L’Europe est de retour en Suisse !
La Suisse s’est faite par une volonté d’union. Parce que l’union fait la force, et que cette union-là offrait plus de moyens de se protéger de « l’étranger du dehors », et donc plus de sécurité. La richesse comme la pauvreté de la Suisse prennent toutes deux racines dans cette même réalité : l’union contre l’agresseur potentiel. La richesse ? Nous serons tous d’accord pour constater que la prospérité suisse est un modèle rarement égalé. Mais alors, de quelle pauvreté parlons-nous ici ?
De la pauvreté de la pensée politique. S’unir « contre », ce n’est pas encore une pensée politique. A force de s’unir « contre », la Suisse se dessèche, s’isole, et s’appauvrit non seulement par la pensée, mais aussi par la matière. Il est temps de nous unir enfin, avec l’Europe, pour nos valeurs démocratiques, d’indépendance, de travail, de coopération. Il est temps de conjuguer la prospérité financière à celle de la pensée, pour la durabilité de l’une et de l’autre. Car à force de pragmatisme – la soi-disant stricte défense des intérêts suisses – nous finissons par perdre sur tous les tableaux. Comme le dit Michel Halpérin, Président du Parti libéral genevois, à propos des suites qui seront données à l’accord entre les Etats-Unis et l’UBS, notre pays qui a déjà perdu une guerre économique pourrait bien y laisser son honneur aussi. A force de soi-disant pragmatisme, même le pragmatisme finit par souffrir… et l’homme ne vit pas seulement de pragmatisme. Il vit de culture aussi, et avant tout. L’ignorance voire le déni de cette réalité par la majorité des politiciens suisses et une grande partie de sa population est finalement le seul vrai reproche que l’on puisse faire à notre cher pays. Mais il est de taille…
La Suisse, au cœur de l’Europe, baigne dans une culture européenne qu’elle ne veut pas s’approprier formellement. Et pourtant, concrètement, nos 26 cantons ressemblent fort aux 27 pays de l’Union ; le commerce de la Suisse est européen ; la paix suisse existe aujourd’hui grâce à la paix européenne, peut-être le plus remarquable résultat de l’Union européenne ; nos universités et notre recherche fonctionnent sur un mode européen et en collaboration avec l’Union ; il ne manque qu’un peu de vista - malheureusement troublée par un matérialisme qui se croit protectionniste – et une vraie pensée européenne. Mais c’est un peu comme si de penser était une maladie honteuse quoique non contagieuse… contre laquelle la Suisse se voit si démunie qu’elle n’a guère d’autre solution que l’exportation ou l’étouffement.
Mais heureusement, tout n’est pas perdu ! Le Club Helvétique a publié pour le 1er août dernier un nouveau manifeste pour l’adhésion à l’Union européenne. Certes il ne prononce le mot « culture » qu’en l’associant à la diversité, comme si en Suisse seule sa diversité permettait de donner droit de cité à la culture. D’autres n’hésitent pas à la citer constamment dans le contexte européen : Jean-Claude Trichet, par exemple, Président de la Banque Centrale européenne, parle quant à lui constamment culture et cite volontiers, entre autres, Edmund Husserl, spécialiste de logique et de l’Europe…, qui disait déjà, il y a presqu’un siècle, que notre continent ne saurait être une simple juxtaposition de nations différentes liées seulement par le commerce ou sur les champs de bataille, mais avant tout un nouvel esprit, un esprit de libre critique issu de la philosophie et des sciences… Mais le but de Trichet ne lui échappe pas et à nous non plus : s’il aime la poésie et la compare à un monument indestructible qui fonde l’Europe, c’est pour, in fine, la comparer à la monnaie et soutenir l’euro. La discrétion suisse sur le thème « culture » a donc aussi du bon…
Mais revenons au Club Helvétique et à son argumentaire : « Plus les relations avec l’UE se resserrent, plus les Suisses prennent leurs distances. L’inimitié envers un ami crispe notre pays. Une Union forte est bonne pour la Suisse. Une Suisse qui s’implique renforce l’Union. L’Union européenne assure la stabilité de notre continent. De toute son histoire, la Suisse n’a jamais eu de si bon voisinage : l’UE fait route en direction d’une Confédération européenne assumant la diversité de ses cultures. »
L’Union européenne est d’abord une idée. Une idée que nous nous faisons de nous-mêmes, de nos pays, de nos cultures, et de notre continent. Il en va des idées comme les unions : les plus belles se réalisent « pour » et non pas « contre ». « Nous, Suissesses et Suisses, Européennes et Européens, voulons apporter notre contribution à la construction de l’Union européenne. Notre nation de la volonté a sa place dans la grande Union créée par la volonté des Européens » nous dit encore le manifeste du Club helvétique.
Alors, en avant l’utopie helvético-européenne, encore une fois !
Libres livres
1989 (collectif, Eds. du Regard, 1995) ; 20 ans après la chute du Mur, l'Europe recomposée (Pierre Verluise, Ed. Choiseul 2009) ; et tant d’autres…
Nous fêterons cet automne l’anniversaire de la chute du Mur. 1989, une année clé pour l’Europe et pour nous tous, un symbole de la fin possible des divisions des peuples : le Mur, qui séparait l’Est de l’Ouest, est mis à bas dans la joie et dans l’exaltation. 1989, l’orée d’un nouveau monde ? Peut-être pas – mais d’une nouvelle Europe, certainement. Qui se crée dans une dialectique différentielle serrée, aussi bien géopolitique que culturelle.
1989, le livre : les auteurs du collectif se penchent sur ce moment de l’histoire humaine, à travers leur prisme tout à fait spécifique, celui de la culture et de sa diversité : des idées à la musique, de l’architecture à la poésie, des arts plastiques au cinéma. Une diversité qui apparaît plus que jamais fondamentale. « La culture, au vrai : cette manière particulière d’habiter le monde en fonction des représentations que l’on en forme, instamment portées à se tordre, à diverger… - une géopolitique de l’esprit, en somme. »
Et si pour cet anniversaire la Suisse abattait elle aussi son mur, entre elle-même et l’Europe – entre elle-même et elle-même, pourrait-on dire - ? Et si prise par le vertige de la diversité culturelle et de l’ouverture qu’elle suppose, elle s’inventait non seulement une nouvelle géopolitique de l’esprit, mais aussi une réalité partagée ? Ou faudra-t-il attendre, 2089 ?
L’un des effets symboliques passionnants de la chute du Mur : les modifications du rapport à l’ennemi. Pascal Bruckner écrit à ce moment-là, dans Vivre sans ennemi (Lettre internationale N° 23) « Longtemps, nous avons décliné le monde par deux, les maîtres contre les esclaves, les serfs contre les seigneurs, le socialisme contre le capitalisme. Or, nous risquons d’être bientôt orphelins de cette antithèse dont nous verrons qu’elle rendait beaucoup de services. » La Suisse pourrait, elle aussi, s’essayer à vivre sans ennemi – plutôt que de s’en créer constamment...
A lire aussi 20 ans après la chute du Mur, l'Europe recomposée, qui nous offre des pistes pour comprendre les enjeux et les perspectives de l'Europe du XXIe siècle et imaginer librement quelle pourrait être la place de la Suisse dans cette Europe de demain. L’Europe, mode d’emploi
Publié dans l'Extension, septembre 2009
mardi 1 septembre 2009
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire