lundi 22 novembre 2010

Recomposition de la structure des entreprises familiales

Entreprise familiale : on imagine le père qui dirige, la mère qui fait la comptabilité, et les enfants qui rament à se faire une place – on imagine volontiers en Suisse des entreprises campagnardes ou de petits commerces urbains – on a tout faux, ou presque. L’entreprise familiale n’est pas forcément générationnelle – elle se crée aussi de manière horizontale dans les fratries – et ne répond pas à des règles fixes. Au contraire, selon Peter May, l’entreprise familiale sait les modifier, ces règles qui souvent gèlent tout un domaine de compétences et de développements possibles. La capacité à changer semble même essentielle alors que l’entrepreneur est défini comme celui qui sait reconnaître une opportunité sur le marché et qui accepte de réunir les ressources nécessaires – personnelles et financières - pour exploiter cette opportunité. Selon Davis and Tagiuri (1982), une entreprise familiale est une organisation au sein de laquelle au moins deux membres d’une même famille élargie influencent la direction entrepreneuriale par l’exercice de leurs liens de parenté, leur rôle managérial et/ou leurs droits d’actionnaires majoritaires ou prépondérants (traduction personnelle). En Suisse, plus de 80% des entreprises seraient familiales et deux tiers des Suisses travailleraient dans une entreprise familiale. Aux Etats Unis, 90% des entreprises sont familiales et contribuent entre 30 et 60% du PIB. La production annuelle de biens et de services par les entreprises familiales est énorme et l’entreprise familiale apparaît comme essentielle au marché des biens et de l’emploi en Suisse comme aux Etats-Unis.
Selon Edwin Neill, qui codirige – avec une femme – une entreprise familiale quasi séculaire à la Nouvelle Orléans, l’entreprise familiale, pour durer, doit être « fun ». « Il faut qu’il n’y ait rien de mieux, et que chacun sente qu’il a son mot à dire et le cas échéant sera écouté, non pas forcément pour lui-même, mais pour l’intérêt général de l’entreprise. » Neill affirme aussi qu’ « il ne faudrait pas être CEO d’une entreprise familiale après 60 ans. Cela tue la relève. Rester dans le business oui, mais pas dans la position dirigeante. »
La position de Neill nous ramène aux stéréotypes suisses – le pater familias patron d’entreprise ad aeternam – des stéréotypes qui restent malheureusement d’actualité, tant en ce qui concerne l’âge que le sexe. Plus de la moitié des patrons de PME familiales suisses sont âgés aujourd’hui de 51 à 60 ans. Une situation qui pose indubitablement le problème de la transmission : selon un rapport de Ernst et Young, deux tiers des successions échouent à la deuxième génération, à la troisième, il ne reste que 10% à 15% des entreprises familiales et 3% à 5% à la quatrième génération.» Et cherchez les femmes !

Il en va tout autrement aux Etats-Unis, notamment en ce qui concerne les femmes. Sharon Hadary, fondatrice du Center for Women's Business Research, s’émerveille de la croissance formidable des business créés et gérés par des femmes, une création qui ces dernières décennies s’est révélée deux fois plus rapide que la création de business par les hommes. Mais mêmes aux Etats Unis, il reste fort à faire pour les entreprises féminines qui restent encore de taille inférieure à celles créées et dirigées par des hommes, avec un chiffre d’affaire inférieur en moyenne de 27%. Hadary identifie quatre causes majeures à cette situation. Tout d’abord, les buts que l’on se fixe - qui sont systématiquement plus modestes dans les entreprises « femmes » -, les autres facteurs essentiels étant l’accès aux marchés, l’accès aux réseaux, et bien entendu, l’accès au capital. Bien entendu ? Pour que l’accès au capital se développe au plus vite, encore faut-il que les voies de cet accès soient déblayées. Le développement de l’accès au capital par les femmes, abordé par le microcrédit dans les pays du Sud, nécessite d’abord, en Europe et aux USA, l’intégration du concept de « matrimoine ». L’accès au capital de banques ou d’investisseurs passe aussi par l’accès au capital géré par la mère ou des modèles maternels. L’habitude de créer, de gérer, de changer, de toucher à l’argent... ne s’hérite pas mais se transmet. Le plus tôt sera le mieux !




Publié dans l'Agefi, le 22 novembre 2010

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