jeudi 31 décembre 2009

De l'utilité des fêtes

Certains diront que Noël est une célébration de l’amour. Il faut bien un jour par an, pour célébrer l’amour divin, comme il faut un jour pour les femmes. D’autres parleront d’une « coupure » bienvenue, un arrêt sur image, une boîte à souvenirs, un moment de repos, un « break ». Les Fêtes servent à marquer le temps et à nous donner l’illusion qu’il ne passe pas, que le passé revit, que le futur n’existe pas.
Les Fêtes sont aussi une formidable relance de l’économie (15 millions de paquets distribués par la Poste suisse en décembre…), un moment que tous les économistes attendent avec impatience pour évaluer l’allant des consommateurs. Un allant qu’ils mesurent à l’aune de la capacité de la production à générer la consommation, par l’intermédiaire d’un rêve, celui de l’échange, du cadeau, du don. Du Père Noël qui veille à ce que chaque enfant reçoive son cadeau et des parents qui aident le Père Noël à remplir sa mission. Un allant qui se mesure donc in fine à l’aune de l’efficacité du « marketing Père Noël » : n’oublions pas que sous sa forme de gros barbu habillé en rouge (aujourd’hui critiqué pour son image qui promeut l’obésité auprès des petits enfants), il a été inventé pour Coca-Cola !
Moi j’aimerais que les Fêtes servent (aussi) à autre chose.
Pas forcément à dépenser l’argent « autrement », ou « mieux » comme le demande l’économie dite « éthique ». Car ce que demande l’économie éthique, c’est avant tout de dépenser l’argent pour elle, d’une manière extraordinairement similaire à celle de l’économie « classique » (inéthique, donc).
Pas forcément non plus, à transformer notre économie de l’offre en une économie du don. Le don (« gift ») n’est pas sans ambiguïté...
Sans doute une telle économie aurait-elle des effets positifs, mais elle signerait aussi notre incapacité à gérer le monde de demain avec une vraie « économie ».

Alors quoi ? Ce que j’aimerais, en fait, c’est que les Fêtes de fin d’année deviennent aussi les Fêtes de l’intelligence et de la créativité économiques. Sans que l’économie n’ait à se camoufler pour dissimuler le rouge de la honte sous un bonnet de Père Noël, ni à se draper d’éthique pour se faire pardonner d’exister. Imaginons par exemple, que nous reconsidérions la possibilité d’une économie des besoins, en oubliant un instant les désirs, ou plutôt, en laissant à chaque individu le soin d’identifier ses propres désirs et de les vivre dans leur dynamique propre, sans vouloir les gérer par l’économie. «L’humanité peut en effet satisfaire les besoins de tous, mais non les désirs de chacun» disait Gandhi.
Une économie des besoins, alors ? Impossible, les besoins ne sauraient faire tourner la machine économique, diront la plupart. Pas si sûr. Un tout petit surplus d’intelligence économique devrait permettre d’identifier les besoins qui permettront, mieux que la Conférence de Copenhague, de préparer l’avenir des habitants de la Planète.
Quels sont ces besoins ? Avant toute chose, l’enseignement, la transmission du savoir, des connaissances et de l’Histoire, la formation. Une économie immense, centrée sur le besoin, plus verte que verte, plus éthique qu’éthique. Si l’économie, collectivement, prenait en main cette nécessité absolue au bien-être et à la puissance de l’humanité que sont l’enseignement et la formation, et qu’elle investissait dans ce chantier ses plus belles intelligences, sans nul doute elle saurait en faire le plus grand self-service du monde, le do it yourself le plus prisé, la chaîne universelle la plus rentable. A quel autre chantier l’économie pourrait-elle atteler ses plus beaux esprits pour que les Fêtes ne soient plus seulement des Fêtes nostagiques du passé, mais des Fêtes d’un avenir radieux ? Au chantier de la paix, par exemple. J’aimerais voir fleurir les études démontrant la supériorité économique de la paix sur la guerre. Imaginons que les plus grands économistes, les plus beaux cerveaux de Harvard Business School, de France et de Navarre, démontrent par A + B que la paix est économiquement plus rentable que la guerre, enterrent l’industrie de l’armement, et développent une vraie économie de la paix ? On vendrait de la paix partout pour le bénéfice de tous… Utopie ? Pourquoi donc l’économie, qui réussit à générer tous les désirs même les plus absurdes, ne serait-elle pas capable de sublimer le désir de paix, preuves à l’appui et jeux vidéos en prime ? Une vraie économie de la paix pourrait être à la fois une économie de l’offre et une économie du besoin. J’aimerais entendre, partout, dans tous les cerveaux d’économistes, grésiller le désir non pas d’un objet pour chacun, mais d’un avenir pour tous.
«L’homme n’est pas un être de besoin, il est un être de désir» affirme le philosophe Gaston Bachelard. Il est probablement les deux. Selon Hugues Puel, économiste qui a dirigé longtemps l’association Economie et Humanisme, si l’homme est être de désir, ce n’est en tous cas pas « d’un désir particulier qui puisse trouver sa satisfaction dans quelque bien ou dans quelque service. Il s’agit d’une orientation fondamentale du sujet humain, en ce qu’il est, dans sa condition même de sujet désirant. » Les économistes et les patrons des plus grandes entreprises mondiales sont des êtres comme les autres. Animés sans nul doute, les lendemains de fêtes, par le désir d’inventer une nouvelle économie. La vieille économie de l’offre est désormais surrannée. Inventons demain !



