vendredi 30 juillet 2010

Cet été, Dream about want you want… et adieu les cauchemars !

Les cauchemars, un cauchemar. Notamment les cauchemars des enfants qui nous réveillent la nuit… mais aussi les nôtres ! eh bien, adieu à tous deux ! Pour ceux des enfants, je vous donne mon secret. Infaillible. Ils vous réveillent au milieu de la nuit ? Eh bien hop à la cuisine, ils doivent consommer le remède anti cauchemar, très important mon chéri, la recette fait fuir tous les loups… Une omelette à la confiture (faite maison bien sûr), très sucrée, très baveuse, il faut la manger en entier… délicieux les deux premières bouchées, total écœurant à la fin. Le chéri retourne dormir avec du sucre jusqu’aux oreilles et hésitera à deux fois avant de recommencer. Il se choisira des rêves plus doux… doux comme l’omelette à la confiture.

Pour les adultes : on peut aussi se choisir ses rêves. Le Docteur Barry Krakow, après avoir publié certains de ses résultats dans le JAMA (Journal of American Medical Associations) a présenté le mois dernier à la rencontre annuelle des Associated Professional Sleep Societies de nouvelles techniques comportementales pour diminuer les cauchemars notamment chez des personnes souffrant de PTSD (Post Traumatic Stress Disorder) , militaires américains ou personnes ayant subi des violences et abus répétés – mais ces techniques s’appliquent probablement à tous les types de cauchemars . L’une de ces techniques elles consiste en une décision volontariste de changer ses cauchemars en doux rêves d’été. L’une des patientes du Dr. Krakow, qui rêvait continuellement un remake dune période épouvantable de sa vie (kidnapping, viol et tortures) – décida de se mettre à rêver d’oiseaux . Et se réveille désormais en entendant encore les chants des oiseaux dont elle a rêvé.

Pour celles et ceux qui doivent prochainement subir une anesthésie, pratiquez ma méthode personnelle, peu éloignée de celle scientifique du Dr. Krakow : quand l’anesthésiste vous dit, je vais vous endormir là – cherchez dans votre stock d’images intracérébrales vos plus belles images, celles que vous préférez, et regardez les avec votre troisième oeil en vous endormant... vous vous réveillerez légers.

Dream about what you want - c’est l’artiste français Valéry Grancher qui nous y invite – faites des confitures et mangez des omelettes à la confiture au milieu de la nuit - et surtout faites comme Voltaire qui disait : « J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé. » Doux rêves d’été !

Publié dans Les Quotidiennes, le 30 juillet 2010

mardi 27 juillet 2010

H2O : l’art et l’eau, tous deux nécessaires à la vie

Evian Les Bains, l’eau thermale, les bords du Lac Léman… un lieu de rêve. Qui prédisposait certainement à une exposition sur le thème de l’eau.

Car comme le dit Francesco Bonami, l’art et l’eau sont tous deux nécessaires à la vie. La lumière aussi. H2O, l’exposition de l’été, est présentée au Palais Lumière. Vous ne connaissez pas Evian ? Découvrez la villégiature lacustre par le meilleur d’elle-même:

Réunir dans une exposition à thème des œuvres d’une collection comme celle de la Fondation Sandretto qui s’intéresse à l’art contemporain dans son ensemble ou presque, bien au-delà de l’écologie, était un pari bien difficile. Un pari qu’ont assumé en commun la maire d’Evian Marc Francina, Patrizia Sandretto Re Rebaudengo elle-même, le célèbre directeur artistique de la Fondation Francesco Bonami et sa conservatrice Irene Calderoni, assistés par Piero Bianucci, scientifique, qui nous rappelle que l’eau est à la terre ce que le sang est au corps.

Une circulation en perpétuel mouvement – et seul ce mouvement permet au liquide vital, qu’il soit transparent ou rouge, de se purifier continuellement et de continuer à être vecteur de vie. Vecteur de danger aussi - la vision du sang évoque en général son débordement et donc la blessure ou la mort – l’eau aussi est souvent dangereuse, comme l’évoque au mieux, dans l’exposition, la vidéo de Fiona Tan.

