jeudi 30 décembre 2010

2011, année de grâce

Pour en être sûre et certaine, que cette année va bien être une année de grâce, je vais faire quoi, le 1er janvier ?

Je vais regarder Danielle Darrieux dans son dernier téléfilm, “C’est toi, c’est tout”.

Et pourquoi donc ?

Mais parce qu’elle a 93 ans et que quand on lui demande si c’est son dernier film elle hésite. Et répond que si Almodovar l’appelle, elle n’hésite plus ! Parce qu’elle aime être avec des personnes d’autres générations – comme moi. Parce qu’elle incarne une vieille dame “pétillante, chaleureuse, indigne juste ce qu’il faut et légèrement amorale”. Parce qu’elle me fait penser à ma propre mère, qui du haut de ses seulement 88 ans, me dit : “Je suis heureuse, il y a tellement d’avantages à vieillir”.

Parce que j’aime ces vieilles dames dont je ferai un jour très lointain partie, qui font tourner le monde à l’envers, à l’envers de la bien-pensance qui veut que vieillir, c’est triste et moche – et que je me réjouis de faire pareil. A 95 ans, j’écrirai une pièce de théâtre pour une petite jeunette de 85 ans. Et j’exposerai une “jeune artiste” (car avez-vous déjà entendu un galeriste vous présenter un travail en disant : oui c’est un vieil artiste...) - une jeune artiste donc, de 79 ans. Et quand j’aurai 120 ans, je serai ravie de sortir dîner avec une Danielle Darrieux du genre, 93 ans, elle me semblera encore plus jeune qu’aujourd’hui : 27 ans de moins que moi !

Alors oui, 2011 sera une année de grâce. Grâce à (jeu de mot, oui, oui) toutes ces vielles dames du monde qui tournent des (télé)films, peignent, écrivent, qui soignent, éduquent, consolent, qui aiment, font des confitures et s’amusent comme des gamines et comme Danielle Darrieux, “jouent tout le temps comme dans la vie”. “La seule chose qui m'emmerde, dit encore Danielle Darrieux, c'est de devoir mourir.” On a juste oublié de la faire jouer dans le film “
Le plus important de la vie c’est de ne pas être mort”.

Nous en tous cas, n’oublions jamais de jouer, ça conserve (Michèle Morgan a 90 ans et Micheline Presle 88) et que 2011 nous protège du sérieux ! Car tant qu’on est vivant... Again, again ! Et que vivent les Quotidiennes !

Publié le 30 décembre 2010, dans les Quotidiennes

mardi 28 décembre 2010

Et si la paix passait aussi par la régulation ?

Le Président Nicolas Sarkozy tout comme les Etats-Unis somment Laurent Gbagbo de se retirer de sa présidence usurpée en Côte d’Ivoire et le secrétaire général de l’ONU rejette la demande du même Gbagbo de retirer les forces internationales de son pays. L’idée est évidemment de préserver la démocratie – le vote majoritaire – mais aussi de prévenir la violence. Deux objectifs hautement louables et partagés, surtout en cette période qui se voudrait pacifique envers et contre tout.

Mais les moyens sont-ils les meilleurs ? Peut-être convient-il d’abord de se poser à nouveau la question des déterminants de la violence. Le premier toujours, la question du pouvoir, intimement liée à celle de l’argent. Ce que nous apprenons aujourd’hui du rapport de Dick Marty de ce qui s’est passé au Kosovo souligne une fois de plus, les possibilités illimitées du pouvoir, lié à l’argent, de révéler et se faire exprimer la capacité infinie de l’homme de perpétrer le pire sur d’autres hommes. La volonté de pouvoir, la jouissance du pouvoir, qu’elles soient légitimées ou non par le vote majoritaire, sont elles aussi sans limites. L’humanité est encore loin d’avoir trouvé les moyens de contenir ces puissances sombres, même si l’Europe y travaille activement et avec une efficacité certaine sur ses propres territoires, mais une efficacité qui n’est qu’en devenir hors de ses limites territoriales.

Soit dit en passant, alors que l’on entend tant de critiques – autocritiques surtout d’ailleurs – de l’Europe – « un continent vieilli, à l’agonie, sans démographie, sans avenir, sans projet, sans développement, ruiné, avec une monnaie en déréliction » – j’affirme personnellement que l’Europe est aussi l’avenir du monde, d’un monde équitable, d’un monde aussi « social » (« social » compris comme favorisant l’équité sociale) que possible, grâce à ses modèles, ses intellectuels, ses recherches, ses débats, sa recherche sans fin d’équilibres. Elle est et sera encore l’avenir du monde si tant est qu’au lieu de se flageller dans sa position « pensive », elle affirme avec force cette position comme l’une des voies – oui, d’avenir.

Au-delà de la propension à la violence - qui aime prendre pour prétexte, toujours, les différences ethniques, claniques, sociales, religieuses, politiques, comme cible de rassemblement – il y a les armes. Les armes qui permettent de perpétrer la violence. Certes, les hommes se sont depuis toujours construit des armes. Ils continuent. Mais aujourd’hui, le pouvoir et l’argent se conjuguent dangereusement à l’intérieur du marché des armes. Si la Côte d’Ivoire n’était pas si bien approvisionnée en armes diverses, le risque de violences serait bien évidemment réduit. Certes, les machettes peuvent faire des ravages, mais qui sont sans commune mesure avec les armes que les hommes de Côte d’Ivoire ont aujourd’hui à disposition. Alors réfléchissons un peu, et calculons. Si le marché des armes était mieux contrôlé et mieux réglé, le risque actuel de violences en Côte d’Ivoire serait réduit d’autant. Calculons : combien va coûter ce qui risque de se passer ? Pourquoi les bénéfices du marché des armes n’est-il jamais mis en regard avec les coûts encore bien plus énormes et durables qu’il engendre, au niveau mondial, dans un marché mondialisé ?

Trois commentaires encore. Tout d’abord, une libérale qui s’oppose au marché libre des armes et propose la régulation, une nouvelle hérésie ? Non en fait quand on réfléchit à l’individu d’abord. Le libéralisme, c’est bien d’abord le respect de l’individu, de sa liberté et de sa vie. Le libéralisme, c’est aussi la prévention de la dégradation, la protection contre la déréliction. Dans l’équilibre entre la protection du marché et celle des droits humains, la première ne prime que si elle sert la seconde.

Deuxièmement, le risque de violence en Côte d’Ivoire ne doit pas nous occulter les risques plus globaux. L’expiration, en décembre 2009, de l’ancien traité Start (traité de contrôle des armements nucléaires entre la Russie et les USA), et par conséquence, l’absence de mécanismes de vérification mutuelle de leurs arsenaux nucléaires respectifs est très préoccupant. L’urgence de signer un nouveau traité est immense !

Et finalement, parmi les questions qui restent à investiguer, celle très provocatrice de la question de l’esthétique du pouvoir et des armes ne devrait pas être ignorée plus longtemps. La guerre est épouvantable. Oui. Mais si elle perdure malgré ses horreurs, c’est qu’elle exerce sur l’humain un attrait qui déborde certainement les prétextes politiques qui la déclenchent en général. Encore un sujet d’analyse, vierge encore, pour l’Europe.

Nous espérons tous que le retrait de Laurent Gbagbo soit imminent, sans trop y croire encore. La menace de sanctions, les sanctions elles-mêmes, exerceront-elles les effets escomptés ? A l’avenir, les meilleures sanctions – ou mieux, actions - que l’Union européenne devra mettre en œuvre pour soutenir la démocratie et prévenir les violences, les plus efficaces aussi, seront certainement préventives et probablement régulatrices. Que l’Europe se donne donc pour mission supplémentaire de convaincre le marché des armes de cette nécessité : ne pas armer sans contrôle, sans réflexion, sans calculs prospectifs des coûts, les pays à risque.

vendredi 24 décembre 2010

Vendredi : c’est Noël : la liberté en cadeau !

Le cadeau le plus beau, c’est la liberté. Chaque jour, je me sens reconnaissante de vivre dans un pays libre, où les femmes sont libres. Même les mercis essaimés aux quatre vents des Quotidiennes ne sauraient assez dire cette reconnaissance-là. La liberté, c’est Noël tous les jours de l’année.

Alors je rêve, qu’un soir de Noël, un nouveau Basaglia nous arrive, en guise de Père Noël, et que comme Franco Basaglia, qui a ouvert les portes des asiles psychiatriques en Italie, il ouvre les portes des prisons. Oui je sais, ce n’est pas dans l’air du temps, mais je continue de prétendre que dans ce domaine comme dans d’autres, la position utopique est indispensable. “Eutopique” en l’occurrence.

Personne n’aurait prédit que Basaglia réussirait. Et pourtant, il a réussi et plus personne aujourd’hui ne met son action en cause. On l’a tout simplement oublié. L’oubli est peut-être la meilleure consécration des justes révolutions. Peu nombreux sont ceux qui se souviennent que la peine de mort en France a été abolie il y a seulement 30 ans, en 1981, par un autre Père Noël du nom de Badinter.

Alors, à l’instar de Francesco Della Casa, rédacteur en chef de la revue Tracés, et de beaucoup d’autres, j’affirme que des alternatives à l’enfermement strict existent, que l’espace-temps carcéral, ce temps gelé hors du temps, à même de précipiter chez les prisonniers le désir de suicide, n’est pas une solution, et qu’il est temps, non plus seulement de réfléchir, mais de mettre en place ces alternatives qui d’une part existent et d’autre part ont fait leur preuves, en Angleterre par exemple – ou en Corse : je cite ici Della Casa : “Dans l’ancien pénitencier de Casabianda, en Corse, murs et barreaux ont été supprimés. Les détenus travaillent et font du sport dans un domaine de 1500 hectares, puis rentrent le soir dans une chambre dont ils détiennent la clé. Depuis 1949, aucun d’entre eux n’a tenté de mettre fin à ses jours, ni de se faire la belle. Une fois la peine accomplie, le taux de récidive y est inférieur à 1%.”

