mercredi 30 septembre 2009

Le coût du stress : et les bénéfices ?

Avec la crise, le stress. Le stress au travail, ou le stress sans travail, on ne sait plus très bien lequel est le plus stressant, mais c’est tenu pour acquis : le stress est partout et fait beaucoup de tort, à celui qui en souffre et à la société tout entière. Cela coûte très cher, paraît-il, le stress, en termes de santé publique comme en termes d’économie entrepreneuriale. C’est prouvé, nous dit-on. Comme il est prouvé, n’est-ce pas, que les images de corps parfaits dont la publicité nous abreuve sont psychotoxiques. Juste un petit hic que soulevait à Paris le psychiatre Christophe André lors de la conférence organisée le 22 octobre par LVMH sur Cosmétiques et Emotions : on n’a jamais fait d’études sur les effets psychiques positifs de ce type de publicité. De même, j’ai beau chercher, je ne trouve pas d’études concernant les effets positifs du stress au travail sur les performances des collaborateurs, sur le succès de l’entreprise, ni sur la salutogenèse. Et pourtant.
Le concept de stress a été défini par le Hongrois Hans Selye en 1937. D’emblée, Selye a insisté sur le fait que le stress est indissociable de la vie. Pourquoi ? Parce que le stress, fondamentalement, correspond à une menace : menace sur l’intégrité cellulaire, organique, psychique. La menace est bien la meilleure définition de ce que « ressent » le stressé, qu’il soit un humain ou une cellule. La vie n’existe pas sans stress, sans menace sur la survie, ni sans capacité de répondre au stress, de se défendre, de s’adapter, de résister. Le stress, fondateur des cycles mêmes de la vie : la vie, la menace, l'adaptation, la survie... Adaptation physiologique : le stress induit une activation du système sympathique, une accélération du rythme cardiaque et un accroissement de la force musculaire, tous phénomènes très utiles quand le « stresseur » est un lion par exemple que vous découvrez en ouvrant inocemment la porte de votre caverne, et que tout ce qu’il vous reste à faire est de courir très très vite… Adaptation psychologique aussi : le stress induit ainsi une stimulation de la mémoire et des fonctions cognitives, état « d’alerte » objectivable à l’électroencéphalogramme, très utiles quant à eux quand le stresseur est un examen oral… Que feraient les étudiants, les acteurs, les musiciens, les performeurs, sans ce stress qui augmente leurs capacités cognitives et leur permet de se souvenir très précisément de ce qu’ils sont supposés dire et faire ? L’adaptation au stress, nécessité absolue, s’avère au total extraordinairement riche, créative, constructive, positive : que serait l’homme sans sa formidbale capacité d’adaptation !
Alors bien sûr il y a l'eustress, le bon stress, et le distress, le mauvais stress (la détresse). Un peu, beaucoup, passionnément de stress, c'est bien: les réponses biologiques et physiologiques qu'il engendre sont moteurs d'adaptation et de survie. Trop de stress en revanche peut mener à l'épuisement des ressources : le « burnout ». Mais il serait bon de reconnaître qu’avant le burnout, il est une longue période pendant laquelle le stress est extraordinairement positif dans la mesure où l'organisme qui y est soumis est capable de s'adapter et que les limites entre le eustress et le distress sont largement au-delà de ce que l’on croit généralement. Le stress induit une résistance progressive aux stress subséquents, affecte positivement tant le développement de l'autonomie, dès l'enfance et jusqu’au plus grand âge. Le stress est même garant d'un vieillissement en santé : les Japonais conçoivent que si la durée de vie s'allonge, c'est que le stress environnemental augmente et que ce stress maintient les capacités de l'organisme à se défendre. Mais qu'est-ce qui détermine cette résistance au stress, cette formidable et trop souvent insoupçonnée capacité d'adaptation et de survie ?
Boris Cyrulnik dirait que c’est la «résilience», un mot et un concept venus de la physique, qui désigne l'aptitude des corps à résister à un choc. La résilience définit les processus de réparation, elle souligne l'aspect adaptatif et évolutif de l'être. En sciences sociales, il s'agit de la capacité à vivre et à se développer positivement, en dépit du stress ou grâce à lui. Cette capacité s'élabore dans la rencontre de l'autre et dans l'exercice du stress. Ce «tricot» des défenses entre milieu intérieur et monde extérieur, comme le dit Cyrulnik, est comme un cadeau du ciel, une chance, un équilibre entre l'ombre et la lumière – car « la résilience, c'est plus que résister, c'est aussi apprendre à vivre ». Pour Cyrulnik, la résilience est indissociable de l'oxymoron, cette figure de rhétorique qui associe deux termes antinomiques tels « un merveilleux malheur ». Ainsi le stress : « un merveilleux malheur. » Et Selye de conclure, « I cannot and should not be cured of my stress but merely taught to enjoy it. »
Alors, entreprises stressées, réjouissez-vous and enjoy !

