jeudi 30 décembre 2010

2011, année de grâce

Pour en être sûre et certaine, que cette année va bien être une année de grâce, je vais faire quoi, le 1er janvier ?

Je vais regarder Danielle Darrieux dans son dernier téléfilm, “C’est toi, c’est tout”.

Et pourquoi donc ?

Mais parce qu’elle a 93 ans et que quand on lui demande si c’est son dernier film elle hésite. Et répond que si Almodovar l’appelle, elle n’hésite plus ! Parce qu’elle aime être avec des personnes d’autres générations – comme moi. Parce qu’elle incarne une vieille dame “pétillante, chaleureuse, indigne juste ce qu’il faut et légèrement amorale”. Parce qu’elle me fait penser à ma propre mère, qui du haut de ses seulement 88 ans, me dit : “Je suis heureuse, il y a tellement d’avantages à vieillir”.

Parce que j’aime ces vieilles dames dont je ferai un jour très lointain partie, qui font tourner le monde à l’envers, à l’envers de la bien-pensance qui veut que vieillir, c’est triste et moche – et que je me réjouis de faire pareil. A 95 ans, j’écrirai une pièce de théâtre pour une petite jeunette de 85 ans. Et j’exposerai une “jeune artiste” (car avez-vous déjà entendu un galeriste vous présenter un travail en disant : oui c’est un vieil artiste...) - une jeune artiste donc, de 79 ans. Et quand j’aurai 120 ans, je serai ravie de sortir dîner avec une Danielle Darrieux du genre, 93 ans, elle me semblera encore plus jeune qu’aujourd’hui : 27 ans de moins que moi !

Alors oui, 2011 sera une année de grâce. Grâce à (jeu de mot, oui, oui) toutes ces vielles dames du monde qui tournent des (télé)films, peignent, écrivent, qui soignent, éduquent, consolent, qui aiment, font des confitures et s’amusent comme des gamines et comme Danielle Darrieux, “jouent tout le temps comme dans la vie”. “La seule chose qui m'emmerde, dit encore Danielle Darrieux, c'est de devoir mourir.” On a juste oublié de la faire jouer dans le film “
Le plus important de la vie c’est de ne pas être mort”.

Nous en tous cas, n’oublions jamais de jouer, ça conserve (Michèle Morgan a 90 ans et Micheline Presle 88) et que 2011 nous protège du sérieux ! Car tant qu’on est vivant... Again, again ! Et que vivent les Quotidiennes !

Publié le 30 décembre 2010, dans les Quotidiennes

mardi 28 décembre 2010

Et si la paix passait aussi par la régulation ?

Le Président Nicolas Sarkozy tout comme les Etats-Unis somment Laurent Gbagbo de se retirer de sa présidence usurpée en Côte d’Ivoire et le secrétaire général de l’ONU rejette la demande du même Gbagbo de retirer les forces internationales de son pays. L’idée est évidemment de préserver la démocratie – le vote majoritaire – mais aussi de prévenir la violence. Deux objectifs hautement louables et partagés, surtout en cette période qui se voudrait pacifique envers et contre tout.

Mais les moyens sont-ils les meilleurs ? Peut-être convient-il d’abord de se poser à nouveau la question des déterminants de la violence. Le premier toujours, la question du pouvoir, intimement liée à celle de l’argent. Ce que nous apprenons aujourd’hui du rapport de Dick Marty de ce qui s’est passé au Kosovo souligne une fois de plus, les possibilités illimitées du pouvoir, lié à l’argent, de révéler et se faire exprimer la capacité infinie de l’homme de perpétrer le pire sur d’autres hommes. La volonté de pouvoir, la jouissance du pouvoir, qu’elles soient légitimées ou non par le vote majoritaire, sont elles aussi sans limites. L’humanité est encore loin d’avoir trouvé les moyens de contenir ces puissances sombres, même si l’Europe y travaille activement et avec une efficacité certaine sur ses propres territoires, mais une efficacité qui n’est qu’en devenir hors de ses limites territoriales.

Soit dit en passant, alors que l’on entend tant de critiques – autocritiques surtout d’ailleurs – de l’Europe – « un continent vieilli, à l’agonie, sans démographie, sans avenir, sans projet, sans développement, ruiné, avec une monnaie en déréliction » – j’affirme personnellement que l’Europe est aussi l’avenir du monde, d’un monde équitable, d’un monde aussi « social » (« social » compris comme favorisant l’équité sociale) que possible, grâce à ses modèles, ses intellectuels, ses recherches, ses débats, sa recherche sans fin d’équilibres. Elle est et sera encore l’avenir du monde si tant est qu’au lieu de se flageller dans sa position « pensive », elle affirme avec force cette position comme l’une des voies – oui, d’avenir.

