie et en pratique, parce que n’est ce pas, la théorie seule en ces choses là… toujours entouré de ce que la gent féminine a de plus brillant, de plus smart et de plus séduisant, il en connaît sur la question, de Lunes de Fiel à L’Amour du Prochain, du Nouveau Désordre amoureux écrit il y a quelques années avec Alain Finkielkraut (traité de la tyrannie de l’orgasme post soixanthuitarde) au Paradoxe Amoureux qui vient de sortir chez Grasset.

Un essai à la fois didactique et littéraire, dont les plus belles pages sont probablement les encadrés.

Une ode à la différence qui m’est si chère, et qui jette aux orties toute utopie postsexuelle : « il ne sera jamais loisible à un homme de procréer ou de jouir comme une femme, ni à une femme de connaître les joies de l’érection….

Cette bipolarité engendre une richesse humaine inespérée. Hommes et femmes ne parlent pas toujours la même langue. L’essentiel est qu’ils continuent à converser, à travers malentendus et contresens, sans recourir à un espéranto réducteur. Il faut au moins deux sexes pour que chacun rêve de l’autre. Dans une prochaine vie, je veux renaître femme. »

Voilà bien la plus belle déclaration qu’un homme puisse nous faire, globalement à nous femmes. Merci Pascal Bruckner ! Pascal Bruckner qui affirme aussi que s’il n’y a guère de progrès en amour, il y a par contre beaucoup de progrès dans la condition féminine.

Dans une prochaine vie, je veux renaître homme !

Publié dans les Quotidiennes, le 12 novembre 2009.

vendredi 6 novembre 2009

Evènement glamour à l’Ambassade de Suisse à Washington

Pas facile, par les temps qui courent, de représenter la Suisse à Washington. Il nous faut déjà la plus belle des résidences: ce véritable lieu de culture en forme de croix (suisse bien sûr) imaginée et réalisée par l'architecte américain Steven Holl et son homologue suisse Justin Rüssli a été couronné en 2007 par le prix international d'architecture du Royal Institute of British Architects. Il nous faut surtout nos diplomates les plus expérimentés pour réussir ce défi-là. Avec le glamour en plus : le soir du 4 novembre, Ronit Ziswiler, épouse de l’Ambassadeur, invitait le « tout-DC » à un défilé d’Isabel Toledo, qui a créé une collection spécifique pour cette soirée très spéciale et très suisse.

Isabel Toledo ? Il y a un an encore, seuls les spécialistes de mode – comme le Septième Etage à Genève – connaissaient la styliste. Mais le 20 janvier, jour de l’investiture de Barack Obama, Michelle Obama rayonnait en robe fourreau à encolure en lamé signée Isabel Toledo… Le rapport avec la Suisse ? Isabel Toledo utilise des tissus faits par Forster Rohner AG, entreprise familiale suisse depuis plus de cent ans. Pour Isabel Toledo, selon une interview donnée à largeur.com, «qualité suisse signifie honnêteté, propreté et santé. A mon avis, le textile et les objets doivent parler de ces qualités.» La philosophie de la broderie Saint-Galloise va même au-delà: on nous parle de passion, de zeitgeist, de créativité, de technologie, de partenariats, avec pour résultat final la broderie séduction.

On ne l’a pas assez dit: sans la Suisse, l’investiture de Barack Obama n’aurait pas été le même succès. Merci à Ronit Ziswiler (en robe couleur ciel d’Isabel Toledo bien sûr) et à l’Ambassade de Suisse à Washington de le rappeler au «tout DC»!

Publié dans les Quotidiennes, le 6 novembre 2009.

La maison de l'équilibre est un hymne de l'entreprise

William Boone Finnerty (www.willfinnerty.com) est professeur d’entrepreneurship à Georgetown. Le jeune professeur propose, en ces temps bousculés pour les entrepreneurs (mais est-il en réalité, des temps calmes pour eux ?), que pour préparer, présenter, réaliser, amender, développer au mieux le business-plan de l’entreprise, il faut d’abord un nusiness plan personnel. Très personnel vraiment : il s’agit d’assurer le développement personnel de l’entrepreneur, qui seul permettra d’assurer aussi efficacement qu’harmonieusement le développement de l’entreprise.