Publié dans l'AGEFI, le 30 décembre 2009

L’estime de soi en cadeau, ou la lucidité bienveillante

Tribune libre

Noël approche, les cadeaux à offrir, les cadeaux à s’offrir. Le plus beau probablement : le travail sur soi. – « Non mais vous voulez rire, c’est Noël, et encore du travail ? » Eh oui…. car l’estime de soi est un travail de chaque jour. Un travail de construction de soi, jamais acquis, toujours à remettre sur le métier. Et peut-être le plus beau des cadeaux !
L’estime de soi ? Selon le Docteur Christophe André, psychiatre et psychanalyste français : le regard et le jugement que l’on porte sur soi-même, sous l’influence du jugement et du regard - réels ou supposés - des autres. Le miroir de soi, en somme, par son propre prisme et par le filtre des autres. L’estime de soi n’est pas une dimension stable de la personnalité, elle nécessite des apports réguliers pour se maintenir à un niveau satisfaisant, elle doit être entretenue par au moins deux nourritures essentielles : d’une part, toutes les formes de lien social (reconnaissance, approbation, admiration, affection… et élection) et, d’autre part, les différentes formes de sentiment de contrôle (réussir suffisamment souvent ce que l’on entreprend, se sentir en situation de faire de libres choix). De l’ensemble des travaux scientifiques qui portent sur l’estime de soi émerge une notion particulièrement importante sur l’équilibre intérieur et l’estime de soi : tous deux reposeraient « l’acceptation de soi ». Oui, une bonne estime de soi requiert cette acceptation, mais pas dans le sens de la résignation par rapport à ses défauts ou limites. Jamais de résignation – never surrender ! - mais une « lucidité bienveillante ». Une lucidité bienveillante envers soi-même, soucieuse de s’engager vers l’amélioration constante et le développement personnel. En d’autres termes, prendre conscience de nos faiblesses pour nous améliorer – mieux, utiliser nos faiblesses ou ce que nous considérons comme telles comme un levier de notre développement personnel.
Ce concept de lucidité bienveillante s’applique de manière particulièrement intéressante au domaine de l’esthétique et de la cosmétique. Une partie de l’estime de soi repose en effet sur la satisfaction de chacun de nous avec sa propre apparence physique. Et d’autres études montrent que la majorité d’entre nous pense qu’il est possible d’améliorer l’estime de soi et les relations avec autrui en prenant soin de son apparence physique. Là encore, acceptation oui, résignation non : la « lucidité bienveillante » envers notre propre apparence physique nous permet ainsi de révéler le meilleur de nous même, de notre esthétique fondamentale, voire de nous améliorer constamment. Il ne s’agit ni de se contraindre à des critères de beauté rigides et obsolètes ni de dériver dans le jeunisme à tout crin, mais d’être au mieux avec soi-même, dans son corps et dans sa peau, en utilisant sa personnalité, ses goûts et ses éventuels défauts physiques comme un levier d’amélioration. Bien manger (fruits et légumes y compris pendant les fêtes), se mouvoir avec plaisir (trente minutes de marche rapide au quotidien ou Saint Jacques de Compostelle, à choix), soigner son visage et son corps, retrouver une sérénité qui d’apparente peut-être au départ entraînera dans son sillage une sérénité plus profonde. Cosmétique, étymologiquement, vient de cosmos : décorer son visage c’est aussi décorer le monde. La cosmétique et l’art, d’une certaine manière, procèdent ainsi d’une même volonté de décorer le monde et de nous enrober de beauté. Pour une meilleure estime de soi, ou, en d’autres termes, parce que je le vaux bien !
Finalement, la notion d’estime de soi et de développement personnel est également essentielle dans le contexte entrepreneurial. Selon le Professeur William B. Finnerty, professeur d’entrepreneurship à Georgetown University, le développement de l’entrepreneur est essentiel au bon développement de l’entreprise : en effet, le concept même du succès de l’entreprise, à savoir, selon Finnerty, « la Maison de l’Equilibre », ne tient debout que si le chef d’entreprise s’attache autant à son propre développement personnel qu’à celui de ses collaborateurs. Le développement personnel ? La formation continue, l’innovation réussie, la créativité partagée… tous facteurs d’estime de soi. A s’offrir et à offrir. Joyeux Noël de travail !



Libre livre
Le Paradoxe amoureux de Pascal Bruckner

Le dernier livre de Pascal Bruckner, cet universel « spécialiste ès amour » comme je me plais à l’appeler, est à la fois didactique et littéraire. L’amour, toujours l’amour : depuis le tout début de l’étonnante production de romancier, d’essayiste et de philosophe de Pascal Bruckner, de Lunes de Fiel (adapté au cinéma par Roman Polanski) aux Voleurs de Beauté, de Mon Petit Mari à L’Amour du Prochain, du Nouveau Désordre amoureux au Paradoxe Amoureux, l’amour et ses splendeurs et ses misères (si misères il y a ?), tiennent une place essentielle. Avec ce dernier ouvrage (dont les plus belles pages sont dans les encadrés, comme des bijoux dans leur écrin), Pascal Bruckner, en pleine maturité, nous apporte sans en avoir l’air, une bonne nouvelle et beaucoup de judicieux conseils. La bonne nouvelle ? C’est qu’il n’y a pas de progrès en amour. Les conseils ? Aux couples déçus de ne pas retrouver l’absolu qu’ils attendaient au quotidien, il faut rappeler qu’aucune demande d’absolu ne peut être satisfaite. A ceux que terrasse le besoin de performance sexuelle, que le terrorisme de l’orgasme n’est que l’un des cadavres de mai 68, à enterrer au plus vite et définitivement. A nous tous : que nous devrions cesser d’attendre de l’amour ce qu’il ne peut pas offrir, à savoir la réalisation de soi. A tous ceux que tenaille la peur de la déception et des moqueries, il faut au contraire répéter : n’ayez pas honte de vos contradictions ou d’être qui vous êtes, « il n’y a pas une seule route vers la joie ». Sans oublier la plus fondamentale de toutes les recommandations de Pascal Bruckner : « Ne jugez pas ! ». Ni les autres, ni surtout vous-même. Lucide bienveillance, là encore.
Parce que… « Fuir qui vous aime, aimer qui vous fuit. Se jurer chaque matin de quitter l’autre et tenir ainsi vingt ans en caressant l’idée de la rupture. N’être sûr de rien, ni de son orientation sexuelle ni de son attachement, habiter le pays du peut-être, de l’hésitation sentimentale, n’être qu’un point d’interrogation qui dit : Je t’aime. Pleurer le départ d’un être auquel on croyait ne pas tenir, qui s’était fiché dans votre coeur à la manière d’une écharde. Vénérer, morte, une personne qu’on avait maltraitée, vivante…. Telles sont quelques-unes des inconséquences de l’amour. Pourquoi voudrions-nous qu’il en soit autrement ? Parler d’amour, c’est toujours partir de son désordre intérieur, fouiller le fond boueux de son âme pleine de bassesse et de noblesse. Mettons en scène sans les juger les folies du cœur des hommes. »