Au-delà de la propension à la violence - qui aime prendre pour prétexte, toujours, les différences ethniques, claniques, sociales, religieuses, politiques, comme cible de rassemblement – il y a les armes. Les armes qui permettent de perpétrer la violence. Certes, les hommes se sont depuis toujours construit des armes. Ils continuent. Mais aujourd’hui, le pouvoir et l’argent se conjuguent dangereusement à l’intérieur du marché des armes. Si la Côte d’Ivoire n’était pas si bien approvisionnée en armes diverses, le risque de violences serait bien évidemment réduit. Certes, les machettes peuvent faire des ravages, mais qui sont sans commune mesure avec les armes que les hommes de Côte d’Ivoire ont aujourd’hui à disposition. Alors réfléchissons un peu, et calculons. Si le marché des armes était mieux contrôlé et mieux réglé, le risque actuel de violences en Côte d’Ivoire serait réduit d’autant. Calculons : combien va coûter ce qui risque de se passer ? Pourquoi les bénéfices du marché des armes n’est-il jamais mis en regard avec les coûts encore bien plus énormes et durables qu’il engendre, au niveau mondial, dans un marché mondialisé ?

Trois commentaires encore. Tout d’abord, une libérale qui s’oppose au marché libre des armes et propose la régulation, une nouvelle hérésie ? Non en fait quand on réfléchit à l’individu d’abord. Le libéralisme, c’est bien d’abord le respect de l’individu, de sa liberté et de sa vie. Le libéralisme, c’est aussi la prévention de la dégradation, la protection contre la déréliction. Dans l’équilibre entre la protection du marché et celle des droits humains, la première ne prime que si elle sert la seconde.

Deuxièmement, le risque de violence en Côte d’Ivoire ne doit pas nous occulter les risques plus globaux. L’expiration, en décembre 2009, de l’ancien traité Start (traité de contrôle des armements nucléaires entre la Russie et les USA), et par conséquence, l’absence de mécanismes de vérification mutuelle de leurs arsenaux nucléaires respectifs est très préoccupant. L’urgence de signer un nouveau traité est immense !

Et finalement, parmi les questions qui restent à investiguer, celle très provocatrice de la question de l’esthétique du pouvoir et des armes ne devrait pas être ignorée plus longtemps. La guerre est épouvantable. Oui. Mais si elle perdure malgré ses horreurs, c’est qu’elle exerce sur l’humain un attrait qui déborde certainement les prétextes politiques qui la déclenchent en général. Encore un sujet d’analyse, vierge encore, pour l’Europe.

Nous espérons tous que le retrait de Laurent Gbagbo soit imminent, sans trop y croire encore. La menace de sanctions, les sanctions elles-mêmes, exerceront-elles les effets escomptés ? A l’avenir, les meilleures sanctions – ou mieux, actions - que l’Union européenne devra mettre en œuvre pour soutenir la démocratie et prévenir les violences, les plus efficaces aussi, seront certainement préventives et probablement régulatrices. Que l’Europe se donne donc pour mission supplémentaire de convaincre le marché des armes de cette nécessité : ne pas armer sans contrôle, sans réflexion, sans calculs prospectifs des coûts, les pays à risque.

vendredi 24 décembre 2010

Vendredi : c’est Noël : la liberté en cadeau !

Le cadeau le plus beau, c’est la liberté. Chaque jour, je me sens reconnaissante de vivre dans un pays libre, où les femmes sont libres. Même les mercis essaimés aux quatre vents des Quotidiennes ne sauraient assez dire cette reconnaissance-là. La liberté, c’est Noël tous les jours de l’année.

Alors je rêve, qu’un soir de Noël, un nouveau Basaglia nous arrive, en guise de Père Noël, et que comme Franco Basaglia, qui a ouvert les portes des asiles psychiatriques en Italie, il ouvre les portes des prisons. Oui je sais, ce n’est pas dans l’air du temps, mais je continue de prétendre que dans ce domaine comme dans d’autres, la position utopique est indispensable. “Eutopique” en l’occurrence.

