lundi 23 février 2009

What remains is future

Le 20 février 2009, le manifeste suivant, composé par l'écrivain Filippo Tommaso Marinetti et considéré comme le texte fondateur du mouvement futuriste, a été publié par Le Figaro Magazine.
Il venait d’Italie.

1. Nous voulons chanter l'amour du danger, l'habitude de l'énergie et de la témérité.

2. Les éléments essentiels de notre poésie seront le courage, l'audace, et la révolte.

3. La littérature ayant jusqu'ici magnifié l'immobilité pensive, l'extase et le sommeil, nous voulons exalter le mouvement agressif, l'insomnie fiévreuse, le pas gymnastique, le saut périlleux, la gifle et le coup de poing.

4. Nous déclarons que la splendeur du monde s'est enrichie d'une beauté nouvelle: la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l'haleine explosive... une automobile rugissante, qui a l'air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace.

5. Nous voulons chanter l'homme qui tient le volant dont la tige idéale traverse la terre, lancée elle-même sur le circuit de son orbite... C'est en Italie que nous lançons ce manifeste de violence culbutante et incendiaire, par lequel nous fondons aujourd'hui le Futurisme parce que nous voulons délivrer l'Italie de sa gangrène d'archéologues, de cicérones et d'antiquaires...

Aujourd’hui, what remains is future.
Le soleil se lève à l’est. Hommage au Japon.

1. Nous voulons la concentration absolue. L’attente de la geisha.

2. Les éléments essentiels de notre poésie sonore seront l’ascension du Fujisan, le chant des Inuit, celui du vent dans les feuilles apoptotiques et le choc des gouttes de pluie sur les sables du Sahara.

3. La littérature futuriste ayant exalté le mouvement agressif, l’insomnie fiévreuse, le pas gymnastique, le saut périlleux et le coup de poing, nous voulons magnifier la matière cosmique, l’énergie décuplée, la voix des guerriers en fleurs, l’alchimie solaire. Terre artiste ciel. Façonner un bonzaï est un art qui s'apprend.

4. Nous déclarons que la beauté du monde s’est enrichie d’une beauté nouvelle, mais nous ne savons pas laquelle. Un dirigeable immense, à lithium laminé, se meut dans notre direction, glissant avec lenteur, comme en un bain d’huile, tel un puissant cétacé des airs. Le pilote est un enfant.

5. Nous voulons chanter la courtoisie, l'honneur, la loyauté.
On est invité à retirer ses chaussures avant d'entrer.
La fierté.

Publié dans les Quotidiennes



Esthétique politique : le futurisme revisité par Nicolas Sarkozy

André Rouiller, grand spécialiste des relations entre art et politique, a récemment publié sur le site ParisART des observations particulièrement intéressantes sur les choix esthétiques « futuristes » de Nicolas Sarkozy.

Il y a presque cent ans, le 20 février 1909, Filippo Tommaso Marinetti publiait dans le Figaro le manifeste suivant (extraits) considéré comme le texte fondateur du mouvement futuriste. « 1. Nous voulons chanter l'amour du danger, l'habitude de l'énergie et de la témérité. ; 2. Les éléments essentiels de notre poésie seront le courage, l'audace, et la révolte ; 3. …nous voulons exalter le mouvement agressif, l'insomnie fiévreuse, le pas gymnastique, le saut périlleux, la gifle et le coup de poing ; 4. Nous déclarons que la splendeur du monde s'est enrichie d'une beauté nouvelle: la beauté de la vitesse... ; 5... Nous fondons aujourd'hui le Futurisme parce que nous voulons délivrer l'Italie de sa gangrène d'archéologues, de cicérones et d'antiquaires... »

Le lien avec Sarkozy ? La rupture d’abord, cette rupture voulue avec les archéologues et les antiquaires et tous ceux qui rêvent encore, comme à l’époque mitterrandienne, de « laisser le temps au temps ». Le vitesse ensuite, la rapidité, l’efficacité comme contre-esthétique de la « force tranquille ». On se souvient de Mitterrand massif, assis, réflexif. On voit Sarkozy courant en culottes courtes, sous l’œil des media relayant fidèlement cette esthétique de l’exercice, de l’agilité, de la force en action. L’esthétique de la relation aux femmes est dans la même opposition : performance affichée par Sarkosy (s’il ne l’était pas, performant, comment imaginer que la sublime Carla Bruni l’élise elle aussi), mystère et secret pour Mitterrand, ô combien aimé des femmes pourtant.

Cette esthétique de la vitesse et de la performance se retrouve dans toutes les actions de Sarkozy, avec une efficacité imparable. Selon Rouiller, l’aspect politique des réformes que cherche à conduire Sarkozy ne réside pas tant dans leur contenu que dans leur tempo. Sarkozy est partout, il ne s’arrête jamais, il investit tous les territoires, il court sans relâche - et pas seulement en short - il se bat contre «les forces du conservatisme » (les archéologues de Marinetti) et réitère sans relâche que «la crise nous donne l’occasion d’accélérer la modernisation des structures obsolètes et de changer nos mentalités» ; que «le risque n’est pas dans le mouvement, le risque est dans l’immobilisme» ; que «tout ralentissement dans le rythme des réformes se traduira par un retard que nous paierons très cher ».

