Tribune libre de Barbara Polla
La valeur emploi
La crise aurait du bon. Oui, pourquoi n’en point chanter les louanges, d’ailleurs aujourd’hui aucun de ceux qui y survivent ne s’en privent. Réévaluation des valeurs, retour du « sens » (oh la belle hypocrisie, comme s’il suffisait d’avoir moins d’argent pour pouvoir acheter du sens), « nettoyage bénéfique », mise à plat… et cerise sur le gâteau, quelle chance, enfin ! - érection de nouvelles règles.
Mais en fait, la crise est terrible, elle est terrible non pas parce qu’elle nous contraint, pour ceux qui ne le feraient pas chaque jour, à nous remettre en cause, à inventer de nouvelles voies, de nouveaux produits, de nouveaux types de management. Non, tout cela est bel et bon… mais la crise n’en est pas moins terrible, pas tant pour ceux, et ils sont nombreux, qui ne sont plus « que » multimillionnaires au lieu d’être milliardaires – non, elle est terrible pour ceux qui perdent leur emploi, ceux qui l’ont d’ores et déjà perdu ou ceux qui se sentent menacés de perdre ce bien si précieux, et pour les plus jeunes d’entre nous, ceux qui craignent de ne pouvoir jamais trouver l’emploi de leurs rêves avant d’être déjà devenus vieux…
Aujourd’hui plus que jamais, il faut créer des emplois, et vite ! Il faut en créer tous les jours, la nuit aussi, et même le dimanche. Créer des emplois en vacances. Malaxer cette pâte flexible que constitue le travail, une pâte qui n’est jamais finie, qui est là, toujours, entre nos mains de créateurs d’entreprises, cette pâte-travail de laquelle émergent emplois et valeur.
Oui l’emploi donc – mais grâce à quelles stratégies ?
Payer les entreprises perdantes, jeter les quelques milliards qui nous restent dans le tonneau des Danaïdes des entreprises qui ont failli à leur responsabilités telle General Motors - pour n’en citer qu’une, particulièrement gourmande et loin de chez nous - ou laisser faire les innovantes ? Soutenir General Motors, que Thomas Friedman, dans l’International Herald Tribune, décrit comme une machine géante de destruction de richesse (le genre de machines dont nous n’avons certainement pas besoin en ce moment) - ou soutenir les nouveaux emplois ?
Voyons un peu ce que font les Etats. Tous, sans exception, suivent essentiellement deux voies.
Premièrement, ils versent, à flots, dans les tonneaux percés, cédant à l’argument imparable : « nos funérailles coûteraient plus cher que notre survie ». Une chansonnette qu’ils chantent tous, General Motors à Barak Obama, UBS au Conseil fédéral, chansonnette que les plus sages d’entre nous, ceux-là même qui pourtant s’opposaient, pour les meilleures raisons, au sauvetage de Swiss par exemple (une autre machine à détruire la richesse… suisse), entament en cœur et transforment désormais en hymne national.
Deuxièmement, ils érigent de nouvelles règles. Chaque fois qu’un Etat est débordé, hop, une ceinture de sécurité : de nouveaux règlements comme autosatisfecit. Est-ce efficace ? La question n’est pas posée. Car les réponses sont connues: croire que les règlements vont nous prévenir des Madoff et autres Mad ou Off est une bouffonnerie. Mais ce qui compte, dans ce genre de moments, c’est de se donner bonne conscience, n’est-ce pas ?
Le vrai problème, avec les régulations, c’est que quand elles s’appliquent à tort et à travers sur le terrain même où se créent les emploi, elles passent du camp des mesures inefficaces à celui des mesures délétères. Pour les entreprises susceptibles de créer des emplois - les petites donc, car les grandes, même bénéficiaires, licencient préventivement, nous avons tous entendu le message de LVMH – pour les petites entreprises donc, les règles devraient au contraire être assouplies au maximum, de manière à maximaliser le potentiel créatif – ces règles devraient même être abolies pour tous ceux qui s’inventent courageusement leur propre emploi au lieu d’en chercher un qui existe déjà.
La France quant à elle ne prend pas cette direction-là et la présidente du Medef Laurence Parisot s’inquiète avec raison du fait que le gouvernement français semble oublier que la priorité doit être donnée à l’emploi. Prenons un bien modeste exemple. Ces dernières années, on a vu à Paris, proliférer les taxis motos. Une manière idéale de se déplacer, une des seules pour être toujours à l’heure dans la Ville lumière. Mais voilà que les taxis classiques, sources de votes importants, se rebellent contre cette concurrence. Eh bien vous savez quoi ? Vite fait, une nouvelle loi interdit au taxis moto de prendre des passagers qui n’ont pas réservé à l’avance. Et voilà quelques centaines d’emplois innovants perdus…
Quant on sait que l’Europe aujourd’hui compte déjà 18 millions de chômeurs et que les Etats Unis atteignent plus de 8% de chômage, du jamais vu depuis des décennies, et que ces mêmes Etats Unis on perdu sur ces quatre derniers mois environ 660 000 emplois par mois, il est temps de se réveiller. De ne plus perdre un seul emploi, et surtout, d’en créer à tour de bras. C’est notre rôle à chacun – et aux Etats de changer de politique, car il ne s’agit pas de survivre à la crise, mais bel et bien de la dépasser !
Inventer, innover, investir : la valeur emploi n’attend pas.
Libre livre
Notes de chevet, de Sei Shônagon
Sei Shônagon, dame d'honneur de la princesse Sadako dans les premières années du XIème siècle, écrit vers l’an 1000 l’une des œuvres majeures de la littérature japonaise. Des listes, des mots, des émotions… Qu’il est doux et parfois douloureux tout à la fois d’entendre ses mots à mille ans de distance, des mots qui n’ont pas pris une ride – comme ses émotions, intactes elles aussi. Les émotions sont dans les choses, dans les mots, dans la manière de les dire, de les lister… alors Sei Shônagon fait des listes, des listes de « choses qui ne servent plus à rien mais rappellent le passé », des « choses qui ne s’accordent pas », des « choses qui égayent le cœur », ou encore des « choses sans valeur » – telles « un grand bateau, à sec dans une baie, à marée basse. Un grand arbre renversé par le vent et couché sur le sol, les racines en l'air. Le dos d'un lutteur qui se retire après avoir été battu. » Choses sans valeur, vraiment ? Je ne crois pas. La poésie, une valeur bien plus que de refuge en ces temps tumultueux. Plus que jamais, lisez de la poésie tous les jours, le matin, à haute voix, emportez avec vous des carnets de notes et faites des listes…
Faiseur de listes poétiques, un emploi de demain pour talents ignorés.
Publié dans l'Extension, avril 2009
samedi 25 avril 2009
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