Publié dans l'Extension, décembre 2009

Picaflor revisited

© studio KVA

The creation of A#7 was a very personal journey for Kris Van Assche, a project he shared with close friends and like-minded artists and creatives.
- A Blog Curated By

Kris Van Assche has a hummingbird drawn on his arm. Once we were visiting together Jeremy Deller’s show at the Palais de Tokyo and talking… and Kris inspired by what we were looking at explained me that art requires freedom – without freedom you can’t see art – it’s like the hummingbird, the bird has to be free to nurture himself in the heart of flowers, told Kris pointing to his tatoo. It is this very moment, this association of thoughts and images that gave birth toPicaflor (hummingbird in the language spoken in Buenos Aires, one of Kris Van Assche’s city of the world.) Picaflor ? The word itself sounds like a thorn, like a difficulty. The difficulty to getting closer and closer to beauty in our everyday life, a difficulty that requires constant efforts, attention, and humility. We must dare to choose freedom: the hard way but the only one to nurture our soul.

The bird is also a symbol of freedom, freedom of the soul liberating itself from the body, a symbol for transfiguration for the Egyptians, or, according to Freud, an analogy for erection – unless being caged. From childhood with caged birds (as drawn by the Andrea Mastrovito, in the context of a long lasting artistic friendship) to the hummingbird on Kris’ arm, free to fly away any time, a continuous search for freedom and meaning.

Drawing, Andrea Mastrovito, 2008

After Hyères, last spring, this winter, starting January 26, 2010, you will find, in the the Galeries des Galeries, the gorgeous showroom of the Galeries Lafayette in Paris, as in a wild urban meadow, a dozen flowers, perched on stalks like orchestra tripods, like waders – geometrical flowers, warrior flowers, robot flowers, made out of mirrors in which you can see the reflection of the outside world. And in the heart of the corolla of these mysterious flowers, you will discover the virtual and sensorial images, sounds and smells that nurture Kris Van Assche’s inspirations.

Picalfor by Kris Van Assche, Hyères 2008, photography © Gaëtan Bernard


Publié dans "A Blog Curated By".

lundi 28 décembre 2009

Larry Sultan, la vie les yeux ouverts

Le photographe californien Larry Sultan est mort d’un cancer le dimanche 13 décembre . A ses amis, dont j’avais la chance de faire partie, il envoyait régulièrement des courriels, pour nous tenir au courant de l’évolution de sa maladie. Avec l’autodérision qu’on lui connaît.

En 2005, le Musée de L’Elysée lui avait consacré une exposition monographique. En 2008, son travail photographique fut inclus dans l’exposition Working Men à Genève.

«Avec The Valley, Larry Sultan a signé l’une des réalisations visuelles les plus fortes de sa carrière de photographe documentariste. Cette série de clichés pris en Californie, entre 1998 et 2002, sur les lieux de tournage de films pornographiques fera en 2004 l’objet d’un portfolio éponyme, publié chez Scalo… Au registre de la fabrique des images, Larry Sultan neutralise tout effet de spectaculaire, d’emballement et d’exaltation au profit d’un «regard pensif» (Régis Durand) à la fois précis et pudique.

Haskell Avenue, 1998 (The Valley)

Il s’attache avec méticulosité aux moments creux de l’action, aux phases d’attente, aux lieux du « crime », aussi, intérieurs kitsch de belles demeures recyclées en studios improvisés pour le moment d’un film ou d’une scène. Ce traitement au ras des choses donne de l’atmosphère du travail entourant la réalisation d’un film X une traduction qui est sans doute la plus juste possible : le moment d’une activité comme une autre, avec ses contraintes et ses respirations, son dispositif social et ses impératifs de rentabilité. Le travail, c’est l’action qui concentre l’énergie et vous épuise… » (Working Men, Paul Ardenne et Barbara Polla, Ed Que, 2008)

Den, Santa Clarita, 2002 (The Valley)


Larry Sultan, un homme et un photographe remarquable.
« Remarquable, entre autres, la capacité de Sultan à tisser ses références multiples, littéraires, bibliques, cinématographiques, familiales, et sa conscience de l’actualité sociopolitique, au creux d’histoires riches de détails et de la texture du présent. La tension est constante entre les mythes et les faits. Remarquable aussi sa capacité à produire des images séduisantes – bien au-delà du raisonnable. Remarquable encore, l’usage de la couleur comme grande réconciliatrice. Remarquable enfin, la prise de risque : Sultan, photographe, auteur, artiste, s’engage les yeux ouverts dans les territoires interdits de la pornographie, du vieillissement, de l’humiliation, des mythes défaits des banlieues californiennes, de l’amour malgré tout de cette famille qui lui permet d’explorer sans jamais arriver à satiété, son enfance, ses propres obsessions, sa sexualité adolescente en contrepoint de la violence des scènes familiales dans la cuisine de la maison : Pictures from home, artéfacts d’un paradis illusoire de pelouse de golf et tapisserie fleurie. Manipulateur sans scrupule de la réalité poignante des autres qui deviennent ses acteurs consentants malgré eux, mais toujours respectueux et fidèle à son propre imaginaire qu’il continue avec acharnement d’essayer de cerner, Sultan nous livre la déréliction humaine comme des marguerites jaunes dans un vase somptuaire. Plus nue la fragilité, plus éclatante la servilité, plus solitaire la dérive : plus belle sera la lumière. Parce que la vraie vie est perméable à la lumière. Les yeux ouverts, au plus vite, Sultan nous transmet, dans la joie de pouvoir voir, des images, encore, encore, encore avant la nuit. » (Publié dans CRASH, octobre 2009, Barbara Polla et Stephen Vincent).

