Avec la crise, le stress. Le stress au travail, ou le stress sans travail, on ne sait plus très bien lequel est le plus stressant, mais c’est tenu pour acquis : le stress est partout et fait beaucoup de tort, à celui qui en souffre et à la société tout entière. Cela coûte très cher, paraît-il, le stress, en termes de santé publique comme en termes d’économie entrepreneuriale. C’est prouvé, nous dit-on. Comme il est prouvé, n’est-ce pas, que les images de corps parfaits dont la publicité nous abreuve sont psychotoxiques. Juste un petit hic que soulevait à Paris le psychiatre Christophe André lors de la conférence organisée le 22 octobre par LVMH sur Cosmétiques et Emotions : on n’a jamais fait d’études sur les effets psychiques positifs de ce type de publicité. De même, j’ai beau chercher, je ne trouve pas d’études concernant les effets positifs du stress au travail sur les performances des collaborateurs, sur le succès de l’entreprise, ni sur la salutogenèse. Et pourtant.
Le concept de stress a été défini par le Hongrois Hans Selye en 1937. D’emblée, Selye a insisté sur le fait que le stress est indissociable de la vie. Pourquoi ? Parce que le stress, fondamentalement, correspond à une menace : menace sur l’intégrité cellulaire, organique, psychique. La menace est bien la meilleure définition de ce que « ressent » le stressé, qu’il soit un humain ou une cellule. La vie n’existe pas sans stress, sans menace sur la survie, ni sans capacité de répondre au stress, de se défendre, de s’adapter, de résister. Le stress, fondateur des cycles mêmes de la vie : la vie, la menace, l'adaptation, la survie... Adaptation physiologique : le stress induit une activation du système sympathique, une accélération du rythme cardiaque et un accroissement de la force musculaire, tous phénomènes très utiles quand le « stresseur » est un lion par exemple que vous découvrez en ouvrant inocemment la porte de votre caverne, et que tout ce qu’il vous reste à faire est de courir très très vite… Adaptation psychologique aussi : le stress induit ainsi une stimulation de la mémoire et des fonctions cognitives, état « d’alerte » objectivable à l’électroencéphalogramme, très utiles quant à eux quand le stresseur est un examen oral… Que feraient les étudiants, les acteurs, les musiciens, les performeurs, sans ce stress qui augmente leurs capacités cognitives et leur permet de se souvenir très précisément de ce qu’ils sont supposés dire et faire ? L’adaptation au stress, nécessité absolue, s’avère au total extraordinairement riche, créative, constructive, positive : que serait l’homme sans sa formidbale capacité d’adaptation !
Alors bien sûr il y a l'eustress, le bon stress, et le distress, le mauvais stress (la détresse). Un peu, beaucoup, passionnément de stress, c'est bien: les réponses biologiques et physiologiques qu'il engendre sont moteurs d'adaptation et de survie. Trop de stress en revanche peut mener à l'épuisement des ressources : le « burnout ». Mais il serait bon de reconnaître qu’avant le burnout, il est une longue période pendant laquelle le stress est extraordinairement positif dans la mesure où l'organisme qui y est soumis est capable de s'adapter et que les limites entre le eustress et le distress sont largement au-delà de ce que l’on croit généralement. Le stress induit une résistance progressive aux stress subséquents, affecte positivement tant le développement de l'autonomie, dès l'enfance et jusqu’au plus grand âge. Le stress est même garant d'un vieillissement en santé : les Japonais conçoivent que si la durée de vie s'allonge, c'est que le stress environnemental augmente et que ce stress maintient les capacités de l'organisme à se défendre. Mais qu'est-ce qui détermine cette résistance au stress, cette formidable et trop souvent insoupçonnée capacité d'adaptation et de survie ?
Boris Cyrulnik dirait que c’est la «résilience», un mot et un concept venus de la physique, qui désigne l'aptitude des corps à résister à un choc. La résilience définit les processus de réparation, elle souligne l'aspect adaptatif et évolutif de l'être. En sciences sociales, il s'agit de la capacité à vivre et à se développer positivement, en dépit du stress ou grâce à lui. Cette capacité s'élabore dans la rencontre de l'autre et dans l'exercice du stress. Ce «tricot» des défenses entre milieu intérieur et monde extérieur, comme le dit Cyrulnik, est comme un cadeau du ciel, une chance, un équilibre entre l'ombre et la lumière – car « la résilience, c'est plus que résister, c'est aussi apprendre à vivre ». Pour Cyrulnik, la résilience est indissociable de l'oxymoron, cette figure de rhétorique qui associe deux termes antinomiques tels « un merveilleux malheur ». Ainsi le stress : « un merveilleux malheur. » Et Selye de conclure, « I cannot and should not be cured of my stress but merely taught to enjoy it. »
Alors, entreprises stressées, réjouissez-vous and enjoy !
Publié le 30 septembre 2009 dans l'AGEFI.
mercredi 30 septembre 2009
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