jeudi 28 mai 2009

La noblesse du libéralisme

Les hauts salaires passionnent nos media. Il est vrai que tous ces banquiers qui ont fait fondre nos économies par une gestion au mieux inadéquate, au pire frauduleuse et qui s’en vont les poches pleines vers d’autres aventures, c’est pour le moins agaçant. Comme le dit si joliment Hermann Bürgi, sénateur UDC, « Une émotion légitime et bien compréhensible s’est installée dans l’opinion ».
Et voilà comment va la politique. C’est très simple : l’émotion s’empare de l’opinion ? Alors il faut faire quelque chose. L’émotion n’est pas au rendez-vous ? Seuls quelques tâcherons de la politique dont on ne parlera jamais vont s’occuper consciencieusement de ces questions obscures quoique fondamentales qui n’émeuvent personne... comme les bas salaires par exemple. Mais pourquoi donc l’opinion s’émeut-elle des hauts salaires ? Et est-ce vraiment de rôle de la politique, de calmer les émotions de l’opinion ?
Le degré d’émotion de l’opinion repose en général sur la révolte - ou plutôt, sur deux types de révoltes bien distinctes : la révolte devant l’horreur et celle devant l’arrogance. L’horreur fait partie du monde, même « l’opinion » sait cela, et l’émotion qu’elle génère, si violente soit-elle, ne dure jamais très longtemps, vite détournée par une autre horreur encore pire que la précédente.
Par contre, la révolte devant l’arrogance appelle immanquablement la volonté de contrôle, une volonté souvent irrépressible, qui repose sur le besoin de revanche, de punition, voire de dégradation de cet autre qui nous impose sa supériorité financière, qui nous assène ses millions de bonus alors que nous trimons dur pour boucler les fins de mois - ce tricheur, ce frimeur, ce brûleur. Il faut le faire rentrer dans la norme, et vite, ce successman qui met en cause notre propre capacité à nous débrouiller dans le chaos économique, qui met nos talents de négociateurs au défi d’obtenir une augmentation de salaire méritée ou imméritée.
Mais comme – et c’est tant mieux - nous avons déjà fait la Révolution française et décapité tous les aristocrates qui le méritaient bien – le contrôle politique, la régulation, la transparence seront donc nos échafauds modernes. Les jeux de pouvoir entre ceux qui possèdent, de l’argent et donc du pouvoir, et ceux qui n’en ont guère, mais qui ne peuvent tolérer que d’autres en aient en excès, sont ouverts. L’arrogance appelle le contrôle en retour.
Alors, est-ce juste, utile, efficace, nécessaire, normal, de contrôler les salaires, bonus et primes ? Non s’ils sont décidés par un chef d’entreprise indépendant et autonome ou un conseil d’administration qui le serait tout autant et dont les objectifs n’ont alors même pas à être justifiés. Je crée une entreprise, elle est florissante, encore plus à l’abord de la crise, je ne sais que faire des millions qu’elle me rapporte, je distribue tout cela en bonus à mes collaborateurs, ceux de l’entreprise voisine s’offusquent, les meilleurs viennent frapper à ma porte, et le rendement de mon entreprise s’améliore encore ? Et pourquoi donc voudriez-vous réglementer cela ?
Mais oui, absolument, bien sûr, le contrôle est normal, nécessaire, et même largement insuffisant encore, dans tous les cas malheureusement de plus en plus nombreux où les entreprises sont soutenues par l’argent de l’Etat. L’Etat n’ayant pas d’argent en propre, si une entreprise, donc, est soutenue par lui, elle l’est par l’argent des citoyens, puisque c’est ainsi que l’on appelle désormais les gens. Or personne ne devrait avoir à payer de l’argent à un intermédiaire – l’Etat en l’occurrence – pour que d’autres soient payés des sommes exorbitantes. La normalisation des salaires dans ce cas, c’est bien le minimum que l’Etat puisse faire pour que tout le monde s’y retrouve à peu près.
Les rapports entre Etat et entreprises doivent être constamment remis en question et clarifiés sans relâche si l’on veut que le libéralisme garde – ou retrouve – sa noblesse. Un ancien Conseiller fédéral, éminent commis de l’Etat qui depuis toujours a milité pour le soutien étatique à certaines entreprises privées bien ciblées, qui vient nous expliquer aujourd’hui qu’il est normal que l’UBS, massivement soutenue par « les gens », puisse augmenter les salaires et les primes de ses collaborateurs « de pointe » pour permettre à la Suisse de se confronter à la concurrence mondiale, ne fait rien pour cette noblesse-là.