Backyard, Woodland Hills, 2002 (The Valley)



A Larry Sultan j’ai écrit quelques chansons ces derniers mois. Il avait aimé celle-ci, dont le titre se référait à un mail qu’il m’avait envoyé, « I’ve been bad and still am » – il avait tardé à m’envoyer des documents que je lui avais demandés. A Larry Sultan, qui a vécu les yeux et l’objectif ouverts sur la lumière du monde.


I've been bad and still am

My name is Lucky
Black blood down my veins
Black rain down the valley
Californian cancer
And safety razor blades

I catch my breath
And wade through chaos
Each picture from home
Unveils despair
Yellow daisies
In lavish vases
Illusion of paradise

My name is Lucky
Black blood down my veins
Black rain down the valley
Californian cancer
And safety razor blades

I'm an old man now
Smacked with a stone
Not a sultan any more
Not a tsar not a star
In the patio sunlight
In the dark underside
Want to live forever

Sweet broken hearth
You make my laugh

I've been bad and still am


Publié dans les Quotidiennes, le 28 décembre 2009

samedi 26 décembre 2009

KVA, an artist among artists

Kris Van Assche is a stylist and an artist. At first sight, a very fashionable position : many stylists, at one point or another of their career, develop an artistic production. Many of them become photographers, others produce objects that are, in some way or another, an artistic representation of their creative word as a whole – such as Walter Van Beirendonck for example.

Andrea Mastrovito's work in Dior Homme photographed by Vincent Lappartient

There is though something very special about Kris Van Assche as an artist – I won’t talk about his installations, just show them, Poet on Strike, at Analix Forever in May of 2009 – no, that specific KVA touch is the presence with him, or his presence with, other artists. One could nearly think of Kris Van Assche as a gallerist, or a prince, the type of those who invite artists to show their work for delight, for beauty and for joy, as they are aware that life without art is just not the kind of life they feel worthwhile.

About one year ago, Kris Van Assche invited Andrea Mastrovito to invade the Dior Homme boutique at Rue Royale in Paris. Freedom for the artist is the secret. Not only did Mastrovito invent a very special world for the boutique, but the two men became close friends and continue to work together. They are born the same day and showed at Analix Forever the day after their birthdays this last May : a mural sculpture for Mastrovito, and Poet on Strike for Kris Van Assche.

Andrea Mastrovito

At Hyères, in April, where Kris Van Assche, as President of the Jury, was invited to present another installation, Picaflor, he again favored the possibility to share the space with another artist, David Casini – who presented a performance entitled This thought crossed my mind – rather than use it all for himself. Artistic collaborations nurture him – and he nurtures the artists. Kris Van Assche and David Casini : encounter of the third type between artist and designer, in the “far away interior” of a fifth dimension in which even time gets lost.

David Casini and Kris Van Assche photographed by Gaetan Bernard

David Casini and Kris Van Assche photographed by Gaetan Bernard

The story continues… and beginning January 26, Kris Van Assche will present his next exhibition at the Galerie des Galeries in Paris along with the American artist Matt Saunders. Free and dedicated to both art and fashion, in distinct though aesthetically parallel paths, Kris Van Assche is a stylist among the stylists, and an artist among the artists.

Kris Van Assche's 'Poete en greve' photographed by Gaetan Bernard



Publié dans "A BLOG curated by", le 26 décembre 2009

Noël, épiphanie du souvenir ou de la création?

Pourquoi les fêtes ont-elles des dates ? Pourquoi fêtons nous Noël en décembre, toujours ? Je crois que les dates essaient certes de structurer le présent, mais aussi et surtout de conserver le passé, de le perpétuer, de conserver nos souvenirs d’enfance et les autres, comme on conserve des fleurs dans un herbier, et leur parfum suranné…

Comment étaient les Noëls de votre enfance ? Les miens ressemblaient à des contes germaniques : regarder le ciel avec mon grand père par la lucarne du grenier, mon grand-père qui me montrait le Jura dans la lumière dorée et rose du soir, ou dans la brume blanche de la neige attendue, et me disait et redisait chaque année que Saint Nicolas venait de là, et qu’il m’apporterait des verges si je n’étais pas sage... délicieux frisson de peur dans les bras de mon grand-père. Ma mère décorait la maison, c’était simple et beau, il faisait froid dehors, dedans les bougies sur le sapin (des vraies, à l’époque), et les chants...

Ce paradis que l’enfance est parfois, nous voulons le célébrer, encore et encore, pour arrêter le temps... Mais aujourd’hui ma mère a 87 ans, et je lui dédie ce billet, pour la remercier d’un moment plus beau même que les souvenirs : un moment de création. Peintre, elle peint toujours. Et en cet après-midi de Noël, elle a dessiné dans une concentration absolue, une concentration d’artiste au travail, peu importent les années, nulle date n’importe si ce n’est celle d’aujourd’hui, et le passé n’est que le vivier où elle puise son savoir-faire. Le trait est sûr, sans hésitation… Epiphanie sans âge de la création.

Alors fêtons encore, pour enrichir nos souvenirs d’hier et créer ceux de demain !

Publié dans les Quotidiennes, le 26 décembre 2009

mardi 22 décembre 2009

Kris Van Assche, The Renaissance Face

From the series '22 Portraits for Kris Van Assche' by Matt Saunders. Courtesy of the artists and Analix Forever gallery, Geneva.

