Fascinante Italie. Un théâtre permanent sur la scène duquel se jouent à ciel ouvert la politique, l’économique, la culture. La politique ? Calamiteuse. L’économie ? Florissante. Un lien entre les deux ? L’Etat faible, très faible semble bien avoir notamment pour conséquence un tissu économique particulièrement serré, l’économie souterraine soutenant celle visible ou « officielle » dans tous les moments difficiles et dans les autres aussi. La faiblesse de l’Etat est en tous cas l’une des raisons pour lesquelles l’Italie souffre beaucoup moins de « la crise » que les pays voisins : l’économie va son chemin, elle se débrouille depuis si longtemps, envers et contre tout, selon ses propres règles, ignorant les lois politiciennes ou les contournant allégrement - un jeu national dans lequel l’Italie excelle. Un pays extrêmement industrieux, où tout le monde travaille, des enfants aux vieillards aux SDF qui chantent à la porte des trattorias… un pays où tout le monde a au minimum deux jobs, à l’instar des « aveugles » dont il fut découvert récemment qu’ils touchaient certes leur pension d’invalides mais conduisaient aussi des camions : il faut bien arrondir les fins de mois. Un pays où il se crée, notamment dans la région entre Milan et Venise, plus d’entreprises qu’il ne se fait d’enfants. Même les grands groupes sont structurés en multitudes de petites structures, bottom up et non top down : les « grands » patrons savent bien que seul le système D fonctionne ici, et ne vont pas imposer aux autres des règles qu’ils contournent au quotidien. C’est cette économie là, cette vraie économie libérale qui fonctionne de manière parallèle et non subordonnée à l’Etat quand elle ne l’ignore pas tout simplement, cette économie vivace qui repose sur la créativité, le travail et le profit autonome, qui permet à l’Italie d’échapper à « la crise ».
Le problème de l’Etat faible, ce n’est pas l’économie, bien au contraire - le problème, c’est l’état dans l’Etat, les maffias, ces états intestins qui n’ont de l’Etat que les aspects délétères et meurtriers, avec leur tendance séculaire à la structure hiérarchique, à la suprématie de certains, à l’ordre imposé par la force, au profit organisé, à l’abus de pouvoir permanent, à l’étouffement.
Mais il est un autre domaine dans lequel la faiblesse de l’Etat italien a des conséquences intéressantes : la culture, et notamment la culture contemporaine dont le soutien est devenu, grâce à Silvio Berlusconi et à Sandro Bondi, son Ministre de l’inculture, le fief quasi exclusif du « privé », y compris d’ailleurs dans le public, ce qui n’étonnera personne de la part de Berlusconi qui n’a pas encore appris la différence entre les deux. Bref, Bondi, pour laisser sa trace dans l’Histoire de la Culture Italienne, nomme à la tête des quelques quatre cent cinquente musées nationaux Mario Resca, ancien président de McDonald’s Italie, qui avoue son entière ignorance en matière d’art, mais précise qu’avant McDonald’s, il ne connaissait rien aux hamburgers non plus. Dont acte. Les musées italiens survivront, ils en ont vu d’autres…
Mais la culture contemporaine, qui la soutient, alors ? Tournons nos vers « le vrai privé », responsable, passionné, engagé, celui des entrepreneurs, industriels, mécènes, petits et grands : la Fondazione Sandretto Re Rebaudengo, la Fonazione Ratti, le musée Pecci à Prato, Prada, Trussardi, Furlà, ou encore, à Milan, Mariano Pichler ou les frères Cabassi… à qui l’on doit notamment la « Nuova Accademia di Belle Arti Milano ».
Tous ces Italiens-là – les travailleurs donc, pas les politiciens – ont parfaitement compris et intégré l’évolution du capitalisme productif vers le capitalisme cognitif. La valeur qui se vend le mieux, mieux encore que le produit industriel parfait, c’est désormais l’idée – l’idée qui aboutit. Les idées plus que jamais appartiennent à ceux qui les réalisent : d’où le fourmillement incomparable d’entreprises, de créations, de compétitions, d’engagements productifs et de partages culturels, et ce mix inégalé entre capitalisme de production et capitalisme de création qui caractérise l’Italie.
L’Etat faible a donc cet avantage considérable : il laisse une place de choix à l’initiative privée. Dans la domaine de la culture, cet avantage-là en génère un autre : la diversité assurée. Dans le domaine de l’économie, il guérit les blessures de la crise aussi efficacement qu’un pansement au filet très serré. Le seul problème : la tentation séculaire de recréer un état de déréliction, à la place de l’Etat défaillant. Ceux qui cèdent à cette tentation ne sont pas des libéraux.
Publié dans l'AGEFI, le 18 mai 2009.
lundi 18 mai 2009
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