lundi 2 août 2010

La liberté de se tromper

Faire des erreurs, une des grandes libertés américaines, paraît-il. C’est en tous cas ce qu’affirme Megan McArdel, journaliste - non sans ironiser sur le fait que se tromper n’est évidemment pas la principale des aspirations américaines… Mais une liberté à rajouter tout de même aux côtés des quatre libertés fondamentales revendiquées par le Président Franklin D. Roosevelt, à savoir : la liberté d'expression ; la liberté religieuse ; la liberté de vivre à l'abri du besoin ; et la liberté de vivre à l'abri de la peur (avec comme corollaire la réduction des armements). Quatre libertés fondamentales et magnifiques mais qui ne valent leur pesant de diamant que pour autant qu’elles soient libertés pour tous et partout dans le monde – ce que le monde tend trop souvent à oublier. Mais - et la liberté de se tromper, alors, elle aussi, pour tous et partout ? Certes - mais avant tout, pour les entrepreneurs en herbe. Pour les entrepreneurs passionnés cette question de l’échec et de la réussite - non pas échec ou réussite personnels, ces concepts-là restent à définir – mais échec et réussite entrepreneuriaux, se pose presqu’au quotidien.

Pour les jeunes entrepreneurs – les chevronnés ont de moins bonnes raisons d’échouer – la liberté d’échouer participe grandement à la capacité de prendre des risques (des risques pour soi-même s’entend). Nous ne savons que trop que le pourcentage d’étudiants qui se décident à ouvrir leur propre entreprise quelle qu’elle soit à la sortie des études est minuscule en Suisse et en France par comparaison aux Etats-Unis. L’une des raisons fondamentales à cette différence est très certainement la cinquième liberté qui nous manque cruellement : celle d’échouer. Aux Etats-Unis, non seulement les jeunes qui font faillite, après quelques années de dur apprentissage des splendeurs et misères de l’entrepreneuriat, ne sont pas montrés du doigt – mieux, ils sont félicités. Un jour que je demandais à ma fille aînée désormais « américaine » et cheffe de sa propre TPE, si elle ne s'inquiétait pas d'une possible faillite de son entreprise, elle me répondit, « mais non Madame l’Européenne craintive, même si cela devait arriver un jour, cela ferait joli dans mon CV » ! Car le fait d’échouer prouve que l’on a essayé. Et que très probablement on va essayer encore. Et encore. Et ce qui compte, à ce stade, c’est en effet d’essayer... Les plus grand entrepreneurs américains ont en moyenne plus de deux faillites à leur actif : imaginez qu’ils se soient découragés après le premier échec, ou pire, qu’ils n’aient jamais entrepris : L’Amérique serait bien pauvre alors. Et Steves Job ne serait pas le patron d’Apple et n’aurait pas pu transmettre aux étudiants de Stanford le magnifique message de « how to live before you die » (à écouter absolument sur Youtube)

Mais les vertus de l’échec ne s’arrêtent pas à la seule entreprise. L’échec théorique est la condition même de la connaissance ; l’échec politique est toujours l’occasion d’une remise en question ; le grand danseur et chorégraphe Faustin Linyekula disait en Avignon : « Je crois qu’il nous faut sans cesse mettre les codes de la danse comme du corps dans une position d’échec et mat, tenir cette position, ce face à face. Parfois on gagne, parfois on perd. Mais c’est ainsi qu’on peut sortir quelque chose. » Dans n’importe quel domaine, y compris dans la vie personnelle, l’échec est productif, à condition bien sûr que l’on ne s’y morfonde pas, mais que l’on utilise le déséquilibre qu’il crée forcément pour rebondir. C’est là l’essentiel : qu’il sorte quelque chose de l’échec. S’il ne s’agit donc pas de le prévenir forcément, mais de le rendre productif. « In each of us there is the power to completely renew ourselves, re-emerging from the waters and rising to new lifes » affirment Egidio, Leonardo, Andrea et Nicola, quatre jeunes italiens photographiés par l’artiste noire américaine Lauri Lyons qui photographie des gens du monde entier avec le drapeau américain (Flag International). Le but n'est pas d'éliminer l'échec mais de construire un système suffisamment résilient pour pouvoir lui résister. Exerçons-nous donc à « fail gracefully » comme disent encore les Américains, apprenons des échecs pour les oublier ensuite, et appliquons de suite la cinquième liberté !




Publié dans l'AGEFI, le 2 août 2010

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