Publié le 28 mai 2009 dans l'AGEFI

lundi 25 mai 2009

Drôle de pratique que l’écriture…

Libre Tribune de Barbara Polla

Drôle de pratique que l’écriture…

Le Salon du livre, cette année encore, aura représenté la plus grande manifestation culturelle annuelle de Suisse romande. Les visiteurs y passent plus de temps que ceux du Salon de l’automobile, même : quatre heures et demie à feuilleter, lire, échanger, écouter, à parler aussi…
Combien de mots, dans ce Salon du livre, transmis de l’un à l’autre, de l’écrivain au lecteur, d’homme à homme, pour le seul bonheur de raconter une histoire, de témoigner de l’importance de chaque chose en ce monde, de laisser une trace ? Combien d’heures d’écriture, bouclées dans ces milliers de livres ? Et quelle étrange pratique que l’écriture, qui semble échapper définitivement à la raison raisonnable - tant d’efforts pour si peu de gloire, tant d’efforts pour si peu d’argent - et qui pourtant nous porte, encore et encore, les uns vers les autres…

Roland Barthes, dans son cours sur le roman, explique magnifiquement qu’au milieu de la vie – non pas un milieu mathématique, mais quand on a fait un certain nombre de choses déjà – on se trouve la croisée des chemins, entre la répétition, le retrait, ou la Vita Nuova. La Vita Nuova ? L’écriture, selon Barthes. Une étrange pratique en effet, dans laquelle le produit ne se distingue pas de la production. Un acte d’amour, aussi : écrire, dit Barthes, c’est ériger les autres (quelques autres) hors de la non-mémoire ; aimer plus écrire, c’est témoigner pour ceux que l’on a connus et aimés. Le roman, acte d’amour, « une écriture longue, un oeil sur la page, sur ce que j’écris, un autre sur ce que je vis : le présent. La littérature, cela se fait toujours avec de la vie ... Non pas la vie passée, qui est dans la brume, dans la faiblesse de l’intensité; ce qui est important, c’est la vie présente, la vie concomitante à l’écriture. »

Ecrire les autres, oui – mais avant, une vraie urgence, adolescente peut-être : écrire sa propre histoire. Car pour vivre, survivre, évoluer, je dois me raconter, à moi-même d’abord, ma propre histoire, telle quelle, puis la travailler, la transformer, la redire non plus telle qu’elle est, mais telle que je la veux. Ecrire ma propre histoire pas seulement pour moi-même, mais là aussi, pour l’autre - pour la raconter aux autres. Puis recommencer, autrement, une autre vie, d’autres histoires, les vies et les histoires des autres. Mais l’écriture ne réalise pas seulement l’un des chemins les plus sûrs de soi vers l’autre, elles est aussi chemin de liberté. Parce qu’écrire, c’est inventer, même quand on raconte, et prendre la liberté fondamentale de se réinventer chaque jour, soi-même, les autres, le monde. Les expériences des Freedom Writers aux Etats Unis, récemment mis en film par Richard LaGravenese, cette manière de sauver d’eux-mêmes des adolescents en difficulté par l’écriture de leur propre histoire, vont dans ce sens. « Ce n’est pas la vie qui compte, dit un Yann Apperry, c’est la manière de la raconter. »

L’écriture est peut-être aussi la seule manière de survivre au pire. Mais peut-être pas. Peut-être le pire, quand on se plonge dans l’écriture, reste-t-il trop présent. C’est ainsi qu’un Jorge Semprun intitulera son livre sur son expérience de Buchenwald : L’écriture ou la vie – comme si l’écriture, souvenir de l’atroce, faisait vivre ces souvenirs, plutôt que de les transformer, au détriment de la vie elle-même. Si c’est un homme n’a pas empêché Primo Levi de se suicider. Varlam Chalamov, lui, dans ses Récits de la Kolyma, retrace son expérience dans les camps du Goulag où il a vécu dix sept ans de sa vie. Le camp, selon Chalamov, une école négative de la vie : personne ne devrait savoir ce qui s’y passe. Et pourtant, chez Chalamov, la qualité extrême de l’écriture, la littérature dans toute sa force, rejoint la puissance du propos : la connaissance de l’être. Comme le dit Luba Jurgenson dans sa préface à la première édition complète en français des Récits, « la problématique de la chose et de l’être chez Chalamov renvoie à la question éthique essentielle, celle de l’humain ». Sujet de réflexion sans fin : dans les extrêmes des camps, tous les systèmes intellectuels, qui placent l’esprit de l’homme au centre, semblent invalidés. Il reste le corps. Le corps dont Dimitri Dimitriadis dit, dans Léthé, "Je ne me souviens pas. Ce n'est pas que je manque de mémoire. Non. Mon corps. Moi, je ne me souviens pas. C'est lui qui le fait. C'est mon corps. C'est lui, toute l'histoire. C'est lui. Guerres. Epoques. Insurrections. Quoi qu'il arrive, c'est mon corps. Je suis mon corps. Mon corps, c'est la mémoire, et moi, je suis l'oubli. Je suis mon corps. … C’est ce corps que je suis. Je suis un corps. C’est du corps que je viens, du corps que je proviens. Et c’est maintenant que je commence. En partant du corps. Regardez-le. Il est le tout.”