Pour réaliser cet objectif fondamental, Finnerty propose la Maison de l’Equilibre. La Maison de l’Equilibre ? Tous décorés des caractères japonais “Kaizen,” symboles d’un développement personnel permanent, les cinq côtés de la maison - car comme chacun sait, les maisons ont cinq côtés - sont les relations, la santé, l’argent, la carrière et, conjuguant les quatre autres, le développement personnel justement. Aux étudiants de troisième année de Business School, le professeur enseigne en parallèle douze piliers de ce business plan personnel, parmi lesquels la négociation, le time management, le job de vos rêves, la vente, la santé.

La santé ? Les étudiants devront-ils plancher sur choix de la meilleure assurance maladie ? Pas vraiment… il s’agit pour eux de définir l’importance de leur vie spirituelle, de préciser quelles sont leurs habitudes de vie, et au cas où ils ont des problèmes de santé, ce qu’ils envisagent de faire pour changer les choses à l’avenir, notamment dans ces deux domaines, la vie spirituelle et le style de vie. Le message global transmis aux étudiants : votre santé est entre vos mains ! Tout est entre vos mains d’ailleurs.

La négociation, par exemple ? Là les étudiants doivent analyser, définir, moduler quelles attitudes ils adoptent quand il s’agit de vendre. Vendre eux-mêmes d’abord, puis leur entreprise, leur projet ou leur produit : Chaque fois qu’il y a vente, il y a négociation : vendre, c’est négocier.. La négociation est une constante dans la vie personnelle comme dans la vie professionnelle : fondamentalement, pour un entrepreneur, il s’agit ainsi en premier lieu de négocier son développement personnel dans son rapport avec le développement de son entreprise. Parfois cette négociation se fait « contre » - le développement personnel contre celui de l’entreprise – une situation difficile à gérer mais fréquemment rencontrée. Les émotions négatives liées à la gestion du temps personnel versus le temps professionnel, sont un des facteurs clés du déséquilibre et du stress dont souffrent beaucoup de jeunes et de moins jeunes entrepreneurs. 82% des Américains (toutes professions confondues) sont insatisfaits de l’équilibre entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle.

C’est là qu’intervient un autre des piliers fondamentaux de la Maison de l’Equilibre : le Time Management. Mieux dit encore : le time management émotionnel. Car une des conditions au succès de l’entreprise, c’est qu’elle participe au bien-être de l’entrepreneur, à son développement personnel, et non pas qu’elle lui enlève temps et énergie. Comme procéder ? Il s’agit d’abord, à nouveau, de réaliser que « votre temps est entre vos mains ». Autonomie. Ensuite, de fixer clairement vos objectifs prioritaires (qu’est-ce que je veux vraiment ?), avec les enseignements du Maître Spinoza en tête : la clarté – et l’autonomie, piliers non pas de la Maison de l’Equilibre, mais des émotions positives, qui bien sûr en font partie. Troisièmement, phase pratique : s’asseoir, avec son agenda en main, et se fixer l’agenda idéal. Puis l’appliquer…

Et puis bien sûr, il ne faut faire que le job de ses rêves. Donc commencer par rêver. Car « L’homme qui rêve gagne toujours. » Les Américains changent de travail onze fois dans leur carrière et changent de carrière quatre fois dans leur vie. 89 % des Américains espèrent changer de job dans les six mois.72% disent que leur travail n’est pas celui de leur rêves mais seulement 9% recherchent activement le job de leurs rêves. Cherchons – et trouvons – tous le job de nos rêves, vite ! Et si nous ne le trouvons pas sur le marché de l’emploi, créons le, comme première marche vers un développement personnel et un développement professionnel intégrés.

