lundi 27 avril 2009

A propos de l’écriture 4 – les mots du silence

Mon amie Louise Stern est artiste. Elle est aussi, entre autres, sourde-muette. Je n’aime pas le mot de malentendant – parce qu’il contient «mal». Née de parents tous deux sourds-muets, elle a appris le langage des signes comme sa langue maternelle et arrive à Genève, pour son exposition, Crosswords, accompagnée de son traducteur. Mais le plus souvent, elle communique par les mots. Les mots écrits. Sur les nappes des tables des cafés et des pubs - quand nappes il y a - à Londres, dans ses carnets, dans mon cahier d’écolière aujourd’hui, à Genève. Drôle de pratique que l’écriture…

Lorsque l’on doit écrire tout ce que l’on veut dire, on va à l’essentiel. Nos rêves, nos sentiments, qui nous sommes, l’une et l’autre, ce qui nous anime… Pas de formules, que des mots. Et des questions essentielles: Louise pense-t-elle avec des mots? Est-ce qu’elle les entend, à l’intérieur d’elle, quand elle les écrit? Que signifie «entendre» quand on n’entend pas?

Louise rit de mes questions. De ce rire de gorge puissant et irrésistible comme souvent le rire de ceux qui ne s’entendent pas. Elle se meut et m’émeut, incarnant ses gestes, ses mouvements, comme ses installations – Intoxication, par exemple, de belles et menaçantes bouteilles qui contiennent, encore, des mots…

Je la regarde, je l’observe, et je repense à ce que disait Homer, le héros du livre Farrago de l’écrivain franco-américain Yann Apperry: «Ce n’est pas qu’il utilisait plus de mots… mais il avait cette manière unique de les laisser se détendre qui donnait un swing à tout ce qu’il disait. De même, il donnait l’impression d’être toujours à deux doigts de commencer à fredonner un de ces airs tristes et chaloupés que chantaient ses aïeux pour se donner du courage. Ce n’était pas dans les mots mais dans la manière. Ce soir-là, …devant le feu, j’ai compris qu’une histoire se raconte aussi avec le corps, avec la voix, avec les gestes de la main et que les paroles, aussi belles soient-elles, ne suffisent pas.»Les paroles de Louise, elles, sont pensées puis écrites, et racontées aussi, avec son art, avec son corps, avec son rire.

Publié dans les Quotidiennes, le 24 avril 2009

Elle

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C'était Hyères

A Hyères, le soleil brille. La Villa Noailles bruisse de créations, d’espoirs, de rêves... des centaines de dossiers ont été examinés, vingt retenus, dix pour la mode, et dix pour la photographie. Jean-Pierre Blanc, directeur de la Villa Noailles depuis 25 ans, et toujours enthousiaste, en vrai maître des lieux, contrôle tout, vérifie tout... jusqu’aux cendriers cendriers sur les tables de fer-blanc, car on peut fumer dans les jardins. « Les expositions sont très belles… Quand on organise un festival de ce type, on est soumis à énormément de contraintes – mais c’est exactement ce qu’il faut oublier - et ce qui nous fait oublier les contraintes c’est le plaisir qui nous procurent les artistes. Quand on voit la qualité des propositions artistiques qui nous sont faites, le plaisir efface tout le reste... »

Kris Van Assche, directeur artistique de Dior Homme et de sa propre marque, artiste aussi, est cette année Président du Jury de ce Festival qui est depuis longtemps le plus prestigieux de France, de Navarre et d’ailleurs, et présente une double exposition dans la Villa Noailles : Picaflor de Kris Van Assche, et Cette pensée m’a traversé l’esprit, de David Casini.

Les vêtements, selon Kris Van Assche, cela se porte, cela ne s’expose pas. Kris Van Assche préfère exposer ses rêves, ses nourritures virtuelles, faites de musique et d’images, d’odeurs et de fleurs, d’Amérique du Sud et de liberté.

Dans la « piscine » de la villa, toute en lumière, les vitres ouvertes sur le jardin, Van Assche a installé douze fleurs, montées sur tige comme des trépieds d’orchestre, des fleurs cubistes, géométriques, faites de miroirs dans lesquels se reflètent la lumière et les arbres du jardin. Au fond de la corolle de ces fleurs mystérieuses, des mini écrans projetant… non, je ne dirai pas tout, il faut aller voir, car Kris Van Assche invente là une nouvelle esthétique, forte et légère, à la fois unifiée et ouverte sur l’avenir, d’une rigueur qui n’ignore ni la violence ni l’angoisse mais lui donne forme.