The portrait has always occupied a central place in art, through the whole history of humanity. The French philosopher Levinas has extensively elaborated on the fact that the face is pure signification and refuses itself to possession. According to Levinas, the face both appeals crime and forbids killing ; it simultaneously reveals human beings’ vulnerability and triggers their own responsibility towards their peers.

In contrast to art, fashion often tends to dissimulate the face, to replace its epiphany by stereotypes, by clones of what « beauty » should be and to replace individuals by « mannekins » (ie, smaller versions of man). Impossible to recall one single face after most défilés… unless they are « people » that you will find the day after on the cover of all magazines. This absence of the face is sometimes radicalized to its extreme by designers who hide it completely and sometimes it is just cut off. After all, fashion is about clothes – so who cares about the face ?

Some care. Kris Van Assche for example : his objective is not (only) to make beautiful clothes : it is to render individuals more beautiful. « Individuals » though have faces, individual ones… Among the many innovations Kris Van Assche is bringing into the fashion scene, the Renaissance of the Face is an fundamental one. Simple though genius intuitions : in order to enhance beauty, I need to enhance freedom – in order to reveal beauty, I need to reveal singularity. The singularity is hidden in each individual face.

For Kris Van Assche, Renaissance of the Face also includes collaborations with other artists, such as the Berlin-based American artist Matt Saunders, who recently realized « 22 portraits for Kris Van Assche ». To be seen in the next issue of Londerzeel, the magazine created by Kris Van Assche.
The Renaissance of the Face, and art is back in fashion !

Backstage at Kris Van Assche womens defilé FW09 by Gaëtan Bernard


Publié dans "A BLOG curated by", le 22 décembre 2009

lundi 21 décembre 2009

Collishaw et Freud réunis dans les tréfonds de l’âme humaine

Sigmund Freud a profondément marqué non seulement son époque mais toute la culture occidentale, lui qui explora sans relâche les secrets de l’âme humaine, de son organisation spontanée, de ses structures naturelles, complexes, élaborées avec patience dans le but de donner forme à l’indicible sans le trahir, de notre ingéniosité sans limites à représenter nos sentiments les plus cachés en images, en rêves et en symptômes.

Mat Collishaw, dit the Master of Illusion, artiste anglais qui grandit avec les YBA (Young British Artists dont le représentant le plus célèbre aujourd’hui est Damien Hirst) mais qui s’en distingua toujours par son refus de la simplification et des coups de poing, coups de gueule ou coups de pub artistiques, sait quant à lui tous les tricks sans limites eux aussi, de l’anamorphose à la vision stroboscopique, utilisés par les hommes pour représenter les images les moins dicibles et ne se lasse pas d’explorer l’appétit compulsif des humains pour la corruption.

À Londres, Sigmund Freud a invité Mat Collishaw. Car Sigmund Freud a vécu ici, 20 Maresfield Gardens, et la maison de l’inventeur de la psychanalyse a gardé, dans ce qui est désormais le Freud Museum, son odeur vieillotte, son allure aujourd'hui surannée, son divan, sa bibliothèque, ses collections... Même le parfum de la maison semble d'époque.

Mat Collishaw a accepté l'invitation et l'hommage au passé. It is exactly his cup of tea. Il a donné pour titre à son exposition Hysteria : l’hystérie, grand syndrome clinique de la névrose féminine, aujourd’hui quasiment disparue, remplacée on ne sait comment par l’anorexie, la boulimie, l’automutilation. La pièce dans l'entrée est une anamorphose des cours de Charcot, où l'hystérie était enseignée, patientes en crise à l'appui. Qui se souvient aujourd'hui encore que l’hystérie se traitait notamment par massage pelvien ? Collishaw, peut-être. Dans la bibliothèque, une boîte désuète qui semble avoir été trouvée sur un marché aux puces ou chez un antiquaire, dont Collishaw explique avec délice qu'elle servait à l’époque à l'observation des mouvements des vers dans de la terre fine – dans la boîte d'observation, un morphing de patientes hystériques dans différentes positions.

Dans un miroir se reflète une fumée venue d’on ne sait où, représentation des reflets de l’invisible si présent, et dans le bureau de Freud, juste devant son divan, trois troncs d’arbres étendent leurs racines sur les tapis superposés qui absorbaient à l’époque déjà les paroles qui devaient rester inaudibles, les émanations de la mémoire inconsciente. Sur la tranche des troncs, aux couleurs des tapis, tourne une platine qui émet des chants d’oiseaux, la mémoire de la forêt évoquant la mémoire des névrosés qui se couchaient sur ce divan.

À l'étage, les références sont plus freudiennes encore : sur l’une de ces tables à vision stroboscopiques dont Collishaw a le secret, tourne si vite qu’on ne perçoit plus leur mouvement rotatif une foultitude d’enfants qui frappent avec l’allégresse destructrice qu’on leur connaît les œufs que les oiseux ont délicatement pondus dans de petits nids, tuant, prise de pouvoir maximale, la vie à venir dans son œuf même.

Et deux sublimes pièces de la série Insecticides, des papillons morts soigneusement sélectionnés chez les plus grands entomologistes londoniens, puis écrasés encore, de manière à ce qu’ils montrent à nos yeux émerveillés leurs trésors organiques, le velouté de leurs couleurs suaves et fortes, la légèreté de leurs organes autrefois vivants magnifiés à échelle humaine... Mais Freud prendra ici le pas sur l’artiste, lequel ignorait encore, lorsqu’il a entrepris cette célèbre collection de photographies d’insectes disséqués de ses mains, l’interprétation que Freud lui aurait donnée de ce travail : la relation fondatrice avec la fratrie est celle de l’agressivité et les insectes représentent classiquement les frères (Collishaw en a trois) dont on doit se débarrasser avant d’accéder à sa propre existence.