Le corps, mais pas sans la parole. Une parole, une écriture, qui devraient elles aussi se réinventer. Inspirons-nous à cet égard de l’art contemporain : lui emprunte tout, prend tout, pille allégrement, transforme, refait, inclut et s’approprie dans l’euphorie, envahit les espaces les plus improbables, s'infiltre partout, s'échappant des musées des galeries des maisons et envahissant la rue, la toile, les murs des villes, les panneaux publicitaires le Land voire le ciel... faisons de même avec l’écriture. Ne la laissons pas dans les livres, ni même au Salon du Livre, mais trouvons de nouvelles formes d’écriture et de lecture, démultipliées, virtuelles, originales, publiques… Pour que la langue jamais, ne cesse de vivre, pour qu’elle ne devienne pas « une relique » comme le craint encore le même Dimitriadis, disons-la, le jour, la nuit, partout. Réciter des poèmes, le matin. Les déclamer dans la rue, sans peur du ridicule. Lire à haute voix, aux enfants, mais aussi entre adultes. Lire à plusieurs, vingt quatre heures de suite…

Car l’écriture – fût elle pratique solitaire et nocturne – ne saurait vivre sans être lue en pleine lumière – comme l’art contemporain ne saurait exister sans être vu.



Libre livre
Je meurs comme un pays, Dimitris Dimitriadis

Quand j’avais seize ans, mon père nous a amenés en Grèce. J’y ai vécu une année. 1967, les colonels arrivent au pouvoir. Le Père Dimitriadis, un grand ami de mon père et l’équivalent, me semblait-il, de l’Abbé Pierre en Grèce, est emprisonné. Aussi surprenant que cela puisse paraître, on me laisse lui rendre visite en prison. Premier contact avec la prison - indélébile. Cet homme magnifique réduit en souffrance, dans une cellule minuscule, avec dix autres hommes. La liberté m’est apparue dans sa splendeur et sa fragilité, nécessité absolue, méritant tous les engagements.

Dans Je meurs comme un pays, Dimitris Dimitradis raconte cette période là - la mort spirituelle d’un pays vaincu par lui-même – mais au-delà, le risque que ne meurent non seulement les hommes et les valeurs de la Grèce, mais de l’humanité entière.

« Cette année-là, aucune femme ne conçut d’enfant. Cela continua les années suivantes, au point qu’une génération s’écoula sans que vienne au monde une seule génération nouvelle… »
Je meurs comme un pays doit se lire à voix haute, pour en goûter toute l’actualité : la crise, dans ce texte, est permanente, elle infiltre tout, et Dimitriadis semble nous raconter notre propre temps avec une lucidité laissant peu de place à l’espoir.

« Si grands étaient le trouble, et la déception face à la fourberie, la mesquinerie, la dévorante frénésie qui avaient prévalu jusqu’alors, combinées à des fixations maladives sur des mécanismes bloqués de l’Histoire… Les plus grands pillages eurent lieu dans les musées et les archives de l’Etat. Des fortunes fabuleuses furent confisquées. On dévoila scandale après scandale, dans un délire d’autopunition collective. … on redessina le plan des villes, tout fut rasé puis reconstruit…. »

Reconstruit, mais comment ? Avec les mots. Les mots qui font la langue qui font le pays – qui ne mourra pas tant que nous avons des mots pour le dire. Les mots héros de ce livre, à lire, à réciter, à mettre en scène à Genève, vite… pour que cela n’arrive pas, que je ne meure pas, ni mon pays s’il existe encore, ni la liberté.


Publié dans l'Extension, mai 2009.

samedi 23 mai 2009

Meeting Antoine de Galbert

Interview par Barbara Polla du Createur de la Maison Rouge, Foindation pour l’Art contemporain
www.lamaisonrouge.org

Mon parcours ? J’étais un jeune bourgeois de province qui avait un premier métier dans la gestion d’entreprises. Mais cette vie tracée m’est vite devenue insupportable, je ne voulais pas rester dans le milieu du travail traditionnel. Tous les milieux d’ailleurs sont insupportables, celui de l’art contemporain autant que les autres. La notion même de « milieu », m’ennuie. Mais là, ce qui était vraiment insupportable, ce n’était pas le travail en tant que tel, c’était de ne pas être intéressé par ce que je faisais. A la Maison Rouge, je suis aussi dans le monde du travail - on travaille beaucoup ici ! - mais je suis passionné : j’ai toujours eu cette cette passion de regarder les choses, très tôt déjà, regarder, encore...

La galerie ? J’avais trente ans, ma femme aussi, elle a décidé de devenir comédienne et moi galeriste… C’était une petite galerie de province, pas du tout inscrite dans le marché, mais un lieu où j’ai appris de fil en aiguille l’histoire de l’art, les œuvres contemporaines, les réseaux… J’avais beaucoup de mal à faire vivre la galerie : j’étais plus riche que la plupart de mes clients et cela ne fonctionnait pas. Pour être un bon marchand, il faut avoir faim.