Une forme que David Casini nous propose de découvrir en parallèle, dans le noir d’un espace mental réminiscent de l’histoire de la Villa Noailles. L’artiste italien a créé à la Villa un espace dans lequel un homme, habillé par Van Assche - l’artiste lui-même - parle. Dans l’obscurité, de l’autre côté d’une armoire à miroir, comme dans un passage secret dans lequel « on perd ses repères ». L’objectif de Casini, entre autres : « Interpréter le travail de Kris, que je sens à certains égards très proche du mien, en le faisant fusionner avec l'architecture de la Villa. »

Ailleurs dans la villa, les photographies, notamment celles du jeune américain Chris Engman, qui installe d’étranges artéfacts, des cadres dans le désert, comme pour tenter de circonscrire ces espaces infinis et sauvages si chers à Kris Van Assche : l’espace de l’homme solitaire au monde.

Destination Sud ? Préparez votre voyage à Hyères, dès demain ! L’exposition est on jusqu’au 10 juin. Et le vent fait chanter les pins, on aperçoit la mer derrière les cyprès...

Publié dans l'Extension, le 27 avril 2009.

samedi 25 avril 2009

La valeur emploi

Tribune libre de Barbara Polla
La valeur emploi

La crise aurait du bon. Oui, pourquoi n’en point chanter les louanges, d’ailleurs aujourd’hui aucun de ceux qui y survivent ne s’en privent. Réévaluation des valeurs, retour du « sens » (oh la belle hypocrisie, comme s’il suffisait d’avoir moins d’argent pour pouvoir acheter du sens), « nettoyage bénéfique », mise à plat… et cerise sur le gâteau, quelle chance, enfin ! - érection de nouvelles règles.

Mais en fait, la crise est terrible, elle est terrible non pas parce qu’elle nous contraint, pour ceux qui ne le feraient pas chaque jour, à nous remettre en cause, à inventer de nouvelles voies, de nouveaux produits, de nouveaux types de management. Non, tout cela est bel et bon… mais la crise n’en est pas moins terrible, pas tant pour ceux, et ils sont nombreux, qui ne sont plus « que » multimillionnaires au lieu d’être milliardaires – non, elle est terrible pour ceux qui perdent leur emploi, ceux qui l’ont d’ores et déjà perdu ou ceux qui se sentent menacés de perdre ce bien si précieux, et pour les plus jeunes d’entre nous, ceux qui craignent de ne pouvoir jamais trouver l’emploi de leurs rêves avant d’être déjà devenus vieux…

Aujourd’hui plus que jamais, il faut créer des emplois, et vite ! Il faut en créer tous les jours, la nuit aussi, et même le dimanche. Créer des emplois en vacances. Malaxer cette pâte flexible que constitue le travail, une pâte qui n’est jamais finie, qui est là, toujours, entre nos mains de créateurs d’entreprises, cette pâte-travail de laquelle émergent emplois et valeur.
Oui l’emploi donc – mais grâce à quelles stratégies ?

Payer les entreprises perdantes, jeter les quelques milliards qui nous restent dans le tonneau des Danaïdes des entreprises qui ont failli à leur responsabilités telle General Motors - pour n’en citer qu’une, particulièrement gourmande et loin de chez nous - ou laisser faire les innovantes ? Soutenir General Motors, que Thomas Friedman, dans l’International Herald Tribune, décrit comme une machine géante de destruction de richesse (le genre de machines dont nous n’avons certainement pas besoin en ce moment) - ou soutenir les nouveaux emplois ?

Voyons un peu ce que font les Etats. Tous, sans exception, suivent essentiellement deux voies.
Premièrement, ils versent, à flots, dans les tonneaux percés, cédant à l’argument imparable : « nos funérailles coûteraient plus cher que notre survie ». Une chansonnette qu’ils chantent tous, General Motors à Barak Obama, UBS au Conseil fédéral, chansonnette que les plus sages d’entre nous, ceux-là même qui pourtant s’opposaient, pour les meilleures raisons, au sauvetage de Swiss par exemple (une autre machine à détruire la richesse… suisse), entament en cœur et transforment désormais en hymne national.

Deuxièmement, ils érigent de nouvelles règles. Chaque fois qu’un Etat est débordé, hop, une ceinture de sécurité : de nouveaux règlements comme autosatisfecit. Est-ce efficace ? La question n’est pas posée. Car les réponses sont connues: croire que les règlements vont nous prévenir des Madoff et autres Mad ou Off est une bouffonnerie. Mais ce qui compte, dans ce genre de moments, c’est de se donner bonne conscience, n’est-ce pas ?