Dans le cadre du prochain Colloque international d’architecture émotionnelle qui aura lieu à Genève en janvier 2011, Leopold Banchini, qui a consacré beaucoup de temps à l’étude de l’architecture carcérale se situera clairement dans la lignée du philosophe Alain Brossat : «Dans une perspective historique, la question n’est pas de savoir que faire de la prison, comment améliorer les prisons, voire comment aligner l’ordre pénitentiaire sur les normes générales de l’État de droit – mais bien de se demander comment s’en débarrasser, et au plus vite... » – le même Leopold Banchini qui s’est vu par ailleurs attribuer, avec ses collègues, dans le cadre de son travail au sein du Laboratoire de la production d’architecture (lapa) de l’EPFL dirigé par le Professeur Harry Gugger, le prestigieux Lion d'Or de la Biennale de Venise Architecture 2011, pour la conception de l'exposition nationale du Royaume de Bahreïn, la plus convaincante, selon les experts, du thème même de la Biennale : “People meet in architecture”.

Le plus beau cadeau de Noël, une fois encore : la liberté et la fin de tous les emprisonnements qui ne sont pas indispensables. Nous pourrions commencer, modestement, par l’abolition immédiate de cette absurdité que représente la détention administrative. Un petit pas, eutopique, vers l’utopie bienfaisante.

Joyeux Noël !


Publié le 24 décembre 2010, dans les Quotidiennes

jeudi 23 décembre 2010

Jeudi : Bientôt Noël : un dîner en cadeau (un de plus ? mais non, un dîner jamais vu... )

Non non, ce n’est pas du tout ce que vous croyez : il ne s’agit pas de vous inviter à dîner... Ce ne serait un plaisir que pour moi car je suis une bien piètre cuisinière. Comme vous l’avez compris, Bientôt Noël est une série sur les cadeaux que j’ai reçus – en l’occurrence un dîner hors du commun - et des mercis essaimés aux quatre vents des Quotidiennes.

Mon dernier dîner cadeau ? Un retour au salon du 18ème siècle. 31 Raspail. Dans une ambiance plus que chaleureuse, un dîner quant à lui noir et blanc dans des couverts assortis. Et surtout, Emmanuel Giraud, l’artiste (g)astronomique qui cultive l’art du goût et de son souvenir, qui vient de publier Devenir gris, en conversation avec Arlette Farge, la merveilleuse historienne spécialisée dans l’étude du 18ème siècle, qui vous raconte les prisons d’époque et leurs habitants avec une telle tendresse qu’elle vous donne envie de les rencontrer en sortant Boulevard Raspail.

D’ailleurs, leurs fantômes sont si proches.... Il paraît, nous raconte Arlette Farge, que les condamnés aimaient manger des omelettes. Le menu est choisi ! Tous les dîners devraient être ainsi, nous parler d’aujourd’hui et d’autrefois, de vie et de mort, de rêve et de goût d’un seul tenant. Quel goût ? Pourquoi pas le mauvais, lui aussi. Un des prochains dîners du 31 Raspail accueillera Ruwen Ogien, le philosophe de la liberté d’offenser (comprise au sens de de blasphémer, choquer, heurter des convictions et non pas comme la liberté d’humilier).

Un propos délicat que Ruwen Ogien se plaît à illustrer en posant des questions du genre : “Pourquoi n’est-on pas libre de voir ce qu’on est libre de faire” (s’entend, dans notre chambre à coucher, même à Noël... Chut !) ? Ou encore : “Le mauvais goût est-il un crime ?” Nous nous réjouissons de savoir ce que le spécialiste du goût qu’est Emmanuel Giraud nous en dira et de nous délecter des offenses à la Ogien, comme autant de crimes sans victimes. Les meilleurs décidément, surtout à la veille de Noël...


Publié le 23 décembre 2010, dans les Quotidiennes

Mercredi : Bientôt Noël : Facebook en cadeau

Non, ce n’est pas du tout ce que vous croyez : il ne s’agit pas de vous inciter à offrir mes livres pour Noël. Encore que... Mais non, Bientôt Noël est une série sur des cadeaux que j’ai reçus (ou en l’occurrence, que vous avez reçus) et des mercis essaimés aux quatre vents des Quotidiennes.

Un cadeau que vous avez reçu en l’occurrence, car je ne fais pas (encore) Facebook. En fait, je préfère les Quotidiennes... Mais en attendant que la rédaction des Quotidiennes in corpore soit nommée L’Homme de l’année, merci à Mark Zuckerberg, L’Homme de l’année 2010. A 26 ans et toutes ses dents, Mark Zuckerberg a su créer une nouvelle manière d’être social, une nouvelle manière de partager, de se parler, de se raconter ses propres histoires et de s’intéresser à celles des autres, de montrer ses photos autrement qu’en diaporama en fin de soirée.

Facebook, c’est Noël, le partage, la gentillesse, un fantastique instrument contre la solitude. “J’aime ça.” Imaginez un peu combien de gens vont se souhaiter Joyeux Noël sur Facebook, par millions et en toutes les langues ! Merci MZ. Keep going !


Publié le 22 décembre 2010, dans les Quotidiennes

mardi 21 décembre 2010

Mardi : Bientôt Noël : des soins en cadeau

Non non, ce n’est pas du tout ce que vous croyez : il ne s’agit pas de vous inciter à offrir des soins pour Noël. Encore que... Mais non, Bientôt Noël est une série sur des cadeaux que j’ai reçus et des mercis essaimés aux quatre vents des Quotidiennes.

Une personne qui m’est proche et chère est hospitalisée en Gériatrie, dans l’hôpital qui s’appelle désormais des Trois Chênes. Je suis impressionnée par la qualité de la prise en charge. C’est un cadeau, pour toutes les personnes très âgées de ce canton, et pour tous leurs proches, de pouvoir bénéficier de soins d’un tel niveau de qualité. La patience est de mise : l’objectif est la sortie, si possible le retour à domicile, parfois vers une autre institution, mais doucement.

On voit là des patients de tous âges, mais essentiellement, ce que l’on voit, c’est un moment d’abandon. Non pas que les malades soient abandonnés, bien au contraire – mais un moment d’abandon de tout artifice, de tout simulacre, de toute ambition immédiate : la vie nue, dans le corps de chacun, telle qu’elle est, avec son extraordinaire préciosité et son extraordinaire précarité. Juste vivre, et aller mieux. Merci à vous tous et vous toutes pour ce cadeau


Publié le 21 décembre 2010, dans les Quotidiennes

Lundi : Bientôt Noël : de l’art en cadeau

Non non, ce n’est pas du tout ce que vous croyez : il ne s’agit pas de vous inciter à offrir des œuvres d’art pour Noël. Encore que vous trouveriez certainement votre bonheur et celui de vos proches dans mon cabinet de dessin... Mais non, Bientôt Noël est une série sur les cadeaux que j’ai reçus et des mercis essaimés aux quatre vents des Quotidiennes.

Le premier va à la SCOPE Art Fair. Depuis des années, l’une des foires Off qui suit Bâle à Bâle, à Miami et la précède ailleurs. Les foires d’art ? Bah, n’est-ce pas, juste des affaires de marchands, de bénéfices, d’œuvres d’art considérées comme produits. Eh bien non. Ce sont des passionnés de l’art aussi. La preuve, SCOPE Art Fair a gracieusement invité Analix Forever à Miami, non pas pour mes beaux yeux, mais pour avoir le privilège de montrer Marc Horowitz, artiste de Los Angeles, médiatique s’il en est, qui poursuit actuellement un Master of Fine Arts à la Université of Southern California et qui pratique essentiellement ce que l’on appellera la performance participative.

Rien à vendre, tout à faire. Imaginez un peu : l’artiste, pendant tout le mois de novembre, s’est laissé dicter ses actions en fonction de The Advice of Strangers. Il propose quelques options, fera selon le vote de la majorité. Pour l’ouverture de la foire de Miami, les “strangers” ont voté sur internet que Marc Horowitz devaient se faire jeter sur lui des balles de tennis trempées dans de la peinture. Rose, jaune, noire : les couleurs sont choisies par l’artiste.

Pour profiter de la suite...
Merry Xmas and thank you SCOPE !