L’analogie entre l’eau et le sang – liquide noir en équilibre instable - est reprise par Charles Ray dans une pièce étrange et inquiétante – peut-être la dernière à voir, au sous-sol, avant de remonter vers l’eau bleue du Léman.

Mais l’exposition réserve de multiples surprises plus sereines, parmi les plus belles, le fleuve de Eva Marisaldi au bord duquel jouent des jeunes filles ; une installation de Douglas Gordon, tout en blancheur contrairement à la pièce de Charles Ray, évanescente : les chutes du Niagara derrière un fil d’équilibriste ; ou encore la projection-photo de Lina Bertucci, la pièce la plus chargée d’émotion de l’exposition ; ou encore plus inattendues, les photographies historiques de certains photographes siciliens ignorés dans nos régions…

Et en partant, ne manquez pas la très belle pièce de Damien Hirst – une fois n’est pas coutume – et surtout, le douche extérieure de Stefano Arienti entre le Palais Lumière et le lac – sa modestie, arte povera presque, tranche avec tout le reste et nous rappelle que Arienti est définitivement le représentant de ce que l’art contemporain italien a de plus épuré. Echappatoire absolue au glamour. Peu probable qu’il soit sélectionné par le futur commissaire du pavillon italien l’an prochain à Venise (celui qui a osé dire, « je ferai une belle Biennale, alors personne ne viendra ») - mais ceci est une autre histoire. En attendant les grandes eaux de Venise en 2011, Evian vous tend les bras, au bord de l’eau, dans l’eau, sous l’eau !

Publié dans les Quotidiennes, le 27 juillet 2010

jeudi 15 juillet 2010

Cet été à Analix

Friday, July 16, 6 pm - 2 am

From 6 pm - 8 pm
Opening of the group show Summer Trees !  with AMI, Andreas Angelidakis, Conrad Bakker, Jennifer Bongibault, Alex Cecchetti, Baptiste César, Colin Cyvoct, Luca Francesconi, Daniele Galliano, Katie Hargrave, Hazel Karr, Miltos Manetas, Andrea Mastrovito, Annette Messager, Robert Montgomery, Charles Moody, Gianni Motti, Pierre Olivier, Nathalie Rebholz, Peter Rösel, Emilie Satre, Marcello Simeone, Padraig Timoney, Marcello Simeone, Ornela Vorpsi and La Fratrie (in collaboration with Nuke Gallery, Paris).

La Fratrie, No Turning Back (detail), courtesy Galerie Nuke, Paris


From 8 pm - 2 am
Night of the 1001 Videos, 3rd edition

8 pm : Marguerite et le Dragon, a film by Raphaëlle Paupert-Borne and Jean Laube
9 pm - 2 am : Third Night of the 1001 Videos, with
Andreas Angelidakis, Elisabetta Benassi, Joakim Chardonnens, Delphine Depres, Benjamin Colin Dick, mounir fatmi, Charles D. Fisher, Emmanuel Giraud, Shaun Gladwell, Marie Hendriks, Marc Horowitz, Jean-Claude Jolet, Ali Kazma, Elena Kovylina, Christelle Lheureux, Joanna Malinowska, Luc Mattenberger, Valérie Rougé, Lionel Rupp, Manuel Schmalstieg, Louise Stern, Ryan Thompson.