Le vrai problème, avec les régulations, c’est que quand elles s’appliquent à tort et à travers sur le terrain même où se créent les emploi, elles passent du camp des mesures inefficaces à celui des mesures délétères. Pour les entreprises susceptibles de créer des emplois - les petites donc, car les grandes, même bénéficiaires, licencient préventivement, nous avons tous entendu le message de LVMH – pour les petites entreprises donc, les règles devraient au contraire être assouplies au maximum, de manière à maximaliser le potentiel créatif – ces règles devraient même être abolies pour tous ceux qui s’inventent courageusement leur propre emploi au lieu d’en chercher un qui existe déjà.

La France quant à elle ne prend pas cette direction-là et la présidente du Medef Laurence Parisot s’inquiète avec raison du fait que le gouvernement français semble oublier que la priorité doit être donnée à l’emploi. Prenons un bien modeste exemple. Ces dernières années, on a vu à Paris, proliférer les taxis motos. Une manière idéale de se déplacer, une des seules pour être toujours à l’heure dans la Ville lumière. Mais voilà que les taxis classiques, sources de votes importants, se rebellent contre cette concurrence. Eh bien vous savez quoi ? Vite fait, une nouvelle loi interdit au taxis moto de prendre des passagers qui n’ont pas réservé à l’avance. Et voilà quelques centaines d’emplois innovants perdus…

Quant on sait que l’Europe aujourd’hui compte déjà 18 millions de chômeurs et que les Etats Unis atteignent plus de 8% de chômage, du jamais vu depuis des décennies, et que ces mêmes Etats Unis on perdu sur ces quatre derniers mois environ 660 000 emplois par mois, il est temps de se réveiller. De ne plus perdre un seul emploi, et surtout, d’en créer à tour de bras. C’est notre rôle à chacun – et aux Etats de changer de politique, car il ne s’agit pas de survivre à la crise, mais bel et bien de la dépasser !

Inventer, innover, investir : la valeur emploi n’attend pas.



Libre livre
Notes de chevet, de Sei Shônagon

Sei Shônagon, dame d'honneur de la princesse Sadako dans les premières années du XIème siècle, écrit vers l’an 1000 l’une des œuvres majeures de la littérature japonaise. Des listes, des mots, des émotions… Qu’il est doux et parfois douloureux tout à la fois d’entendre ses mots à mille ans de distance, des mots qui n’ont pas pris une ride – comme ses émotions, intactes elles aussi. Les émotions sont dans les choses, dans les mots, dans la manière de les dire, de les lister… alors Sei Shônagon fait des listes, des listes de « choses qui ne servent plus à rien mais rappellent le passé », des « choses qui ne s’accordent pas », des « choses qui égayent le cœur », ou encore des « choses sans valeur » – telles « un grand bateau, à sec dans une baie, à marée basse. Un grand arbre renversé par le vent et couché sur le sol, les racines en l'air. Le dos d'un lutteur qui se retire après avoir été battu. » Choses sans valeur, vraiment ? Je ne crois pas. La poésie, une valeur bien plus que de refuge en ces temps tumultueux. Plus que jamais, lisez de la poésie tous les jours, le matin, à haute voix, emportez avec vous des carnets de notes et faites des listes…
Faiseur de listes poétiques, un emploi de demain pour talents ignorés.

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Publié dans l'Extension, avril 2009

jeudi 23 avril 2009

La crise… ah oui. Les banques ? Responsables (pour certaines et non des moindres) mais non coupables, n’est-ce pas. Les PME ? Elles se démènent pour conserver l’emploi. Parce que la chose la plus importante, aujourd’hui, pour traverser la crise et en sortir debout, c’est l’emploi. Si les gains virtuels en ont pris un sale coup, l’argent par contre, lui, n’a pas vraiment disparu – nous nous trouvons juste dans une période de rétention absolument généralisée, la grande peur nous faisant serrer les fesses et les cordons de la bourse d’un même mouvement – ou plutôt, d’un même immobilisme. Ce qui manque le plus, ce n’est pas tant l’argent lui-même que l’argent investi dans l’emploi – l’emploi qui, lui, ne saurait souffrir aucun immobilisme.

Des pistes alors ? Bien sûr. Les PME d’abord. Les banques pourraient par exemple leur faciliter l’accès au crédit, convaincues qu’elles seraient de l’importance de l’investissement dans l’emploi. Chaque PME qui viendrait à la banque demander un crédit et qui assurerait qu’une partie non négligeable de celui ci servirait à maintenir – mieux, à créer – des emplois serait accueillie comme un héros national, que les banques seraient fières de servir. Elles ne prêteraient plus seulement aux grandes entreprises, à celles qui somme toute n’en ont pas tant besoin - mais aussi, larga manu, aux PME, elles qui ne licencient pas en cachette mais se battent pour l’emploi. Le soutien des banques pourrait ainsi utilement compléter les aides actuelles, plutôt intelligentes, bien ciblées et efficaces de l’Etat.