Publié le 20 décembre 2010, dans les Quotidiennes

Ventes aux enchères à domicile : une nouvelle économie qui se conjugue avec écologie

Ventes aux enchères à domicile :
une nouvelle économie qui se conjugue avec écologie



Dans son texte intitulé L’ordre des choses. Sur quelques traits de la culture matérielle bourgeoise parisienne, 1830-1914, Manuel Charpy nous dit avec finesse que « … les modes ne peuvent se renouveler qu’à la marge. Le déplacement crée la nouveauté. C’est donc chez les groupes sociaux à la fois marginaux et proches d’elle que la bourgeoisie va chercher ses modèles : étudiants, artistes bohèmes mais aussi demi-mondaines. Honnies et recherchées tout à la fois, pendant féminin des bohèmes, souvent artistes elles-mêmes – comédiennes ou chanteuses –, elles vivent au contact de la bourgeoisie tout en la méprisant. Dès les années 1840, on se presse à l’occasion de leurs ventes aux enchères à domicile, fréquentes du fait des revers de fortune. Ainsi, entre le 24 et le 27 février 1847, une foule de bourgeoises se rend au domicile de Mlle Duplessis, boulevard de la Madeleine. Me Ridel y propose ‘un riche et élégant mobilier, meubles en marqueterie, bois de rose, bois sculpté et palissandre, objets de curiosité, porcelaines de Sèvres et de Saxe, beaux bronzes, riches garnitures de cheminée, coffres et coffrets, objets de petit Dunkerque, tableaux, pastels et dessins, livres’ ainsi qu’une immense garde-robe, des bijoux et des pièces d’argenterie. »

Alexandre Dumas fils est là et fera de ce moment la scène d’ouverture de la Dame aux Camélias, non sans avoir pris le soin de changer la date et l’adresse. Visiteurs et visiteuses se pressent de bonne heure à la vente. Dumas explique cette curiosité : « s’il y a une chose que les femmes du monde désirent voir, et il y avait là des femmes du monde, c’est l’intérieur de ces femmes » - des femmes entretenues donc. « Du reste, poursuit Dumas, il y avait de quoi faire des emplettes. Le mobilier était superbe. Meubles de bois de rose et de Boule, vases de Sèvres et de Chine, statuettes de Saxe, satin, velours et dentelle, rien n’y manquait ».

Les ventes aux enchères à domicile, qui semblaient oubliées malgré leurs nombreux avantages – Simon de Pury souligne qu’il n’est pas de meilleure manière d’affirmer la qualité de la provenance de pièces mises à la vente que de les montrer dans leur contexte original lorsque celui-ci s’y prête - ne se sont en fait jamais arrêtées. Simon de Pury - même s’il n’a pas (encore) réalisé de vente à domicile chez Phillips de Pury - a d’ailleurs précédemment conduit de nombreuses enchères à domicile, la plupart d’entre elles sous le chapeau de Sotheby’s : du château de Regensburg au Palazzo Corsini à Florence, de Cologny pour la collection Jean-Pierre Marcie-Riviere à Aalholm au Danemark pour celle de la famille éponyme…

Mais la vente aux enchères à domicile revient sur le devant de la scène dans d’autres domaines que celui des objets d’art, d’antiquité et de luxe. Matthieu Semont, historien de l’art et commissaire-priseur français qui oeuvrera prochainement à Genève, a créé récemment sa propre maison de ventes, Philocale (du grec amour du beau). Il vend de tout : de l’art contemporain bien sûr, des mobiliers, mais aussi des bijoux, des vêtements et même d’étranges appareils tels des bras endoscopiques unitraction à trocart... Mais surtout, il vend à domicile. L’idée lui est venue suite à ses premières ventes judiciaires dans de nombreuses usines françaises en liquidation : on y vend bien sûr les machines industrielles par exemple, souvent immenses, sur place, afin de minimiser les coûts d’enlèvement. La première fois qu’il a vendu une succession dans la maison même de la personne décédée, c’était une innovation, mais désormais Me Semont procède ainsi de plus en plus souvent. Il s’agit en général de ventes après décès, lorsque les enfants ne souhaitent ou ne peuvent rien garder – il lui arrive souvent d’ailleurs que les héritiers lui donnent la clé de la maison, sans autre forme de procès, avec la demande de tout liquider – et c’est alors lui et son équipe qui trie débarrasse, ordonne, rend les papiers aux familles, de même que les diamants qu’il lui arrive de trouver entre des piles de vêtements ou dans la poche d’une robe d’intérieur pendue au grenier… Une façon de faire très efficace : les voisins viennent, c’est à côté de chez eux, ils ne sont pas intimidés, et achètent, dans une vraie atmosphère de yard sales d’outre Atlantique, le tableau au-dessus de la cheminée, le congélateur, la tondeuse à gazon, jusqu’au tas de bois de cheminée et d’autres objets qui eussent été invendables dans un espace de salle de vente. Une façon de faire très écologique aussi, donc : comme dit Matthieu Semont « on redonne vie à des choses qui autrement disparaissent ». Ou quand écologie et « recyclage » bien compris se conjuguent avec économie. Un modèle intéressant et à suivre, qui rencontre pourtant bien des résistances à Genève notamment, où ceux qui tels Gaudet-Blavignac se lancent dans les ventes « privées » se font critiquer vertement – mais à contre courant.

Publié dans l'AGEFI, le jeudi 16 décembre 2010

Architecture émotionnelle, matière à penser

Le jeudi 16 décembre, sortie du livre Architecture émotionnelle, matière à penser
Disponible à la galerie Analix Forever dès aujourd’hui et en librairie en janvier.
A cette occasion, Yann Gerdil-Margueron interroge dans son émission InterCités sur RSR la 1ère Judith le Maire, Jean-Pierre Greff et Barbara Polla sur le premier Colloque d’Architecture émotionnelle
Pour écouter ou télécharger l’émission cliquer ici.

jeudi 9 décembre 2010

Book of Chastity

Céline Fribourg et Chahida Ousseimi (Editions Take5) présentaient leur dernier livre chez Artcurial le 3 décembre dernier. Les somptueux livres d’artistes des deux éditrices réunissent classiquement un travail photographique et un texte originaux. En l’occurrence, Ernesto Neto et Tom Mc Carthy. Un livre édité à trente exemplaires seulement, rare et précieux donc, comme son contenu.

Tom McCarthy met en mots l'histoire montrée par Ernesto Neto : celle d’une passion pour une femme à l'intérieur de laquelle l’artiste aimerait pénétrer, non pas par la seule pénétration sexuelle, mais par toute sa peau, tous ses pores, tous ses interstices, pénétrer ses secrets, mus par un désir fou d'intériorité et par une passion si particulière que l’on se pose d’emblée la question : cette femme existe-t-elle ou est-elle une production mentale ? Les deux probablement. Tom McCarthy l'écrit très bien le désir et l'impossibilité - “inventorise what I was loosing” : cette impossibilité toujours, de savoir ce qu’il y a “dedans”, à l’inétrieur de l’autre, et comment faire pour pénétrer dans les tréfonds de l’âme et du corps confondus.

Le boîtier dessiné par Ernesto Neto souligne encore cette folie du désir : une gaufre, un coussin, des coutures... C’est plastique et littéraire, purple et cousu, architectural et corporel. On n’en finit pas de désirer ouvrir la boîte de Pandore et de se mirer à l’intérieur dans les espaces sensoriels d’Ernesto Neto, dont le directeur de la Hayward Gallery à Londres, Ralph Rugoff, dit avec justesse que “Son travail est multisensoriel, il en appelle à votre sens du toucher et à votre odorat. Neto crée des installations de nature abstraite et biomorphique – des installations qui évoquent la peau et l’intérieur du corps humain...

Ouvrir la boîte, feuilleter le Book of Chastity, c’est aussi nous découvrir nous-même, nos passions possibles, notre curiosité infinie pour l’autre sous toutes ses formes. Comme le dit encore Rugoff à propos de Neto : “Ce type de propositions artistiques rend les gens plus avertis de leur propre corps”.

"It was as I needed to inventorise what I was loosing to archive it all. I was isolating hand gestures, turns of her neck or the shape of her lips as she mouthed a word and using these to summon up and fix my memory of the other times I’d seen her make that movement..."

Publié le 9 décembre 2010, dans les Quotidiennes

dimanche 28 novembre 2010

Sergio Rizzo reçoit le prix AIOM Foundation Scholarship 2010

Sergio Rizzo, oncologue et ami de l'art et de Analix Forever reçoit à Rome le prix AIOM Foundation Scholarship 2010 qui va l'amener pendant six mois à travailler au Lee Moffitt Cancer Center à Tampa en Florida.


Architecture émotionnelle : November news

Présentation du Concept et du Colloque d’Architecture émotionnelle dans le mensuel genevois l’Extension.

« Le seul luxe nécessaire est celui du temps de la réflexion. »

Laurent Geninasca



L’architecture émotionnelle, qu’est-ce que c’est ? Cela existe ? Ou plutôt, est-il une architecture qui ne soit pas émotionnelle ? En fait, en 1953 déjà, Mathias Goeritz écrivait un Manifeste pour une architecture émotionnelle, dans lequel il affirmait notamment : « J’ai travaillé en totale liberté pour réaliser une œuvre dont la fonction serait l’émotion : il s’agit de redonner à l’architecture son statut d’art ». Aujourd'hui, alors que les questionnements intenses de la société occidentale se focalisent autour de l'existence personnelle de chacun des humains, l'intérêt porté aux émotions revient en force. Le progrès de la société relève aussi de la prise en compte de l'ensemble de ces émotions, demeurées trop longtemps écartées des grandes décisions, notamment dans la construction de notre monde urbain. Et pourtant, l’architecture joue de fait un rôle clé dans le bien-être citoyen et dans la qualité des liens sociaux créés par les espaces urbains.


