« Le seul luxe nécessaire est celui du temps de la réflexion. »
Laurent Geninasca
L’architecture émotionnelle, qu’est-ce que c’est ? Cela existe ? Ou plutôt, est-il une architecture qui ne soit pas émotionnelle ? En fait, en 1953 déjà, Mathias Goeritz écrivait un Manifeste pour une architecture émotionnelle, dans lequel il affirmait notamment : « J’ai travaillé en totale liberté pour réaliser une œuvre dont la fonction serait l’émotion : il s’agit de redonner à l’architecture son statut d’art ». Aujourd'hui, alors que les questionnements intenses de la société occidentale se focalisent autour de l'existence personnelle de chacun des humains, l'intérêt porté aux émotions revient en force. Le progrès de la société relève aussi de la prise en compte de l'ensemble de ces émotions, demeurées trop longtemps écartées des grandes décisions, notamment dans la construction de notre monde urbain. Et pourtant, l’architecture joue de fait un rôle clé dans le bien-être citoyen et dans la qualité des liens sociaux créés par les espaces urbains.
Forts de ce constat, nous avons créé l'Association suisse pour l'architecture émotionnelle et organisons le Premier Colloque international et interdisciplinaire d'Architecture émotionnelle, le 20, 21 et 22 janvier à Genève, à la Fondation Louis-Jeantet. Les partenaires scientifiques principaux de ce colloque sont le Centre Interfacultaire des Sciences Affectives de l’Université de Genève (et en particulier David Sander, Sophie Schwartz, co-auteurs du livre Au coeur des émotions à lire absolument) ainsi que Patrizia Lombardo et Carole Varone) et la Faculté d’Architecture La Cambre-Horta de l’Université Libre de Bruxelles. Au cours de ce colloque seront traitées les questions suivantes : quelle architecture ? quelles émotions ? pourquoi explorer et comment gérer les émotions générées par l’architecture – l’architecture comprise alors comme organisation de notre espace de vie ? peut-il y avoir une architecture qui ne soit pas émotionnelle ? la quête de l’émotion doit-elle oui ou non guider l’architecte au travail ? l’efficacité d’un bâtiment en termes d’accueil, de confort et d’agrément peut-il faire l’économie de la notion d’émotion ? mais d’autre part, trop d’émotion mise dans la conception architecturale ne nie-t-elle pas l’efficacité ? à l’heure de la métropolisation du monde, du fait d’une pression démographique exacerbée et de la persistance d’exodes profitant aux entités urbaines, l’architecture de nos villes doit-elle privilégier l’émotionnel ?
Certes, il ne sera pas apporté de réponse ferme à toutes ces questions – mais du moins celles-ci seront-elles soulevées par les plus grandes personnalités de l’architecture et du monde des émotions - mais aussi par des hommes et des femmes « bien de chez nous » : mentionnons notamment Brigitte Diserens-Jucker qui organisera dans ce contexte avec Jacques-Louis de Chambrier une visite de ce joyau local qu’est l’Immeuble Clarté du Corbusier ; Bénédicte Montant qui assure les liens avec l’Association genevois des Architectes et la FAI (Fédération des associations genevoises d’architectes et d’ingénieurs), mais aussi Laurent Geninasca ou encore Patrick Aebischer. Laurent Geninasca, architecte attentif à la dimension esthétique de ses propres constructions, nous renvoie d’ailleurs à cette question fondamentale : comment « faire beau » – générer des émotions esthétiques positives – sans moyens financiers ? Selon lui, le manque de moyens n’est jamais une excuse pour ne pas « faire beau » et, poursuit-lui, « le seul luxe nécessaire est celui du temps de la réflexion ». Ce luxe-là appartient à tous, il est affaire collective.