Autre piste ? Le micro emploi – et le micro crédit qui va avec. Car même si les PME font des efforts maximaux pour l’emploi, elles n’y arriveront pas toutes seules. Comme le dit Benoît Hopquin dans sa grande enquête sur les chômeurs de Cognac, publiée dans le monde le 29 mars, « Faute de patrons disponibles, certains licenciés envisagent ainsi de créer un à un leur propre emploi, en sachant que le salaire à la clé sera mince, du moins au départ. Sur les décombres de Raynal poussent ainsi des microsociétés, des nouveaux emplois dont personne ne peut encore préjuger de la viabilité. Une économie de nécessité… ». A ces microentrepreneurs qui se retroussent les manches et deviennent leur propre employeur, en attendant de devenir un « hétéro-employeur », la France a fait la part belle en créant le régime d’auto-entrepreneuriat, qui vise à « encourager (concrètement, donc !) chaque Français à devenir entrepreneur : la plus belle manière de promouvoir l’esprit d’entreprise. » D’ailleurs, 120.000 auto-entrepreneurs se sont déclarés comme tels en France au premier trimestre 2009 !

Et en Suisse ? Les banques ne devraient-elles pas toutes se mettre au diapason de notre valeureux « banquier des pauvres », Georges Aegler, magnifique parrain du microcrédit ? Et oublier le credo qui est encore celui de bien des banques suisses, qui veut qu’il ne faut prêter « ni pour l’espoir ni pour le projet, mais pour l’argent. » Toutes les ressources au contraire, devraient être investies dans l’emploi, quel qu’il soit.

Publié dans l'AGEFI, le jeudi 23 avril

Kris par écrit

La Genevoise Barbara Polla sort la biographie imaginaire et documentée d’un des plus grands designers de mode actuels: Kris Van Assche, le directeur de Dior Homme. Feuilletage avant une exposition

Pousser la porte d’une vie qui ne vous regarde pas. La regarder, justement. La scruter comme on visiterait un appartement quand son propriétaire, qu’on aime, n’est pas là. Feuilleter ses livres, ouvrir des tiroirs. Lire ses lettres, pourquoi pas. Caresser ses draps, bien sûr. Rêver, réfléchir. Et puis aller voir les voisins, leur poser des questions. Et puis repartir en laissant la porte ouverte. Et puis retrouver le bruit de la rue en ayant appris deux ou trois choses sur la nature de son affection. Et si peu sur le mystère de ceux qu’on aime.

C’est un peu ce qu’a fait Barbara Polla. La Genevoise qu’on connaît comme médecin, chercheuse, ancienne conseillère nationale, multitaskeuse et directrice de la galerie Analix Forever, publie un beau livre intitulé Kris Van Assche, Amor o muerte*. L’ouvrage sort pour le Salon du livre. Illustré notamment par des dessins originaux d’Andrea Mastrovito, il a été mis en forme par le directeur artistique du magazine Crash, Frank Perrin. Tout cela précédant une exposition de Kris Van Assche et Andrea Mastrovito, en mai**.

Kris Van Assche, lui, est né le 12 mai 1976 à Londerzeel, en Belgique, dans le Brabant flamand. Il est aujourd’hui l’un des cinq designers de mode masculins les plus influents de la planète puisqu’il dirige la maison Dior Homme.

Justement, comment devient-on quelqu’un d’exceptionnel quand on est né à Londerzeel, autrement dit entre nulle part et n’importe où? s’est demandé Barbara Polla. La question a donné ce livre singulier et élégant, qu’on a beaucoup aimé, qui avance un pied dans l’enquête de personnalité, un autre dans l’imagination, la tête à la verticale du cœur. Interview.

Le Temps: Pourquoi Kris Van Assche, pourquoi lui et pas un autre homme?
Barbara Polla: Parce que c’est quelqu’un que je trouve exceptionnel, non seulement par son talent mais encore dans sa manière d’être. Parce qu’il possède un don de concentration et une détermination rares mais aussi une capacité de légèreté. Il faut dire que je connaissais Kris depuis quelques années: il a déjà exposé deux fois chez Analix Forever. En juin dernier, à Paris, je suis sortie très émue de son défilé pour Dior Homme, et l’idée de ce livre s’est imposée à moi, dans la rue. Je lui en ai parlé. Il a ri, il m’a simplement demandé si cela ne m’ennuyait pas d’écrire un livre que personne ne lirait. J’ai commencé par aller voir la maison de son enfance, sa grand-mère, j’ai rencontré ses profs, puis le créateur qui est son modèle, Dries Van Noten. J’ai squatté son bureau pendant ses vacances. J’ai beaucoup inventé, ou j’ai cru que j’inventais – parfois j’ai vu juste.
Il m’a laissé faire.