Mais quelles qu'eussent été les interprétations de Freud, chez Collishaw toujours, la forme prend le pas sur la dégradation. Collishaw se positionne dans la joie nietzschéenne de la reconnaissance du monde dans sa réalité la plus crue et l’affirmation de la vie dans sa pleine richesse, sans rien en exclure, fût-ce la mort et son obscène contemplation. Avec la beauté en partage.

Publié sur daté.es, le 21 décembre 2009
Mat Collishaw, HYSTERIA
Freud Museum London, du 7 octobre au 3 janvier 2010, James Putnam commissaire

www.freud.org.uk

* Mat Collishaw, Insecticide, courtesy the artist & Analix Forever Geneva

mardi 15 décembre 2009

Elena Kovylina à Analix Forever

Article de Nicolas POINSOT

Durant les quelques minutes qui précédèrent ma rencontre avec l’artiste russe Elena Kovylina, j’avais déjà des images d’elle plein la tête. Elena inclinant calmement une théière pour servir sa convive autour d’une table en train de prendre feu. Elena en Maja nue, imperturbable Olympia ayant revêtu sa tenue d’Eve intégrale et posant sur le capot d’un piano à queue au beau milieu de la rue. Elena sur un ring et infligeant la raclée de sa vie à un mâle chancelant du bout de ses gants de boxe ensanglantés, avant de se faire massacrer à son tour par un monsieur muscle impitoyable. Elena surprise dans le viseur d’un fusil d’assaut. Elena la corde au cou, debout sur un fragile tabouret.

Je tiens tout de suite à préciser que ces visions n’étaient pas à imputer aux quelconques délires de mon cerveau lorsqu’il est question de rendez-vous avec une jolie femme, mais bien aux toiles de l’artiste exposées en ce moment dans la galerie genevoise Analix Forever. Adepte des performances, ces représentations éphémères impliquant le corps dans une mise en scène symbolique, Elena Kovylina a pris le parti de mettre en peinture ses réussites les plus marquantes, de se les réapproprier au travers de son propre regard, remplaçant celui de l’habituelle vidéo comme support dédié à recevoir l’œuvre. Une série intitulée «Le malentendu» et qui fut réalisée au cours de sa résidence à la galerie l’été dernier, portant les stigmates d’une introspection minutieuse, prolifique et sans compromis. «L’espace et le matériel mis à disposition, mais aussi le temps qu’on m’accordait, tout cela m’a enfin permis de réaliser ce projet qui me tenait à cœur», explique-t-elle infiniment reconnaissante. «C’était un rêve qui ne me quittait pas depuis quatre ans!»

Parallèlement à cette intéressante auto-rétrospective, l’artiste moscovite poursuit son travail de performer de par les villes du monde entier. Pour preuve cette représentation intitulée «slogan», donnée à Genève dimanche 13 décembre dans un restaurant chic du centre ville, et résolument décidée à tourner en une cruelle dérision les codes traditionnellement utilisés par les marques de luxe pour promouvoir leurs produits. On a donc pu voir la jeune femme armée d’un imposant couteau de cuisine, découpant des parts de gâteaux ornés des photos de ses performances précédentes. Sans omettre de ponctuer chaque dégustation par un «J’ADORE» absolument exquis, articulé dans une moue de poupée capricieuse à la limite de l’écœurement. La bouche pulpeuse et outrageusement maquillée de Mlle Kovylina était évidemment pour quelque chose dans cette jouissive prestation, pastiche des canons féminins régnant sans merci sur les affiches et spots publicitaires.
Désir d’indépendance

Mais en dehors de ces moments décalés, de chute contrôlée en dehors de soi, l’artiste est réservée, presque secrète, créant un contraste saisissant avec ce qu’elle incarne pendant ses performances. Elle avoue d’ailleurs fuir les sphères élitistes et embourgeoisée qui sont trop souvent les uniques réceptacles de l’art contemporain, devenu monde «upperground» selon elle, en opposition à l’«underground» dans lequel les activités de l’avant-garde étaient condamnées à évoluer sous le régime soviétique. Elena s’engage alors dans une analyse lucide de la pratique de l’art en Russie, de l’URSS à nos temps présents. «Les artistes d’aujourd’hui se meuvent parmi les businessman et les oligarques. La plupart vit de cette symbiose étrange où les énormes sommes d’argent assurent un train de vie confortable, mais où l’idéologie est uniforme et complaisante. S’ils mettent un pied en dehors de ces hautes strates de privilégiés, ils n’existent plus. Leur métier n’est tout simplement pas reconnu. Pour ma part, j’essaye d’être dans une posture d’opposition, de rester indépendante. Ce qui forcément est très difficile».

Un problème également rencontré par les journalistes qui tentent de faire un travail d’investigation à contre-courant, et auxquels elle rend hommage dans l’une de ses performances, Dying swans, auscultant le thème récurrent d’une Russie bicéphale et anachronique. Autrement dit la culture classique, idéalisée voire décadente, d’une Russie éternelle et bourgeoise, contre les réalités actuelles, pétries de violence et obsédées par la quête de nouveaux modèles. Un leitmotiv dans son œuvre. «Pour l’instant, ni les artistes ni les journalistes ne peuvent changer quoi que ce soit. Sans un système démocratique revu depuis la base, sans une disparition de la censure à l’égard de ces professions, rien n’est possible et ne peut se résoudre». Des propos qui prennent tout leur sens quand on sait que plusieurs de ses vidéos sont purement interdites dans la patrie de Dostoïevski.

Une étude approfondie des réalités

A l’écouter, on comprend dès lors que la démarche artistique d’Elena Kovylina prend appui sur une réflexion aboutie et une observation quasiment scientifique de la société dans laquelle elle vit. Comme sur le sujet des femmes russes, qu’elle développe volontiers avec la précision d’un sociologue. «La femme soviétique était très bien intégrée à la société car elle travaillait, tout en endossant son rôle de femme et de mère. Elle votait même depuis 1918, ce qui est vraiment une émancipation précoce par rapport à la Suisse! Mais depuis la Perestroïka, l’homme a pris les rênes et possède la grande majorité des propriétés privées du pays, ce qui a eu pour conséquence notable de rendre la femme beaucoup plus dépendante de lui. D’où un mécanisme effréné de séduction et de mise en valeur presque exclusive du corps afin de s’assurer un moyen de subsistance, au risque de se caricaturer».