Patrick Aebischer, quant à lui, est à l’origine du Learning Center de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne – réalisation de l’agence japonaise SANAA, Pritzker Prize 2010 – et il aime « son » bâtiment : « Je l’aime pour ce qu’il suscite chez moi ou chez tous les gens qui le parcourent. C’est un bâtiment à vivre, à expérimenter. Le monde universitaire a besoin de la culture et de l’architecture. » À partir de cette première réalisation d’exception, Aebischer se propose maintenant de convaincre l’Europe entière que ses universités doivent devenir le modèle même de l’acquisition des savoirs de demain – un modèle qui se doit de reposer sur une architecture spécifique qui abat les murs et décloisonne cerveaux et cultures : « L’esthétique et la culture ont cette vocation de décloisonner, d’ouvrir l’esprit. C’est une éducation à l’altérité, à la différence. »
Save the Date : 20-22 janvier 2011
Premier Colloque international et multidisciplinaire d’Architecture émotionnelle, Genève
Avec le soutien de la République et Canton de Genève.
Entrée libre, inscription obligatoire.
Le colloque est ouvert à tous, architectes, constructeurs, spécialistes en sciences affectives (psychologie, littérature, neurosciences, ...) aux étudiants et aux doctorants intéressés à l'esthétique, à l'espace et à l’interdisciplinarité comme méthode de travail, ainsi que - et peut-être avant tout - aux utilisateurs de l’espace, c’est-à-dire de fait à tous les citoyens.
Libres livres
"Le Corbusier, la Planète comme Chantier"
Comment parler d’architecture en Suisse sans évoquer Charles-Edouard Jeanneret-Gris ? Le Corbusier donc. Jean-Louis Cohen, architecte et historien de l’architecture et de l'urbanisme contemporain, Professeur à l'université de Paris VIII et à New York University, l’un des éminents orateurs du Premier Colloque d’Architecture émotionnelle, a consacré plusieurs ouvrages au grand architecte, parmi lesquels Le Corbusier, la Planète comme Chantier. Oui, quoi de moins pour cet iconoclaste que le chantier planétaire ? « Iconoclaste, nous dit Jean-Louis Cohen, il l'a été parce qu'il a combattu le langage classique. Mais il a inventé un modèle toujours d'actualité, le grand intérieur blanc avec éclairage naturel par opposition à l'intérieur du XIXe siècle plein d'objets et baignant dans la pénombre » Cohen, spécialiste du Corbu, de ce « personnage mi-secret mi-tonitruant, premier expert volant de l'architecture », a aussi été conseiller scientifique de l'exposition « L'Aventure Le Corbusier » (Centre Georges Pompidou, 1987).
Ecoutons Cohen nous parler du « Corbu » : « Parcourant la planète pour donner des conférences ou suivre les chantiers de ses œuvres, il a traversé des paysages, des cultures, des sociétés, des systèmes de sociabilité, autant de stimuli à ses inventions formelles. Il a formé son répertoire visuel et affectif au contact des montagnes du Jura Suisse, des musées italiens, des campagnes bulgares, des monastères toscans ou grecs, des usines allemandes ou américaines, des campagnes indiennes et dans une longue fréquentation du Paris des monuments et des faubourgs. » Est-ce de là que lui est venue l’idée lumineuse de détruire le centre de Paris pour en faire une ville plus rationnelle et ordonnée, un grand parc désert en somme, avec toutes les habitations repoussées vers la périphérie ?
La Planète comme Chantier est émaillée de croquis de voyage, de photographies, de lettres du Corbu à ses amis, de maquettes de projets jamais réalisés qui nous livrent avec une intensité particulière « un être d'émotions et de passions, avec ses coups de génie, coups de tête, hésitations et contradictions. » Un être d’émotions ? Mais quelles émotions ? Nous voici revenus à la question de base…
"Au cœur des Emotions"
Au cœur des Emotions, de David Sander (professeur à la Section de psychologie et au Centre interfacultaire en sciences affectives et l’un des partenaires scientifiques principaux du colloque) et sa collègue Sophie Schwartz (maître d'enseignement et de recherche à la Faculté de médecine et au Centre de neurosciences) est, dit-on, un livre pour enfants. Mais devant les émotions, n’avons-nous pas tous dix ans ? Comme la petite Hannah du livre, qui, le jour de ses 10 ans, entame un voyage scientifique « au coeur des émotions »... Ce livre délicieux tente de répondre à toutes sortes de questions: Qu'est-ce qu'une émotion ? Comment les émotions s'expriment-elles ? A quoi servent-elles ? Comment les changer ? Parfait oui, pour les enfants comme pour les architectes, de sept à soixante dix-sept ans !
Publié dans l'Extension, novembre - décembre 2010
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