– Et maintenant?
– Souvent, les «biographés» finissent par détester leurs «biographeurs». Avec Kris, c’est le contraire, nous sommes devenus plus proches et avons plusieurs projets communs. Mais il est vrai que cette histoire aurait pu tourner à la catastrophe. Moi, j’aurais détesté que l’on me fasse un coup pareil!

– Pourquoi?
– Parce que c’est une fantastique intrusion dans l’intimité d’autrui.
– C’est un livre impudique.
– Non, la part d’impudeur y est petite, très petite.
– Mais c’est un livre sur Kris Van Assche ou sur vous?
– La base, c’est Kris, son exigence de liberté qui est si palpable dans son travail, dans ses défilés. Mais ce livre, comme mon précédent et mon prochain, porte aussi sur le même thème: la possession de l’autre. Comment l’autre, à un moment donné d’une relation, vous appartient parce que vous l’aimez vraiment, parce que vous êtes curieux, passionné. L’amour change ce qui est aimé. Comme le regard change ce qui est regardé. Et puis, derrière ce livre, il y a mon intérêt pour les hommes en général ainsi que pour le vécu homosexuel. Finalement, ce livre, c’est aussi comment, en racontant un homme que j’aime, la qualité «homme» est devenue une part de moi-même. Une manière d’approcher le masculin.

– Qui est Kris Van Assche pour vous?
– Quelqu’un de déterminé, créatif, profond, drôle. Solitaire.

– Et où l’imaginez-vous dans 10 ans?
– Ailleurs.

– «La beauté sauvera le monde». Au début, vous reprenez cette phrase de Dostoïevski. Vous croyez vraiment qu’une chemise parfaite ou une œuvre d’art peuvent sauver le monde?
– C’est l’une de mes convictions, et aussi celle de Kris. Comment sauver le monde autrement qu’en lui donnant une forme? La seule façon de vivre avec le noir de l’existence, avec toutes les choses tragiques qui se passent partout, c’est la mise en forme. Et cette forme, il faut la chercher continuellement. On peut le faire dans une galerie, par l’écriture, la pensée, l’architecture, la mode. C’est une vision cosmétique du monde. En grec, le «kosmos», c’est d’abord l’ordre, la beauté, la primauté de la forme. Ce concept de «beauté globale» dont je parle souvent, ce n’est pas que du blabla. C’est un concept que l’on retrouve derrière les défilés de Kris, l’idée d’habiller les hommes, de les rendre beaux. Pour sauver le monde.



Publié dans Le Temps, jeudi 23 avril 2009
* Kris Van Assche, Amor o muerte, Barbara Polla, L’Age d’Homme,

140 pages.
** Poète en grève, exposition Kris Van Assche, Analix Forever, Genève, dès le 14 mai.

vendredi 17 avril 2009

A propos de l’écriture (3) – libre passage de moi à l’autre

Drôle de pratique que l’écriture, qui pourtant nous définit et nous rend humain. Je suis le seul héros de ma propre histoire, mais pour être ce héros, mon histoire, elle, doit exister en tant que telle. Pour vivre, survivre, évoluer, je dois la raconter, à moi-même d’abord, telle quelle, puis la travailler, la tordre, la redire non plus telle qu’elle est, mais telle que je la veux: l’écrire, donc. L’écrire, pour la raconter aux autres. Puis s’en séparer – et recommencer, autrement, une autre vie, une autre histoire. Devenir un autre héros, encore.

Au Salon du livre, retrouvez donc, chez Grasset, Farrago, de Yan Apperry. Le livre date ? Il n’a pas une ride. Le héros de sa propre histoire, dans Farrago, c’est Homer – Homère non plus, d’ailleurs, n’a pas une ride – et dans ce roman d’une vie – le roman de plusieurs vies - à propos d’une jeune femme qui avait tenté de se suicider, Homer nous dit: «Si Sarah Connolly avait sauté du pont, ce n’était pas juste à cause de ses malheurs, mais aussi parce qu’elle n’avait pas réussi à les raconter, à en faire une histoire dont elle puisse tirer un enseignement … La misère, j’ai pensé, c’est que les gens n’arrivent pas à raconter l’histoire de leurs misères. » Et plus loin : « Ce n’est pas la vie qui compte, c’est la manière de la raconter.»

Oui la parole transcende le malheur, comme toute création, et seule permet de le maîtriser et d’ouvrir les portes des prisons où il cherche à nous garder. Inventer sa propre histoire - car raconter c’est toujours inventer aussi – c’est choisir librement l’histoire que l’on veut pour soi-même, oser la liberté de se recréer: c’est se choisir soi-même en somme. L’épopée des Freedom Writers, ces adolescents américains qui, grâce au projet d’un de leur professeur désormais mythique, se sortent de leurs misères en écrivant – et ils n’ont pas fini d’écrire… - illustre cette liberté fondamentale: écrire, c’est se réinventer chaque jour.