Publié le 30 septembre 2009 dans l'AGEFI.

lundi 21 septembre 2009

Cellules souches: implications pour la peau

Article publié dans la revue "Journal de médecine esthétique et chirurgie dermatologique", septembre 2009.

Cosigné par Anne Pouillot et Barbara Polla, Genève, Suisse.

Document PDF.

Le Spectacle du Quotidien

Ce samedi matin, à Lyon, rue de la République : un piano à queue au milieu de la rue de la République, bienheureusement piétonne. Le pianiste joue la Marche turque

Le Spectacle du Quotidien… C'est le thème de la Biennale de Lyon dont le commissaire cette année est Hou Hanru. Le piano à queue aurait pu faire partie du spectacle de l’art – même s’il ne fait partie, en l’occurrence, « que » de celui du quotidien. Des Quotidiennes ?

Hou Hanru, le Chevalier Missionnaire comme on l’appelle, commissaire d’expositions, écrivain et critique d’art d’origine chinoise, vivant entre Paris et San Francisco, est de ceux qui comprennent l’immigration comme un enrichissement mutuel entre les peuples : esprit d’ouverture « en dehors du modèle culturel occidental dominant ». Cela donne à Lyon des œuvres parfois intrigantes, parfois magnifiques, parfois encore, incompréhensibles au premier regard. Un deuxième regard est dès lors nécessaire – mais ce deuxième regard n’est-il pas toujours indispensable ?

Seule représentante des galeries genevoises à Docks Art Fair, qui se déroule en parallèle à l’ouverture de la Biennale, j’aurais aimé voir tous les Genevois à Lyon ce week-end - mais évidemment, ils étaient à Genève pour les Journées du Design.

Alors peut-être le week-end prochain ? A défaut de la Marche turque, la Biennale sera toujours là (jusqu’en janvier 2010), à la Sucrière d’abord, à la confluence entre le Rhône et la Saône, une friche industrielle en pleine évolution, aussi belle et inspirante que la Jonction à Genève. Et sur de multiples autres lieux, de la Place Bellecour à Villeurbanne. Lyon n’est qu’à deux heures de Genève… Allez voir le Spectacle du Quotidien !

Publié dans les Quotidiennes, le 21 septembre 2009.

Christophe Durand, la preuve par Une

Christophe Durand est une sorte de modèle en ces temps difficiles. Difficiles notamment en raison du chômage qui nous menace tous, mais plus particulièrement, les jeunes… Christophe, le chômage, il n’a jamais connu. Il s’est toujours trouvé du travail: son travail.

Tout a commencé simplement. Il voulait être coiffeur. Un métier qu’il a appris à la dure, en apprentissage, depuis l’âge de 15 ans. De son parcours d’autodidacte, avec ses hauts et ses bas, Christophe Durand tire aujourd’hui quelques messages qui nous parlent de nous, et de Genève.

Le premier message, c’est que quand on croit vraiment à quelque chose, avec le cœur, les tripes, le travail et la volonté, on réussit toujours, avec ou sans diplôme. Quand Christophe arrive à Genève, après avoir travaillé pour trois sous chez les meilleurs - Maniatis notamment, à Paris - il n’a ni argent ni permis de travail. Mais tout de même, en moins de deux ans, il trouvera les fonds nécessaires pour ouvrir son premier salon de coiffure, Parallèle, au passage Longemalle. Les banquiers genevois lui prêtent l’argent dont il a besoin : ce n’était pas une petite somme, mais le dossier était solide et le jeune homme crédible. D’ailleurs, Parallèle existe toujours, en Vieille Ville désormais, et quelques privilégiées qui gardent jalousement le secret ont encore le bonheur de confier leur tête à Christophe, un samedi par mois.