Blast, été 2010

L'homme à la moto


Zoom sur Dries Van Noten

Comme chaque année, comme chaque président du jury, Dries Van Noten aura eu le privilège de pouvoir investir l'espace dit de la « Piscine » de la Villa Noailles. Ou plutôt, nous aurons eu le privilège de nous baigner dans cette piscine transformée en « boîte d’inspirations », de plonger dans les images, les films, les projections, tout l'univers de Dries Van Noten, qui nous submerge de jeux et d'émotions. De Blue Velvet de David Lynch au Piano de Jane Campion, du Guépard de Visconti à L'Age de l'Innocence de Scorsese, de Gatsby le Magnifique à In the Mood for Love de Wong Kar-Wai, nous nageons, telles des sirènes sans voix, au milieu de l'eau, des mystères du château du Dé et surtout des champs de couleurs et de fleurs des jardins de Dries à Anvers et de ceux de la villa Noailles. Le journal intime du jardinier que fut Charles de Noailles égrène les saisons, les couleurs et les bonheurs (Gardening Diary of Charles de Noailles) alors que les images de Wong Kar-Wai nous incitent à saisir l'impalpable évanescence du désir contenu, la musique obsédante du film oubliée au profit d'un silence qui ne l'est pas moins. Les images mouvantes des inspirations du styliste semblent flotter dans l'eau de la piscine, une eau de velours qui serait brodée par les ateliers de Calcutta et d'Anvers et bordée de toutes les fleurs que Dries Van Noten aime : toutes les fleurs. Monet n'est pas loin, et Antonioni veille... Blow up !




Ugo Rondinone : l’art de voir les sons et de montrer le silence



Ugo Rondinone est l'un des artistes suisses les plus émouvants. Celui que l'on appelle parfois "le clown" - car en Suisse seuls les clowns sont émouvants - est un poète de vie, comme tous ceux qui savent habiller de magie le quotidien le plus banal sans oublier la souffrance que cet exercice inflige. Sa dernière grande exposition, La nuit de Plomb (2010, Aarau), fait référence à un roman dans lequel le héros, au cours d'une de ces nuits de plomb que nous vivons tous parfois, se rencontre soi-même, mais un très jeune soi-même qui se serait comme arrêté dans le temps. Une rencontre personnalisée, dans l'exposition, par une empreinte de la main de l'artiste, trace de sa singularité et de son unicité.
Mais Rondinone n'est pas seulement un clown et un poète, il est aussi un maître en synesthésie. Il sait nous faire entendre les formes et voir le silence. Ecoutez ses grandes toiles, peintures du cosmos que l'artiste réalise avec de la terre qui, une fois balayée, laisse place aux constellations ; des constellations qui semblent crisser sous nos dents comme de petits cailloux laissés par la terre dans notre bouche, des constellations qui ouvrent pour nous la porte du cosmos, une porte qui, elle, ne grince pas... Les sons se laissent voir, et le silence aussi. Nous ne serions pas surpris d'apprendre qu'Ugo Rondinone, comme Vladimir Nabokov et sa famillle, est atteint de synesthésie.

La synesthésie ? Des Correspondances de Baudelaire en passant par une aventure new age dans les années 1960, elle est devenue, dans les années 2010, une caractéristique génétique parfaitement codifiée: chromosome X3, une personne sur 23. Il existe 152 types différents de synesthésie, la plus fréquente étant est la vision colorée des chiffres. La "vraie" synesthésie (par rapport à celles induite par certaines drogues) est involontaire, automatique, chargée d'émotions, souvent associée à des capacités sensorielles supérieures et une grande intelligence, une mémoire au-dessus de la norme, parfois des déséquilibres des capacités cognitives tels que dyscalculie ou allochirie, et une tendance à bénéficier d’expériences extraordinaires comme les clairvoyances précognitives, les sentiments de présence, les rêves prémonitoires. Les synesthésiques dissimulent le plus souvent leurs perceptions particulières, de peur d'être pris pour hallucinés... mais dans un métro ou un restaurant bondés, pour sûr il y a au moins un synesthésique ! Et Ugo Rondinone pourrait bien être de ceux-là, lui qui a l'art l'art de montrer les sons, leur convergence vers le silence, ou leur absence : alors que le clavecin oculaire du père Castel (1688-1757) - l'un des pères de la synesthésie - permettait aux sourds de voir la musique - les peintures de Rondinone nous font voir le silence.