Passer du moi à l’autre aussi : j’écris pour moi-même d’abord, mais pour les autres aussi, pour qu’ils me lisent, qu’ils me connaissent, pour qu’ils aiment mon histoire. Raconter son histoire aussi, incite les autres à raconter la leur. L’écriture devient alors partagée, altruiste, ouverte, entraînante – même si elle reste, au moment même de son étrange pratique, fondamentalement solitaire.

Publié dans les Quotidiennes, le 17 avril 2009

mardi 14 avril 2009

A propos de l'écriture (2) - je voudrais, comme l'art contemporain...

Ecrire, quelle drôle d'activité. Alors que la pratique et la monstration de l'art contemporain s'infiltrent partout, s'échappant des musées des galeries des maisons et envahissant la rue, la toile, les murs des villes, les panneaux publicitaires le Land voire le ciel... l'écriture semble rester close dans ses livres.

La pratique du théâtre de rue a bien tenté de changer les choses, mais peut-être les acteurs ont-ils eu froid, toujours est-il qu’ils sont retournés dans les salles...

L’écriture devrait prendre exemple sur l’art contemporain et se montrer, ailleurs que dans les librairies, dans les galeries, les musées, la rue, sur la toile et les murs de nos villes. L’écriture devrait trouver de nouvelles formes, elle aussi, se démultiplier, se libérer tout en gardant sa splendeur, mieux, en la magnifiant, en la partageant – car finalement, même l’art contemporain, pour exister, doit non seulement se regarder, mais aussi se penser et se dire avec des mots et des écrits.

Roland Barthes déjà se posait la question – parmi des centaines d’autres questions - “je suis dans ma chambre, je vois ma chambre, mais déjà, est-ce que voir ma chambre, ce n’est pas me la parler ? De ce que je vois, qu’est-ce que je vais dire ?

Nous parlons partout – nous devrions écrire partout aussi, et surtout dire les mots écrits, pas seulement les mots parlés. Lire la poésie, lire les textes, lire par exemple, Je meurs comme un pays, de Dimitris Dimitriadis, et même si Anne Alvaro le dit si magnifiquement au MC93 de Bobigny, le lire aussi, ici et là, le jour, la nuit, pour que la langue ne disparaisse jamais. Car il n’est pas de pays sans langue... – d’ailleurs, la Suisse est-elle vraiment un pays ?

“L’occupation en effet dura des siècles, écrit Dimitriadis. Le temps nécessaire à ce que les frontières traditionnelles du pays disparaissent, absorbées au sein de la vaste ordonnance qui désormais recouvre la planète – car la langue cessa un jour, comme on l’avait projeté, d’être parlée, et se mit à exister comme une relique...”

Pour que la langue jamais, ne cesse de vivre, disons-la, le jour, la nuit, partout... Réciter des poèmes, le matin. Les déclamer dans la rue, sans peur du ridicule. Lire à haute voix, aux enfants, mais aussi entre adultes. Lire à plusieurs, vingt quatre heures de suite. Car l’écriture – fût elle pratique solitaire et nocturne – ne saurait vivre sans être lue en pleine lumière – comme l’art contemporain ne saurait exister sans être vu.

Publié dans les Quotidiennes, le 14 avril 2009

samedi 11 avril 2009


Pour la foire Milan, MiArt (16-20 avril 2009), la galerie Analix Forever
organise un programme exceptionnel, vidéo only, présenté par des
commissaires et critiques de renom qui ont accepté de jouer le jeu, ceci en
étroite collaboration avec Federica Martini. Parce que la vidéo est une
forme d'art essentielle aujourd'hui !

Immagine, ancora. Il tempo del movimento / Images, encore. Le temps du mouvement / Image, again. The time of movement
Conversazione

Federica Martini: Perché organizzare un evento video a MiART ?
Barbara Polla: Penso che video e cinema siano i media che meglio esprimono lo spirito della nostra epoca, la sua Zeitgeist. Le immagini in movimento riflettono, idealmente, il dinamismo del nostro mondo e della nostra esperienza. Grazie a questa affinità, il video e il cinema offrono un accesso privilegiato a questo universo del sensibile. I confini fra cinema e arte mi interessano precisamente per questa ragione, per la loro capacità di diventare paradigma della relazione fra arte ed esperienza del mondo, un mondo che è nel contempo fonte di ispirazione per l’arte e oggetto di rappresentazione.