Forts de ce constat, nous avons créé l'Association suisse pour l'architecture émotionnelle et organisons le Premier Colloque international et interdisciplinaire d'Architecture émotionnelle, le 20, 21 et 22 janvier à Genève, à la Fondation Louis-Jeantet. Les partenaires scientifiques principaux de ce colloque sont le Centre Interfacultaire des Sciences Affectives de l’Université de Genève (et en particulier David Sander, Sophie Schwartz, co-auteurs du livre Au coeur des émotions à lire absolument) ainsi que Patrizia Lombardo et Carole Varone) et la Faculté d’Architecture La Cambre-Horta de l’Université Libre de Bruxelles. Au cours de ce colloque seront traitées les questions suivantes : quelle architecture ? quelles émotions ? pourquoi explorer et comment gérer les émotions générées par l’architecture – l’architecture comprise alors comme organisation de notre espace de vie ? peut-il y avoir une architecture qui ne soit pas émotionnelle ? la quête de l’émotion doit-elle oui ou non guider l’architecte au travail ? l’efficacité d’un bâtiment en termes d’accueil, de confort et d’agrément peut-il faire l’économie de la notion d’émotion ? mais d’autre part, trop d’émotion mise dans la conception architecturale ne nie-t-elle pas l’efficacité ? à l’heure de la métropolisation du monde, du fait d’une pression démographique exacerbée et de la persistance d’exodes profitant aux entités urbaines, l’architecture de nos villes doit-elle privilégier l’émotionnel ?
Certes, il ne sera pas apporté de réponse ferme à toutes ces questions – mais du moins celles-ci seront-elles soulevées par les plus grandes personnalités de l’architecture et du monde des émotions - mais aussi par des hommes et des femmes « bien de chez nous » : mentionnons notamment Brigitte Diserens-Jucker qui organisera dans ce contexte avec Jacques-Louis de Chambrier une visite de ce joyau local qu’est l’Immeuble Clarté du Corbusier ; Bénédicte Montant qui assure les liens avec l’Association genevois des Architectes et la FAI (Fédération des associations genevoises d’architectes et d’ingénieurs), mais aussi Laurent Geninasca ou encore Patrick Aebischer. Laurent Geninasca, architecte attentif à la dimension esthétique de ses propres constructions, nous renvoie d’ailleurs à cette question fondamentale : comment « faire beau » – générer des émotions esthétiques positives – sans moyens financiers ? Selon lui, le manque de moyens n’est jamais une excuse pour ne pas « faire beau » et, poursuit-lui, « le seul luxe nécessaire est celui du temps de la réflexion ». Ce luxe-là appartient à tous, il est affaire collective.
Patrick Aebischer, quant à lui, est à l’origine du Learning Center de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne – réalisation de l’agence japonaise SANAA, Pritzker Prize 2010 – et il aime « son » bâtiment : « Je l’aime pour ce qu’il suscite chez moi ou chez tous les gens qui le parcourent. C’est un bâtiment à vivre, à expérimenter. Le monde universitaire a besoin de la culture et de l’architecture. » À partir de cette première réalisation d’exception, Aebischer se propose maintenant de convaincre l’Europe entière que ses universités doivent devenir le modèle même de l’acquisition des savoirs de demain – un modèle qui se doit de reposer sur une architecture spécifique qui abat les murs et décloisonne cerveaux et cultures : « L’esthétique et la culture ont cette vocation de décloisonner, d’ouvrir l’esprit. C’est une éducation à l’altérité, à la différence. »


Save the Date : 20-22 janvier 2011
Premier Colloque international et multidisciplinaire d’Architecture émotionnelle, Genève
Avec le soutien de la République et Canton de Genève.
Entrée libre, inscription obligatoire.
Le colloque est ouvert à tous, architectes, constructeurs, spécialistes en sciences affectives (psychologie, littérature, neurosciences, ...) aux étudiants et aux doctorants intéressés à l'esthétique, à l'espace et à l’interdisciplinarité comme méthode de travail, ainsi que - et peut-être avant tout - aux utilisateurs de l’espace, c’est-à-dire de fait à tous les citoyens.

Libres livres


"Le Corbusier, la Planète comme Chantier"
Comment parler d’architecture en Suisse sans évoquer Charles-Edouard Jeanneret-Gris ? Le Corbusier donc. Jean-Louis Cohen, architecte et historien de l’architecture et de l'urbanisme contemporain, Professeur à l'université de Paris VIII et à New York University, l’un des éminents orateurs du Premier Colloque d’Architecture émotionnelle, a consacré plusieurs ouvrages au grand architecte, parmi lesquels Le Corbusier, la Planète comme Chantier. Oui, quoi de moins pour cet iconoclaste que le chantier planétaire ? « Iconoclaste, nous dit Jean-Louis Cohen, il l'a été parce qu'il a combattu le langage classique. Mais il a inventé un modèle toujours d'actualité, le grand intérieur blanc avec éclairage naturel par opposition à l'intérieur du XIXe siècle plein d'objets et baignant dans la pénombre » Cohen, spécialiste du Corbu, de ce « personnage mi-secret mi-tonitruant, premier expert volant de l'architecture », a aussi été conseiller scientifique de l'exposition « L'Aventure Le Corbusier » (Centre Georges Pompidou, 1987).

Ecoutons Cohen nous parler du « Corbu » : « Parcourant la planète pour donner des conférences ou suivre les chantiers de ses œuvres, il a traversé des paysages, des cultures, des sociétés, des systèmes de sociabilité, autant de stimuli à ses inventions formelles. Il a formé son répertoire visuel et affectif au contact des montagnes du Jura Suisse, des musées italiens, des campagnes bulgares, des monastères toscans ou grecs, des usines allemandes ou américaines, des campagnes indiennes et dans une longue fréquentation du Paris des monuments et des faubourgs. » Est-ce de là que lui est venue l’idée lumineuse de détruire le centre de Paris pour en faire une ville plus rationnelle et ordonnée, un grand parc désert en somme, avec toutes les habitations repoussées vers la périphérie ?

La Planète comme Chantier est émaillée de croquis de voyage, de photographies, de lettres du Corbu à ses amis, de maquettes de projets jamais réalisés qui nous livrent avec une intensité particulière « un être d'émotions et de passions, avec ses coups de génie, coups de tête, hésitations et contradictions. » Un être d’émotions ? Mais quelles émotions ? Nous voici revenus à la question de base…

"Au cœur des Emotions"
Au cœur des Emotions, de David Sander (professeur à la Section de psychologie et au Centre interfacultaire en sciences affectives et l’un des partenaires scientifiques principaux du colloque) et sa collègue Sophie Schwartz (maître d'enseignement et de recherche à la Faculté de médecine et au Centre de neurosciences) est, dit-on, un livre pour enfants. Mais devant les émotions, n’avons-nous pas tous dix ans ? Comme la petite Hannah du livre, qui, le jour de ses 10 ans, entame un voyage scientifique « au coeur des émotions »... Ce livre délicieux tente de répondre à toutes sortes de questions: Qu'est-ce qu'une émotion ? Comment les émotions s'expriment-elles ? A quoi servent-elles ? Comment les changer ? Parfait oui, pour les enfants comme pour les architectes, de sept à soixante dix-sept ans !


Publié dans l'Extension, novembre - décembre 2010

mercredi 24 novembre 2010

Avis aux amis


Ce soir je vais en Valais ! Pourquoi donc cette grande nouvelle ?

Parce que je vais soutenir Philippe Nantermod dans sa campagne pour la candidature au Conseil national

Pourquoi donc ?

Parce qu'il chante bien...

lundi 22 novembre 2010

Recomposition de la structure des entreprises familiales

Entreprise familiale : on imagine le père qui dirige, la mère qui fait la comptabilité, et les enfants qui rament à se faire une place – on imagine volontiers en Suisse des entreprises campagnardes ou de petits commerces urbains – on a tout faux, ou presque. L’entreprise familiale n’est pas forcément générationnelle – elle se crée aussi de manière horizontale dans les fratries – et ne répond pas à des règles fixes. Au contraire, selon Peter May, l’entreprise familiale sait les modifier, ces règles qui souvent gèlent tout un domaine de compétences et de développements possibles. La capacité à changer semble même essentielle alors que l’entrepreneur est défini comme celui qui sait reconnaître une opportunité sur le marché et qui accepte de réunir les ressources nécessaires – personnelles et financières - pour exploiter cette opportunité. Selon Davis and Tagiuri (1982), une entreprise familiale est une organisation au sein de laquelle au moins deux membres d’une même famille élargie influencent la direction entrepreneuriale par l’exercice de leurs liens de parenté, leur rôle managérial et/ou leurs droits d’actionnaires majoritaires ou prépondérants (traduction personnelle). En Suisse, plus de 80% des entreprises seraient familiales et deux tiers des Suisses travailleraient dans une entreprise familiale. Aux Etats Unis, 90% des entreprises sont familiales et contribuent entre 30 et 60% du PIB. La production annuelle de biens et de services par les entreprises familiales est énorme et l’entreprise familiale apparaît comme essentielle au marché des biens et de l’emploi en Suisse comme aux Etats-Unis.
Selon Edwin Neill, qui codirige – avec une femme – une entreprise familiale quasi séculaire à la Nouvelle Orléans, l’entreprise familiale, pour durer, doit être « fun ». « Il faut qu’il n’y ait rien de mieux, et que chacun sente qu’il a son mot à dire et le cas échéant sera écouté, non pas forcément pour lui-même, mais pour l’intérêt général de l’entreprise. » Neill affirme aussi qu’ « il ne faudrait pas être CEO d’une entreprise familiale après 60 ans. Cela tue la relève. Rester dans le business oui, mais pas dans la position dirigeante. »
La position de Neill nous ramène aux stéréotypes suisses – le pater familias patron d’entreprise ad aeternam – des stéréotypes qui restent malheureusement d’actualité, tant en ce qui concerne l’âge que le sexe. Plus de la moitié des patrons de PME familiales suisses sont âgés aujourd’hui de 51 à 60 ans. Une situation qui pose indubitablement le problème de la transmission : selon un rapport de Ernst et Young, deux tiers des successions échouent à la deuxième génération, à la troisième, il ne reste que 10% à 15% des entreprises familiales et 3% à 5% à la quatrième génération.» Et cherchez les femmes !

