Sigmund Freud a profondément marqué non seulement son époque mais toute la culture occidentale, lui qui explora sans relâche les secrets de l’âme humaine, de son organisation spontanée, de ses structures naturelles, complexes, élaborées avec patience dans le but de donner forme à l’indicible sans le trahir, de notre ingéniosité sans limites à représenter nos sentiments les plus cachés en images, en rêves et en symptômes.
Mat Collishaw, dit the Master of Illusion, artiste anglais qui grandit avec les YBA (Young British Artists dont le représentant le plus célèbre aujourd’hui est Damien Hirst) mais qui s’en distingua toujours par son refus de la simplification et des coups de poing, coups de gueule ou coups de pub artistiques, sait quant à lui tous les tricks sans limites eux aussi, de l’anamorphose à la vision stroboscopique, utilisés par les hommes pour représenter les images les moins dicibles et ne se lasse pas d’explorer l’appétit compulsif des humains pour la corruption.
À Londres, Sigmund Freud a invité Mat Collishaw. Car Sigmund Freud a vécu ici, 20 Maresfield Gardens, et la maison de l’inventeur de la psychanalyse a gardé, dans ce qui est désormais le Freud Museum, son odeur vieillotte, son allure aujourd'hui surannée, son divan, sa bibliothèque, ses collections... Même le parfum de la maison semble d'époque.
Mat Collishaw a accepté l'invitation et l'hommage au passé. It is exactly his cup of tea. Il a donné pour titre à son exposition Hysteria : l’hystérie, grand syndrome clinique de la névrose féminine, aujourd’hui quasiment disparue, remplacée on ne sait comment par l’anorexie, la boulimie, l’automutilation. La pièce dans l'entrée est une anamorphose des cours de Charcot, où l'hystérie était enseignée, patientes en crise à l'appui. Qui se souvient aujourd'hui encore que l’hystérie se traitait notamment par massage pelvien ? Collishaw, peut-être. Dans la bibliothèque, une boîte désuète qui semble avoir été trouvée sur un marché aux puces ou chez un antiquaire, dont Collishaw explique avec délice qu'elle servait à l’époque à l'observation des mouvements des vers dans de la terre fine – dans la boîte d'observation, un morphing de patientes hystériques dans différentes positions.
Dans un miroir se reflète une fumée venue d’on ne sait où, représentation des reflets de l’invisible si présent, et dans le bureau de Freud, juste devant son divan, trois troncs d’arbres étendent leurs racines sur les tapis superposés qui absorbaient à l’époque déjà les paroles qui devaient rester inaudibles, les émanations de la mémoire inconsciente. Sur la tranche des troncs, aux couleurs des tapis, tourne une platine qui émet des chants d’oiseaux, la mémoire de la forêt évoquant la mémoire des névrosés qui se couchaient sur ce divan.
À l'étage, les références sont plus freudiennes encore : sur l’une de ces tables à vision stroboscopiques dont Collishaw a le secret, tourne si vite qu’on ne perçoit plus leur mouvement rotatif une foultitude d’enfants qui frappent avec l’allégresse destructrice qu’on leur connaît les œufs que les oiseux ont délicatement pondus dans de petits nids, tuant, prise de pouvoir maximale, la vie à venir dans son œuf même.
Et deux sublimes pièces de la série Insecticides, des papillons morts soigneusement sélectionnés chez les plus grands entomologistes londoniens, puis écrasés encore, de manière à ce qu’ils montrent à nos yeux émerveillés leurs trésors organiques, le velouté de leurs couleurs suaves et fortes, la légèreté de leurs organes autrefois vivants magnifiés à échelle humaine... Mais Freud prendra ici le pas sur l’artiste, lequel ignorait encore, lorsqu’il a entrepris cette célèbre collection de photographies d’insectes disséqués de ses mains, l’interprétation que Freud lui aurait donnée de ce travail : la relation fondatrice avec la fratrie est celle de l’agressivité et les insectes représentent classiquement les frères (Collishaw en a trois) dont on doit se débarrasser avant d’accéder à sa propre existence.
Mais quelles qu'eussent été les interprétations de Freud, chez Collishaw toujours, la forme prend le pas sur la dégradation. Collishaw se positionne dans la joie nietzschéenne de la reconnaissance du monde dans sa réalité la plus crue et l’affirmation de la vie dans sa pleine richesse, sans rien en exclure, fût-ce la mort et son obscène contemplation. Avec la beauté en partage.
Publié sur daté.es, le 21 décembre 2009
Mat Collishaw, HYSTERIA
Freud Museum London, du 7 octobre au 3 janvier 2010, James Putnam commissaire
www.freud.org.uk
* Mat Collishaw, Insecticide, courtesy the artist & Analix Forever Geneva
lundi 21 décembre 2009
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