Drôle de pratique que l’écriture, qui pourtant nous définit et nous rend humain. Je suis le seul héros de ma propre histoire, mais pour être ce héros, mon histoire, elle, doit exister en tant que telle. Pour vivre, survivre, évoluer, je dois la raconter, à moi-même d’abord, telle quelle, puis la travailler, la tordre, la redire non plus telle qu’elle est, mais telle que je la veux: l’écrire, donc. L’écrire, pour la raconter aux autres. Puis s’en séparer – et recommencer, autrement, une autre vie, une autre histoire. Devenir un autre héros, encore.
Au Salon du livre, retrouvez donc, chez Grasset, Farrago, de Yan Apperry. Le livre date ? Il n’a pas une ride. Le héros de sa propre histoire, dans Farrago, c’est Homer – Homère non plus, d’ailleurs, n’a pas une ride – et dans ce roman d’une vie – le roman de plusieurs vies - à propos d’une jeune femme qui avait tenté de se suicider, Homer nous dit: «Si Sarah Connolly avait sauté du pont, ce n’était pas juste à cause de ses malheurs, mais aussi parce qu’elle n’avait pas réussi à les raconter, à en faire une histoire dont elle puisse tirer un enseignement … La misère, j’ai pensé, c’est que les gens n’arrivent pas à raconter l’histoire de leurs misères. » Et plus loin : « Ce n’est pas la vie qui compte, c’est la manière de la raconter.»
Oui la parole transcende le malheur, comme toute création, et seule permet de le maîtriser et d’ouvrir les portes des prisons où il cherche à nous garder. Inventer sa propre histoire - car raconter c’est toujours inventer aussi – c’est choisir librement l’histoire que l’on veut pour soi-même, oser la liberté de se recréer: c’est se choisir soi-même en somme. L’épopée des Freedom Writers, ces adolescents américains qui, grâce au projet d’un de leur professeur désormais mythique, se sortent de leurs misères en écrivant – et ils n’ont pas fini d’écrire… - illustre cette liberté fondamentale: écrire, c’est se réinventer chaque jour.
Passer du moi à l’autre aussi : j’écris pour moi-même d’abord, mais pour les autres aussi, pour qu’ils me lisent, qu’ils me connaissent, pour qu’ils aiment mon histoire. Raconter son histoire aussi, incite les autres à raconter la leur. L’écriture devient alors partagée, altruiste, ouverte, entraînante – même si elle reste, au moment même de son étrange pratique, fondamentalement solitaire.
Publié dans les Quotidiennes, le 17 avril 2009
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire