lundi 30 août 2010

Maladie psychique : les mauvaises et les bonnes nouvelles

Les mauvaises : La maladie psychique est la maladie de notre siècle. 450 millions de personnes dans le monde souffrent de troubles mentaux ou du comportement et la fréquence des maladies psychiques continue d'augmenter. Et pourtant, une petite minorité seulement de ces patients bénéficient de soins adaptés : alors que les troubles mentaux et du comportement représentent 12 % de la charge globale de morbidité dans le monde, la plupart des pays continuent à consacrer à la santé mentale moins de 1 % de leurs dépenses de santé.

Les patients psychotiques, schizophrènes, autistes, souffrent, une souffrance qui se dissémine aux proches. Le chagrin, la culpabilité, l’impuissance... Les sentiments de vulnérabilité, de mise à nu, de solitude des patients les amènent souvent à se replier de plus en plus sur eux-mêmes, d'autant plus qu'ils ont le sentiment d'être incompris du reste du monde. La peur anime les patients et leurs proches, comme une peur contagieuse.

Les bonnes nouvelles ? La recherche et les soins. D’abord, on sait aujourd’hui que l’autisme n’est pas une maladie induite par les familles elles-mêmes qui seraient pathogènes, mais liées, entre autres, à des anomalies chromosomiques comme dans le cas du Syndrome de l’X Fragile . Bonne nouvelle encore, plusieurs firmes pharmaceutiques, dont, à Boston, Seaside Therapeutics, sont en train de développer de nouveaux médicaments qui semblent très efficaces notamment dans le Syndrome de l’X fragile justement. Selon un récent article du Boston Globe, l’efficacité de ce nouveau médicament est telle que les parents détectent immédiatement la phase dite “placebo” et demande que leur enfant soit remis au bénéfice du “vrai” médicament.

Et à Genève ? Outre les nombreuses associations à l’œuvre, dans le domaines de l’autisme notamment, le programme JADE (Jeunes Adultes avec troubles psychiques DEbutants) est spécialisé dans la prise en charge précoce des patients à risque et se donne notamment pour mission de prévenir la déstructuration personnelle et sociale et de soigner la souffrance profonde mais souvent méconnue de ces jeunes patients. Grande admiratrice de ce programme, je lui ai consacré récemment un article plus complet.

Sans oublier que l'inconscient est aussi notre inépuisable richesse, à nous humains, et les malades psychiatriques ont beaucoup à nous apprendre sur nous mêmes, comme les maladies physiques nous apprennent beaucoup sur le fonctionnement de notre corps.

Selon la mère d'un patient en voie de guérison, qui s’exprimait dans la très belle émission de Temps Présent consacré aux jeunes patients psychotiques l'an dernier, ils ont, comme nous, leur partition à jouer dans la société. Une partition créative. Ecoutons-les...


Publié dans les Quotidiennes, le 30 août 2008

vendredi 27 août 2010

La lumière en écho

Qu’est-ce qui peut bien lier impressionnisme et vidéo ? La lumière bien sûr... La lumière en écho.

C’est d’ailleurs le titre d’une des expositions parallèle au grand raout sur l’impressionisme qui a lieu cet été en Normandie. A Rouen, dans les Jardins de l’Hôtel du Département, vous attend la lumière donc, cachée dans une sorte de boîte rouge qui semble être arrivée là comme par magie pour accueillir les douze vidéastes sélectionnés par Les deux commissaires de l’exposition, Dominique Goutard, responsable de l’Agence vocatif, et Jean-Luc Monterosso, directeur de la Maison européenne de la photographie.

Une exposition vidéo qui nous conduit à repenser l’impressionnisme, non pas comme passé plein de nostalgie, mais dans son temps, comme avant-garde. Plusieurs traits rapprochent d’ailleurs les Impressionnistes du 19e siècle et les vidéastes du 21e siècle : “leur jeunesse d’abord ; une même façon de regarder et d’exprimer autrement ; une même attention aux révolutions scientifiques ; une même rupture avec les académismes - lumière vibrante, fusion des formes et des couleurs, confusion entre réel et virtuel.” En plein milieu du XIXe siècle, l'Impressionnisme est en effet ressenti comme une authentique révolution picturale - tout comme l’art vidéo l’est aujourd’hui encore, pourtant l’une des formes d’art les plus intéressantes, les plus ancrées dans notre temps, mais encore peu collectionné, peu montré et sans vrai marché.

