jeudi 22 mai 2008

Quotidiennes: « Post Furniture », ou de l’Hôtel Richemond à l’Hôtel Costes

On a beaucoup entendu parler du Centre Culturel Suisse à Paris ces dernières semaines avec la nomination de ses nouveaux directeurs, Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser. Mais en attendant leur arrivée en octobre prochain, le Centre donne le meilleur de lui-même. Nicolas Trembley a ainsi organisé une exposition d’art global qui fait appel à tous nos sens. Le Centre qui avait accueilli l’exposition délirante de Hirschhorn toute faite de carton et de papier mâché est maintenant transformé en appartement néo-bourgeois (ou post-furniture, puisque l’on est désormais soit néo soit post ou alors rien) dans lequel l’atmosphère Jacques Garcia (genre salons de thé Ladurée) envahit les décors dans lesquels John Armleder a grandi : l’Hôtel Richemond à Genève. Qui de nous ne se souvient pas avec la plus conceptuelle des nostalgies de l’époque dorée où Sylvie Fleury et lui habitaient à l’hôtel, et où les amis venaient boire du champagne dans un décor désormais digne du Centre Culturel Suisse de Paris ?

Musique, photos d’Helmut Newton et Nobuyoshi Araki (un minimum de sexe est indispensable pour affirmer que tout n’est pas fini), lumière d’ambiance, lys penchés sur leur propre parfum dans d’immenses vases, sièges moelleux, et même… une toile scintillante de John Armleder au-dessus de la cheminée. Fusion entre le concept et le décor, entre la référence et l’ironie, entre « la pièce » (l’œuvre d’art avec laquelle on vit) et « la pièce » (dans laquelle on vit), entre le style et le goût (dont nul n’osera dire s’il est bon ou mauvais), l’exposition Armleder – Garcia est aussi la fusion entre deux histoires : celle de Garcia – l’Hôtel Costes – et celle d’Armleder – l’hôtel Richemond. On a entendu dire que les deux hommes, qui ne se connaissaient pas avant cette aventure, avaient tous deux une peau de tigre dont ils ont chacun coupé la tête pour l’exposer séparément. Un signe du destin, sans aucun doute.

Une exposition à voir absolument donc – et aussi, à lire. Nicolas Trembley nous a préparé une bibliographie remarquable sur la question du décoratif – s’il ne fallait choisir qu’un seul ouvrage – ce que bien sûr il ne faut pas – ce serait alors, la Psychologie du Kitsch, de Abraham Moles (Denoël 1977). Dans un schéma dessiné par l’auteur, supposé « matérialiser la cohérence profonde de champs d’intérêt apparemment disparates mais qui en réalité se recoupent » (Jean Devèze, Hermès 39, 2005), le kitsch se trouve au centre. Au centre des Labyrinthes du vécu (selon le titre d’un autre ouvrage de Moles). Ou encore, le kitsch conceptualisé.

Le cadavre exquis boira le vin nouveau

C’est la troisième exposition que Analix Forever consacre à la mort (après and she will have your eyes, 2000 et Buenas Noches, Mat Collishaw, 2006). Plus spécifiquement ici : au cadavre et à son existence propre. Car il n’est pas seulement absence, soustraction de vie, information dénuée de sens. Il a une vie à lui, aussi individuelle que de son vivant. Il est charnel et animé. La fête ne lui est pas étrangère. A la gloire du surréalisme (de l’intégration du rêve dans la réalité), il boira le vin nouveau.

En ce tournant du 21ème siècle pourtant, la mort comme état est peut présente à nos esprits et dans nos représentations. Elle ne l’est que dans l’action et la fonction d’élimination ; dans ce scénario-là, on la voit partout : la mort en chiffres et en opérations. Mais en banalisant l’individualité de la mort, on banalise du même coup la vie de l’individu. Il est vrai que les morts ont pour eux la puissance du nombre : «Le monde se parsème de tombeaux à l’endroit précis où chacun meurt : plus un seul arpent où poser le pied sur un territoire du vivant vierge». La mort, les morts, la proximité du cadavre, de sa vie propre, nous sont en fait indispensables pour exister. C’est ensemble que nous habitons la terre. «La vie, c’est aussi l’expérience éblouie de la contemplation de son contraire».

Cette exposition procède aussi de cette conviction, née de l’observation clinique et de son élaboration, que l’arrêt des fonctions vitales n’entraîne ni la disparition immédiate ni l’annihilation de l’individu. En toute simplicité, une séparation d’avec le vivant, une autre voie, un autre chemin.


Mat Collishaw, 1966, anglais, vite et travaille à Londres. Pour Collishaw, la mort, c’est d’abord la sienne (Suicide suite, 1992). Puis une constante dans toute son œuvre. Toujours intimement liée au sexe, comme en témoigne la vanité réalisée pour cette exposition. Eros & Thanatos.

mounir fatmi, 1970, marocain, vit à Paris et travaille au delà des frontières. Ces frontières que l’artiste explore continuellement, entre l’Afrique et l’Europe, l’islam et le christianisme, la vie et la mort. « Va et attends-moi, j’arrive » : à la fois un hommage intime et le titre de sa peinture murale. Un crâne qui poursuit son chemin de vie.

Ali Kazma, 1971, turc, vit et travaille à Istanbul. Il filme le travail. Avec une fascination toute particulière pour le travail sur le corps, sur cette distance qui sépare le corps vivant du corps objet et qui tient parfois à un fil. Sur le corps animal notamment ; la boucherie lui offre à cet égard un plan d’exploration particulièrement intéressant.

Joanna Malinovska, 1972, polonaise, vit et travaille à New York. La musique est au centre de son œuvre. Elle présentera au cours du vernissage un concert pour deux violons, deux violoncelles et un cadavre (musique de Masami Tomihisa). Le cadavre a sa partition, silencieuse. Le silence fait partie de la musique comme la mort fait partie de la vie.

Rita Natarova, 1980, russe, vit et travaille à New York. Elle aime la chair et la peint, (auto)portraits, opérations, baisers, cadavres - avec la même matière sensuelle avec laquelle elle peint la chair de vie - en l’occurrence, John Torrington, l’un des membres de l’expédition Franklin (1840), tous morts gelés dans l’Antarctique. Frozen in time.


Vernissage le jeudi 22 mai
Exposition du 23 mai à fin juin 2008