La Maison Rouge ? En 1997, il y a douze ans donc, j’ai fermé ma galerie et je me suis progressivement lancé dans la création de cette Maison. Il n’y a que peu de liens concrets entre la galerie que j’ai eue et ce lieu, si ce n’est leur origine : le désir d’aller à l’essentiel. L’essentiel ? Les civilisations, la culture, la trace de l’homme, la mémoire collective. L’art contemporain bien sûr - parce je veux vivre dans mon époque, et m’inscrire dans une histoire, celle de l’art. Mais même si l’objet de la fondation est de montrer l’art d’aujourd’hui, je suis en fait très éclectique et si je pouvais faire une exposition de peinture flamande, je la ferais ! Il me plairait aussi, de montrer plus souvent des oeuvres anciennes en parallèle aux œuvres les plus contemporaines, une manière de montrer le fil rouge de la création humaine d’une manière qui serait complémentaire, voire plus intéressante, au fait plus habituel désormais de montrer des œuvres contemporaines dans des contextes classiques. Montrer un Rembrandt aux côtés d’un Nitsche par exemple… J’aimerais décloisonner, encore et toujours. La culture française a besoin de ce décloisonnement, pour donner sa pleine mesure !

La Maison Rouge – rouge ?
La Maison est rouge grâce à ma femme. Quand elle a visité la friche elle m’a dit : « tu devrais peindre la maison en rouge ». Je ne suis pas un intellectuel et je fais les choses d’abord, parfois je les comprends après. Rouge c’est le cœur, le cœur de la maison, c’est ma couleur, celle de la famille. Et puis, il y a un tableau de Monet qui s’appelle Maison Rouge, et une toile de Malevitch aussi… mais cela, je ne l’ai réalisé que bien plus tard.

« La crise » … ? J’ai d’abord un regard personnel, un regard pour la Maison Rouge. La Maison Rouge n’est pas dans le marché mais elle dépend du capitalisme… Je me dois donc d’être extrêmement attentif à sa gestion. J’ai ensuite un regard de collectionneur, moi qui collectionne dans de nombreux domaines. Comme bien d’autres collectionneurs, je vois mon pouvoir d’achat fondre – avec cette sensation très particulière, quand je vais visiter des foires ou des expositions, d’être comme un chasseur qui part à la chasse alors qu’il n’a plus de cartouches. Il me faut réapprendre à regarder, regarder en faisant abstinence… Mais le désir de possession est tellement inhérent au plaisir de regarder que j’ai tendance à ne plus vouloir regarder : acheter des œuvres, cela m’excite comme ses jouets peuvent exciter un enfant… Alors je me dis, peut-être vaudrait-il mieux ne plus jouer ?

La crise serait-elle donc porteuse de valeurs, comme beaucoup semblent le suggérer ? Difficile de le prétendre quand on sait que l’effet principal de cette crise est son impact sur l’emploi. Le chômage va indubitablement se développer, aucune crise n’est moralisatrice. Mes amis galeristes, mes amis artistes vont tous vivre deux ou trois ans très difficiles. Dans la réalité, un très faible pourcentage d’artistes profitent réellement des périodes d’euphorie, la plupart n’ont pas de galeries et vivent péniblement. on parle toujours des valeurs du marché, mais ce que l’on appelle le marché de l’art ne représente qu’une toute petite partie de l’art. La seule valeur que je pourrais trouver à la crise est donc personnelle, me réapprendre à regarder l’oeuvre pour ce qu’elle est avant de me demander si je peux l’acheter !

Et quels effets culturels cette crise va-t-elle avoir ? En France, le niveau du mécénat va certainement diminuer, c’est grave pour notre culture car ce mécénat commençait tout juste à se développer ! En revanche je ne pense pas que cela soit une catastrophe pour la consommation culturelle ; au contraire : on renoncera peut-être à une semaine de ski, mais on ira davantage au cinéma, au musée, au spectacle. Oui, les gens sont prêts à faire des sacrifices, mais non, ils ne sont pas prêts à tout arrêter, et heureusement !

Aviez-vous vu venir cette crise ? Au niveau du marché de l’art, oui. Du moment où l’art contemporain – où quoi que ce soit d’ailleurs - devient une mode, il est condamné à passer de mode. Le temps de la mode est toujours évanescent, elle vit rarement plus d’une saison. Par ailleurs, l’idée de rareté d’une œuvre avait disparu, remplacée par la notion de multiplicité : voyez Gursky, Damien Hirst… un tel phénomène est nécessairement annonciateur de crise.