Elena reconnaît cependant que les choses sont en train de changer encore une fois sur le plan social. Les filles des richissimes oligarques héritent progressivement des fortunes de leurs papas vieillissant, inaugurant une ère où des femmes seront plus libres et trouveront une réelle liberté de mouvement grâce à leur totale indépendance financière. Si pour l’heure les artistes, journalistes et autres intellectuels sont pour un certain temps voués à patiner dans la semoule pour plusieurs années, il n’est pas impossible qu’avec la décennie naissante, la vraie révolution s’opère tout doucement en privé dans les chaumières, pardon, les datchas.

Elena Kovylina ou Le Malentendu,
jusqu'au 9 janvier 2010, Galerie Analix Forever Genève

Publié dans les Quotidiennes, le 15 décembre 2009

Elena Kovylina lors de sa performance. (Crédits photo: Marc Vanappelghem)

Restrictions dommageables sur les cellules souches

A un moment où la garantie constitutionnelle de certaines libertés individuelles semble menacée, il est plus que jamais essentiel de souligner que ce qui fait la beauté de la Constituion suisse, c’est la manière dont les libertés sont garanties, et non comment elles sont contournées, voire allégrement bafouées. Les articles 16 à 28 de notre Constitution garantissent notamment les libertés d’opinion et d’information, la liberté des médias, celle de la langue – et celle, essentielle pour mon propos ici, de la science - celle de l’art aussi, les libertés de réunion, d’association et d’établissement, ainsi que les libertés économique et syndicale...
Les restrictions à la liberté de la science posent la question intéressante de savoir pourquoi personne ne s’en offusque aussi ouvertement, bruyamment, manifestement, qu’à la restriction de la construction de certains symboles. Comment les scientifiques peuvent-ils s’accommoder des infinies restrictions à leur libertés que leur imposent les lois pourtant sensées appliquer le cadre constitutionnel ? C’est très simples : par la restriction, eux aussi.
Les grandes découvertes sur les applications des cellules souches embryonnaires (vous avez dit embryonnaires ? mais n’est-ce pas un « vilain » mot ?) se font désormais ailleurs qu’en Suisse, et ceci quand bien même notre pays forme parmi les meilleurs chercheurs, dans ce domaine comme dans d’autres. Mais ce sont des chercheurs français, Christine Baldeschi et Marc Peschanski (INSERM et Généthon), qui ont publié fin novembre dans The Lancet qu’il est possible « d’encourager » des lignées de cellules souches embryonnaires, maintenues en culture, à produire des quantités illimitées de kératinocytes adultes, ceci grâce à des cellules nourricières qui leur envoient des signaux chimiques spécifiques induisant la différenciation kératinocytaire. Les kératinocytes, quel intérêt ? Ce sont les cellules principales de l’épiderme humain, barrière essentielle et gardien de nos fluides organiques.
Mais à quoi cela peut-il bien servir ? Application médicale immédiate : les grands brûlés. Ils sont 350 en France chaque année. Ces patients doivent pour survivre bénéficier d’ une « couverture cutanée » comme barrière physiologique antibactérienne, faute de quoi ils sont soumis à la déshydratation, aux infections et aux septicémies… Pendant des décennies, les chirurgiens et réanimateurs n'ont eu à leur disposition que les greffes prélevées de la propre peau saine des brûlés. En effet, depuis le début des années 1980, il est possible, avec un prélèvement d'épiderme de la taille d'un timbre-poste, d’obtenir en vingt-trois jours près de deux mètres carrés du propre épiderme du brûlé. La double originalité de l’idée de Baldeschi et Peschanski, c’est d’une part de générer un épiderme bourré de kératinocytes à partir de cellules souches embryonnaires qui n'expriment pas les antigènes reconnus comme étrangers par le corps, et d’autre part d’obtenir, grâce à sa lente maturation, un tissu vivant organisé que l'on pourrait stocker et fournir ad libitum aux chirurgiens pour les soins des brûlés.
En parallèle, aux Etats-Unis, les autorités médicales américaines viennent d’autoriser l'utilisation de treize nouvelles lignées de cellules souches embryonnaires humaines pour la recherche publique. lLes premières dans le cadre de la nouvelle politique décidée par la Président Obama, qui avait annoncé en mars sa décision de revenir sur l'interdiction d'effectuer des recherches sur les cellules souches embryonnaires imposée par George W. Bush en 2001, une interdiction qui se basait sur des considérants moraux et religieux. « Conformément aux réglementations, ces cellules souches sont dérivées d'embryons donnés selon un processus éthique éprouvé », précise le Dr Francis Collins, directeur du National Institute of Health (NIH). Lors de l’annonce de ce changement de politique par rapport à son illustre prédécesseur, le président Obama a notamment invoqué le potentiel des cellules souches embryonnaires à traiter des maladies telles le diabète ou la maladie de Parkinson ou encore à régénérer la moelle épinière endommagée lors d’accidents, accidents qui conduisent aujourd’hui encore à des paralysies qui devraient devenir évitables.
Et en Suisse ? Allez voir sur Google : le premeier item que vous trouverez si vous tapez « cellules souches embryonnaires » et « Suisse » vous dit que « En Suisse, la production de cellules souches embryonnaires est réglementée par la loi depuis mars 2005. » Alléluia, nous sommes saufs, c’est réglementé. Dommage pour le progrès…
Voilà qui souligne encore uen fois combien il est essentiel pour ce pays de se répéter chaque jour, en accord avec sa propre Constitution, que la liberté est mère de toutes les vertus.

