L'exposition de Jean-Christophe Ammann au Centre Culturel Suisse (jusqu'au 18 juillet) est un émerveillement. C'est une grâce d'aller voir une exposition dont on sort nourri, pour des jours, jusqu'à ce qu'on ait envie d'y retourner. Le premier enchantement, les dessins d'Elly Strick. Voilà longtemps que je n'ai pas découvert dans un lieu d'art un ensemble aussi mystérieux et cohérent, esthétique et profond, aussi modeste qu'époustouflant.
Du Suisse Christoph Wachter, Ammann présente une série de dessins minuscules, noirs, puissamment érotiques et "justes". Le format minuscule, dit Ammann, est la conséquence d’une tension entre le faire et la culpabilité de l’avoir fait; il est aussi, pour le spectateur, une discrétion, une solitude, un appel au regard de près, dans le silence, l'absence de partage avec un autre regardeur.
Jean-Christophe Ammann, dans son exposition A rebours - à rebours notamment de la tendance qui veut des exposition thématiques et toujours politiquement correctes ou, au mieux, correctement incorrectes - A rebours nous parles du corps, ce corps qui est le seul endroit ou chacun de nous vit tous les jours... Notre corps, cette essence même de l’art, mémoire collective de l’art occidental.
Selon Ammann, "le corps - le corps nu - est l’élément fondateur de l’art occidental" et, au coeur du corps, "la colonne vertébrale, c'est la poésie". Une affirmation que ne démentiraient ni Paul Ardenne, à l'origine du concept de corpopoétique, ni Richard Shusterman, à l'origine de celui de somaesthétique. Ardenne nous invite à revenir au corps - à une poétique du corps, une corpopoétique.
"Je veux, artiste, dire le corps, dire « mon-corps ». Je veux faire une création de ce corps. Pourquoi ? Parce que tout n’a pas été dit, de « mon-corps ». Parce qu’il me faut donner, à ce corps, mon seul bien en vérité, la seule réalité avec laquelle je partage tout, un sens, une raison d’être. Parce qu’il s’agit bien, encore, que je me place sur la Terre, que j’y trouve ma juste position, celle qui rend la vie aimable car justifiée." Shusterman quant à lui se situe dans une position mélioriste, une position tenable dans la pratique (Shusterman est philosophe, mais aussi thérapeute du corps), mais pas dans l'art. L'art du corps n'a que faire de son amélioration.
Mais revenons encore, avant de ressortir sur la rue des Francs-Bourgeois en passant par la nouvelle librairie du CSS , à Elly Strick, à cet éblouissement discret d'identité, de transformation, d'intimité, de découverte qu'elle nous offre. Des images qui me restent, parce qu'elles me concernent. Parce qu'elles nous concernent : c'est de notre corps dont il s'agit. Et finalement, plutôt que de ressortir dans le Marais, ne devrions-nous pas plutôt dormir au CSS pour, comme aime le faire Jean-Christophe Amman, "se réveiller avec les oeuvres" ?
Publié le 6 juillet 2010 dans les Quotidiennes
mardi 6 juillet 2010
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