Il en va tout autrement aux Etats-Unis, notamment en ce qui concerne les femmes. Sharon Hadary, fondatrice du Center for Women's Business Research, s’émerveille de la croissance formidable des business créés et gérés par des femmes, une création qui ces dernières décennies s’est révélée deux fois plus rapide que la création de business par les hommes. Mais mêmes aux Etats Unis, il reste fort à faire pour les entreprises féminines qui restent encore de taille inférieure à celles créées et dirigées par des hommes, avec un chiffre d’affaire inférieur en moyenne de 27%. Hadary identifie quatre causes majeures à cette situation. Tout d’abord, les buts que l’on se fixe - qui sont systématiquement plus modestes dans les entreprises « femmes » -, les autres facteurs essentiels étant l’accès aux marchés, l’accès aux réseaux, et bien entendu, l’accès au capital. Bien entendu ? Pour que l’accès au capital se développe au plus vite, encore faut-il que les voies de cet accès soient déblayées. Le développement de l’accès au capital par les femmes, abordé par le microcrédit dans les pays du Sud, nécessite d’abord, en Europe et aux USA, l’intégration du concept de « matrimoine ». L’accès au capital de banques ou d’investisseurs passe aussi par l’accès au capital géré par la mère ou des modèles maternels. L’habitude de créer, de gérer, de changer, de toucher à l’argent... ne s’hérite pas mais se transmet. Le plus tôt sera le mieux !




Publié dans l'Agefi, le 22 novembre 2010

mercredi 17 novembre 2010

Avantages de la libre-immigration

L’immigration est l’une des expressions de notre nomadisme fondamental. Je me suis laissé dire que nous sommes dix millions tous les jours à voler autour de la terre dans tous les avions du monde. Et souvent je pense à ces époques bénies, ou les uns et les autres traversaient l’Europe et les autres continents, sans papiers, sans entraves autres que la difficulté du voyage – c’était cela aussi, la Renaissance. Emigrer : partir, quitter son pays ; immigrer : s’installer dans celui que l’on préfère. A tout prix parfois, y compris le risque mortel. L’immigration ? C’est donc d’abord un choix de l’immigré, voire une élection. En aucun cas, sur aucune base intellectuelle valable, l’immigration n’est une fatalité, une déréliction, un délit voire un crime. Emigrer, immigrer, c’est voter avec ses pieds. C’est donc fondamentalement, vouloir s’intégrer.

Ah oui bien sûr je les entends déjà, et nos emplois et le trafic de drogue et ceux qui ont violé nos filles et les profiteurs et notre culture et notre identité nationale et que sais-je encore… Je les entends non seulement ici en Suisse, mais de l’Australie à l’Allemagne désormais, de la Suède à l’Italie – pourtant longtemps modèle de libéralisme, non seulement en termes de faiblesse de l’Etat mais aussi en termes de mobilité des populations, qu’il s’agisse d’immigration ou d’émigration – et même aux Etats Unis. Heureusement, il est au moins un pays qui nous met fondamentalement au défi de toute politique d’immigration restrictive. Le Canada le dit très clairement : « We need people ! ». Ah comme l’Europe devrait écouter ce message, elle qui s’étiole dans son enfermement et dont la démographie s’affaiblit et se dessèche. Vingt pourcent des Canadiens sont nés ailleurs qu’au Canada. Alors bien sûr, pour que le choix du Canada rencontre le choix de ses immigrés, des critères sont appliqués, pour favoriser l’intégration. Vous pouvez tester en sur Internet votre « immigrabilité », en toute transparence. Vous pouvez évaluer le chemin à parcourir, pour vous intégrer. La citoyenneté se mérite, elle requiert un apprentissage intensif des langues, des valeurs, des cultures. Des centres d’intégration active sont mis en place. De plus, autre facteur d’intégration et critère parfait de rencontre productive, les immigrés sont sélectionnés en fonction des besoins du pays. Mieux : des provinces. Dans un pays de cette dimension, les besoins varient. Le Canada considère que l’immigration ne nuit en rien à l’identité nationale : elle est un choix réciproque qui se réalise dans une politique active. L’entrepreneur Arthur de Fehr, cité par Jason Deparle dans The global Edition of the New York Times du 15 novembre, affirme même que parmi les onze millions d’immigrés illégaux aux Etats-Unis il y en a certainement beaucoup qui feraient des citoyens canadiens « perfectly wonderful ». « We need people ? We should go and get them » ! La peur de l’étranger et la manipulation de cette peur fait place à l’analyse et la réalisation des besoins d’immigration, dans le cadre d’une politique ouverte et claire semble-t-il favorisée par le bi-nationalisme et le bilinguisme fondamental du Canada.

Un multi-linguisme, un multi-cuturalisme qui caractérise aussi bien la Suisse – qui elle aussi a encore et toujours des besoins criants, en termes d’immigration, quoi qu’en disent les sirènes populistes. Citons deux exemples, à l’opposé de l’échelle sociale : les métiers domestique et ceux de l’électronique. Les métiers domestiques : malgré le chèque emploi, malgré la traque du travail au noir, la réalité persiste et les besoins de la Suisse bourgeoise et industrieuse en termes d’assistance domestique (enfants, personnes âgées) est très loin d’être satisfaite. Ceux de l’électronique : pour rester à la pointe de l’innovation, une nécessité absolue pour la Suisse, l’apport d’autres manières de penser et de faire le monde virtuel de demain est fondamental. Nous pourrions bien sûr multiplier les domaines, mais une chose est certaine : « we need people too ! ». Alors quand verrons nous des affiches sur nos murs qui disent : « Comment attirer plus d’immigrants ? ». Quel sera le parti qui le premier, oeuvrera dans ce sens ? Et qui, dans le même temps, fera abolir la détention administrative, cette absurdité qui pose bien plus de problèmes qu’elle n’en résout ?



Publié dans l'Agefi, le 17 novembre 2010

Les problèmes, source de créativité

A Washington se tient l'ISPA, International Spa Association, 1800 personnes, la grande messe du soin, des sponsors d'exceptions comme Aveda, de toutes petites marques Alchimie Forever (raison de ma présence à Washington...). Le grand jeu. L'Amérique industrieuse, qui en veut, le business avant tout, la qualité du service. Chacun montre le meilleur de lui-même.

Sauf qu'entre la Floride et Washington, le train qui transportait tout le matériel pour cinq des stands représentés a déraillé. C'est le cas par exemple, pour Eminence Organics. Vous vous retrouvez donc, au Gaylord National, avec votre emplacement payé, rien à montrer. On pleure, on se met en colère, on désespère, on fait un procès ? Que nenni non point. Eminence a inventé et fait imprimer pendant la nuit l'affiche la plus visible de toutes : Missing Booth.

Et pour ceux qui apporteraient des informations ou auraient retrouvé le missing both, une récompense qui en vaut la peine : Hot Ungarians ! Ce sera le stand le plus visité de la foire. Morale ? Remercier le seigneur des commerçants : les problèmes insolubles génèrent les meilleures idées : d''ailleurs, on rayonne du plaisir de l’idée, chez Eminence Organics. Un exemple à suivre !

Publié dans les Quotidiennes, le 17 novembre 2010

mercredi 10 novembre 2010

Des trucs de fous

Sainte Barbara, patronne des mineurs. Parfois, il faut rappeler les miracles. C’est le rôle des Saintes, dont je ne suis pas. Je n’en ai que le prénom, qui m’a fait me sentir particulièrement proche des 33 miraculés. Tout semble être rentré dans l’ordre au Chili. Mais nous n’oublions pas ces 33 mineurs, leur exceptionnel courage, ni l’ingéniosité sans égale de leurs sauveteurs.

Mario Sepulveda, le deuxième rescapé de la mine de San José, fut le premier à s’exprimer. Gratitude envers les secouristes : «Ils nous ont récupérés. On y a mis du nôtre, de la folie, de l'expérience, de notre coeur de mineur, mais les professionnels ont mis tout le reste».

Apparemment seul parmi les 33 mineurs, il a exprimé, aussi, son désir de poursuivre son travail. Mineur il a été, mineur il restera. Héros du quotidien, comme il y en a tant. Car s’il y a ceux dont on parle parfois, peu nombreux – et milliers et milliers de héros ignorés, inconnus, oubliés.

Sainte Barbara est aussi patronne des architectes, mais pas des nageurs. Rien à voir donc avec Philippe Croizon, le nageur amputé des quatre membres qui a traversé la Manche à la nage en septembre dernier. Sauf que... «J'ai réussi. J'ai fait un sprint final. Il y avait du monde sur la falaise pour m'accueillir. C'est vraiment un truc de fou. Je voulais y arriver. J'espère être un symbole pour le dépassement de soi». Ses mots, quelques minutes après son arrivée.

L’humain est capable du meilleur, toujours... Et seulement parfois, du pire. Et d’après Sepulveda comme d’après Croizon, la folie fait partie de ce meilleur qui permet le dépassement de soi.

Publié le 10 novembre 2010, dans les Quotidiennes

dimanche 7 novembre 2010

Jardins de rues au Japon

Vous avez encore une semaine pour aller admirer les jardins du japon. A Carouge, au Flux Laboratory - plus facile qu'à Kyoto, et presque aussi beau... Grâce à Olivier Delhoume, poète d'un quotidien qui pour l'instant ne saurait être le nôtre, puisque comme il le rappelle, il est interdit, de par chez nous, de mettre des fleurs sur le domaine public et les trottoirs. Mais au Japon.... là fleurissent les jardins de rue, marques infimes, modestes et merveilleuses : “un simple pot placé devant la porte, sur le trottoir, et que chaque passant s’appliquera à préserver. Parfois, ces plantes se multiplient de manière extravagante le long des avenues, au pied des panneaux indicateurs ou des rambardes de sécurité. Certaines semblent avoir pris racine dans le caniveau, malgré le pot qui les contient. Elles bravent les risques d’un trafic qui les frôle”. Elles côtoient les outils tout aussi modestes qui leur servent de tutelle : bouteille d’eau minérale pour décanter l’eau de pluie, cintre à vêtement pour préserver des chats, bac de récupération en attente de plantation...