Publié dans l'Agefi, le 15 décembre 2009.

jeudi 10 décembre 2009

L'Amérique retourne sur la Lune près d'un demi-siècle après Apollo

Les découvertes indienne et américaine de particules d’eau sur notre satellite relancent le projet d’implanter une base lunaire. Près d’un demi-siècle après la mission Apollo.

L’été 1969 promettait la lune à portée de terre. Et le monde entier de se rêver, en scaphandrier plombé, sur une autre planète - une lune en fait – récoltant des cailloux au fond des cratères, avec les enfants, le dimanche après-midi – et tous les militaires des grandes puissances de se rêver des bases nucléaires, les scientifiques des bases d’observation et de recherche et les poètes une nouvelle littérature. Mais l’enthousiasme s’éclipsa aussi vite que la lune le 10 février 1971. Retour sur Terre pour la plupart et pour d’autres, des visées plus lointaines encore, à commencer par Mars, planète des hommes ou des singes…
Mais les Américains, eux, sont tenaces, ce n’est pas la moindre de leurs qualités. Never surrender ! Ils tenaient la Lune, ils ne la lachèrent pas. Et dans une discrétion relative, ils ont poursuivi le travail. Avec, pour leurs recherches et leurs explorations, un fil conducteur absolument limpide et parfaitement cohérent avec les problèmes qui se posent sur la planète Terre : trouver de l'eau partout où elle pourrait possiblement se cacher dans le système solaire. Et voilà que la ténacité, une fois de plus, paie.
Alors que l’Inde avait annoncé en septembre déjà la présence de particules d'eau sur la Lune, les chercheurs américains, eux, se sont penchés spécifiquement sur un cratère baptisé Cabeus, situé dans une zone lunaire non exposée au soleil. La NASA a ciblé cette région après y avoir détecté d'importantes émanations d'hydrogène au début des années 2000, émanations qui pourraient s'expliquer par la présence de glace. Le 8 octobre 2009, la NASA propulse alors Centaur, un projectile de 2,3 tonnes, dans le dit cratère. Une deuxième sonde, la LCROSS (Lunar Crater Observation and Sensing Satellite) a ensuite survolé le cratère pour y amasser de l'information sur les débris en suspension au-dessus du cratère avant de s'y écraser à son tour. C'est en analysant le nuage de poussière que les experts de la NASA ont découvert des particules d'eau. Bingo ! Le 9 octobre, Anthony Colaprete, responsable scientifique de la mission LCROSS, annonce alors en jubilant : « Nous avons trouvé de l'eau sur la Lune, et pas seulement un petit peu, mais des quantités importantes ! » Certes, la notion de « quantités importantes » est relative. « Nous y avons trouvé l'équivalent d'au moins une dizaine de seaux de 7,5 litres », aurait précisé Colaprete en ajoutant qu'il s'agissait des premiers résultats. Espérons qu’en effet il ne s’agisse que des premiers résultats, parce que 10 x 7,5 litres, cela ressemble plus à la sardine qui bouche le port de Marseille qu’à la manne du Seigneur… Anthony Colaprete a d’ailleurs ajouté que « la concentration et la répartition de l'eau ainsi que d'autres substances nécessitent davantage d'analyse des données recueillies » d’autant plus que ces données suggérerent la présence de « substances intrigantes !» Peter Schultz, professeur de géologie à l'Université Brown, membre de l’équipe scientifique de la NASA, a quand à lui comparé l’or transparent à l’or noir : « C'est un peu comme quand on découvre du pétrole en faisant des forages, quand on en trouve à un endroit il y a de plus grandes chances d'en trouver aussi pas très loin… »
Quoiqu’il en soit, la découverte américaine relance le projet d'implanter une base lunaire, près d'un demi siècle après la mission Apollo. Plusieurs observateurs estiment que la découverte d'eau sur la Lune pourrait rendre la construction d'un camp scientifique ou d'une base lunaire plus réaliste. Une commission d'experts créée par le président Barack Obama, vient de rendre un rapport offrant différentes options d'exploration habitée. Il y a fort à parier les menaces de restrictions budgétaires qui planaient lourdement sur la NASA sont en train de s’évanouir comme vapeur au soleil…
Morale de l’histoire ? L’investissement, la foi et le partage font des miracles. De ces trois caractéristiques américaines, les deux premières, l’investissement et la foi, sont volontiers reconnues aux Américains. Pas le partage. Et pourtant, c’est bien grâce la technologie américaine que l’Inde elle aussi avait confirmé la présence d’eau sur la Lune, et ceci même quelques semaines avant la NASA. « De l'eau sur la Lune: la stupéfiante découverte de Chandrayaan », « Un grand pas pour l'Inde, un pas de géant pour l'Humanité », pouvait-on lire en titre dans les quotidiens indiens en septembre. Ou quand la technologie des uns fait la fierté de tous.
Adieu la Lune sèche !


Publié dans l'Agefi, le 10 décembre 2009
La Librairie Le Rameau d’Or
&
les éditions L’Age d’Homme
vous convient à une rencontre amicale
Mercredi 16 décembre 2009
dès 16 h 00

Nos auteurs, publiés ces derniers mois,
partageront ce moment avec leurs lecteurs et amis.
À cette occasion, Jean-Michel Olivier vous présentera
le programme de la collection poche suisse
Librairie Le Rameau d’Or
17, Bd. Georges-Favon, 1204 Genève
022 310 26 33 • rameaudor@bluewin.ch
Jean-Marie Adatte • Antonio Albanese
Rafik Ben Salah • François Berger • Freddy Buache
André Corboz • Julien Dunilac • Christophe Gallaz
Virgile Elias Gehrig • Philippe Grosos
Serge Heughebaert • Hervé Krief • Jean-Louis Kuffer
Georges Ottino • Philippe Paulino • Barbara Polla
François Rothen • Jil Silberstein • Marielle Stamm
Anne-Marie Steullet-Lambert • Sylvoisal
Giordano Tironi • Raymond Tschumi