Et comment voyez-vous l’avenir ? Je ne vois ni passé ni avenir pour l’art : c’est un long fleuve qui représente ce qu’il y a au delà de l’homme. Je ne joue aucun rôle dans ce monde, je ne puis donc avoir ni raison ni tort. Jean Genet disait que c’est le peuple des morts qui juge de la pérennité d’une œuvre… Alors je vis dans mon temps, je n’achète que ce que j’aime, je n’ai donc pas de raison de me tromper à titre personnel. En revanche pour l’avenir du monde, je suis inquiet… et je me demande, comme tout le monde, si et quand « les choses » vont redémarrer. Et si cela ne redémarrait plus ? Cette possibilité m’angoisse bien sûr – mais peut-être devrais-je d’ores et déjà dire à mes enfants : « vous serez moins riches que moi ». En tout cas, je leur dis déjà, travaillez et gagnez votre vie ! Nous avons tous peur de perdre quelque chose, peut-être devrions-nous aussi nous mettre à partager, spontanément, avant que le partage ne devienne inéluctable, et qu’alors il ne soit, de ce fait même, plus vraiment partage.

Et votre avenir, à vous ? La collection n’est pas mon seul projet. Je dirais même que la sagesse, peut-être, serait d’arrêter de collectionner. Le collectionneur n’est-il pas comme un enfant ou un adulte inabouti qui risque à tout moment de ne plus s’intéresser à ses jouets ? Mais cela me fait peur aussi, parce que collectionner répond à un désir, et le désir c’est la vie… Mais je n’ai pas fini, je veux faire autre chose. Me rendre utile, encore. Sortir mes jouets de leurs cartons et en faire profiter les autres. Mes jouets qui ne sont pas tous dans le domaine du contemporain. Mes reliquaires par exemple, ma collection d’art brut… Je rêve de ce lieu, en pleine campagne, une forêt de peupliers, en Savoie d’où je viens, construire un pavé de verre sur des pilotis qui seraient le prolongement des arbres, un lieu pour accueillir de jeunes artistes de la région, un lieu de silence aussi… Le silence est un avenir. Mon Fontana blanc, c’est l’oeuvre la plus silencieuse que j’aie. C’est lui que j’emmènerais s’il me fallait partir dans le désert.

Mais que feriez-vous, concrètement, si vous aussi, deviez désormais travailler pour vivre ? Je crois que j’aimerais devenir salarié de la Maison Rouge. Ou alors, me faire embaucher, par un autre centre d’art…

Publié dans Crash, mai 2009

jeudi 21 mai 2009

Le troisième labyrinthe

Le premier labyrinthe : celui à l’intérieur de moi. D’innombrables labyrinthes en fait. De la bouche à l’anus, d’une oreille à l’autre, de l’hypothalamus aux surrénales, des alvéoles aux glomérules, de l’hippocampe à l’extrémité de la langue, de l’organe voméronasal au gland, de la vulve aux canaux lactiques, galactiques et intergalactiques.

Un labyrinthe qui va de moi à moi-même et à l’intérieur duquel je vis dans la nudité de l’existence physique. Certes, je ne suis que de passage, et dans la mesure où je n’ai pas acheté mon espace vital, en suis-je vraiment propriétaire? Je crois plutôt que mon espace vital est propriétaire de moi-même. Et pourtant, je puis m’en échapper sans représailles, sortir de mon corps et disparaître pendant des nuits entières au dessus de moi-même : il suffit d’être borderline. Peut-être en fait sommes-nous copropriétaires, mon corps et moi. Corpo-priétaires.

Le labyrinthe de mes vaisseaux. Aorte, artères, artérioles, oreillettes, ventricules, veinules, carotides, cave, capillaires, fémorales, lymphatiques, sang, lait, globules rouges, globules blancs, chyle, chylomicrons, plaquettes et pirates. Des pirates squattent mes vaisseaux : œil au beurre noir, lunette d’approche rivée sur l’autre œil, ils voguent dans mes labyrinthes intimes à la recherche du trésor de Rackham le Rouge. Leur gondole fend mes globules. L’un d’eux porte un blouson de cuir noir trempé d’eau et de sel à même son thorax et le mien en frémit d’aise. Mes pirates s’entretuent au fin fond de mes labyrinthes, transpercent mon diaphragme, échouent au creux de ma plèvre. Péritonite, chylothorax.

Le labyrinthe de mon cerveau. J’essaie de suivre de mon doigt mes circonvolutions cérébrales, de m’infiltrer dans la matière blanche non sans avoir lubrifié de liquide céphalo-rachidien mon trajet réflexif entre astrocytes et neurones, entre axones et dendrites. Mais la complexité du laboratoires de la pensée, sans entrée ni sortie sans fil d’Ariane ni Minotaure mais dans lesquel le retour en arrière est toujours possible, est telle que mon doigt s’égare dans les organes de la vision : sur le mur, le papier, la toile d’araignée, le film argentique et le vil-requin de l’image en mouvement. Rétinopathie cristalline.