Nicolas Sarkozy cherche ainsi à obtenir l’aval de ses citoyens par l’intermédiaire de la mise en scène d’une fiction générant dans l’esprit des Français des équivalences entre politique présidentielle, mouvement et efficacité. Mais au manifeste de Sarkozy l’agité, Sarkozy l’hystérique (double critique implicite au registre de la masculinité même, l’hystérie étant fondamentalement féminine), d’aucuns préfèreraient un nouveau manifeste d’un futur d’aujourd’hui qui inclurait la concentration, l’attention et l’écoute des chants des Inuits. Ceux qui cherchent à s’opposer à Nicolas Sarkozy ne pourront donc le faire qu’en proposant cette autre esthétique : ils n’ont aucune chance sur le terrain de l’efficacité. Si les socialistes veulent se donner une petite chance de gagner, ils feraient bien de s’inspirer du dernier marketing de Nissan : l’esthétique de la lenteur – depuis toujours, celle de la politique suisse.

Publié dans l'AGEFI, le 12 février 2009.

mercredi 18 février 2009

Les décrets du président (2): Exit le waterboarding, retour de la démocratie

Le Président Obama, le 22 janvier, deux jours seulement après son intronisation, signe trois décrets historiques. Dans le premier, il ordonne la fermeture, dans un délai d’un an, du centre de détention de Guantanamo Bay.

Le deuxième de ces décrets présidentiels impose à la CIA de respecter les mêmes règles d’interrogatoire que l’armée américaine et de suivre à la lettre son manuel pratique, qui interdit le recours à la force physique, le waterboarding, le placement prolongé à l’isolement, le cagoulage des prisonniers et l’utilisation de chiens à des fins d’intimidation.

Le waterboarding, vous savez ce que c’est? Non, ce n’est pas tout à fait un sport aquatique. Il s’agit de simulations de noyades. Penser qu’il faut un décret présidentiel pour abolir de telles pratiques en cours d’interrogatoires «officiels» donne une idée glaçante de ce que l’administration Bush a rendu «normal»: la torture, à savoir, la pratique la plus déshumanisante qui soit, pour les victimes comme d’ailleurs pour les bourreaux. Obama insiste: «Sous mon administration, les Etats-Unis ne tortureront pas, nous respecterons les conventions de Genève.» Le Président des Etats Unis veut respecter et faire respecter les lois et les Conventions de Genève et s'est dit persuadé que la CIA pouvait accomplir sa mission «tout en respectant la loi». Qui plus est, Barack Obama confirme et concrétise sa volonté en nommant à la tête de la CIA Leon Panetta, qui s’était élevé publiquement contre «la torture illégale, immorale, dangereuse et contre-productive» pratiquée dans les centres de détention américains, et à ne pas transférer vers des pays étrangers des prisonniers afin qu'ils y soient torturés. «Selon les termes du décret publié par le président, il est interdit d'envoyer quelqu'un à l'étranger pour y être torturé ou dans un pays qui viole nos valeurs humaines».

«Nous resterons attentifs à assumer nos responsabilités dans le respect de la loi et de la Constitution». On se demande encore, comment il a pu en être autrement! Les valeurs humaines et la démocratie sont de retour aux Etats Unis. Alléluïa again!


Publié dans les Quotidiennes

lundi 9 février 2009

Les décrets du président : (1) Guantanamo

Le Président Obama, le 22 janvier, deux jours seulement après son intronisation, signe trois décrets historiques.

Dans le premier, il ordonne la fermeture, dans un délai d’un an, du centre de détention de Guantanamo Bay.

Pendant toutes ces années, depuis que Guantanamo existe, la Suisse tout entière et moi avec, avons critiqué, attaqué, détesté, honni, banni, l’existence de Guantanamo, la désafférentation de l’être humain, l’illégalité crasse mâtinée d’impunité dans laquelle se vautrait le gouvernement américain en autorisant Guantanamo.

Répétons-le: le Président Obama, le 22 janvier, deux jours seulement après son intronisation, ordonne la fermeture du centre de détention de Guantanamo Bay. Vous pensez qu’alors la Suisse se réjouit, chante alléluia, nous avons été entendus, ô merveille, la démocratie est de
retour, l’Etat est remis à sa juste place, non pas souverain sans foi ni loi mais humble serviteur des lois et des citoyens - vous croyez, n’est-ce pas, que la Suisse se félicite et félicite les USA, le dit et le fait savoir?

Eh bien en fait non. Parce qu’elle a un souci bien plus important, la Suisse. Va-t-il vraiment falloir accueillir en Suisse des ex de Guantanamo ? Non mais. S’ils y ont été emprisonnés, c’est qu’ils doivent être dangereux n’est-ce pas, pas de fumée sans feu, et s’ils ne l’étaient pas vraiment au moment de leur emprisonnement, dans les conditions qu’ils ont dû endurer, oui certainement, ils le sont devenus… Mais peut-être pourrions nous leur construire un camp d’asile bien isolé à l’intérieur et protégé vers l’extérieur ? Ah oui, enfin ! quelle bonne idée… Le Président Obama ferme Guantanamo? Finalement, ce n’est pas si grave, nous avons notre solution. Yes we can, nous aussi!

Mais moi, j’aimerais chanter, alléluia. Même si je chante faux. Parce que si nous ne chantons pas alléluia quand Obama ferme Guantanamo, quand alors?

Publié dans les Quotidiennes, le 9 février 2009