Selon Castel : Il ne s'agit pas de réveiller simplement l'idée de parole et de son par des caractères arbitraires et imaginés, tels que sont les lettres de l'alphabet ou les notes de musique ; mais de peindre ce son et toute la musique dont il est capable ; de les peindre, dis-je réellement, ce qui s'appelle peindre, avec leurs propres couleurs ; en un mot, de les rendre sensibles et présents aux yeux, comme ils le sont aux oreilles de manière qu'un sourd puisse jouir et juger de la beauté d'une musique...
La synesthésie se heurte souvent à des critiques rationalistes. La plus intéressante : celle qui veut que les sons s'inscrivent dans l'étendue des temps alors que les couleurs s'inscrivent dans celle des espaces. C'est là que le travail de Rondinone sur le silence du ciel prend toute sa dimension spatio-temporelle, réfutant d'un même tenant les quatre impossibilités du clavecin oculaire du père Castel : la première, d'ordre physique, celle de l'impossible correspondance des longueurs d'ondes de la lumière et du son; la deuxième, celle de la spécificité de perception ; la troisième, celle du symbolisme différentiel des couleurs et des sons ; et la quatrième, de l'ordre de la composition plastique ou musicale. L'œuvre d'art n'est pas une suite d'éléments juxtaposés ou successifs. Elle est une forme composée, finie, unique, en partie ineffable et par définition intraduisible. Le silence est absolu. Et la musique, son contrepoint sonore...
Le silence nous fait entendre l'infini, la représentation du cosmos nous fait voir le silence.
Ugo Rondinone, 1962, vit et travaille à New York. Carte blanche de Marc-Olivier Wahler pour le Palais de Tokyo en 2007 (Third Mind), Rondinone faisait partie de la sélection pour le Pavillon suisse à la Biennale de Venise la même année. Ses pièces portent pour titre des nombres impossibles. Il est peut-être synesthésique.


Publié dans Citizen K, été 2010

mardi 6 juillet 2010

Séduction - Ete 2010


Publié dans Seduction, été 2010

L'art du corps, à rebours

L'exposition de Jean-Christophe Ammann au Centre Culturel Suisse (jusqu'au 18 juillet) est un émerveillement. C'est une grâce d'aller voir une exposition dont on sort nourri, pour des jours, jusqu'à ce qu'on ait envie d'y retourner. Le premier enchantement, les dessins d'Elly Strick. Voilà longtemps que je n'ai pas découvert dans un lieu d'art un ensemble aussi mystérieux et cohérent, esthétique et profond, aussi modeste qu'époustouflant.

Du Suisse Christoph Wachter, Ammann présente une série de dessins minuscules, noirs, puissamment érotiques et "justes". Le format minuscule, dit Ammann, est la conséquence d’une tension entre le faire et la culpabilité de l’avoir fait; il est aussi, pour le spectateur, une discrétion, une solitude, un appel au regard de près, dans le silence, l'absence de partage avec un autre regardeur.

Jean-Christophe Ammann, dans son exposition A rebours - à rebours notamment de la tendance qui veut des exposition thématiques et toujours politiquement correctes ou, au mieux, correctement incorrectes - A rebours nous parles du corps, ce corps qui est le seul endroit ou chacun de nous vit tous les jours... Notre corps, cette essence même de l’art, mémoire collective de l’art occidental.

Selon Ammann, "le corps - le corps nu - est l’élément fondateur de l’art occidental" et, au coeur du corps, "la colonne vertébrale, c'est la poésie". Une affirmation que ne démentiraient ni Paul Ardenne, à l'origine du concept de corpopoétique, ni Richard Shusterman, à l'origine de celui de somaesthétique. Ardenne nous invite à revenir au corps - à une poétique du corps, une corpopoétique.

"Je veux, artiste, dire le corps, dire « mon-corps ». Je veux faire une création de ce corps. Pourquoi ? Parce que tout n’a pas été dit, de « mon-corps ». Parce qu’il me faut donner, à ce corps, mon seul bien en vérité, la seule réalité avec laquelle je partage tout, un sens, une raison d’être. Parce qu’il s’agit bien, encore, que je me place sur la Terre, que j’y trouve ma juste position, celle qui rend la vie aimable car justifiée." Shusterman quant à lui se situe dans une position mélioriste, une position tenable dans la pratique (Shusterman est philosophe, mais aussi thérapeute du corps), mais pas dans l'art. L'art du corps n'a que faire de son amélioration.

