Ventes aux enchères à domicile :
une nouvelle économie qui se conjugue avec écologie
Dans son texte intitulé L’ordre des choses. Sur quelques traits de la culture matérielle bourgeoise parisienne, 1830-1914, Manuel Charpy nous dit avec finesse que « … les modes ne peuvent se renouveler qu’à la marge. Le déplacement crée la nouveauté. C’est donc chez les groupes sociaux à la fois marginaux et proches d’elle que la bourgeoisie va chercher ses modèles : étudiants, artistes bohèmes mais aussi demi-mondaines. Honnies et recherchées tout à la fois, pendant féminin des bohèmes, souvent artistes elles-mêmes – comédiennes ou chanteuses –, elles vivent au contact de la bourgeoisie tout en la méprisant. Dès les années 1840, on se presse à l’occasion de leurs ventes aux enchères à domicile, fréquentes du fait des revers de fortune. Ainsi, entre le 24 et le 27 février 1847, une foule de bourgeoises se rend au domicile de Mlle Duplessis, boulevard de la Madeleine. Me Ridel y propose ‘un riche et élégant mobilier, meubles en marqueterie, bois de rose, bois sculpté et palissandre, objets de curiosité, porcelaines de Sèvres et de Saxe, beaux bronzes, riches garnitures de cheminée, coffres et coffrets, objets de petit Dunkerque, tableaux, pastels et dessins, livres’ ainsi qu’une immense garde-robe, des bijoux et des pièces d’argenterie. »
Alexandre Dumas fils est là et fera de ce moment la scène d’ouverture de la Dame aux Camélias, non sans avoir pris le soin de changer la date et l’adresse. Visiteurs et visiteuses se pressent de bonne heure à la vente. Dumas explique cette curiosité : « s’il y a une chose que les femmes du monde désirent voir, et il y avait là des femmes du monde, c’est l’intérieur de ces femmes » - des femmes entretenues donc. « Du reste, poursuit Dumas, il y avait de quoi faire des emplettes. Le mobilier était superbe. Meubles de bois de rose et de Boule, vases de Sèvres et de Chine, statuettes de Saxe, satin, velours et dentelle, rien n’y manquait ».
Les ventes aux enchères à domicile, qui semblaient oubliées malgré leurs nombreux avantages – Simon de Pury souligne qu’il n’est pas de meilleure manière d’affirmer la qualité de la provenance de pièces mises à la vente que de les montrer dans leur contexte original lorsque celui-ci s’y prête - ne se sont en fait jamais arrêtées. Simon de Pury - même s’il n’a pas (encore) réalisé de vente à domicile chez Phillips de Pury - a d’ailleurs précédemment conduit de nombreuses enchères à domicile, la plupart d’entre elles sous le chapeau de Sotheby’s : du château de Regensburg au Palazzo Corsini à Florence, de Cologny pour la collection Jean-Pierre Marcie-Riviere à Aalholm au Danemark pour celle de la famille éponyme…
Mais la vente aux enchères à domicile revient sur le devant de la scène dans d’autres domaines que celui des objets d’art, d’antiquité et de luxe. Matthieu Semont, historien de l’art et commissaire-priseur français qui oeuvrera prochainement à Genève, a créé récemment sa propre maison de ventes, Philocale (du grec amour du beau). Il vend de tout : de l’art contemporain bien sûr, des mobiliers, mais aussi des bijoux, des vêtements et même d’étranges appareils tels des bras endoscopiques unitraction à trocart... Mais surtout, il vend à domicile. L’idée lui est venue suite à ses premières ventes judiciaires dans de nombreuses usines françaises en liquidation : on y vend bien sûr les machines industrielles par exemple, souvent immenses, sur place, afin de minimiser les coûts d’enlèvement. La première fois qu’il a vendu une succession dans la maison même de la personne décédée, c’était une innovation, mais désormais Me Semont procède ainsi de plus en plus souvent. Il s’agit en général de ventes après décès, lorsque les enfants ne souhaitent ou ne peuvent rien garder – il lui arrive souvent d’ailleurs que les héritiers lui donnent la clé de la maison, sans autre forme de procès, avec la demande de tout liquider – et c’est alors lui et son équipe qui trie débarrasse, ordonne, rend les papiers aux familles, de même que les diamants qu’il lui arrive de trouver entre des piles de vêtements ou dans la poche d’une robe d’intérieur pendue au grenier… Une façon de faire très efficace : les voisins viennent, c’est à côté de chez eux, ils ne sont pas intimidés, et achètent, dans une vraie atmosphère de yard sales d’outre Atlantique, le tableau au-dessus de la cheminée, le congélateur, la tondeuse à gazon, jusqu’au tas de bois de cheminée et d’autres objets qui eussent été invendables dans un espace de salle de vente. Une façon de faire très écologique aussi, donc : comme dit Matthieu Semont « on redonne vie à des choses qui autrement disparaissent ». Ou quand écologie et « recyclage » bien compris se conjuguent avec économie. Un modèle intéressant et à suivre, qui rencontre pourtant bien des résistances à Genève notamment, où ceux qui tels Gaudet-Blavignac se lancent dans les ventes « privées » se font critiquer vertement – mais à contre courant.
Publié dans l'AGEFI, le jeudi 16 décembre 2010
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