Et puis, si jamais Carouge vous semble aussi loin que Kyoto, alors lisez le livre dans lequel Olivier Delhoume n’est pas seul à nous faire rêver. Christian Bernard aussi, qui préface l’ouvrage : “Peut-être y a-t-il autant de pays que de voyageurs, autant de villes que de Flâneurs, de rues que de rêveurs, autant de jardins que de saisons dans l’âme... Le Japon est ... un monde où l’intervalle fait vallée et l’interstice eldorado. Je le sais, non d’y être allé mais d’avoir observé les instantanés d’Olivier Delhoume, cet arpenteur des nano-campagnes urbaines, ingénieux pisteur des futaies de contrebande, orpailleur hors pair des Tivolis clandestins, qui Flaire le mont Fuji dans toute taupinière”. Bien sûr, nous savions tous que Christian Bernard est le concepteur et directeur du MAMCO à Genève, ancien directeur de la Villa Arson à Nice, mais certains ignoraient encore qu’il est aussi poète...

Publié le 7 novembre 2010, dans les Quotidiennes

vendredi 5 novembre 2010

Le logement étudiant idéal: solitaire, communautaire, nomade ?

Le vendredi 5 novembre 2011 s’est tenu à Paris, à la Cité Internationale Universitaire de Paris, un nouveau colloque sur le logement étudiant, organisé notamment par Pascale Dejean, grande spécialiste de ces questions et ouvert par Bertrand Vallet (le précédent colloque avait eu lieu en 2009).

Cette année le Colloque s’intitulait Habitat étudiant, Un écosystème à inventer, et traitait plus spécifiquement de la créativité architecturale, développement durable et qualité d’usage, posant les questions suivantes, entre autres : «A l’heure où la Cité internationale lance de nouvelles constructions – Maison de la Région Ile-de-France, extension de la Maison de l’Inde – quel est son potentiel en matière de créativité architecturale, développement durable et qualité d’usage? La réglementation et les contraintes inhérentes au logement étudiant permettent-elles de poursuivre l’histoire innovante de la Cité internationale et de lui conserver sa place de haut lieu de l’architecture parisienne? »

Mais la question lancinante qui reviendra constamment au cours de la journée est celle de l’économie du logement étudiant. Cette question de l’économie ne se pose bien sûr pas seulement pour le logement étudiant, mais pour tout projet architectural, quand on n’a pas les moyens des starchitectes ou des grands ouvrages. Laurent Geninasca, qui s’exprimera à ce sujet lors du Premier colloque d’Architecture émotionnelle, répond à cette question par cette formule qui fera date : «Le seul luxe nécessaire est celui du temps de la réflexion». Le temps de la réflexion fut largement pris au cours de la journée du 5 novembre.

Deux présentations auront particulièrement retenu mon attention, dans une session modérée par Maria Gravari-Barbas, directrice notamment de la Fondation Hellé́nique à la Cité universitaire internationale. Gravari-Barbas nous assure que «le logement étudiant est un formidable laboratoire d’innovation, d’invention, d’une logistique de plus en plus sophistiquée et favorisant dans le même temps l’opportunité des rencontres : des petites machines ouvertes sur le monde». On veut bien la croire en examinant la Bikuben Student Residence de Copenhague ou Qubic de Amsterdam. Le bureau AART ARKITEKTER de Copenhague s’est donné comme mission de combiner le désir des étudiants de «privacy» et de vie communautaire dans le même lieu.

Selon AART ARKITEKTER, le sentiment de solitude est particulièrement délétère pour les étudiants. Et pour diminuer ce sentiment, la solution serait de « Make less space for loneliness » : minimiser l’espace privé, tout en le maintenant mais a minima («private when and only you wan to be private»), et en parallèle augmenter l’espace commun – et surtout mélanger les espace privés et les espaces communs voire publics – de manière à ce que les étudiants soient «obligés» de passer par des ères communes. Tout en respectant «le nirvana des étudiants», à savoir, tolérance, respect, empathie, interactions et connaissance (tout de même !).

Une autre formidable idée présentée par HVDN Architecture est celle d’un logement étudiant nomade, mobile. Construire en préfabriqué exclusivement, ce qui n’exclut pas la qualité (encore une fois, le temps de la réflexion y pourvoira !). L’idée est que le logement étudiant qui s’installe un jour sur tel terrain en friche, demain déménagera sur d’autres terrains, entrainant avec lui tout un système itinérant d’activation de la ville : qui dit logement étudiant dit aussi cafés, restaurants, magasins, services multimédia, blanchisseries… Quand on transforme un espace urbain en friche en un espace habité - par exemple - par les étudiants, cela active la Cité, génère plein d’activités, dans une vraie «logique de chantier».

Réellement, comme le dit Maria Gravari-Barbas, le logement étudiant est un formidable laboratoire d’innovation et d’invention. Inventons nous aussi !

Publié dans les Quotidiennes, le 5 novembre 2010

lundi 1 novembre 2010

La preuve par la Belgique

Cela fait des mois et des mois désormais que la Belgique vit sans gouvernement central. Le pays est géré par les gouvernements régionaux. Et très bien géré. Personne ne fait grève, les gens sont souriants comme toujours, le pays vit, travaille, mange, dort et les écoles sont ouvertes. Economiquement parlant, la Belgique se porte mieux, les investisseurs étrangers affluent, le pays est presqu’au top de l’attractivité pour les sociétés et investisseurs d’ailleurs. Personne n’ose le dire, parce que bien évidemment, cela met en cause, très profondément, l’existence de gouvernements centraux – tout en valorisant les gouvernements régionaux, le travail proches des gens, proches des ressources réelles, proches des préoccupations du quotidien.
Alors imaginez un instant qu’en France on décide de supprimer le gouvernement central et centralisateur – voilà bien une abyssale source d’économies : de quoi financer les retraites, les hôpitaux, les universités, l’enseignement et la culture. La France qui a dévelopé ces dernières années ses gouvernements régionaux pourrait parfaitement fonctionner sur cette base. Alors mes amis français me rétorquent, mais non ce n’est pas possible, les Français ont besoin d’être « menés », ils élisent toujours celui, non pas qui est le plus intelligent ou le plus compétent, mais qui a la plus grande g… Mais est-ce si vrai encore ? Ne serait-ce pas, au contraire, là justement que se niche la grande lassitude des Français, d’être conduits par de beaux parleurs qu’ils ont élu malgré eux et dont ils doivent subir la parole sans effets ? N’est-ce pas cela justement, la grande lassitude des Français, que de voir cet immense appareil inutile consommer une si grande partie de leurs ressources sans réaliser l’importance fondamentale des questions « du terrain » - du terrain de vie donc ? Toutes ces questions que les gouvernements locaux et régionaux connaissent si bien et essayent de résoudre de manière pragmatique – la seule qui vaille finalement – mais en se heurtant trop souvent à la politique centrale. Oui, n’est-ce pas là justement, la plus grande lassitude française, celle qui explique les grèves, et leur acceptation aussi, par le plus grand nombre de citoyens de ce pays ?
Alors d’autres amis français, préoccupés avant tout de culture – et dieu sait qu’elle est magnifique en ce pays – me disent, mais alors, comment vivrait la culture dans les régions ? Elle vivrait très bien, par elle-même, elle se fédérerait spontanément pour réaliser les aspirations des artistes, des étudiants, des intellectuels et des autres, elle se laisserait davantage guider par les mouvances locales que par les désirs et décisions encore une fois top-down qui tentent de guider la culture des régions. La puissance culturelle française est partout, de Calais à Metz, de Marseille à Lyon… et à Paris bien sûr ! A-t-elle vraiment besoin d’être centralisée et gouvernée ? Rien n’est moins sûr.

Et en Suisse ? Imaginez un instant que notre pays, qui si souvent se pose en exemple à la Belgique, prenne soudain exemple sur elle, suive le même chemin et décide d’affaiblir jusqu’à l’inexistence le gouvernement central. Tous les fonctionnaires centraux mis au chômage technique seraient rapidement réengagés dans les économies régionales florissantes et solidaires. Nous ne garderions qu’un département des affaires étrangères qui serait alors renforcé - car oui évidemment, les relations étrangères doivent être fortes pour pouvoir faire passer aux pays partenaires le message que le pays existe ! Peut-être le seul souci de la Belgique en ce moment, c’est qu’elle ne semble pas à même de faire passer ce message, oui la Belgique existe et se porte même très bien !
Cette Belgique qui revisite allégrement la théorie libérale et fédéraliste qui dans sa pureté donne l’essentiel des pouvoirs aux régions. Vite, saisissons cette chance de modèle expérimental qu’elle représente en ce moment, et étudions-le sérieusement, pour pouvoir nous en inspirer au mieux. Et félicitons les Belges pour leur pragmatisme plutôt que de hocher la tête en nous demandant, mais existe-t-il encore ce pays – comme si nous étions tous convaincus qu’un pays n’existe que par son gouvernement central ! Et qu’à notre suite, même le Président Obama et tous les Américains avec lui, ceux de l’Arkansas ou du Dakota Nord, ceux de l’Indiana et de la lointaine Caroline du Sud, à leur tour revalorisent les gouvernements locaux et affaiblissent leur gouvernement central, notamment dans son hypertrophie sécuritaire absurde, pour traiter les vraies questions du terrain – en ce moment, celle de la pauvreté menaçante avant tout, une question qui ne se traite jamais par la dissimulation.