La decisione di presentare soltanto video a MiART nasce come reazione alla relativa assenza del video nell’ambito di recenti manifestazioni artistiche che ho visitato. Ho quindi pensato di orientare interamente al video la presenza di Analix Forever a MiART e invitato dei curatori internazionali, Paul Ardenne, Paolo Colombo e Maria Rosa Sossai, a collaborare all’evento e alla sua programmazione. Da sempre, nell’ambito delle attività della Galleria Analix Forever, ho cercato di intensificare le relazioni con altre istituzioni, gallerie e curatori – l’aspetto critico e intellettuale è fondamentale nella pratica artistica contemporanea.


FM: Come si articola il progetto per MiART?
BP: Lo stand comprende 4 spazi di proiezione, 4 black box e uno spazio centrale. All’interno delle sale di proiezione, ogni giorno verrà presentata la programmazione di uno dei curatori. Ciascun curatore propone tre artisti emergenti sulla scena internazionale, e presenta inoltre il video di uno degli artisti della galleria.

Nello spazio centrale, presenteremo una selezione di still e di altre opere di giovani artisti della galleria pensate in relazione al video. Una sezione dello stand sarà dedicata alla documentazione sugli artisti e sui lavori presentati; ci sarà spazio anche per approfondire ulteriormente il dibattito sulla questione del video.
Ciascun curatore presenterà la sua selezione con un testo critico. Delle brevi schede accompagneranno i lavori video degli artisti presentati.


FM: Quando la galleria Analix Forever ha iniziato a interessarsi al video?
BP: La lista degli artisti che lavorano con il video è davvero sterminata e il video è sempre stato presente nella programmazione della galleria, tanto nelle mostre quanto in eventi dedicati. A dicembre, abbiamo presentato una meravigliosa video installazione di Mat Collishaw. Pensata nell’ambito della sua mostra personale, l’installazione si articolava su cinque monitor, degli objets trouvés dall’aspetto antico che, inseriti nello spazio ad altezze differenti, rimandavano frammenti di immagini carpite su You Tube. Lo scarto temporale fra le immagini in movimento scelte dall’artista e la presenza fisica dei monitor creava un ambiente profondamente poetico, dalla bellezza inquietante.

Nel 2007 e nel 2008 abbiamo organizzato La Nuit des 1001 vidéos. L’ultima edizione ha visto la collaborazione di Anne-Sophie Dinant, curatrice alla South London Gallery, da sempre attenta alle ricerche sul video. L’evento prevedeva la proiezione non-stop di video dalle 20 alle 2 del mattino, intercalata da brevi presentazioni degli artisti invitati. Il progetto ha suscitato un grande interesse. Al momento stiamo lavorando alla terza edizione, prevista per l’estate 2009, che includerà anche la selezione presentata in anteprima a MiART.


FM: In occasione della collettiva Working Men, Analix Forever ha presentato il lavoro di Mario Rizzi, Murat ve Ismaïl. Alla Biennale di Istanbul, il lavoro era stato proiettato all’interno di un cinema costruito dall’artista. L’ultimo lavoro di Steve McQueen, Hunger, è uscito nelle sale cinematografiche l’anno scorso. Possiamo tornare sul rapporto fra arte e cinema?
BP: Penso che i confini fra video, cinema – la settima arte – e l’arte siano, per loro stessa natura, labili, come d’altronde, in generale, i confini che separano arti visive e moda, design, architettura, musica e sound art, teatro e performance, scienze ambientali e Land art… L’arte si infiltra dappertutto, si serve di tutto, ingloba tutto. E gli artisti più che mai, si interessano ai limiti, ai margini – e quindi, evidentemente, anche alle immagini in movimento e al cinema.
Questa sparizione delle frontiere è magnifico, ma nello stesso tempo rende più difficili le classificazioni. Un film è un film d’arte perché viene proiettato in un determinato contesto? Smette di esserlo perché viene mostrato in una sala cinematografica – prendo l’esempio del film di Steve McQueen? Alla fine, ricadiamo nella questione della definizione dell’opera d’arte e mi sembra che la risposta possa venire solo ed esclusivamente dall’artista. “Questa è la mia opera d’arte” è un’affermazione necessaria e sufficiente perché essa sia, di fatto, un’opera d’arte.