Mais revenons encore, avant de ressortir sur la rue des Francs-Bourgeois en passant par la nouvelle librairie du CSS , à Elly Strick, à cet éblouissement discret d'identité, de transformation, d'intimité, de découverte qu'elle nous offre. Des images qui me restent, parce qu'elles me concernent. Parce qu'elles nous concernent : c'est de notre corps dont il s'agit. Et finalement, plutôt que de ressortir dans le Marais, ne devrions-nous pas plutôt dormir au CSS pour, comme aime le faire Jean-Christophe Amman, "se réveiller avec les oeuvres" ?

Publié le 6 juillet 2010 dans les Quotidiennes

vendredi 2 juillet 2010

Agir avant la psychose

La maladie psychique est la maladie de notre siècle. 450 millions de personnes dans le monde souffrent de troubles mentaux ou du comportement et la fréquence des maladies psychiques continue d'augmenter. Et pourtant, une petite minorité seulement de ces patients bénéficient de soins adaptés : alors que les troubles mentaux et du comportement représentent 12 % de la charge globale de morbidité dans le monde, la plupart des pays continuent à consacrer à la santé mentale moins de 1 % de leurs dépenses de santé. A Genève, le programme JADE (Jeunes Adultes avec troubles psychiques DEbutants) est spécialisé dans la prise en charge précoce des patients à risque et se donne notamment pour mission de prévenir la déstructuration personnelle et sociale et de soigner la souffrance profonde mais souvent méconnue de ces jeunes patients.



André, que t'arrive-t-il ?
André (prénom fictif) "décroche" de plus en plus comme on dit. Il ne va plus à l'école, ou quand il y va, il ne porte aucun intérêt à ce qu'il est supposé y faire : apprendre et développer des liens sociaux. La nuit il ne dort pas, ou très peu, il sort on ne sait où, il n'a pas vraiment d'amis, il est le plus souvent seul. Le jour il reste dans son lit, enroulé sur lui-même, enfoui sous ses draps, pour qu'on ne le dérange pas...
"Bouge-toi" "fais quelque chose" "concentre-toi" "travaille" ... tous ces conseils n'ont aucune prise sur André. Quand quelqu'un souffre d'une arthrite, personne ne lui dit "bouge-toi" - non, on soigne la douleur, on met l'articulation au repos...

Quand quelqu'un souffre. Oui, le maître mot ici est bien la souffrance. André souffre. Tout ce qui l'entoure l'agresse, chaque bruit est une menace, chaque exigence une violence parce qu'elle le met face à ses incapacités. Une souffrance profonde, aigüe, terrible. Le sentiment d'être devenu différent, différent des autres mais aussi de soi-même, et la culpabilité aiguë de ne plus pouvoir se réaliser selon ses espoirs ni répondre aux attentes parentales, sont souvent indicibles avant une longue période de traitement. Que ce soit la présence de "voix", de ces "mauvaise voix" qui menacent et qui envahissent la pensée, la vision de son propre corps qui se morcelle et perd sa fonction de "maison de l'âme", ou encore l'angoisse de mort, tous ces symptômes fréquents chez le jeune adulte en psychose débutante sont très effrayants pour ceux qui les ressentent, mais longtemps méconnus par l'entourage. La famille ne découvre en général cette souffrance que bien plus tard - et doit alors faire le deuil des ambitions dont elle avait investi le jeune adulte concerné, le deuil des rêves et des projets de vie qu'elle avait formés pour lui.
Quant au patient, le sentiment de vulnérabilité, de mise à nu, de solitude, l'amène à se replier de plus en plus sur lui-même, d'autant plus qu'il a le sentiment d'être incompris du reste du monde. André n'a plus d'élan vital, il n'a plus le désir de rentrer en contact avec les autres, il a peur... et cette peur devient réciproque, comme une peur contagieuse. André semble désormais incapable d'organiser ses journées, sa pensée est chaotique, sa vie aussi - et la peur s'amplifie.