Publié dans l'Agefi, le 1er novembre 2010

Barbara Polla interviewée par arsbrevisvitalonga, encore une histoire de corset

Interview publiée sur Ars brevis vita longa

On connaissait les business angels, vous étiez Fashion Angel pour le défilé de la HEAD. Quelles sont les similarités, les différences entre ces deux rôles?
Les deux sont aussi différents et similaires que le business et la mode…

Qu’est-ce qui vous stimule le plus dans la mode? Les vêtements ou les créateurs? Pourquoi?
Les créateurs – parce que depuis toujours, je me passionne pour le processus créatif encore plus que pour le produit de la création.

Quel est les vêtements qui restent à inventer?
Un corset que nous porterions par dessus nos vêtements d’aujourd’hui.

Quel rapport entretenez-vous avec vos vêtements? Ce rapport est-il me même que celui que vous entretenez avec vos chaussures?
Je suis très soigneuse avec mes vêtements, je les porte très longtemps, puis je les range au grenier, et parfois je retourne ensuite y faire des courses…
Alors que mes chaussures je les mets, je marche, puis ciao !
L’essentiel, c’est qu’elles doivent être confortables, même celles à talon très haut, avec une grand préférence pour les bottines ou les chaussures avec des attaches sur les chevilles.

Donnez-vous vos vêtements, chaussures? Les jetez vous? Si oui/non pourquoi, à qui?
Je donne mes vêtements à mes filles en premier lieu, j’organise des “marchés collector vintage”, je vide le grenier, je mets tout dans mon bureau, elles choisissent…

Si vous ne deviez retenir qu’un seul nom de couturier, de qui s’agirait-il et pourquoi ?
Kris Van Assche – qui d’autre vraiment ?

Crash - Octobre 2010

Jean-Christophe Amman, la faim inassouvie

Les oeuvres comme des individus : il faut dormir avec elles
Il a été directeur de nombreux musées, il est toujours un grand amant de l’art. Un grand amant de l’art, et un grand homme. "Monsieur Ammann ? Oui c’est là, par ici, entrez, oui, Monsieur Ammann, au deuxième étage - il ne répond pas ? Je vais l’appeler..." tout le monde le connaît dans le quartier. Il finit par m’ouvrir la porte, nus pieds et en peignoir, ce samedi matin en plein été, dans un quartier périphérique de Frankfort. Les artistes lui reconnaissent sa grandeur et lui retournent leur amitié: les murs de son appartement sont entièrement tapissés de cadeaux, de bas en haut et de gauche à droite et A Jean-Christophe Amman est inscrit autant de fois qu’il y a d’oeuvres. Jean-Christophe Ammann est un homme généreux : il sait recevoir. Je resterai jusqu’au soir, pour le laisser ensuite, dormir avec ses oeuvres, comme chaque nuit.
Ammann est le seul commissaire d’exposition à dormir sur un lit de camp dans les salles de musée pendant l’installation de ses expositions. Au réveil, le regard est innocent : il faut se réveiller avec les oeuvres pour vérifier si "elles tiennent", si elles sont bien agencées, si la scénographie choisie respecte et sublime l’émotion. "Dormir avec les oeuvres, c’est très intime et personnel : une oeuvre, ce n’est pas seulement du matériel, c’est un grenier, un récipient d’énergie qui rayonne la nuit aussi et je voulais dans me rêves goûter subir et transformer les énergies émanant des oeuvres." Ce seront alors les oeuvres elles-mêmes qui décideront de la nécessaire distance entre elles pour que le dialogue s’instaure. Il faut donner de l’espace aux oeuvres. Il faut les traiter comme des individus. Comme des corps.

Le corps, cosmique et anti-idéologique
Pour Ammann, depuis toujours, le corps est au centre. Il est cosmique, nécessaire, essentiel et unique : si je fais un nu de toi, me dit-il en me dévisageant et en me tutoyant déjà puisque me voilà individuée, je trouve une forme unique : ce corps que tu habites, en exclusivité, toute ta vie, sans être capable de le partager. Ce corps fondateur de toute notre culture et de notre tradition occidentales : le corps toujours, essence même de l’art, mémoire collective occidentale. Mais pas n’importe quel corps : le corps crucifié qui porte depuis des siècles le quatuor, le quadrilatère, qui a fait l’Occident : jouissance, souffrance, extase et ascèse. Le quatuor du corps crucifié nous joue la musique du désir.

La négation du corps est de fait la négation du désir, la négation de la vie, un tribut à la mort. Absurde, pour Amman. Il s’énerve, déambule, tire sur sa pipe, s’enroule dans la fumée. "La confrontation entre l’islam et le monde occidental se joue, entre autres, autour du corps : désormais, les organisateurs de biennales du monde entier, dans un souci de politiquement correct qui n’est rien d’autre qu’une soumission aux idéologies dominantes, minutieusement évitent cet élément fondateur de la culture occidentale qu’est le corps. Je critique la globalisation dans l’art parce qu’elle amène la plupart des acteurs de l’art à renoncer au corps. Le refus du corps est un tribut aux idéologies : les idéologies situent les idées au-dessus des individus ; le corps, lui, est vie, désir, anarchie, et toujours anti-idéologique." Par contraste, la religion chrétienne ouvre la porte à l’apprentissage du "moi" et l’individuation y est fondamentale : "tu quitteras ton père et ta mère". Tu aimeras ton prochain comme toi-même, comme un corps, comme un individu. Certes, la communauté offre des avantages sociaux... mais l’unification communautaire est mortifère. Elisons le morcellement, l’individuation, le corps !

Une immense faim de femmes
Le corps, le sien, vit dans la rencontre de l’autre. Ammann ne s’en est pas lassé : "j’ai une immense faim de femmes, que l’art a encore aiguisée". Sa dernière exposition au Centre Culturel suisse à Paris, A rebours, est une grâce rendue au corps de la femme, à son intimité et ses transformations, un émerveillement, un témoin de cette faim pour toujours inassouvie. "Faire l’amour avec une femme, cela peut être interminable. On évolue dans la façon de faire l’amour - jeune homme je n’étais pas qualifié et j’avais trop de pression, il fallait que ça gicle - mais avec l’âge on développe un sixième sens, mais c’est seulement vers l’âge quarante ans que je suis devenu capable de me donner à une femme. C’est extraordinaire de faire l’amour pendant quatre heures au lieu de dix minutes, le luxe c’est d’avoir le temps... Faire l’amour avec une femme, cela peut être interminable. La femme est un mystère, elle est l’attraction éternelle... Il faut vous engloutir". Immense sourire.
Et Ammann esquisse un pas de danse et se met à chanter : Etoile des neiges, Mon coeur amoureux... Oui, nous sommes en plein mois d’août et Jean-Christophe Ammann que je rencontre pour la première fois me chante Etoile des Neiges... Il chante juste. Tout chante juste en cet homme. Et il m’explique encore que le psychanalyste Wilhelm Reich avait raison : l’orgasme a surpassé le big bang. Et que pendant ses dix dernières années de vie, tout le travail de Picasso est une ode au désespoir extraordinaire de ne plus être capable de bander. Une ode au voyeurisme : l’image devient le substitut. Toute la production artistique vient de là : être dans l’image comme substitut au faire. Quant elle est "bonne", l’image acquiert une corporalité et génère la présence de celui qui la regarde à l’intérieur d’elle-même.

Le corps masculin aussi, ou plutôt, son sexe, et son visage...
Au-dessus de nous, entouré de dizaines d’autres toiles, un grand Lucian Freud : l’homme est nu. Son sexe est beau. Et pourtant, pour Ammann - pour les hommes ? - le sexe masculin n’a de physionomie que quand il est en érection. Et de revenir sur l’exposition de Toscani, à la Biennale de Venise : gros plans sur des dizaines de sexe. Mais on ne regardait plus les sexes - ils n’étaient après tout que signes de sexes, comme dans la statuaire classique - on regardait l’ossature. C’est elle qui redonnait l’individualité.
Mais où sont, dans l’art, les sexes en érection ? Nous nous étonnons, ensemble, que les femmes ne glorifient pas, dans l’art, la beauté du sexe masculin en érection. Et pourtant la seule façon de se glorifier c’est de glorifier l’autre... Mais la gloire du sexe en érection est à chercher ailleurs. Le plus souvent, dans l’érotisme homosexuel. Au Centre Culturel Suisse, Ammann présentait ainsi, de l’artiste suisse Christoph Wachter, une série de dessins minuscules, noirs, puissamment érotiques. Ce format minuscule, conséquence d’une tension entre le faire et la culpabilité de l’avoir fait, éatit aussi, pour le spectateur, une discrétion, une solitude, un appel au regard de près, l'absence de partage avec un autre regardeur.
Et le visage ? Jean-Christophe Amman voulait devenir médecin. Ou plus exactement, chirurgien. "J’avais cette idée en tête depuis très longtemps, depuis que j’avais vu un livre sur les gueules cassées de la première guerre mondiale. Il me fallait absolument trouver un moyen de réparer ces visages. Le visage est le centre du corps. Je me suis dit que j’allais devenir chirurgien plasticien. Finalement j’aurai réparé les visages par l’image seulement. Mais être historien de l’art, c’est aussi servir la communauté. Pour servir, il faut le plaisir. Il faut avoir un plaisir fou pour savoir le transmettre..."