Le second message, c’est que Genève a cette qualité particulière de savoir, parfois, se laisser enthousiasmer par les grandes causes. Christophe Durand a fait flamber les nuits genevoises dans les années 1990, en organisant d’inoubliables soirées pour venir en aide aux enfants de la gare de Calcutta, avec le soutien de personnalités genevoises comme Guy-Olivier Segond, Camille Bonnant ou Kaylash Chandaria et sa fille Trisala. On l’appelait « le sorcier qui réinvente les nuits genevoises ». Mais Genève sait critiquer aussi et Christophe se souvient encore des questions de certains : « Mais Monsieur Durand, n’est-ce pas malsain de faire des soirées de ce type, alors même que des enfants meurent de faim en Inde ? » Il répondait avec sagesse, « vous savez, ce qu’il faut pour qu’une chose fonctionne, c’est que tout le monde soit satisfait, les gens qui paient pour faire la fête (8000 personnes à l’Arena pour un défilé de mode !), les bénévoles qui adhèrent à l’objectif, et les enfants au bout de la chaîne pour lesquels chaque année nous pouvons construire une maison ou une école. »

Le troisième message, c’est que « Genève, c’est comme une famille. C’est ici que j’ai appris le respect, dit Christophe Durand. Mais il faut la quitter si l’on désire la reconnaissance. »

Alors Christophe est parti pour Paris, et revient désormais le week-end, admirer Genève depuis les hauts du Salève. A Paris, il est devenu chasseur de tendance : il définit l’air du temps et les couleurs du futur. Smoky Flowers, c’est lui ; Une, la dernière ligne de maquillage de Bourjois, la première ligne de maquillage naturel, dont tout le monde parle aujourd’hui à Paris, c’est lui aussi. ICÔN, le magazine adoré des photographes, c’est lui encore… Son dernier surnom en date ? « Un électron libre nommé talent ». Sans oublier que « le talent, c’est de travailler tous les jours » (Beethoven). La preuve par Une.

Publié dans l'Extension,

Ali Kazma à Analix Forever

Ali Kazma expose actuellement à Analix-Forever.

Le communiqué en PDF.

jeudi 17 septembre 2009

J’ai la grippe !

Evidemment, j’ai attrapé la grippe. J’attrape toutes les grippes. J’ai de l’asthme alors mes bronches sont un terrain de jeu parfait pour tous les virus possibles et imaginables… H1N1 peut-être (je préfère l’appeler H1N1 que porcin tout de même, cela ne me plaît pas trop, cette idée d’un virus de porc dans mes voies respiratoires…) ? Vais-je aller voir mon médecin ou un service d’urgence pour faire une prise de sang ? Combien ça coûte, et combien de temps ça prend ? Vais-je annuler toutes mes réunions et rester au lit ? Ah non, pas aujourd’hui, j’ai un rendez-vous décisif pour mon entreprise… Vais-je mettre un masque pour me donner l’air important ? Cela me mettrait dans une position de faiblesse pour ma négociation… Alors, que faire ? Peut-être je pourrais juste faire comme pour toutes les innombrables grippes que j’ai eues jusqu’à présent : ce que l’on m’a appris comme gamine en somme : ne pas embrasser pendant deux jours, mettre la main devant la bouche quand je tousse, me laver les mains…

Non mais attendez, quand même, il paraît qu’elle tue cette grippe là ! Faisons vite quelques recherches de plus.

Aucun mort à l’horizon qui réponde à mon profil. Je ne vis pas dans un pays pauvre, je ne suis pas particulièrement défavorisée, à part mon asthme je ne suis pas « à risque ». Je ne devrais donc pas mourir… En plus, il y a du Tamiflu dans l’armoire de la salle de bains, des kilos de masques gratuits (gratuits à la distribution mais pas à l’achat donc) dans mon entreprise et bientôt le fameux vaccin… Sanofi ou Novartis ?

En fait, tout ça, c’est une histoire de psychologie d’une part et de spéculation de l’autre.

La psychologie d’abord. Alors que la crise économique fait rage mais que nous voudrions tous qu’elle prenne le large, rien de mieux que de déplacer l’angoisse de la crise financière vers la crise grippale. Nombreux avantages : premièrement, le virus est un ennemi non humain. C’est une fatalité, personne n’est responsable. On arrête enfin de critiquer le voisin, le banquier, l’état, le libéralisme, les Etats-Unis. Même le Conseiller fédéral Merz est innocenté. Le porc devient l’ennemi de choix. Et puis, on peut allégrement imputer au virus ou au risque qu’il représente toutes les failles du système de production et de consommation et toutes les faillites entrepreneuriales. La peur fait tache d’encre. Psychologie ou psychose collective ?