Comme dit encore Finnerty « I am a big believer in lifetime learning. » « Regarder au fond de vous-même, vous poser des questions, essayer d’apporter vos propres réponses et apporter au monde vos talents uniques. » « Une question pour vous : jusqu’à quelle hauteur un arbre va-t-il pousser ? » et la réponse du Professeur : « Aussi haut que vous le laisserez pousser. » Bien sûr, il y a un monde entre les études, entre les enseignements d’un professeur, et la réalité. Mais la Maison de l’Equilibre, elle, s’applique à toutes les situations.


Publié dans l'AGEFI, le 6 novembre 2009.

lundi 2 novembre 2009

Stress, carrière, travail, genre …. genre quoi?

Après la dernière bonne nouvelle – vous avez sûrement lu les Quotidiennes, il paraît que faire des enfants c’est bon pour la carrière des femmes – à moins que ce ne soit le contraire, je ne me souviens plus très bien… voilà que le stress revient lui aussi sur la table. Un rapport remis au gouvernement français propose 40 indicateurs pour mieux cerner les risques "psychosociaux". Les risques psychosociaux de quoi ? Mais, du stress bien sûr ! Mais… et pourquoi pas les bénéfices ?

Les auteurs de ce rapport demandé par le ministre du Travail - une vingtaine de sociologues, médecins, psychiatres, statisticiens, économistes - s'appuient sur des études de scientifiques et plusieurs enquêtes nationales réalisées en 2003, 2005 et 2007 auprès des salariés français. Ben vous savez quoi ? Plus on est stressé, moins on est bien – à moins que ce ne soit le contraire, là encore, je n’ai pas tout compris…

Et si on regardait les choses autrement ? Et si on se disait que les femmes, pour faire carrière, n’ont besoin d’aucune justification, qu’il n’est pas nécessaire que ce soit bon pour leurs enfants ? Et qu’elles n’ont pas non plus à se justifier d’avoir des enfants sous prétexte que c’est bon pour leur carrière ?

Et si on envisageait le stress comme une chose normale, indissociable de l’existence, qu’il ne faut pas à tout prix éviter mais avec laquelle il faut vivre, sans aller jusqu’à dire que c’est indispensable pour la carrière mais avec pour le moins la neutralité bienveillante qui est totalement absente du sus-dit rapport ?

Regardez un peu : on nous dit que 22,6% des salariés estiment que la quantité de travail est « souvent ou toujours excessive ». Ce qui signifie que trois quarts des employés estiment la charge de travail adéquate – ou insuffisante ! Magnifique ! 20,5% des salariés se plaignent de l'absence d'écoute de leur supérieur – mais cela veut dire, bon diou, que 80 % des salariés se entent écoutés par leurs supérieurs ! C’éty pas beau ça ? !

A part le fait que le stress est un magnifique stimulant – bien meilleur pour la santé dans la réalité du quotidien qu’en comprimés - où sont, dans ce rapport, les questions sur la joie au travail, la fierté, la valorisation ? Sur les effets positifs du stress surmonté ?

Bon bref on oublie… juste un autre rapport un peu plus cher que les autres pour dire encore ce qu’on avait vraiment envie d’entendre : mieux vaut être un homme riche, cool et en bonne santé qu’une femme carriériste, prolifique et stressée – si j’ai bien tout compris, donc.

Publié dans les Quotidiennes, le 2 novembre 2009

Je viens de quitter la clinique - quel stress !
Bon, next step !!

