jeudi 17 septembre 2009

J’ai la grippe !

Evidemment, j’ai attrapé la grippe. J’attrape toutes les grippes. J’ai de l’asthme alors mes bronches sont un terrain de jeu parfait pour tous les virus possibles et imaginables… H1N1 peut-être (je préfère l’appeler H1N1 que porcin tout de même, cela ne me plaît pas trop, cette idée d’un virus de porc dans mes voies respiratoires…) ? Vais-je aller voir mon médecin ou un service d’urgence pour faire une prise de sang ? Combien ça coûte, et combien de temps ça prend ? Vais-je annuler toutes mes réunions et rester au lit ? Ah non, pas aujourd’hui, j’ai un rendez-vous décisif pour mon entreprise… Vais-je mettre un masque pour me donner l’air important ? Cela me mettrait dans une position de faiblesse pour ma négociation… Alors, que faire ? Peut-être je pourrais juste faire comme pour toutes les innombrables grippes que j’ai eues jusqu’à présent : ce que l’on m’a appris comme gamine en somme : ne pas embrasser pendant deux jours, mettre la main devant la bouche quand je tousse, me laver les mains…

Non mais attendez, quand même, il paraît qu’elle tue cette grippe là ! Faisons vite quelques recherches de plus.

Aucun mort à l’horizon qui réponde à mon profil. Je ne vis pas dans un pays pauvre, je ne suis pas particulièrement défavorisée, à part mon asthme je ne suis pas « à risque ». Je ne devrais donc pas mourir… En plus, il y a du Tamiflu dans l’armoire de la salle de bains, des kilos de masques gratuits (gratuits à la distribution mais pas à l’achat donc) dans mon entreprise et bientôt le fameux vaccin… Sanofi ou Novartis ?

En fait, tout ça, c’est une histoire de psychologie d’une part et de spéculation de l’autre.

La psychologie d’abord. Alors que la crise économique fait rage mais que nous voudrions tous qu’elle prenne le large, rien de mieux que de déplacer l’angoisse de la crise financière vers la crise grippale. Nombreux avantages : premièrement, le virus est un ennemi non humain. C’est une fatalité, personne n’est responsable. On arrête enfin de critiquer le voisin, le banquier, l’état, le libéralisme, les Etats-Unis. Même le Conseiller fédéral Merz est innocenté. Le porc devient l’ennemi de choix. Et puis, on peut allégrement imputer au virus ou au risque qu’il représente toutes les failles du système de production et de consommation et toutes les faillites entrepreneuriales. La peur fait tache d’encre. Psychologie ou psychose collective ?

La spéculation ensuite. En fait, cette grippe est une manne pour l’industrie pharmaceutique, les savons désinfectants, les producteurs de masques, la presse tous azimuts. Et pour le système de santé en général : rien de mieux que d’annoncer avec tambours et trompettes les risques de pandémie, les risques vitaux, les risques globaux, pour montrer in fine que le risque a été surmonté. Magnifique victoire ! Sauf que le risque, en fait, était minime. Qu’à cela ne tienne : il suffit d’anticiper, de magnifier, d’amplifier, d’agiter les épouvantails de la peur : quel succès alors quand rien de grave ne se produit en fait. Merveilleux système de la santé, qui a su prévenir à temps que qui que ce soit ne meure encore en Suisse… ou merveilleux système de santé, qui sait sortir de la crise en transformant une grippe en menace universelle.

Système de santé ou santé du système ? Pour Sanofi, la santé du système de fait pas de doute. Wayne Pisano, Président-directeur Général de Sanofi Pasteur vient de déclarer que Sanofi Pasteur et l'Institut Butantan se sont liés par un contrat garantissent d'apporter une réponse spécifique aux besoins de santé publique dans le contexte de pandémie de grippe au Brésil, ceci grâce au « partenariat riche en succès » de longue date qui les lie. Le même groupe vient de recevoir du gouvernement américain une première commande de vaccins contre le nouveau virus H1N1 - une commande dont le montant s'élève à 135,7 millions d'euros. Pour Novartis en revanche, on nous dit plus prudemment qu’il faudra attendre fin 2009 ou début 2010 pour évaluer l’importance des effets (sans aucun doute positifs) de la grippe A (H1N1) sur les comptes, et ceci quand bien même Novartis aurait d’ores et déjà signé cet été deux contrats avec le gouvernement américain, pour un montant de 979 millions de dollars.

L’effet de la grippe dans les comptes de l’industrie pharmaceutique ? Si c’est bien là le souci principal, on peut prévoir que tout ira bien. L’affaire est entendue. Un peu d’aspirine, et hop je vais travailler. Mon entreprise elle aussi, doit sortir de la crise.

Paru le 17 septembre 2009 dans l'AGEFI

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