La spéculation ensuite. En fait, cette grippe est une manne pour l’industrie pharmaceutique, les savons désinfectants, les producteurs de masques, la presse tous azimuts. Et pour le système de santé en général : rien de mieux que d’annoncer avec tambours et trompettes les risques de pandémie, les risques vitaux, les risques globaux, pour montrer in fine que le risque a été surmonté. Magnifique victoire ! Sauf que le risque, en fait, était minime. Qu’à cela ne tienne : il suffit d’anticiper, de magnifier, d’amplifier, d’agiter les épouvantails de la peur : quel succès alors quand rien de grave ne se produit en fait. Merveilleux système de la santé, qui a su prévenir à temps que qui que ce soit ne meure encore en Suisse… ou merveilleux système de santé, qui sait sortir de la crise en transformant une grippe en menace universelle.

Système de santé ou santé du système ? Pour Sanofi, la santé du système de fait pas de doute. Wayne Pisano, Président-directeur Général de Sanofi Pasteur vient de déclarer que Sanofi Pasteur et l'Institut Butantan se sont liés par un contrat garantissent d'apporter une réponse spécifique aux besoins de santé publique dans le contexte de pandémie de grippe au Brésil, ceci grâce au « partenariat riche en succès » de longue date qui les lie. Le même groupe vient de recevoir du gouvernement américain une première commande de vaccins contre le nouveau virus H1N1 - une commande dont le montant s'élève à 135,7 millions d'euros. Pour Novartis en revanche, on nous dit plus prudemment qu’il faudra attendre fin 2009 ou début 2010 pour évaluer l’importance des effets (sans aucun doute positifs) de la grippe A (H1N1) sur les comptes, et ceci quand bien même Novartis aurait d’ores et déjà signé cet été deux contrats avec le gouvernement américain, pour un montant de 979 millions de dollars.

L’effet de la grippe dans les comptes de l’industrie pharmaceutique ? Si c’est bien là le souci principal, on peut prévoir que tout ira bien. L’affaire est entendue. Un peu d’aspirine, et hop je vais travailler. Mon entreprise elle aussi, doit sortir de la crise.

Paru le 17 septembre 2009 dans l'AGEFI

UNE!

Une rubrique légère ? Aussi légère qu’un électron libre. En l’occurrence, un électron libre nommé talent – ou encore, Christophe Durand. Vous savez, le Christophe Durand dont Genève fut l’un des berceaux du succès, lui qui faisait flamber les nuits genevoises des années 1990, les transformant en des soirées inoubliables grâce aux bénéfices desquelles il réussit à venir en aide à des générations d’enfants de la gare de Calcutta. Celui qu’on appelait «le sorcier qui réinvente les nuits genevoises»…

Aujourd’hui, il est devenu l’un des chasseurs de tendance les plus en vue de Paris. Il définit l’air du temps et les couleurs du futur, tel un veilleur des lendemains. Des couleurs de sable et d’olivier, d’oranges et de bougainvilliers. Et présente cette semaine à Paris Une. Une ? Une quoi ? Une : déterminée, indépendante, intuitive, libre, naturelle, nomade, spontanée, unique. Vous donc. Et moi aussi ! Il aime la beauté et la nature : il vient de créer une gamme de maquillage naturel. Une donc ? Un maquillage qui n’en est pas un – mais une.

Et le week-end, ne le dites à personne, il nous regarde toutes depuis les hauts du Salève… Demain je mets mon T-shirt Une. Après demain ? Je ne sais pas. Je vous écris une autre histoire. Deux ?

Publié dans les Quotidiennes, le 17 septembre 2009

mardi 15 septembre 2009

Artists of change

The influx of artists and art galleries into once-shabby neighbourhoods is making a difference ...adding an aesthetic veneer and igniting change.



La suite en PDF.

Swissnews,
Revue mensuelle, numéro de septembre 2009, page 19 à 22

lundi 14 septembre 2009

Radio-Cité Genève

Barbara Polla, invitée de l'émission Rezonance de Geneviève Morand, le 14 septembre 2009.

> Re-écouter l'émission

mercredi 9 septembre 2009

lundi 7 septembre 2009

Dazed and Confused

Dior Homme-
Director
Kris Van Assche
Stages a Poetic Strike.