mardi 27 octobre 2009

La vie cachée

Jeudi 22 octobre. Il fait nuit, il pleuvine, je me fais renverser par une voiture rouge place de la Concorde à Paris. Un événement digne des Quotidiennes ! Les pompiers parisiens m’emmènent aux urgences de l’Hôtel Dieu. On pousse mon brancard à la suite de ceux qui sont là déjà, depuis combien de temps. Et d’emblée je me demande, si je suis à l’hôpital ou au commissariat de police. Elle est partout, la police, entre les brancards, dans les couloirs, les jambes écartées pour la solidité de la base du pouvoir et les visages fermés. Un vieillard crie, il appelle sa fille. « Ma fille ! Elisabeth ! Elle est où ? » On le rassure : « Elle va revenir… » disent à tour de rôles les soignants qui passent d’une salle à l’autre. Un autre vieillard décharné et blafard garde les yeux fermés et respire péniblement, la bouche grande ouverte. Une toute jeune fille est assise sur son brancard, blottie dans un grand papier doré, comme un cadeau étrange à peine ouvert. Je vois les bras d’une femme cachectique à qui on a mis une perfusion gonfler dangereusement, et j’imagine ses veines trop fragiles pour contenir le liquide avec lequel on essaie de la perfuser. Un soignant passe, me regarde et dit, « Tiens, une personne normale. » Encore que. Il m’amène en radiologie, au sous-sol. Descente. Pour le retour, il doit prendre son élan, courir pour réussir à pousser le brancard à la montée. Je ne suis pas lourde pourtant… Après quelques heures, on me transférera à l’Hôpital Cochin, parce qu’il n’y a pas d’orthopédiste à l’Hôtel Dieu. Et deux jours plus tard, j’arrive finalement aux urgences de la Clinique des Grangettes, où tout est parfait, lumineux, impeccable. Je n’ai même pas l’impression d’être « aux urgences ». Plutôt chez mon médecin traitant.

Et pourtant, la vraie urgence, c’est bien ce que j’ai vu à Paris. L’urgence de l’autre, perdu, l’urgence de cette vie qui souvent se cache, la nuit, dans les hôpitaux publics de Genève, de Paris et d’ailleurs. J’ai travaillé, il y a longtemps, aux urgences. Il faudrait y retourner, régulièrement, pour ne pas oublier, ni même abstraire. Et relire, encore, Les Naufragés de Patrick Declerck, qui a suivi pendant quinze ans la population des clochards de Paris, au Centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre. Il se pose les mêmes questions fondamentales : « Qui sont-ils, ces êtres étranges aux visages ravagés ? Ces exilés qui nous côtoient, qui dérangent notre regard et suscitent nos fantasmes ? » Pour conclure, après un long périple : « Révérons les fous. Ils ont osé plus que nous. Sachons veiller sur ces splendeurs détruites que nous avons l’honneur de soigner. » Fou, plus précieux que normal. Ne le sommes-nous pas tous – ou sur le fil du rasoir ? Il faut être un peu fou aussi, pour savoir travailler aux urgences dans ces conditions. Alors merci.

Publié dans les Quotidiennes, le 27 octobre 2009

lundi 26 octobre 2009

Vous cherchez Barbara ?


Née aux Grangettes il y a quelques années j’y retourne pour quelques jours...
Merci de votre patience, je serai bientôt à nouveau sur mes pattes et mes béquilles
Et mille mercis à Kris, Stanislas, Christine et Mohamed pour avoir organisé mon retour de Paris !



Si vous avez envie de m’entendre en mon absence, vous pouvez aussi le faire sur Radio Cité, grâce à Olivier Delhoume et avec mes amis Ornela Vorpsi et Yann Apperry.

Voir l'émission du 15 octobre 2009.

dimanche 25 octobre 2009

Les merveilleuses cochonneries de Analix Forever


La FIAC, qui a lieu au Grand Palais et à la Cour carrée du Louvre, à Paris, jusqu'au dimanche 25 octobre, a généré quatre foires off. C'est trois de trop. 61 galeries pour Slick, près de 200 pour Art Elysées, 21 pour Show Off, une trentaine pour la nouvelle venue, Cutlog, l'offre est pléthorique, et pas toujours au niveau. Mais pour qui peut faire abstraction de quelques kilomètres de croûtes, il y a d'heureuses surprises. A condition de beaucoup marcher, dans des lieux parfois ingrats : la tente de Show Off bénéficie d'une jolie vue sur la Seine, mais l'enfilade de stands d'Art Elysées est sévère. Cutlog est mieux lotie, dans la superbe rotonde de la Bourse de commerce.

La suite en PDF.


Publié dans Le Monde, le dimanche 25 octobre 2009.