Les deux commissaires, qui ont également initié le concept de Arte Video Night sur Arte, se sont pris au jeu de comparer deux époques, deux générations d'artistes, deux modes de création totalement différents mais que réunit une même intensité... lumineuse, donc. Les vidéastes d’aujourd’hui partagent même des sources d’inspiration très précises avec les impressionnistes d’autrefois : en ce sens la vidéo Au premier dimanche d’août de Florence Miailhe et La Liberté raisonnée de Cristina Lucas sont les plus frappantes : les références à La liberté guidant le Peuple de Delacroix pour l’une et à Renoir pour l’autre sont plus qu’évidentes. Mais portées par un nouveau regard, qui bouleverse les codes, fusionne les couleurs et les formes. Comme l’impressionnisme.

Si vous allez voir la sublime cathédrale de Rouen, que Monet voyait de sa fenêtre, et tous les tableaux de maîtres réunis jusqu’au 30 septembre en Normandie - n’oubliez pas La lumière en écho. Et si vous êtes vidéastes, participez au concours sur Dailymotion , en lien avec la lumière, encore...


Publié dans les Quotidiennes, le 27 août 2010

lundi 23 août 2010

Quand l’artiste s’invite en cuisine

Pour ces dernier jours d’août mais jusqu’au 14 novembre si vous préférez la Gaule dans son manteau d’automne, une double destination de rêve : le musée de Bibracte et le relais Bernard Loiseau à Saulieu. Ou l’inverse. Les monts du Morvan les séparent, ou les unissent. Les unissent aussi, la beauté de la Gaule profonde et l’amour de l’art.

Bibracte ? Le Centre Archéologique européen, un musée magnifique – un mur surtout, qui ne sépare rien si ce n’est le temps peut-être - dessiné par l’architecte Pierre-Louis Faloci et dirigé avec passion par Vincent Guichard, lequel s’intéresse, entre mille autres choses, au cannibalisme helvète... Vous savez, les restes humains trouvés par les archéologues au bien nommé Mormont... Je rêve de cannibalisme depuis, d’une résidence littéraire au Morvan, pour raconter pourquoi et comment nous nous mangeons les uns les autres...

Mais ce printemps, la résidence d’artiste fut attribuée au vidéaste turc Ali Kazma. Kazma filme le travail humain sous toutes ses formes. “Par l'intermédiaire de l'objectif de la caméra, Ali Kazma s'intéresse d'abord et avant tout à l'homme et à la façon dont ce dernier active des territoires personnels ou collectifs. Ses vidéos sont des relevés très attentifs de diverses activités professionnelles. Elles montrent ainsi comment l'homme interagit avec le monde, l'influence et le transforme.” Au musée de Bibracte, la vidéo Studio Ceramist est montrée dans la salle des poteries anciennes ; celle du Clock Master dans la salle qui montre les vestiges des premières activités industrielles...

Au Morvan on explique “qu’aucune commande spécifique n'a été passée à Ali Kazma. Nous souhaitions simplement qu'il porte son regard de vidéaste sur l’un ou plusieurs ou quelques aspects de la vie contemporaine dans le Morvan.” Evidemment, on s’attendait à ce qu’il s’intéresse par exemple aux scieries... Eh bien non. Ali Kazma s’est invité pendant une semaine dans les cuisines du relais Bernard Loiseau à Saulieu. Il y a mangé, matin midi et soir – jusqu’à ne plus vouloir manger rien d’autre. Il a filmé avec la plus grande attention le travail en cuisine, des heures et des heures de tournage pour dix minutes de vidéo. Kitchen, qui sera également montrée en octobre à la Galerie Municipale de Nanterre avec d’autres vidéos de la série Obstructions, dans une exposition intitulée Savoir Faire, occupe une place particulière, selon Ali Kazma, dans cette série : en effet, contrairement aux autres produits - le produit du cuisinier est consommé immédiatement. A la fin de Kitchen, on entend la voix de Patrick Bertron qui dit “service s’il-vous-plaît”. Et le plat s’en va pour ne plus revenir... Des heures de travail sont généreusement offertes, sur plateau, avec une méticulosité et un amour du travail culinaire créatif que Kazma nous donne à voir avec tout son art.

Publié le 23 août 2010 dans les Quotidiennes

samedi 21 août 2010

Occasionals and Danger Men

Il y a dix ans, nous montrions pour la première fois en Suisse le travail de Matt Saunders. Il était alors étudiant à Harvard. Le 1er septembre, après huit ans de travail et de vie à Berlin, il retourne à Harvard, cette fois ci comme professeur... Occasionals and Danger Men !


Matt Saunders


Occasionals and Danger Men


August 21 - October 1

Opening August 20, 6 - 9 pm
Le commentaire de Francis Richard

Opening Nuit des Bains, Poetry Night, September 16, 6 pm - 2 am




Danger Man (Pensive), 2010


Plus d'informations |
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Analix Forever 25 rue de l’Arquebuse Geneva tel + 41 22 329 17 09 analix@forever-beauty.com


samedi 14 août 2010

Genève, et si on allait à la 3e nuit de la vidéo

La galerie Analix Forever organise la 3e édition de la Nuit des 1001 vidéos qui se tiendra le vendredi 16 juillet 2010 prochain, à partir de 20h,
dans le prolongement du vernissage de Summer Trees (notre illustration) !

Emotion à l'envi

Cette nuit commencera par une histoire à la fois intime et universelle, sous le signe de l’émotion. Marguerite et le dragon (56 min) est un film personnel et sensible réalisé par Raphaëlle Paupert-Borne (ancienne pensionnaire de l’Académie de France à Rome) et Jean Laube qui assisteront à la projection. Il a été récemment diffusé au Centre Pompidou dans le cadre de la dernière édition du festival du Cinéma du Réel. Un texte de l’écrivain Laurent Mauvignier, consacré à ce film, sera lu pour introduire la projection.

Une pluie d'artistes

La soirée se prolongera ensuite avec une sélection vidéo de nombreux artistes, parmi lesquels Andreas Angelidakis, Elisabetta Benassi, Joakim Chardonnens, Delphine Depres, Benjamin Colin Dick, mounir fatmi, Charles D. Fisher, Emmanuel Giraud,
Shaun Gladwell, Marie Hendriks.

Qui est invité?

Tous les vidéophiles, cinéphiles et autres passionnés de l’image. Installés sur des coussins et matelas, café et douceurs vous seront
offerts pour tenir jusqu’au terme de cette nuit des 1001 vidéos. A cette occasion, Adrian Filip - que les habitués de la galerie connaissent bien – déserte son cours lausannois de comédien pour jouer les maîtres de cérémonie.

En savoir plus: analix@forever-beauty.com


Publié dans les Quotidiennes, le 14 juillet 2010

lundi 9 août 2010

L'Eté de Barbara Polla

Oubliez les Fêtes de Genève!

Allez plutôt à Orange Cinéma Genève, dès le coucher du soleil prenez part à la fête…. Il fera beau le 14 août, avec Nowhere Boy de Sam Taylor Wood.

Sam Taylor Wood? Une artiste de la scène anglaise dite YBA (Young British Artist) qui expose dans la même galerie que les célébrissimes Damien Hirst et Tracey Emin avec juste la petite différence qu'elle a épousé le galeriste… Divorcée depuis, elle est aujourd'hui enceinte d'un jeune homme de 19 ans qui est son partenaire à la vie comme à l'écran puisque c'est lui qui incarne John Lennon dans le film tourné par l'artiste devenue film maker – doux mélange! Sans oublier que la magnifique artiste a une longue expérience du monde du cinéma, pour avoir photographié en pleurs ni plus ni moins Jude Law, Paul Newman, David Beckham, Dustin Hoffman… Cinéma encore: allez vite voir Mammuth au Cinélux boulevard Saint-George. Parce que Gérard Depardieu, c'est Gérard Depardieu, et que le rapport de cet homme à son corps est exceptionnel… et n'oubliez pas un petit détour par le Cimetière Saint-Georges, ce cimetière en pleine ville vaut le détour car oui, il est encore parfois des cimetières romantiques qui animent de leurs fantômes tout un quartier et au-delà… Et tout près, venez chez moi, à la galerie Analix, rue de l'Arquebuse, voir Summer Trees – mais surtout, pour les meilleures expositions de l'été, allez à jusqu'à Evian au Palais Lumière admirer l'exposition très liquide de la Fondation Sandretto Re Rebaudengo, H2O – les arbres les pieds dans l'eau en somme… et jusqu'à Annecy, à la Fondation Salomon, pour les sculptures dans le parc, en particulier Fils d'eau de Giuseppe Penone, pour qui «créer une sculpture est un geste végétal.»