Publié dans "Dazed", Septembre 2009

SNUFF

Snuff : vulgairement, crever. Les snuff movies, des films qui montrent l’horreur, pour le plaisir de celui qui regarde et le gain de celui qui produit. La mort, essentielle, doit être présentée comme étant réelle, et visible dans son déroulement. Donc, filmée. On doit voir le mourant sur le point de mourir, en train de mourir, et non la mort ayant déjà réalisé son œuvre. Le mouvement et la durée font spectacle. « Mythe ou réalité, les snuff movies renouent avec une pratique abandonnée depuis quelques siècles : l’immolation ou le massacre organisés à des fins de spectacle. Qui dit spectacle dit plaisir » (Gérard Lenne, La mort à voir, Editions du Cerf, 1977). Des snuff, on ne sait aujourd’hui encore s’ils sont mythes ou réalité. Dans le premier cas, ils sont inlaw. Dans le segond, outlaw.
Parmi d’autres, la journaliste française Sarah Finger a enquêté pendant deux ans sur le phénomène des snuff, sans oublier ni InterPol ni le FBI. Dans La Mort en direct. Snuff moovies (Cherche Midi, 2001), Finger explique pourquoi elle met en doute l'existence même de ces films qu’elle étiquette comme légendes urbaines et rumeurs virtuelles : l’absence d’évidence criminelle. Mais ni Finger ni personne ne nous interdit de croire en la réalité du snuff… alors, le plaisir de voir mourir, inlaw ou outlaw ?
Inlaw dans la mise en scène explicite : les jeux du Grand Guignol, les films d’horreur et leurs festivals, les films qui reprennent le phénomène snuff mais sont de vrais films. Le documentaire, toujours « moral », générant si peu de plaisir que la question ne semble même pas se poser. Inlaw encore. Le snuff qui serait « vrai » : évidemment outlaw. Mais le snuff tel qu’il est « réellement » bénéficie du doute, de cette « incertitude fondatrice », selon les termes explicites de Paul Ardenne (Extrême, Esthétiques de la limite dépassée, Flammarion 2006), cette incertitude qui laisse le spectateur jouir de la contemplation de la souffrance et de la mort. Un plaisir qui ne serait pas le même si le soupçon de réalité n’existait pas. Le frisson domestiqué ne satisfait pas le voyeurisme.
Le snuff donc ? Ni tout à fait inlaw ni tout à fait outlaw. L’horreur délicieuse, entre fantasme, fiction et réalité. Comme le sont si souvent les images et les mots, à la limite entre réalité et fiction - une limite floutée -, racontant la réalité, l’inventant, donnant forme à la fiction, tirant la fiction vers la réalité et vice versa.
Le snuff, encore, associé à des figures ambiguës du Bien, le « bien » chrétien par excellence ? L’artiste britannique Mat Collishaw n’hésite pas à faire le lien, lui qui, pendant sa petite enfance, se vit exposé – ses yeux, sa rétine, son cerveau : exposés – à cette unique image : le Christ crucifié. Les représentations du « bien » ne deviendraient-elles donc séduisantes que quand elles sont associées à la souffrance, au masochisme du sujet, au sadisme du regard ? Mat Collishaw en tous cas ne se lasse pas d’explorer l’appétit compulsif des humains pour la corruption et « the Master of Illusion », comme on le surnomme, n’aurait su ignorer les snuff. En s’inspirant d’images de groupes s’activant à dégrader le corps d’une victime qui lutte pour sa survie, Collishaw découpe, recolle, inscrit un crucifix, le décore de fleurs, découpe encore, arrange les corps, luttant, comme la victime du snuff, pour sa propre survie - sa survie d’artiste en l’occurrence, qui dépend, elle, du plaisir qu’il saura, ou non, apporter à nos yeux. Quand la forme prend le pas sur la dégradation. Mat Collishaw se positionne dans la joie nietzschéenne de la reconnaissance du monde dans sa réalité la plus crue et l’affirmation de la vie dans sa pleine richesse, sans rien en exclure, fût-ce la mort et son obscène contemplation. Mat Collishaw : Inlaw. Avec la beauté en partage.
Quant à moi, je n’ai jamais regardé un snuff. Et l’ignorance alors : inlaw ou outlaw ?

La suite de l'article en PDF.


Publié dans le magasine "Drome", septembre 2009.

Bienne en pleine utopie (2), ou voir le monde à l’envers

Utopics, l’exposition de Simon Lamunière, a ouvert ce 30 août à Bienne. Elle nous convie à une chasse au trésor, entre le u-topos, le lieu qui n’existe pas, et le eu-topos, le lieu où il fait bon vivre – peut-être que l’un ne va pas sans l’autre ? C’est en tous cas dans ces entre-deux mondes que Lamunière s’est infiltré pour composer Utopics.