Mais je ne suis pas le seul hôte de mon cerveau ni de mon corps. Des milliards de bactéries fréquentent mes labyrinthes, ma bouche et les interstices entre mes dents, les plis et les replis de ma peau, cette peau si fine de derrière mon oreille et le creux délicatement modelé de la coquille rose qui me sert à entendre, la peau épaisse de mes narines, l’extrémité de mes doigts, mes muqueuses intimes. L’invasion est imminente à tout instant. Des kilogrammes de commensaux me protègent des pathogènes, mais pour peu que je parte en voyage mes colocataires envahissent mon espace vital de telle manière qu’il devient inhabitable en moins de temps que je ne prends pour tenter de le réintégrer. Les vaisseaux coagulent, engloutis dans les sables intestinaux qui recouvrent désormais toutes les rives intérieures et bouchent définitivement la seule issue du labyrinthe compacté de mes entrailles. La surpopulation microbiologique du labyrinthe intérieur est certes une manière d’en sortir, mais empêche d’y retourner. Et même si la vie n’est qu’un interim, il n’y a rien d’autre que ces quelques années de règne que je passe à habiter nue à l’intérieur de moi-même et au milieu des autres.


Le deuxième labyrinthe, justement, c’est celui de ma vie avec les autres. Labyrinthe urbain par nécessité : de Stonehenge, le labyrinthe des néodruides, à Tokyo, celui des rétrojaps. De Genève à Paris. Sans retour.
A Genève, des chemins balisés trop faciles à dévoyer. Des labyrinthes plus végétaux qu’urbains : le trajet des sangliers entre le Parc Bertrand et les bords de l’Arve, la berge du milieu entre le pont de l’Ile et les Forces Motrices, le labyrinthe des roses au Parc des Eaux Vives. Celui de Meyrin, à hauteur d’enfant, a depuis longtemps été comblé de béton. Impossible de se perdre à Genève, malgré les labyrinthes de sens uniques et interdits qui toujours contredisent le non cycliste dans ses directions. Trop de repères : le lac, les fleuves, la jonction, la cathédrale, Calvin. L’angoisse adulte et le suicide adolescent comme échappatoire à l’impossibilité de se perdre, comme une prémonition du labyrinthe en ligne droite. Même les halles ne sont plus qu’un morceau de papier gras soigneusement replié sur lui-même. A Paris par contre, la déterritorialisation des Halles a permis d’envahir Rungis. De plus en plus labyrinthique. Le labyrinthe inférieur est lui aussi en expansion perpétuelle, des villes entières englouties, des morts et des vivants, et surtout, le métro. Il est certains jours de l’année où les métros ne circulent pas. Les voies sont libres alors, pour les hommes et les rats. Dans l’obscurité totale des labyrinthes inférieurs, de station en station, des milliers de gens déambulent au hasard, parfois remontent à la surface, demandent leur chemin, ne se souviennent plus vraiment de leur destination, redescendent, repartent en sens contraire, se heurtent à d’autres hordes de métropolitains infraurbains en désarroi échappés des transports publics sauvagement privatisés. Haussmann n’a pas passé par là, le Marais n’a pas sombré dans les boues inférieures, la Défense dirige toujours ses tours vers le haut et la pyramide ne s’est pas inversée. A l’extérieur, les mêmes métropolitains égarés dans les labyrinthes victorhugoliens se rencontrent et se demandent les uns aux autres, où vais-je ? Il faut savoir se perdre pour pouvoir se retrouver.


Mais il est impossible de se perdre en ligne droite et les couloirs de la mort n’ont qu’une seule issue : droit devant.

Le troisième labyrinthe, c’est donc la ligne droite. Le pire des labyrinthes, selon Borges. Pensée linéaire, sans pas de côté ni zig zag. Quand aucun détour n’est permis, que la pensée unique du bon droit prévient toute dérive, que même les ruisseaux se transforment en canaux dans lesquels l’eau coule toujours à l’endroit. Quand les soldats de la détention définitive se tiennent au bord de la route pour empêcher que vous ne sortiez de l’autoroute du tunnel du Dieu dur (le Gott-hard). Dans le labyrinthe de la mort infligée, les balles tirées par les bourreaux ne jouent jamais à la roulette russe et toutes les issues sont fatales.
La mort est certes au bout de tous les chemins, mais selon qu’on y arrive en ligne droite ou par les tortuosités de l’existence organique, délicieuse diagonale hésitante où les illusions, les simulacres et les stratagèmes de la folie ont toute leur place, elle n’est pas la même. Le dédale de la déraison nous extrait de la ligne droite de la raison perdue. Comme l’écrivait Artaud à «Monsieur le Recteur» : «…il y a à trouver maintenant la grande loi du cœur, la loi qui ne soit pas une loi, une prison, mais un guide pour l’esprit perdu dans son propre labyrinthe … là ou les faisceaux de la raison se brisent contre les nuages, ce labyrinthe existe… Dans ce dédale de murailles mouvantes et toujours déplacées, hors de toutes formes connues de pensée, notre esprit se meut… dans le dédale de la déraison.»
Et tant qu’il se meut…