Et de retour dans le quartier – pour manger, boire, travailler… et dormir même (dans la suite 501 absolument): le Tiffany, ouvert tous les jours depuis ma nuit des temps : tout y est frais jusqu'au vin du sud de l'Amérique qui chante au fond du verre – quand l'espoir et le deuil sont du même festin… Un été à réécouter Moustaki. Et la nature encore: au bout de la rue de l'Arquebuse, la Barge…


Publié dans Sortir.ch, le 9 août 2010

jeudi 5 août 2010

La plus grande petite annonce de tous les temps ou comment être un leader

Connaissez-vous la plus grande petite annonce de tous les temps ? La voici. Parue dans le Times, le 1er janvier 1914, elle a généré 5000 candidatures.
Men wanted : for hazardous journey. Small wages, bitter cold, long months of complete darkness, constant danger, safe return doubtful. Honour and recognition in case of success. Sir Ernest Shackelton.
Shackelton ? Le roi de la petite annonce donc. Et le roi des entretiens d’embauche. Car il ne s’agissait de rien moins que de traverser le continent Antarctique de bout en bout, de la mer de Weddell à la mer de Ross via le pôle, à bord de l’Endurance. Vingt-sept hommes seront retenus.
Pour être roi dans les entretiens d’embauche, il faut savoir désarçonner son candidat. Au physicien Reginal James, surnommé Gentle Jimmy, Shackelton demande s’il sait chanter. Gentle Jimmy sera nommé responsable des mesures de magnétisme. Le chirurgien Alexander Macklin, qui sera quant à lui gratifié du rôle de responsable des chiens, disait de Gentle Jimmy qu'il disposait de « merveilleuses machines électriques qu'aucun des autres membres de l'équipage ne comprenait - ni lui non plus. »
Shackelton est aussi le roi de la transformation de l’échec réel en victoire mémorielle. L’Endurance se retrouve emprisonné dans les glaces et est lentement écrasé, obligeant les hommes à débarquer. Shackleton et son équipage passent plus d'un an bloqués sur un pack à la dérive, balayé par le blizzard. Lorsque enfin ils libèrent leurs chaloupes, c'est pour affronter quinze jours d'une mer déchaînée, « brûlés par la soif et les embruns glacés. » Leur terre promise, la Géorgie du Sud, ils devront en escalader les glaciers, dévalant champs de neige et précipices avant de parvenir à bon port. Mais Shackleton ne perdra pas un seul homme et l’histoire de l’Endurance restera pour toujours la plus stupéfiante épopée de toute l'histoire de l'exploration polaire.
Mais comment cela s’est-il fait ? C’est que Shackelton est encore un roi incontesté du leadership, un modèle en la matière.
On raconte qu’il avait dix secrets :
1. une vision et de rapides victoires intermédiaires : sans jamais perdre de vue son objectif final, il consacrait son énergie à la poursuite des objectifs à court terme ;
2. le symbolisme et l'exemple personnel : Shackelton donnait lui-même l'exemple au moyen de symboles et de comportements « observables et mémorables » ;
3. l'optimisme et la réalité : Il insufflait l'optimisme et l'assurance, tout en demeurant réaliste ;
4. la résistance physique et nerveuse (ce que l’on appelle stamina, à savoir, les organes mâles des fleurs…) : il prenait soin de lui-même, récupérait quand c'était nécessaire et faisait fi de tout sentiment de culpabilité ;
5. le message à l'équipe Il renforçait constamment le message communiqué à l'équipe : « Nous ne formons qu'un — nous vivrons ou mourrons ensemble » - Yes we can ! ;
6. les valeurs fondamentales de l'équipe : Shackelton minimisait les différences de statut social et insistait sur le respect mutuel et la courtoisie ;
7. les conflits : il sut maîtriser tous les conflits naissants, désamorçait la colère au fur et à mesure, ralliait les dissidents et évitait les épreuves de force inutiles ;
8. la détente : il trouvait continuellement des raisons de célébrer des fêtes et de rire ;
9. une créativité de tous les instants : Shackelton cherchait toujours un autre solution que celle qui venait d’échouer et
10. La prise de risque : il était toujours prêt à faire le grand saut.
Il mourra d’ailleurs en Antarctique, lors d’une expédition ultérieure, en 1922, d’une crise cardiaque, et sera enterré sur place.
J’en rajouterais un onzième, qui n’est pas un secret : Shackelton cultivait son aura.

Mais pour d’autres entreprises que ses explorations et aventures bien-aimées, Shackelton par contre était très loin de la figure culte. Pour trouver l’argent nécessaire à financer ses projets, il créa pourtant un certain nombre d'entreprises mais aucune d’entre elles ne s’avérera rentable et à sa mort, le leader laisse 40.000 livres sterling de dettes (valeur 1,5 million de livres aujourd’hui).

Moralité : faites ce pourquoi vous êtes fait. Impossible d’être un modèle de leadership quand on n’aime pas, très profondément, ce que l’on fait. Cherchez au fond de vous-même ce que vous voulez faire vraiment – aucun doute que vous y excellerez.