Personne n’aurait prédit que Basaglia réussirait. Et pourtant, il a réussi et plus personne aujourd’hui ne met son action en cause. On l’a tout simplement oublié. L’oubli est peut-être la meilleure consécration des justes révolutions. Peu nombreux sont ceux qui se souviennent que la peine de mort en France a été abolie il y a seulement 30 ans, en 1981, par un autre Père Noël du nom de Badinter.

Alors, à l’instar de Francesco Della Casa, rédacteur en chef de la revue Tracés, et de beaucoup d’autres, j’affirme que des alternatives à l’enfermement strict existent, que l’espace-temps carcéral, ce temps gelé hors du temps, à même de précipiter chez les prisonniers le désir de suicide, n’est pas une solution, et qu’il est temps, non plus seulement de réfléchir, mais de mettre en place ces alternatives qui d’une part existent et d’autre part ont fait leur preuves, en Angleterre par exemple – ou en Corse : je cite ici Della Casa : “Dans l’ancien pénitencier de Casabianda, en Corse, murs et barreaux ont été supprimés. Les détenus travaillent et font du sport dans un domaine de 1500 hectares, puis rentrent le soir dans une chambre dont ils détiennent la clé. Depuis 1949, aucun d’entre eux n’a tenté de mettre fin à ses jours, ni de se faire la belle. Une fois la peine accomplie, le taux de récidive y est inférieur à 1%.”

Dans le cadre du prochain Colloque international d’architecture émotionnelle qui aura lieu à Genève en janvier 2011, Leopold Banchini, qui a consacré beaucoup de temps à l’étude de l’architecture carcérale se situera clairement dans la lignée du philosophe Alain Brossat : «Dans une perspective historique, la question n’est pas de savoir que faire de la prison, comment améliorer les prisons, voire comment aligner l’ordre pénitentiaire sur les normes générales de l’État de droit – mais bien de se demander comment s’en débarrasser, et au plus vite... » – le même Leopold Banchini qui s’est vu par ailleurs attribuer, avec ses collègues, dans le cadre de son travail au sein du Laboratoire de la production d’architecture (lapa) de l’EPFL dirigé par le Professeur Harry Gugger, le prestigieux Lion d'Or de la Biennale de Venise Architecture 2011, pour la conception de l'exposition nationale du Royaume de Bahreïn, la plus convaincante, selon les experts, du thème même de la Biennale : “People meet in architecture”.

Le plus beau cadeau de Noël, une fois encore : la liberté et la fin de tous les emprisonnements qui ne sont pas indispensables. Nous pourrions commencer, modestement, par l’abolition immédiate de cette absurdité que représente la détention administrative. Un petit pas, eutopique, vers l’utopie bienfaisante.

Joyeux Noël !


Publié le 24 décembre 2010, dans les Quotidiennes

jeudi 23 décembre 2010

Jeudi : Bientôt Noël : un dîner en cadeau (un de plus ? mais non, un dîner jamais vu... )

Non non, ce n’est pas du tout ce que vous croyez : il ne s’agit pas de vous inviter à dîner... Ce ne serait un plaisir que pour moi car je suis une bien piètre cuisinière. Comme vous l’avez compris, Bientôt Noël est une série sur les cadeaux que j’ai reçus – en l’occurrence un dîner hors du commun - et des mercis essaimés aux quatre vents des Quotidiennes.

Mon dernier dîner cadeau ? Un retour au salon du 18ème siècle. 31 Raspail. Dans une ambiance plus que chaleureuse, un dîner quant à lui noir et blanc dans des couverts assortis. Et surtout, Emmanuel Giraud, l’artiste (g)astronomique qui cultive l’art du goût et de son souvenir, qui vient de publier Devenir gris, en conversation avec Arlette Farge, la merveilleuse historienne spécialisée dans l’étude du 18ème siècle, qui vous raconte les prisons d’époque et leurs habitants avec une telle tendresse qu’elle vous donne envie de les rencontrer en sortant Boulevard Raspail.

D’ailleurs, leurs fantômes sont si proches.... Il paraît, nous raconte Arlette Farge, que les condamnés aimaient manger des omelettes. Le menu est choisi ! Tous les dîners devraient être ainsi, nous parler d’aujourd’hui et d’autrefois, de vie et de mort, de rêve et de goût d’un seul tenant. Quel goût ? Pourquoi pas le mauvais, lui aussi. Un des prochains dîners du 31 Raspail accueillera Ruwen Ogien, le philosophe de la liberté d’offenser (comprise au sens de de blasphémer, choquer, heurter des convictions et non pas comme la liberté d’humilier).