FM: Alcuni progetti, come il Bureau des vidéos o videoart.ch, hanno tentato di incentivare la fruizione privata del video. Tuttavia, la presenza del video nelle collezioni private è inferiore a quella di altri media, quali la pittura e la fotografia.
BP: Ci sono collezionisti che collezionano video in modo più sporadico, altri vi consacrano una sezione della loro collezione e si dimostranto attenti anche alla video installazione e al film. Molti di loro hanno un atteggiamento estremamente professionale nell’organizzazione della loro collezione e presentano le opere in sale di proiezione o, più semplicemente, su schermi al plasma. Ma credo che in generale, nella camera da letto di un bell’appartamento nel 16° arrondissement a Parigi possiamo trovare più facilmente uno schermo al plasma che funziona come televisione che come installazione video.
Questo perché di fondo numerosi collezionisti nutrono un sospetto nei confronti del video. Fra gli argomenti più ricorrenti, si cita la difficoltà nell’esporlo, per quanto in realtà lo si possa mostrare, ad esempio, semplicemente su un monitor televisivo.
FM: Già Vito Acconci aveva definito la televisione una “scultura domestica per immagini in movimento”, ed era il 1984.
BP: Sì, ma stranamente sembra difficile immaginarlo. O ancora, si nutre un pregiudizio sul suo valore, sulla sua durata, sulla sua natura eccessivamente sperimentale. Inoltre, penso che manchi il video nelle vendite all’asta e questo è un criterio importante per i collezionisti. L’assenza di riferimenti sul valore di mercato del video ha sicuramente un’incidenza; molti collezionisti basano la loro nozione di valore sulle quotazioni d’asta, non sulla presenza di un’opera o di un’artista in un’istituzione o in un museo.


FM: Nel 2009, hai presentato ad Analix Forever la mostra I Am an Artist and, Sometimes, I Use Paint. Potresti fare la mostra I Am an Artist and, Sometimes, I Make Videos?
BP: Volevo mostrare che la pittura è diventata una delle tante forme utilizzate dagli artisti per esprimersi - a prescindere dal fatto che si riconoscano o meno come pittori. La pittura è oggi lontana dall’idea di grande esclusività lirica che la caratterizzava in passato. Nell’ottica dell’espansione e dell’inclusione di tutte le forme possibili e impossibili nel campo dell’arte di oggi, penso che si possa dire: “Sì, sono un artista e talvolta realizzo dei video”. Ma poiché il video non ha il passato accademico e il peso storico della pittura, bisogna fare attenzione affinché non diventi una disciplina aneddottica, una sorta di hobby. I più bei video richiedono tecnica, esperienza, impegno.

mercredi 8 avril 2009

A propos de l’écriture, le Parfum d’Ourgada

Ecrire, quelle drôle d’activité. En art, nous sommes à l’ère de ce que les historiens appellent le pillage, le sampling, l’expansion, l’inclusion… on emprunte tout, on prend tout, on transforme, on refait, on s’approprie dans l’euphorie, dans les arts «plastiques» (ancrés dans la «physicalité» des choses donc) et encore davantage, dans l’art virtuel, toute cette nouvelle mouvance de l’art sur la toile, pour lequel la reproduction, la diffusion et la communication se mêlent dans une confusion qui ne semble déranger personne si ce n’est quelques experts tels un Jean-François Robic, artiste et professeur d'arts plastiques à l’Université de Strasbourg. Les artistes, autrefois dits compagnons du réel, deviennent aussi bien compagnons du virtuel.

Qu’en est-il de l’écriture?Contrairement aux arts plastiques ou à ceux politiques, la pratique de l’écriture est et reste, solitaire et nocturne. Le sampling existe depuis toujours: on utilise pour écrire les mêmes mots… pas d’invention de matériau depuis des siècles. Pas de renouveau du matériau. Les mots, donnés une fois pour toutes, comme les couleurs. Les miens, les mêmes que les vôtres. Même si j’affectionne particulièrement amarante, Ourgada, Brisbane, herméneutique, vernaculaire et ancillaire… rien d’original à cela. Et j’aime aussi, printemps, oseille, âcre, empreinte, parfum dilettante et benjamin… tous ces mots sont sur la toile. Ils m’appartiennent comme à vous, à vous comme à moi. Et pourtant… cela n’empêche pas les dinosaures de leur accoler encore un copyright, dès que deux mots sont mis côte à côte pour exprimer une idée, un concept, un produit, un joyau, par exemple… Parfum d’Ourgada ? Hop, ©.

Mais ces mots, ces sigles, © ou non, sont pourtant inscrits sur le web, indexés dans cet espace « para » que je partage avec le monde entier. Alors, fêtons le partage ! et abandonnons immédiatement le Copyright. Inspirons nous du sampling de l’art plastique, et introduisons le Copyleft. Quel bonheur et quel honneur, quand quelqu’un ou quelqu’une enfin, samplera “mes” mots, et au lieu de me dire bonjour, dans la rue ou sur le net, me saluera avec mes préférés, couleur amarante et parfum d’Ourgada! A toi bien sûr…


Publié dans les Quotidiennes, le 8 avril 2009.