Les hauts salaires passionnent nos media. Il est vrai que tous ces banquiers qui ont fait fondre nos économies par une gestion au mieux inadéquate, au pire frauduleuse et qui s’en vont les poches pleines vers d’autres aventures, c’est pour le moins agaçant. Comme le dit si joliment Hermann Bürgi, sénateur UDC, « Une émotion légitime et bien compréhensible s’est installée dans l’opinion ».
Et voilà comment va la politique. C’est très simple : l’émotion s’empare de l’opinion ? Alors il faut faire quelque chose. L’émotion n’est pas au rendez-vous ? Seuls quelques tâcherons de la politique dont on ne parlera jamais vont s’occuper consciencieusement de ces questions obscures quoique fondamentales qui n’émeuvent personne... comme les bas salaires par exemple. Mais pourquoi donc l’opinion s’émeut-elle des hauts salaires ? Et est-ce vraiment de rôle de la politique, de calmer les émotions de l’opinion ?
Le degré d’émotion de l’opinion repose en général sur la révolte - ou plutôt, sur deux types de révoltes bien distinctes : la révolte devant l’horreur et celle devant l’arrogance. L’horreur fait partie du monde, même « l’opinion » sait cela, et l’émotion qu’elle génère, si violente soit-elle, ne dure jamais très longtemps, vite détournée par une autre horreur encore pire que la précédente.
Par contre, la révolte devant l’arrogance appelle immanquablement la volonté de contrôle, une volonté souvent irrépressible, qui repose sur le besoin de revanche, de punition, voire de dégradation de cet autre qui nous impose sa supériorité financière, qui nous assène ses millions de bonus alors que nous trimons dur pour boucler les fins de mois - ce tricheur, ce frimeur, ce brûleur. Il faut le faire rentrer dans la norme, et vite, ce successman qui met en cause notre propre capacité à nous débrouiller dans le chaos économique, qui met nos talents de négociateurs au défi d’obtenir une augmentation de salaire méritée ou imméritée.
Mais comme – et c’est tant mieux - nous avons déjà fait la Révolution française et décapité tous les aristocrates qui le méritaient bien – le contrôle politique, la régulation, la transparence seront donc nos échafauds modernes. Les jeux de pouvoir entre ceux qui possèdent, de l’argent et donc du pouvoir, et ceux qui n’en ont guère, mais qui ne peuvent tolérer que d’autres en aient en excès, sont ouverts. L’arrogance appelle le contrôle en retour.
Alors, est-ce juste, utile, efficace, nécessaire, normal, de contrôler les salaires, bonus et primes ? Non s’ils sont décidés par un chef d’entreprise indépendant et autonome ou un conseil d’administration qui le serait tout autant et dont les objectifs n’ont alors même pas à être justifiés. Je crée une entreprise, elle est florissante, encore plus à l’abord de la crise, je ne sais que faire des millions qu’elle me rapporte, je distribue tout cela en bonus à mes collaborateurs, ceux de l’entreprise voisine s’offusquent, les meilleurs viennent frapper à ma porte, et le rendement de mon entreprise s’améliore encore ? Et pourquoi donc voudriez-vous réglementer cela ?
Mais oui, absolument, bien sûr, le contrôle est normal, nécessaire, et même largement insuffisant encore, dans tous les cas malheureusement de plus en plus nombreux où les entreprises sont soutenues par l’argent de l’Etat. L’Etat n’ayant pas d’argent en propre, si une entreprise, donc, est soutenue par lui, elle l’est par l’argent des citoyens, puisque c’est ainsi que l’on appelle désormais les gens. Or personne ne devrait avoir à payer de l’argent à un intermédiaire – l’Etat en l’occurrence – pour que d’autres soient payés des sommes exorbitantes. La normalisation des salaires dans ce cas, c’est bien le minimum que l’Etat puisse faire pour que tout le monde s’y retrouve à peu près.
Les rapports entre Etat et entreprises doivent être constamment remis en question et clarifiés sans relâche si l’on veut que le libéralisme garde – ou retrouve – sa noblesse. Un ancien Conseiller fédéral, éminent commis de l’Etat qui depuis toujours a milité pour le soutien étatique à certaines entreprises privées bien ciblées, qui vient nous expliquer aujourd’hui qu’il est normal que l’UBS, massivement soutenue par « les gens », puisse augmenter les salaires et les primes de ses collaborateurs « de pointe » pour permettre à la Suisse de se confronter à la concurrence mondiale, ne fait rien pour cette noblesse-là.
Publié le 28 mai 2009 dans l'AGEFI
jeudi 28 mai 2009
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