L’art comme poétique
Ah, encore, la fonction de l’art ? Kunst als Aufklährung, ça c’est fini, obsolète, on oublie. L’art désormais, une poétique. Autour du corps : le corps nu, et, au coeur du corps, la colonne vertébrale. La colonne vertébrale, c'est la poésie. Contemporain ne veut pas dire d’aujourd’hui : non, c’est ce qui a travers sa poésie a une présence contemporaine Il y avait une époque où les artistes donnaient la direction générale - aujourd’hui ce n’est plus le cas. Les curateurs de la globalisation cherchent certes à remplacer les artistes, à donner cette direction générale en imposant leurs choix qui le plus souvent sont scolaires et sans rapport avec la réalité de la création. Dans cette réalité, la dispersion est incroyable, il n’y a plus de tendance plus d’avant-garde et rien n’est à venir. C’est difficile à comprendre, il faut admettre que tout nous échappe... Mais c’est la vie et c’est tant mieux : chaque artiste dans le monde devient un univers parallèle. La fonction de l’artiste ? Celle d’un chercheur de soi même dans une conscience contemporaine - forschen nach dem Selbst. Le soi n’existe pas en tant que tel, c’est une fonction, et plus on travaille sur soi plus ça devient mystérieux et gigantesque.
Le futur ? Il est ouvert ! A mon âge, qui n’est pas un âge, le futur c’est la curiosité. Je suis extrêmement curieux de ce que les artistes créeront aujourd’hui, demain, après-demain. Je veux voir et voir encore, écouter les artistes, comprendre la pensée de la jeune génération, rêver dans leurs studios : je suis un troupier qui s’enrichit à leur contact. J’ai besoin du sang des autres pour me nourrir...

vendredi 29 octobre 2010

Tribune libre de Barbara Polla : Tell Me Swiss !

Tell Me Swiss ? C'est la dernière création du catalan Cisco Aznar. Qui fait parler d'elle jusqu'à l'autre bout du monde. Présentée dans le cadre de l'Exposition Universelle de Shanghai, elle aurait pu prendre comme sous-titre : Chronique d'une censure annoncée. Il a fallu couvrir les seins des danseuses, ce qu'Aznar fit de bonne grâce, mais non sans inscrire "Censuré" sur les corps concernés !

Mais au-delà de quelques ravissantes mamelles, qu'est ce qui choqua vraiment, dans cette fantaisie suisse que seul pouvait créer "un étranger" ? La réalité, Mesdames et Messieurs, voilà ce qui choque, choqua et choquera… la réalité du travail par exemple, et la manière dont cette réalité là est traitée en Suisse. Psychédélique : voyez l'apprentissage pour les clandestins - oui, mais qu'ils restent soigneusement, tout de même, clandestins, aussi longtemps que nous aurons besoin d'eux. La Suisse non seulement sait travailler, mais elle sait aussi faire travailler les autres, pour elle et chez elle. Sans les "travailleurs étrangers" - et, en ce qui nous concerne, nous les femmes, les travailleuses - que ferions-nous ? Sans ces travailleuses qui font fonctionner notre pays et qui nous permettent notamment, à nous femmes actives que nous sommes, de devenir - en apparence du moins - de vraies super-women, à la fois professionnelles et engagées socialement et qui s'occupent à la quasi perfection non seulement de leur travail, mais en parallèle de leurs foyers, de leurs enfants et de leur famille élargie ? Oui, sans ses vrais super-travailleurs, la Suisse ne serait pas si belle.

La Suisse certes exploite parfois, dissimule et hiérarchise, mais elle est aussi la démocratie la plus extrême du monde. Et elle sait accueillir l'étranger de manière si éminemment sélective que tous ceux qui passent sous les fourches caudines de l'accueil suisse officiel vont se trouver pour toujours liés à ce pays qui les a élus "swiss-compatibles". Et comme le disent, le chantent et le dansent les acteurs de Tell Me Swiss, si la Suisse est "grave" avec ses étrangers, il vaut toujours mieux être étranger en Suisse que chez soi dans tant d'autres pays du monde… Cisco Aznar sait de quoi il parle : il vit chez nous ! Cynthia Odier aussi, sait de quoi elle parle. Elle est grecque - et à l'origine, en collaboration avec la Haute école d'art et de design - Genève (HEAD), de ce spectacle pour le moins ébouriffant. Car Tell Me Swiss n'est pas tombé du ciel : né de l'union de la Fondation Fluxum et de la HEAD, cette performance transdisciplinaire s'est inspirée des costumes créés pour Shanghai par les étudiants en Design Mode de la HEAD. Pour L'Extension, Jean Pierre Greff, le Directeur de la HEAD commente : "Nous n'avions pas imaginé que la création des costumes pour le Pavillon suisse de Shanghai - qui en soi était déjà une belle success story pour la HEAD et son département Design Mode - puisse trouver un prolongement aussi... spectaculaire. C'est à Cynthia Odier que nous en devons l'idée ! C'est elle aussi qui a rendu possible ce spectacle plein d'invention et de drôlerie, de poésie et d'humour, impertinent et provocateur imaginé par Cisco Aznar. Avec quel brio ! Le dialogue qu'il a engagé avec l'école a été enthousiasmant. Nous allons le poursuivre..." Après Shanghai, retour à Genève, où Tell Me Swiss sera présenté à nouveau en décembre, à l'Alhambra. Allez apprécier ce conte de fée grinçant où dragons et sorcières se rencontrent mais aussi "Coucou" et "Moitié-moitie »́ … car une des qualités salvatrices de la Suisse est sa capacité d'autodérision. Le film des Faiseurs de Suisses en fut longtemps le témoin par excellence, aujourd'hui Tell Me Swiss prend la relève ! Au thème de l'exposition universelle, "Meilleure ville, Meilleure vie", on pourrait désormais ajouter, meilleur pays, meilleur spectacle.

Car en dehors de la provocation pleine de gaieté, Tell me Swiss est aussi un émerveillement. Pour la féérie du spectacle d'abord : Cisco Aznar offre à son public une scène au plancher si verdoyant que l'on se croirait en plein mayens. Rien ne manque au décor et la Suisse éternelle repose tranquillement au pied de ses alpages tandis que le troupeau de vaches, entre idéalisme et vacherie, se forme et se déforme pour réclamer des subventions pour les agriculteurs... Pour Guillaume Tell, ensuite. Guillaume Tell pour une fois représenté tell qu'il était, un tout jeune homme fier et angoissé. Magnifique échange de regards entre le père et le fils, ce dernier inquiet et pourtant complice, face à son jeune père qui met en jeu la vie de son enfant pour le refus de se soumettre et le sauve grâce à sa compétence. Complices en liberté. La liberté comme valeur absolue. La nôtre bien sûr - mais sans oublier celle des autres.


Libre livre, un best seller archi-suisse

L'Histoire suisse en un clin d'œil de Joëlle Kuntz est un best seller. Pour les russes notamment, mais plus fascinant encore, pour nous les Suisses. Exceptionnel vraiment car "suisse" et "best seller" ne vont pas souvent de pair et encore moins en littérature qu'en tout autre domaine : presque un oxymoron ! Et pourtant, c'est bien un best seller : incroyable mais vrai. Nombreux sont ceux qui se sont demandés pourquoi. Peut-être parce que, comme le dit Joëlle Kuntz, "le désir de la Suisse de jouer un rôle est au moins aussi grand que son désir de ne pas prendre parti" et que ces deux désirs contradictoires animent la plupart d'entre nous, suisses, non suisses, ou suisses à moitié. Les paradoxes identitaires qui tordent plus souvent qu'à son tour les intestins de ce pays ne sont-ils pas, eux aussi, un reflet des paradoxes identitaires de chacun d'entre nous ? Etre grand mais discret, neutre mais bon, pauvre mais riche ou alors riche mais sans que cela ne se sache, ouvert et fermé...
Joëlle Kuntz nous raconte l'histoire de ce pays, le nôtre, qui selon Pierre Assouline est un "îlot d'absurdie dans un monde déréglé", comme elle nous raconterait une l'histoire d'une personne qu'elle aurait bien connue. La Suisse a une psychologie, des problèmes d'identité, elle change au cours du temps, elle assemble ses parties disparates en un improbable mais résilient ensemble. Les cantons de cette Suisse fédéraliste, qui selon Joëlle Kuntz, "ne font plus qu'appliquer en toute “souveraineté” des décisions qui ont été préparées ou orientées par l'administration fédérale" nous ressemblent : nous tous, habitants de la planète Terre, appliquons nous aussi, en soi-disant souveraineté, des décisions préparées par d'autres, ou les laissons appliquer, parce que finalement c'est plus simple, le plus souvent, que de s'y opposer.
Joëlle Kuntz en nous racontant la Suisse nous raconte donc nous-mêmes, et c'est bien là la raison d'être d'un best-seller... "On peut raconter la Suisse, dit encore Assouline - mais on ne l'explique pas sauf à être Kafka, Musil ou Nabokov. Pour ce qui est du pays-qui-n'existe-pas, du malheur d'être suisse et de la prison de l'esprit, on se reportera plutôt à Durrenmatt ou Frisch. Quatre langues pour sept millions d'habitants répartis entre vingt six cantons et demi-cantons, et un compromis fédéral pour gérer les désaccords ? Il faut être fou. Sur le papier, c'est indéfendable. Même en se rangeant derrière son cher arbalétrier d'élite, Guillaume Tell. Pourtant, ça fonctionne" - Tell quel ! Joëlle Kuntz n'explique rien, surtout pas le merveilleux malheur d'être suisse, mais elle nous donne à penser, en nous racontant non pas tant l'Histoire suisse que des histoires. Celles des villes, notamment. J'appris ainsi qu'en juin 1814, lors de l'arrivée des Confédérés, Genève les salua d'un "Bienvenue aux enfants de Tell !" Parce que Tell, c'est le mythe suisse en action : la liberté comme valeur absolue et la compétence comme instrument. Bienvenue !