La prise en charge, pour prévenir l'isolement
Pour briser ce cercle vicieux, une prise en charge spécialisée, diagnostique et thérapeutique, médicamenteuse et psychologique, pluridisciplinaire, s'impose. Il ne s'agit pas de faire des miracles, mais de soigner. Les médicaments - les neuroleptiques - reposent sur des connaissances encore fragmentaires des altérations de la transmission de dopamine dans le cerveau. Une question de santé publique donc, mais aussi une question de recherche !
André sera vu par un médecin, un psychiatre, des psychologues, des thérapeutes de groupe, ergothérapeutes et psychothérapeutes, seul, en groupe et en famille, et hospitalisé si nécessaire. Il prend le chemin difficile de l'acceptation de sa maladie et de sa fragilité - un chemin qui est aussi celui de la reconstruction de soi. Les neuroleptiques aidant, il a toutes les chances de trouver la voie et le courage de la réinsertion. Avec émotion, les thérapeutes s'émerveillent : il s'agit bel et bien de faire revivre quelqu'un, de le ramener dans le temps, dans l'action. De faire revivre André.
Le programme JADE bénéficie aussi d'un "job coach" : André sera accompagné vers le type d'activité qui lui convient le mieux, il trouvera peut-être même un travail en entreprise. Les petites entreprises semblent le mieux adaptées et il serait intéressant de valoriser celles qui contribuent à la réintégration des jeunes adultes présentant des troubles psychiques en proposant par exemple un label de qualité pour ce type d'engagement entrepreneurial et citoyen.


Ne pas oublier les familles
Mais le chemin de la maladie à la réinsertion est long, souvent même très long. Et pendant tout ce temps, les familles de ces patients sont fortement mises à contribution. Souvent trop : éviter le "burn out" des familles devient alors un autre impératif de santé publique. Au programme JADE, les thérapeutes le disent clairement : "étant donné le jeune âge de nos patients et leur pathologie, nous ne pouvons pas nous passer des familles et les familles ne peuvent pas se passer de nous." Le stress que représente pour les parents, pour la fratrie, la présence d'un schizophrène dans la famille est énorme. Alors que la compassion est au premier plan en cas de maladie somatique d'un membre de la famille, l'ambiguïté, la peur et le ressentiment prennent le plus souvent le pas sur la compassion lors de maladie psychique. Une autre difficulté majeure pour les familles est de trouver un équilibre entre le care et l'autonomie. Cette dernière doit rester un objectif constant, notamment en terme de logement : un logement même protégé apportera une autonomie plus grande que le logement familial et permet à la famille de "souffler". Les réunions "groupales" entre familles, enfants avec troubles psychotiques et thérapeutes ont ainsi pour mission, d'une part, de renforcer l'autonomie des patients, et d'autre part, de favoriser la solidarité interfamiliale. Lorsqu'en venant au programme JADE un thérapeute voit plusieurs familles concernées attablées ensemble au restaurant d'à côté, il évalue le succès des réunions multifamiliales !
A propos des familles encore, il est important de souligner que les théories du psychiatre et écrivain Bruno Bettelheim sur le rôle causal joué notamment par les mères dans la schizophrénie sont aujourd'hui battues en brèche. Il nous reste par contre de l'enseignement de Bettelheim que ces jeunes souffrent et ont besoin d'être encadrés et accompagnés avec sensibilité, espoir, compréhension et patience....

La peur de la violence
Reste encore, parmi toutes les peurs, la plus sournoise : celle de la violence. Oui les schizophrènes peuvent parfois être agressifs. Mais les statistiques montrent qu'il n'y a pas vraiment plus d'actes violents commis par des schizophrènes que par la population générale, si ce n'est la violence dirigée contre soi-même (dont le suicide est l'expression ultime). Mais les actes violents sont souvent stigmatisés... et il semble rassurant de les raccrocher à une pathologie. La violence est en nous tous - le plus souvent elle reste maîtrisée, au creux de notre inconscient - alors que, selon Otto Fenichel, médecin et psychanalyste, "dans la schizophrénie, l’inconscient est conscient". Et c'est bien de là que naissent l'hypersensibilité de ces patients, leurs souffrances, la peur de soi-même, la panique, l'enfermement...