Une fois à Bienne, commencez donc par aller chez l’opticien ! Vous y trouverez des lunettes très particulières signées Carsten Höller. L’homme a développé une double carrière scientifique et artistique et ses pièces faites de science fiction décalée s’en ressentent pour la plupart. Höller applique en effet des procédures d’expérimentation scientifique à des réalisations artistiques et tente parfois avec succès de réconcilier la vie humaine avec celle biologique dont elle dépend si intimement. Il pose sur le monde son regard d’entomologiste (oui oui il a étudié l’entomologie, la science des insectes) et analyse volontiers notre cerveau d’humain comme celui d’un insecte dont il disséquerait les fonctionnements avec la plus grande habileté.

Une fois chez l’opticien, pour vous assurer plein succès dans votre chasse au trésor artistique, essayez donc les Upside-Down Glasses de Höller, qui produisent une vision rétinienne non inversée et inversent donc logiquement la vision de celui qui les porte. Vous pourrez ensuite aller vous promener dans la ville avec ces lunettes qui génèrent la plus grande désorientation et qui ressemblent d’ailleurs plus à un casque d’enregistrement électroencéphalographique qu’à des instruments de courte-vue…. Il paraît qu’après une semaine, on s’habitue !

Mais avant de vous habituer, en sortant de chez l’opticien, allez directement au Palais des Congrès. Sur le longue paroi extérieure du Palais, l’étrange escalier de Lang/Baumann, sorti de nulle part, conduit à l’étage au-dessus, toutes portes closes. Conceptuel et esthétique, désorientant lui aussi, mais léger à l’envers autant qu’à l’endroit.

Voir le monde à l’envers ? Utopics nous y conduit, pour le plus grand bien de notre cerveau. Régénération garantie !

A Bienne, jusqu’au 25 octobre.

Publié dans les Quotidiennes, le 7 septembre 2009

mardi 1 septembre 2009

SNUFF

Snuff : vulgairement, crever. Les snuff movies, des films qui montrent l’horreur, pour le plaisir de celui qui regarde et le gain de celui qui produit. La mort, essentielle, doit être présentée comme étant réelle, et visible dans son déroulement. Donc, filmée. On doit voir le mourant sur le point de mourir, en train de mourir, et non la mort ayant déjà réalisé son œuvre. Le mouvement et la durée font spectacle. « Mythe ou réalité, les snuff movies renouent avec une pratique abandonnée depuis quelques siècles : l’immolation ou le massacre organisés à des fins de spectacle. Qui dit spectacle dit plaisir » (Gérard Lenne, La mort à voir, Editions du Cerf, 1977). Des snuff, on ne sait aujourd’hui encore s’ils sont mythes ou réalité. Dans le premier cas, ils sont inlaw. Dans le segond, outlaw.

Parmi d’autres, la journaliste française Sarah Finger a enquêté pendant deux ans sur le phénomène des snuff, sans oublier ni InterPol ni le FBI. Dans La Mort en direct. Snuff moovies (Cherche Midi, 2001), Finger explique pourquoi elle met en doute l'existence même de ces films qu’elle étiquette comme légendes urbaines et rumeurs virtuelles : l’absence d’évidence criminelle. Mais ni Finger ni personne ne nous interdit de croire en la réalité du snuff… alors, le plaisir de voir mourir, inlaw ou outlaw ?

Inlaw dans la mise en scène explicite : les jeux du Grand Guignol, les films d’horreur et leurs festivals, les films qui reprennent le phénomène snuff mais sont de vrais films. Le documentaire, toujours « moral », générant si peu de plaisir que la question ne semble même pas se poser. Inlaw encore. Le snuff qui serait « vrai » : évidemment outlaw. Mais le snuff tel qu’il est « réellement » bénéficie du doute, de cette « incertitude fondatrice », selon les termes explicites de Paul Ardenne (Extrême, Esthétiques de la limite dépassée, Flammarion 2006), cette incertitude qui laisse le spectateur jouir de la contemplation de la souffrance et de la mort. Un plaisir qui ne serait pas le même si le soupçon de réalité n’existait pas. Le frisson domestiqué ne satisfait pas le voyeurisme.

Le snuff donc ? Ni tout à fait inlaw ni tout à fait outlaw. L’horreur délicieuse, entre fantasme, fiction et réalité. Comme le sont si souvent les images et les mots, à la limite entre réalité et fiction - une limite floutée -, racontant la réalité, l’inventant, donnant forme à la fiction, tirant la fiction vers la réalité et vice versa.