Un propos délicat que Ruwen Ogien se plaît à illustrer en posant des questions du genre : “Pourquoi n’est-on pas libre de voir ce qu’on est libre de faire” (s’entend, dans notre chambre à coucher, même à Noël... Chut !) ? Ou encore : “Le mauvais goût est-il un crime ?” Nous nous réjouissons de savoir ce que le spécialiste du goût qu’est Emmanuel Giraud nous en dira et de nous délecter des offenses à la Ogien, comme autant de crimes sans victimes. Les meilleurs décidément, surtout à la veille de Noël...


Publié le 23 décembre 2010, dans les Quotidiennes

Mercredi : Bientôt Noël : Facebook en cadeau

Non, ce n’est pas du tout ce que vous croyez : il ne s’agit pas de vous inciter à offrir mes livres pour Noël. Encore que... Mais non, Bientôt Noël est une série sur des cadeaux que j’ai reçus (ou en l’occurrence, que vous avez reçus) et des mercis essaimés aux quatre vents des Quotidiennes.

Un cadeau que vous avez reçu en l’occurrence, car je ne fais pas (encore) Facebook. En fait, je préfère les Quotidiennes... Mais en attendant que la rédaction des Quotidiennes in corpore soit nommée L’Homme de l’année, merci à Mark Zuckerberg, L’Homme de l’année 2010. A 26 ans et toutes ses dents, Mark Zuckerberg a su créer une nouvelle manière d’être social, une nouvelle manière de partager, de se parler, de se raconter ses propres histoires et de s’intéresser à celles des autres, de montrer ses photos autrement qu’en diaporama en fin de soirée.

Facebook, c’est Noël, le partage, la gentillesse, un fantastique instrument contre la solitude. “J’aime ça.” Imaginez un peu combien de gens vont se souhaiter Joyeux Noël sur Facebook, par millions et en toutes les langues ! Merci MZ. Keep going !


Publié le 22 décembre 2010, dans les Quotidiennes

mardi 21 décembre 2010

Mardi : Bientôt Noël : des soins en cadeau

Non non, ce n’est pas du tout ce que vous croyez : il ne s’agit pas de vous inciter à offrir des soins pour Noël. Encore que... Mais non, Bientôt Noël est une série sur des cadeaux que j’ai reçus et des mercis essaimés aux quatre vents des Quotidiennes.

Une personne qui m’est proche et chère est hospitalisée en Gériatrie, dans l’hôpital qui s’appelle désormais des Trois Chênes. Je suis impressionnée par la qualité de la prise en charge. C’est un cadeau, pour toutes les personnes très âgées de ce canton, et pour tous leurs proches, de pouvoir bénéficier de soins d’un tel niveau de qualité. La patience est de mise : l’objectif est la sortie, si possible le retour à domicile, parfois vers une autre institution, mais doucement.

On voit là des patients de tous âges, mais essentiellement, ce que l’on voit, c’est un moment d’abandon. Non pas que les malades soient abandonnés, bien au contraire – mais un moment d’abandon de tout artifice, de tout simulacre, de toute ambition immédiate : la vie nue, dans le corps de chacun, telle qu’elle est, avec son extraordinaire préciosité et son extraordinaire précarité. Juste vivre, et aller mieux. Merci à vous tous et vous toutes pour ce cadeau


Publié le 21 décembre 2010, dans les Quotidiennes

Lundi : Bientôt Noël : de l’art en cadeau

Non non, ce n’est pas du tout ce que vous croyez : il ne s’agit pas de vous inciter à offrir des œuvres d’art pour Noël. Encore que vous trouveriez certainement votre bonheur et celui de vos proches dans mon cabinet de dessin... Mais non, Bientôt Noël est une série sur les cadeaux que j’ai reçus et des mercis essaimés aux quatre vents des Quotidiennes.

Le premier va à la SCOPE Art Fair. Depuis des années, l’une des foires Off qui suit Bâle à Bâle, à Miami et la précède ailleurs. Les foires d’art ? Bah, n’est-ce pas, juste des affaires de marchands, de bénéfices, d’œuvres d’art considérées comme produits. Eh bien non. Ce sont des passionnés de l’art aussi. La preuve, SCOPE Art Fair a gracieusement invité Analix Forever à Miami, non pas pour mes beaux yeux, mais pour avoir le privilège de montrer Marc Horowitz, artiste de Los Angeles, médiatique s’il en est, qui poursuit actuellement un Master of Fine Arts à la Université of Southern California et qui pratique essentiellement ce que l’on appellera la performance participative.

