L’immigration est l’une des expressions de notre nomadisme fondamental. Je me suis laissé dire que nous sommes dix millions tous les jours à voler autour de la terre dans tous les avions du monde. Et souvent je pense à ces époques bénies, ou les uns et les autres traversaient l’Europe et les autres continents, sans papiers, sans entraves autres que la difficulté du voyage – c’était cela aussi, la Renaissance. Emigrer : partir, quitter son pays ; immigrer : s’installer dans celui que l’on préfère. A tout prix parfois, y compris le risque mortel. L’immigration ? C’est donc d’abord un choix de l’immigré, voire une élection. En aucun cas, sur aucune base intellectuelle valable, l’immigration n’est une fatalité, une déréliction, un délit voire un crime. Emigrer, immigrer, c’est voter avec ses pieds. C’est donc fondamentalement, vouloir s’intégrer.
Ah oui bien sûr je les entends déjà, et nos emplois et le trafic de drogue et ceux qui ont violé nos filles et les profiteurs et notre culture et notre identité nationale et que sais-je encore… Je les entends non seulement ici en Suisse, mais de l’Australie à l’Allemagne désormais, de la Suède à l’Italie – pourtant longtemps modèle de libéralisme, non seulement en termes de faiblesse de l’Etat mais aussi en termes de mobilité des populations, qu’il s’agisse d’immigration ou d’émigration – et même aux Etats Unis. Heureusement, il est au moins un pays qui nous met fondamentalement au défi de toute politique d’immigration restrictive. Le Canada le dit très clairement : « We need people ! ». Ah comme l’Europe devrait écouter ce message, elle qui s’étiole dans son enfermement et dont la démographie s’affaiblit et se dessèche. Vingt pourcent des Canadiens sont nés ailleurs qu’au Canada. Alors bien sûr, pour que le choix du Canada rencontre le choix de ses immigrés, des critères sont appliqués, pour favoriser l’intégration. Vous pouvez tester en sur Internet votre « immigrabilité », en toute transparence. Vous pouvez évaluer le chemin à parcourir, pour vous intégrer. La citoyenneté se mérite, elle requiert un apprentissage intensif des langues, des valeurs, des cultures. Des centres d’intégration active sont mis en place. De plus, autre facteur d’intégration et critère parfait de rencontre productive, les immigrés sont sélectionnés en fonction des besoins du pays. Mieux : des provinces. Dans un pays de cette dimension, les besoins varient. Le Canada considère que l’immigration ne nuit en rien à l’identité nationale : elle est un choix réciproque qui se réalise dans une politique active. L’entrepreneur Arthur de Fehr, cité par Jason Deparle dans The global Edition of the New York Times du 15 novembre, affirme même que parmi les onze millions d’immigrés illégaux aux Etats-Unis il y en a certainement beaucoup qui feraient des citoyens canadiens « perfectly wonderful ». « We need people ? We should go and get them » ! La peur de l’étranger et la manipulation de cette peur fait place à l’analyse et la réalisation des besoins d’immigration, dans le cadre d’une politique ouverte et claire semble-t-il favorisée par le bi-nationalisme et le bilinguisme fondamental du Canada.
Un multi-linguisme, un multi-cuturalisme qui caractérise aussi bien la Suisse – qui elle aussi a encore et toujours des besoins criants, en termes d’immigration, quoi qu’en disent les sirènes populistes. Citons deux exemples, à l’opposé de l’échelle sociale : les métiers domestique et ceux de l’électronique. Les métiers domestiques : malgré le chèque emploi, malgré la traque du travail au noir, la réalité persiste et les besoins de la Suisse bourgeoise et industrieuse en termes d’assistance domestique (enfants, personnes âgées) est très loin d’être satisfaite. Ceux de l’électronique : pour rester à la pointe de l’innovation, une nécessité absolue pour la Suisse, l’apport d’autres manières de penser et de faire le monde virtuel de demain est fondamental. Nous pourrions bien sûr multiplier les domaines, mais une chose est certaine : « we need people too ! ». Alors quand verrons nous des affiches sur nos murs qui disent : « Comment attirer plus d’immigrants ? ». Quel sera le parti qui le premier, oeuvrera dans ce sens ? Et qui, dans le même temps, fera abolir la détention administrative, cette absurdité qui pose bien plus de problèmes qu’elle n’en résout ?
Publié dans l'Agefi, le 17 novembre 2010
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