Publié dans le Catalogue de l'exposition Labyrinthe, Musée Rath Genève, mai
2009

lundi 18 mai 2009

Des avantages d’un Etat faible, mais pas seulement

Fascinante Italie. Un théâtre permanent sur la scène duquel se jouent à ciel ouvert la politique, l’économique, la culture. La politique ? Calamiteuse. L’économie ? Florissante. Un lien entre les deux ? L’Etat faible, très faible semble bien avoir notamment pour conséquence un tissu économique particulièrement serré, l’économie souterraine soutenant celle visible ou « officielle » dans tous les moments difficiles et dans les autres aussi. La faiblesse de l’Etat est en tous cas l’une des raisons pour lesquelles l’Italie souffre beaucoup moins de « la crise » que les pays voisins : l’économie va son chemin, elle se débrouille depuis si longtemps, envers et contre tout, selon ses propres règles, ignorant les lois politiciennes ou les contournant allégrement - un jeu national dans lequel l’Italie excelle. Un pays extrêmement industrieux, où tout le monde travaille, des enfants aux vieillards aux SDF qui chantent à la porte des trattorias… un pays où tout le monde a au minimum deux jobs, à l’instar des « aveugles » dont il fut découvert récemment qu’ils touchaient certes leur pension d’invalides mais conduisaient aussi des camions : il faut bien arrondir les fins de mois. Un pays où il se crée, notamment dans la région entre Milan et Venise, plus d’entreprises qu’il ne se fait d’enfants. Même les grands groupes sont structurés en multitudes de petites structures, bottom up et non top down : les « grands » patrons savent bien que seul le système D fonctionne ici, et ne vont pas imposer aux autres des règles qu’ils contournent au quotidien. C’est cette économie là, cette vraie économie libérale qui fonctionne de manière parallèle et non subordonnée à l’Etat quand elle ne l’ignore pas tout simplement, cette économie vivace qui repose sur la créativité, le travail et le profit autonome, qui permet à l’Italie d’échapper à « la crise ».
Le problème de l’Etat faible, ce n’est pas l’économie, bien au contraire - le problème, c’est l’état dans l’Etat, les maffias, ces états intestins qui n’ont de l’Etat que les aspects délétères et meurtriers, avec leur tendance séculaire à la structure hiérarchique, à la suprématie de certains, à l’ordre imposé par la force, au profit organisé, à l’abus de pouvoir permanent, à l’étouffement.
Mais il est un autre domaine dans lequel la faiblesse de l’Etat italien a des conséquences intéressantes : la culture, et notamment la culture contemporaine dont le soutien est devenu, grâce à Silvio Berlusconi et à Sandro Bondi, son Ministre de l’inculture, le fief quasi exclusif du « privé », y compris d’ailleurs dans le public, ce qui n’étonnera personne de la part de Berlusconi qui n’a pas encore appris la différence entre les deux. Bref, Bondi, pour laisser sa trace dans l’Histoire de la Culture Italienne, nomme à la tête des quelques quatre cent cinquente musées nationaux Mario Resca, ancien président de McDonald’s Italie, qui avoue son entière ignorance en matière d’art, mais précise qu’avant McDonald’s, il ne connaissait rien aux hamburgers non plus. Dont acte. Les musées italiens survivront, ils en ont vu d’autres…
Mais la culture contemporaine, qui la soutient, alors ? Tournons nos vers « le vrai privé », responsable, passionné, engagé, celui des entrepreneurs, industriels, mécènes, petits et grands : la Fondazione Sandretto Re Rebaudengo, la Fonazione Ratti, le musée Pecci à Prato, Prada, Trussardi, Furlà, ou encore, à Milan, Mariano Pichler ou les frères Cabassi… à qui l’on doit notamment la « Nuova Accademia di Belle Arti Milano ».
Tous ces Italiens-là – les travailleurs donc, pas les politiciens – ont parfaitement compris et intégré l’évolution du capitalisme productif vers le capitalisme cognitif. La valeur qui se vend le mieux, mieux encore que le produit industriel parfait, c’est désormais l’idée – l’idée qui aboutit. Les idées plus que jamais appartiennent à ceux qui les réalisent : d’où le fourmillement incomparable d’entreprises, de créations, de compétitions, d’engagements productifs et de partages culturels, et ce mix inégalé entre capitalisme de production et capitalisme de création qui caractérise l’Italie.
L’Etat faible a donc cet avantage considérable : il laisse une place de choix à l’initiative privée. Dans la domaine de la culture, cet avantage-là en génère un autre : la diversité assurée. Dans le domaine de l’économie, il guérit les blessures de la crise aussi efficacement qu’un pansement au filet très serré. Le seul problème : la tentation séculaire de recréer un état de déréliction, à la place de l’Etat défaillant. Ceux qui cèdent à cette tentation ne sont pas des libéraux.