Le snuff, encore, associé à des figures ambiguës du Bien, le « bien » chrétien par excellence ? L’artiste britannique Mat Collishaw n’hésite pas à faire le lien, lui qui, pendant sa petite enfance, se vit exposé – ses yeux, sa rétine, son cerveau : exposés – à cette unique image : le Christ crucifié. Les représentations du « bien » ne deviendraient-elles donc séduisantes que quand elles sont associées à la souffrance, au masochisme du sujet, au sadisme du regard ? Mat Collishaw en tous cas ne se lasse pas d’explorer l’appétit compulsif des humains pour la corruption et « the Master of Illusion », comme on le surnomme, n’aurait su ignorer les snuff. En s’inspirant d’images de groupes s’activant à dégrader le corps d’une victime qui lutte pour sa survie, Collishaw découpe, recolle, inscrit un crucifix, le décore de fleurs, découpe encore, arrange les corps, luttant, comme la victime du snuff, pour sa propre survie - sa survie d’artiste en l’occurrence, qui dépend, elle, du plaisir qu’il saura, ou non, apporter à nos yeux. Quand la forme prend le pas sur la dégradation. Mat Collishaw se positionne dans la joie nietzschéenne de la reconnaissance du monde dans sa réalité la plus crue et l’affirmation de la vie dans sa pleine richesse, sans rien en exclure, fût-ce la mort et son obscène contemplation. Mat Collishaw : Inlaw. Avec la beauté en partage.

Quant à moi, je n’ai jamais regardé un snuff. Et l’ignorance alors : inlaw ou outlaw ?

Tribune libre 6

L’Europe est de retour en Suisse !

La Suisse s’est faite par une volonté d’union. Parce que l’union fait la force, et que cette union-là offrait plus de moyens de se protéger de « l’étranger du dehors », et donc plus de sécurité. La richesse comme la pauvreté de la Suisse prennent toutes deux racines dans cette même réalité : l’union contre l’agresseur potentiel. La richesse ? Nous serons tous d’accord pour constater que la prospérité suisse est un modèle rarement égalé. Mais alors, de quelle pauvreté parlons-nous ici ?

De la pauvreté de la pensée politique. S’unir « contre », ce n’est pas encore une pensée politique. A force de s’unir « contre », la Suisse se dessèche, s’isole, et s’appauvrit non seulement par la pensée, mais aussi par la matière. Il est temps de nous unir enfin, avec l’Europe, pour nos valeurs démocratiques, d’indépendance, de travail, de coopération. Il est temps de conjuguer la prospérité financière à celle de la pensée, pour la durabilité de l’une et de l’autre. Car à force de pragmatisme – la soi-disant stricte défense des intérêts suisses – nous finissons par perdre sur tous les tableaux. Comme le dit Michel Halpérin, Président du Parti libéral genevois, à propos des suites qui seront données à l’accord entre les Etats-Unis et l’UBS, notre pays qui a déjà perdu une guerre économique pourrait bien y laisser son honneur aussi. A force de soi-disant pragmatisme, même le pragmatisme finit par souffrir… et l’homme ne vit pas seulement de pragmatisme. Il vit de culture aussi, et avant tout. L’ignorance voire le déni de cette réalité par la majorité des politiciens suisses et une grande partie de sa population est finalement le seul vrai reproche que l’on puisse faire à notre cher pays. Mais il est de taille…

La Suisse, au cœur de l’Europe, baigne dans une culture européenne qu’elle ne veut pas s’approprier formellement. Et pourtant, concrètement, nos 26 cantons ressemblent fort aux 27 pays de l’Union ; le commerce de la Suisse est européen ; la paix suisse existe aujourd’hui grâce à la paix européenne, peut-être le plus remarquable résultat de l’Union européenne ; nos universités et notre recherche fonctionnent sur un mode européen et en collaboration avec l’Union ; il ne manque qu’un peu de vista - malheureusement troublée par un matérialisme qui se croit protectionniste – et une vraie pensée européenne. Mais c’est un peu comme si de penser était une maladie honteuse quoique non contagieuse… contre laquelle la Suisse se voit si démunie qu’elle n’a guère d’autre solution que l’exportation ou l’étouffement.
Mais heureusement, tout n’est pas perdu ! Le Club Helvétique a publié pour le 1er août dernier un nouveau manifeste pour l’adhésion à l’Union européenne. Certes il ne prononce le mot « culture » qu’en l’associant à la diversité, comme si en Suisse seule sa diversité permettait de donner droit de cité à la culture. D’autres n’hésitent pas à la citer constamment dans le contexte européen : Jean-Claude Trichet, par exemple, Président de la Banque Centrale européenne, parle quant à lui constamment culture et cite volontiers, entre autres, Edmund Husserl, spécialiste de logique et de l’Europe…, qui disait déjà, il y a presqu’un siècle, que notre continent ne saurait être une simple juxtaposition de nations différentes liées seulement par le commerce ou sur les champs de bataille, mais avant tout un nouvel esprit, un esprit de libre critique issu de la philosophie et des sciences… Mais le but de Trichet ne lui échappe pas et à nous non plus : s’il aime la poésie et la compare à un monument indestructible qui fonde l’Europe, c’est pour, in fine, la comparer à la monnaie et soutenir l’euro. La discrétion suisse sur le thème « culture » a donc aussi du bon…