La richesse de vivre ensemble
Mais l'inconscient est aussi notre inépuisable richesse, à nous humains, et les psychotiques ont beaucoup à nous apprendre sur nous mêmes. Comme le dit la mère d'un patient en voie de guérison dans la très belle émission de Temps Présent consacré aux jeunes patients psychotiques l'an dernier : ils ont, comme nous, leur partition à jouer dans la société. Une partition créative. Ecoutons-les...




De France, les mêmes appels : un priorité de santé publique !
Si le programme JADE est rapidement devenu un programme de référence au niveau mondial, d'autres centres travaillent dans la même direction. A Paris, les services et l'Unité INSERM du Professeur Marie-Odile Krebs proposent eux aussi, à Sainte-Anne, une prise en charge multidisciplinaire tout en poursuivant d'intenses activités de recherche (sur les mécanismes de la maladie, les facteurs de vulnérabilité génétique, l'évolution, les facteurs précipitant et les facteurs de protection éventuelle, ainsi que les thérapies) et de publication. Le livre de David Gourion et Anne Gut-Fayand, Les Troubles schizophréniques, (Ellipses, collection Vivre et Comprendre, 2005), est à la fois agréable à lire, très informatif et plein d'humanité. Avec une phrase absolument clé dans le chapitre intitulé : L'Evolution : tout est possible : "Il apparaît donc fondamental de parvenir à dépister et diagnostiquer cette maladie (la schizophrénie) le plus tôt possible". Pour ce faire, il faut d'abord la connaître, la reconnaître et la faire reconnaître comme une maladie grave, associée à de profondes souffrances et que l'on peut soigner. La comparaison avec le diabète, proposée par Anne Gut, est éclairante : il faut savoir que les médicaments sont nécessaires même si la maladie ne guérit pas, et qu'il ne faut jamais les interrompre brutalement. Pour le groupe parisien aussi, "Du fait de la fréquence de la schizophrénie," - 700 à 800.000 patients en France - "de sa sévérité et de l'existence de traitement efficaces, le dépistage précoce devrait être considéré comme une priorité de santé publique."




Encadré : le rôle du cannabis
L'usage du cannabis préoccupe les thérapeutes de patients souffrant de troubles psychiques et en particulier de psychose. L'usage du cannabis est en effet 2 à 5 fois supérieur chez les psychotiques par rapport à la population générale et une surconsommation est souvent retrouvée dans les semaines précédant une aggravation des symptômes. Entre 35% et 60% des patients schizophrènes seraient des usagers de cannabis. Si le rôle étiologique du cannabis dans la psychose reste une question controversée, un consensus existe quand au fait qu'il augmente le risque de déclencher une psychose chez les personnes vulnérables, qu'il exacerbe les symptômes et aggrave le pronostic global de la maladie. Selon Marie-Odile Krebs, nous ne sommes pas tous égaux face aux effets du cannabis et l’âge d’exposition (avant 15 ans) semble déterminant dans l'augmentation du risque. La question reste cependant ouverte, de savoir si la surconsommation ne correspond pas une tentative d'automédication "anesthésiante" de la part des patients. Comme le dit l'un d'entre eux : pour se protéger, on s'isole, on évite le contact, on regarde la télévision et on fume des joints... Mais là encore, les patients ne décrivent pas tous la même expérience.



Les cinq messages de Marco Merlo de Diana Canovas
N'oublions pas de
1) reconnaître la souffrance et ne pas banaliser les difficultés d'un jeune qui décroche
2) toujours garder espoir, un espoir réaliste : on peut faire beaucoup mais pas des miracles
3) bénéficier des conseils des spécialistes - faire confiance à l'expertise
4) développer les projets de formation pour favoriser la réinsertion
5) ne pas oublier le risque de suicide et travailler à le prévenir

Publié dans le Courrier, le 2 juillet 2010