Publié dans l'AGEFI, le 18 mai 2009.

jeudi 14 mai 2009

Atmosphères de beauté

Lundi 11 mai, nous sommes sur un péniche, à Neuilly, il fait gris mais le soleil est avec nous, on nous choie, nous caféine, nous nourrit (pommes et salade), nous maquille (Yves Saint Laurent!), nous coiffe, nous photographie, nous chouchoute nous amuse… Nous? La présidente et fondatrice de Caudalie, les mains d’or de Sisley, moi… réunies par Martine Marcowith pour Atmosphères. L’occasion d’écouter entre les lignes comment se fait un journal… papier ou online, Atmosphères ou Quotidiennes… Atmosphères, raconte Martine, littéraire dans l’âme, magicienne des mots, ne tient rien pour acquis. Elle sait que les mots, les images, tout ce qui fait un magazine, pour «porter», pour toucher, se doit d’être incarné. Une incarnation qui passe par les journalistes bien sûr (les chroniqueuses aussi) qui pour écrire, pour faire envie, doivent aimer; qui passe par les lieux, des lieux un peu secrets, comme ce bord de Seine, où l’on a envie de revenir; qui passe par des personnes, vivantes, comme nous, comme vous… Une incarnation des femmes, par les femmes, pour les femmes – et pour les hommes aussi. Alors je rêve, d’une rencontre encore, entre Martine et Adelita, sur une péniche parisienne ou dans une galerie genevoise… Clins d’œil et coups de cœur, à nos rédactrices, que ferions nous sans elles!

Publié dans les Quotidiennes, le 14 mai 2009

vendredi 8 mai 2009

Archi-Milan

Milan, la plus belle ville d’Italie, cœur battant du capitalisme cognitif. L’une des villes les plus industrieuses du monde, 28ème puissance mondiale si on l’élisait État indépendant. Une ville discrète cependant, et qui, contrairement aux autres villes italiennes, n’étale pas ses trésors, mais les recèle, plutôt. Une ville que l’on n’a jamais fini de découvrir parce qu’elle vit, se transforme, se renouvelle, inépuisable, et ne cesse de construire son avenir.

La cité de la production industrielle des années 1960 se donne de nouvelles destinations de production – «la production culturelle, bien plus utile aujourd’hui que la production classique» selon Mariano Pichler, l’un des acteurs principaux de la nouvelle Milan du quartier de Ventura à Lambrate. Cet architecte qui a compris très jeune que pour vivre son autonomie au quotidien il se devait d’être aussi entrepreneur (et qui non sans humour a baptisé son entreprise «imperatore»…), a créé de toutes pièces le nouveau quartier des galeries de la ville, réhabilitant à tour de bras bâtiments industriels et post-industriels. Son dernier projet, à peine inauguré pendant la foire de Milan, alors qu’il n’est pas vraiment terminé: Lambretto Art Project, «Observatoire du Contemporain». Un observatoire qui n’a pas besoin de regarder de haut: Milan est un labyrinthe horizontal que ne visionnent de haut que sa gare centrale et le tout proche «Pirelli», l’unique gratte-ciel dans lequel s’était planté, peu après le 11 septembre 2001, un inoffensif avion de tourisme qui ne causa aucune mort mais n’en resta pas moins mythique… Un observatoire, plutôt, «qui fait référence au périscope de la culture classique, mais en adéquation avec le contexte contemporain», comme une fenêtre de sous marin qui surplombe la rue, une fenêtre opaque sur laquelle, dans les torpides nuits estivales, on peut projeter de l’intérieur des vidéos d’artistes que les passants viennent mâter en drive-in. «Un observatoire qui regarde, mais montre aussi» précise encore Mariano Pichler.

Le lieu en évoque un autre à Milan, qui vaut lui aussi le détour: «Les frigos milanais» et le Palais des Glaces, récemment réhabilités par les architectes génois 5+1AA. (pour une histoire détaillée du lieu, se référer à Qu’est-ce qu’il y a dans le frigo? 2009)
Alfonso Femia et Gianluca Peluffo, tout comme Mariano Pichler, «animent» ici l’espace urbain, réinjectent de la vie, une vie éminemment «sociale». Et voilà que soudain, le long de la rue Piranèse, une rue jusqu’alors anonyme s’il en est, un grand mur rouge, lumineux, accueillant, invite le regard, et le passant, à s’arrêter, à s’interroger, à entrer. Dans l’ «Open Care Café» notamment, lové là – parce que le café est cet indispensable instrument de la socialisation, qui manque encore d’ailleurs au Lambretto Art Project. Par les fenêtres du Café, les balcons implantés tout en haut des «Frigos» semblent nous observer, eux aussi, et surveiller la ville, comme une tour de guet.

Dans les deux cas, ces réhabilitations de quartiers illustrent la responsabilité des entrepreneurs italiens, qu’il s’agisse de Pichler pour le Lambretto Art Project, ou des frères Cabassi pour les Frigos milanais – les frères Cabassi qui sont aussi à l’origine du développement de la «Nuova Accademia di Belle Arti Milano». Il s’agit pour eux – saluons-les au passage, ces entrepreneurs italiens responsables – de valoriser le partage social, en son sens le plus noble: le partage culturel.

Publié dans Les Quotidiennes, le 8 mai 2009