Shackelton, roi de l’authenticité.

Publié dans l'Agefi, le 5 août 2010

lundi 2 août 2010

La liberté de se tromper

Faire des erreurs, une des grandes libertés américaines, paraît-il. C’est en tous cas ce qu’affirme Megan McArdel, journaliste - non sans ironiser sur le fait que se tromper n’est évidemment pas la principale des aspirations américaines… Mais une liberté à rajouter tout de même aux côtés des quatre libertés fondamentales revendiquées par le Président Franklin D. Roosevelt, à savoir : la liberté d'expression ; la liberté religieuse ; la liberté de vivre à l'abri du besoin ; et la liberté de vivre à l'abri de la peur (avec comme corollaire la réduction des armements). Quatre libertés fondamentales et magnifiques mais qui ne valent leur pesant de diamant que pour autant qu’elles soient libertés pour tous et partout dans le monde – ce que le monde tend trop souvent à oublier. Mais - et la liberté de se tromper, alors, elle aussi, pour tous et partout ? Certes - mais avant tout, pour les entrepreneurs en herbe. Pour les entrepreneurs passionnés cette question de l’échec et de la réussite - non pas échec ou réussite personnels, ces concepts-là restent à définir – mais échec et réussite entrepreneuriaux, se pose presqu’au quotidien.

Pour les jeunes entrepreneurs – les chevronnés ont de moins bonnes raisons d’échouer – la liberté d’échouer participe grandement à la capacité de prendre des risques (des risques pour soi-même s’entend). Nous ne savons que trop que le pourcentage d’étudiants qui se décident à ouvrir leur propre entreprise quelle qu’elle soit à la sortie des études est minuscule en Suisse et en France par comparaison aux Etats-Unis. L’une des raisons fondamentales à cette différence est très certainement la cinquième liberté qui nous manque cruellement : celle d’échouer. Aux Etats-Unis, non seulement les jeunes qui font faillite, après quelques années de dur apprentissage des splendeurs et misères de l’entrepreneuriat, ne sont pas montrés du doigt – mieux, ils sont félicités. Un jour que je demandais à ma fille aînée désormais « américaine » et cheffe de sa propre TPE, si elle ne s'inquiétait pas d'une possible faillite de son entreprise, elle me répondit, « mais non Madame l’Européenne craintive, même si cela devait arriver un jour, cela ferait joli dans mon CV » ! Car le fait d’échouer prouve que l’on a essayé. Et que très probablement on va essayer encore. Et encore. Et ce qui compte, à ce stade, c’est en effet d’essayer... Les plus grand entrepreneurs américains ont en moyenne plus de deux faillites à leur actif : imaginez qu’ils se soient découragés après le premier échec, ou pire, qu’ils n’aient jamais entrepris : L’Amérique serait bien pauvre alors. Et Steves Job ne serait pas le patron d’Apple et n’aurait pas pu transmettre aux étudiants de Stanford le magnifique message de « how to live before you die » (à écouter absolument sur Youtube)

Mais les vertus de l’échec ne s’arrêtent pas à la seule entreprise. L’échec théorique est la condition même de la connaissance ; l’échec politique est toujours l’occasion d’une remise en question ; le grand danseur et chorégraphe Faustin Linyekula disait en Avignon : « Je crois qu’il nous faut sans cesse mettre les codes de la danse comme du corps dans une position d’échec et mat, tenir cette position, ce face à face. Parfois on gagne, parfois on perd. Mais c’est ainsi qu’on peut sortir quelque chose. » Dans n’importe quel domaine, y compris dans la vie personnelle, l’échec est productif, à condition bien sûr que l’on ne s’y morfonde pas, mais que l’on utilise le déséquilibre qu’il crée forcément pour rebondir. C’est là l’essentiel : qu’il sorte quelque chose de l’échec. S’il ne s’agit donc pas de le prévenir forcément, mais de le rendre productif. « In each of us there is the power to completely renew ourselves, re-emerging from the waters and rising to new lifes » affirment Egidio, Leonardo, Andrea et Nicola, quatre jeunes italiens photographiés par l’artiste noire américaine Lauri Lyons qui photographie des gens du monde entier avec le drapeau américain (Flag International). Le but n'est pas d'éliminer l'échec mais de construire un système suffisamment résilient pour pouvoir lui résister. Exerçons-nous donc à « fail gracefully » comme disent encore les Américains, apprenons des échecs pour les oublier ensuite, et appliquons de suite la cinquième liberté !




Publié dans l'AGEFI, le 2 août 2010