Mais revenons au Club Helvétique et à son argumentaire : « Plus les relations avec l’UE se resserrent, plus les Suisses prennent leurs distances. L’inimitié envers un ami crispe notre pays. Une Union forte est bonne pour la Suisse. Une Suisse qui s’implique renforce l’Union. L’Union européenne assure la stabilité de notre continent. De toute son histoire, la Suisse n’a jamais eu de si bon voisinage : l’UE fait route en direction d’une Confédération européenne assumant la diversité de ses cultures. »

L’Union européenne est d’abord une idée. Une idée que nous nous faisons de nous-mêmes, de nos pays, de nos cultures, et de notre continent. Il en va des idées comme les unions : les plus belles se réalisent « pour » et non pas « contre ». « Nous, Suissesses et Suisses, Européennes et Européens, voulons apporter notre contribution à la construction de l’Union européenne. Notre nation de la volonté a sa place dans la grande Union créée par la volonté des Européens » nous dit encore le manifeste du Club helvétique.
Alors, en avant l’utopie helvético-européenne, encore une fois !


Libres livres
1989 (collectif, Eds. du Regard, 1995) ; 20 ans après la chute du Mur, l'Europe recomposée (Pierre Verluise, Ed. Choiseul 2009) ; et tant d’autres…

Nous fêterons cet automne l’anniversaire de la chute du Mur. 1989, une année clé pour l’Europe et pour nous tous, un symbole de la fin possible des divisions des peuples : le Mur, qui séparait l’Est de l’Ouest, est mis à bas dans la joie et dans l’exaltation. 1989, l’orée d’un nouveau monde ? Peut-être pas – mais d’une nouvelle Europe, certainement. Qui se crée dans une dialectique différentielle serrée, aussi bien géopolitique que culturelle.
1989, le livre : les auteurs du collectif se penchent sur ce moment de l’histoire humaine, à travers leur prisme tout à fait spécifique, celui de la culture et de sa diversité : des idées à la musique, de l’architecture à la poésie, des arts plastiques au cinéma. Une diversité qui apparaît plus que jamais fondamentale. « La culture, au vrai : cette manière particulière d’habiter le monde en fonction des représentations que l’on en forme, instamment portées à se tordre, à diverger… - une géopolitique de l’esprit, en somme. »
Et si pour cet anniversaire la Suisse abattait elle aussi son mur, entre elle-même et l’Europe – entre elle-même et elle-même, pourrait-on dire - ? Et si prise par le vertige de la diversité culturelle et de l’ouverture qu’elle suppose, elle s’inventait non seulement une nouvelle géopolitique de l’esprit, mais aussi une réalité partagée ? Ou faudra-t-il attendre, 2089 ?
L’un des effets symboliques passionnants de la chute du Mur : les modifications du rapport à l’ennemi. Pascal Bruckner écrit à ce moment-là, dans Vivre sans ennemi (Lettre internationale N° 23) « Longtemps, nous avons décliné le monde par deux, les maîtres contre les esclaves, les serfs contre les seigneurs, le socialisme contre le capitalisme. Or, nous risquons d’être bientôt orphelins de cette antithèse dont nous verrons qu’elle rendait beaucoup de services. » La Suisse pourrait, elle aussi, s’essayer à vivre sans ennemi – plutôt que de s’en créer constamment...
A lire aussi 20 ans après la chute du Mur, l'Europe recomposée, qui nous offre des pistes pour comprendre les enjeux et les perspectives de l'Europe du XXIe siècle et imaginer librement quelle pourrait être la place de la Suisse dans cette Europe de demain. L’Europe, mode d’emploi

Publié dans l'Extension, septembre 2009