Rien à vendre, tout à faire. Imaginez un peu : l’artiste, pendant tout le mois de novembre, s’est laissé dicter ses actions en fonction de The Advice of Strangers. Il propose quelques options, fera selon le vote de la majorité. Pour l’ouverture de la foire de Miami, les “strangers” ont voté sur internet que Marc Horowitz devaient se faire jeter sur lui des balles de tennis trempées dans de la peinture. Rose, jaune, noire : les couleurs sont choisies par l’artiste.

Pour profiter de la suite...
Merry Xmas and thank you SCOPE !


Publié le 20 décembre 2010, dans les Quotidiennes

Ventes aux enchères à domicile : une nouvelle économie qui se conjugue avec écologie

Ventes aux enchères à domicile :
une nouvelle économie qui se conjugue avec écologie



Dans son texte intitulé L’ordre des choses. Sur quelques traits de la culture matérielle bourgeoise parisienne, 1830-1914, Manuel Charpy nous dit avec finesse que « … les modes ne peuvent se renouveler qu’à la marge. Le déplacement crée la nouveauté. C’est donc chez les groupes sociaux à la fois marginaux et proches d’elle que la bourgeoisie va chercher ses modèles : étudiants, artistes bohèmes mais aussi demi-mondaines. Honnies et recherchées tout à la fois, pendant féminin des bohèmes, souvent artistes elles-mêmes – comédiennes ou chanteuses –, elles vivent au contact de la bourgeoisie tout en la méprisant. Dès les années 1840, on se presse à l’occasion de leurs ventes aux enchères à domicile, fréquentes du fait des revers de fortune. Ainsi, entre le 24 et le 27 février 1847, une foule de bourgeoises se rend au domicile de Mlle Duplessis, boulevard de la Madeleine. Me Ridel y propose ‘un riche et élégant mobilier, meubles en marqueterie, bois de rose, bois sculpté et palissandre, objets de curiosité, porcelaines de Sèvres et de Saxe, beaux bronzes, riches garnitures de cheminée, coffres et coffrets, objets de petit Dunkerque, tableaux, pastels et dessins, livres’ ainsi qu’une immense garde-robe, des bijoux et des pièces d’argenterie. »

Alexandre Dumas fils est là et fera de ce moment la scène d’ouverture de la Dame aux Camélias, non sans avoir pris le soin de changer la date et l’adresse. Visiteurs et visiteuses se pressent de bonne heure à la vente. Dumas explique cette curiosité : « s’il y a une chose que les femmes du monde désirent voir, et il y avait là des femmes du monde, c’est l’intérieur de ces femmes » - des femmes entretenues donc. « Du reste, poursuit Dumas, il y avait de quoi faire des emplettes. Le mobilier était superbe. Meubles de bois de rose et de Boule, vases de Sèvres et de Chine, statuettes de Saxe, satin, velours et dentelle, rien n’y manquait ».

Les ventes aux enchères à domicile, qui semblaient oubliées malgré leurs nombreux avantages – Simon de Pury souligne qu’il n’est pas de meilleure manière d’affirmer la qualité de la provenance de pièces mises à la vente que de les montrer dans leur contexte original lorsque celui-ci s’y prête - ne se sont en fait jamais arrêtées. Simon de Pury - même s’il n’a pas (encore) réalisé de vente à domicile chez Phillips de Pury - a d’ailleurs précédemment conduit de nombreuses enchères à domicile, la plupart d’entre elles sous le chapeau de Sotheby’s : du château de Regensburg au Palazzo Corsini à Florence, de Cologny pour la collection Jean-Pierre Marcie-Riviere à Aalholm au Danemark pour celle de la famille éponyme…

Mais la vente aux enchères à domicile revient sur le devant de la scène dans d’autres domaines que celui des objets d’art, d’antiquité et de luxe. Matthieu Semont, historien de l’art et commissaire-priseur français qui oeuvrera prochainement à Genève, a créé récemment sa propre maison de ventes, Philocale (du grec amour du beau). Il vend de tout : de l’art contemporain bien sûr, des mobiliers, mais aussi des bijoux, des vêtements et même d’étranges appareils tels des bras endoscopiques unitraction à trocart... Mais surtout, il vend à domicile. L’idée lui est venue suite à ses premières ventes judiciaires dans de nombreuses usines françaises en liquidation : on y vend bien sûr les machines industrielles par exemple, souvent immenses, sur place, afin de minimiser les coûts d’enlèvement. La première fois qu’il a vendu une succession dans la maison même de la personne décédée, c’était une innovation, mais désormais Me Semont procède ainsi de plus en plus souvent. Il s’agit en général de ventes après décès, lorsque les enfants ne souhaitent ou ne peuvent rien garder – il lui arrive souvent d’ailleurs que les héritiers lui donnent la clé de la maison, sans autre forme de procès, avec la demande de tout liquider – et c’est alors lui et son équipe qui trie débarrasse, ordonne, rend les papiers aux familles, de même que les diamants qu’il lui arrive de trouver entre des piles de vêtements ou dans la poche d’une robe d’intérieur pendue au grenier… Une façon de faire très efficace : les voisins viennent, c’est à côté de chez eux, ils ne sont pas intimidés, et achètent, dans une vraie atmosphère de yard sales d’outre Atlantique, le tableau au-dessus de la cheminée, le congélateur, la tondeuse à gazon, jusqu’au tas de bois de cheminée et d’autres objets qui eussent été invendables dans un espace de salle de vente. Une façon de faire très écologique aussi, donc : comme dit Matthieu Semont « on redonne vie à des choses qui autrement disparaissent ». Ou quand écologie et « recyclage » bien compris se conjuguent avec économie. Un modèle intéressant et à suivre, qui rencontre pourtant bien des résistances à Genève notamment, où ceux qui tels Gaudet-Blavignac se lancent dans les ventes « privées » se font critiquer vertement – mais à contre courant.

Publié dans l'AGEFI, le jeudi 16 décembre 2010

Architecture émotionnelle, matière à penser

Le jeudi 16 décembre, sortie du livre Architecture émotionnelle, matière à penser
Disponible à la galerie Analix Forever dès aujourd’hui et en librairie en janvier.
A cette occasion, Yann Gerdil-Margueron interroge dans son émission InterCités sur RSR la 1ère Judith le Maire, Jean-Pierre Greff et Barbara Polla sur le premier Colloque d’Architecture émotionnelle
Pour écouter ou télécharger l’émission cliquer ici.

jeudi 9 décembre 2010

Book of Chastity

Céline Fribourg et Chahida Ousseimi (Editions Take5) présentaient leur dernier livre chez Artcurial le 3 décembre dernier. Les somptueux livres d’artistes des deux éditrices réunissent classiquement un travail photographique et un texte originaux. En l’occurrence, Ernesto Neto et Tom Mc Carthy. Un livre édité à trente exemplaires seulement, rare et précieux donc, comme son contenu.

Tom McCarthy met en mots l'histoire montrée par Ernesto Neto : celle d’une passion pour une femme à l'intérieur de laquelle l’artiste aimerait pénétrer, non pas par la seule pénétration sexuelle, mais par toute sa peau, tous ses pores, tous ses interstices, pénétrer ses secrets, mus par un désir fou d'intériorité et par une passion si particulière que l’on se pose d’emblée la question : cette femme existe-t-elle ou est-elle une production mentale ? Les deux probablement. Tom McCarthy l'écrit très bien le désir et l'impossibilité - “inventorise what I was loosing” : cette impossibilité toujours, de savoir ce qu’il y a “dedans”, à l’inétrieur de l’autre, et comment faire pour pénétrer dans les tréfonds de l’âme et du corps confondus.

Le boîtier dessiné par Ernesto Neto souligne encore cette folie du désir : une gaufre, un coussin, des coutures... C’est plastique et littéraire, purple et cousu, architectural et corporel. On n’en finit pas de désirer ouvrir la boîte de Pandore et de se mirer à l’intérieur dans les espaces sensoriels d’Ernesto Neto, dont le directeur de la Hayward Gallery à Londres, Ralph Rugoff, dit avec justesse que “Son travail est multisensoriel, il en appelle à votre sens du toucher et à votre odorat. Neto crée des installations de nature abstraite et biomorphique – des installations qui évoquent la peau et l’intérieur du corps humain...

Ouvrir la boîte, feuilleter le Book of Chastity, c’est aussi nous découvrir nous-même, nos passions possibles, notre curiosité infinie pour l’autre sous toutes ses formes. Comme le dit encore Rugoff à propos de Neto : “Ce type de propositions artistiques rend les gens plus avertis de leur propre corps”.

"It was as I needed to inventorise what I was loosing to archive it all. I was isolating hand gestures, turns of her neck or the shape of her lips as she mouthed a word and using these to summon up and fix my memory of the other times I’d seen her make that movement..."

Publié le 9 décembre 2010, dans les Quotidiennes