Snuff : vulgairement, crever. Les snuff movies, des films qui montrent l’horreur, pour le plaisir de celui qui regarde et le gain de celui qui produit. La mort, essentielle, doit être présentée comme étant réelle, et visible dans son déroulement. Donc, filmée. On doit voir le mourant sur le point de mourir, en train de mourir, et non la mort ayant déjà réalisé son œuvre. Le mouvement et la durée font spectacle. « Mythe ou réalité, les snuff movies renouent avec une pratique abandonnée depuis quelques siècles : l’immolation ou le massacre organisés à des fins de spectacle. Qui dit spectacle dit plaisir » (Gérard Lenne, La mort à voir, Editions du Cerf, 1977). Des snuff, on ne sait aujourd’hui encore s’ils sont mythes ou réalité. Dans le premier cas, ils sont inlaw. Dans le segond, outlaw.
Parmi d’autres, la journaliste française Sarah Finger a enquêté pendant deux ans sur le phénomène des snuff, sans oublier ni InterPol ni le FBI. Dans La Mort en direct. Snuff moovies (Cherche Midi, 2001), Finger explique pourquoi elle met en doute l'existence même de ces films qu’elle étiquette comme légendes urbaines et rumeurs virtuelles : l’absence d’évidence criminelle. Mais ni Finger ni personne ne nous interdit de croire en la réalité du snuff… alors, le plaisir de voir mourir, inlaw ou outlaw ?
Inlaw dans la mise en scène explicite : les jeux du Grand Guignol, les films d’horreur et leurs festivals, les films qui reprennent le phénomène snuff mais sont de vrais films. Le documentaire, toujours « moral », générant si peu de plaisir que la question ne semble même pas se poser. Inlaw encore. Le snuff qui serait « vrai » : évidemment outlaw. Mais le snuff tel qu’il est « réellement » bénéficie du doute, de cette « incertitude fondatrice », selon les termes explicites de Paul Ardenne (Extrême, Esthétiques de la limite dépassée, Flammarion 2006), cette incertitude qui laisse le spectateur jouir de la contemplation de la souffrance et de la mort. Un plaisir qui ne serait pas le même si le soupçon de réalité n’existait pas. Le frisson domestiqué ne satisfait pas le voyeurisme.
Le snuff donc ? Ni tout à fait inlaw ni tout à fait outlaw. L’horreur délicieuse, entre fantasme, fiction et réalité. Comme le sont si souvent les images et les mots, à la limite entre réalité et fiction - une limite floutée -, racontant la réalité, l’inventant, donnant forme à la fiction, tirant la fiction vers la réalité et vice versa.
Le snuff, encore, associé à des figures ambiguës du Bien, le « bien » chrétien par excellence ? L’artiste britannique Mat Collishaw n’hésite pas à faire le lien, lui qui, pendant sa petite enfance, se vit exposé – ses yeux, sa rétine, son cerveau : exposés – à cette unique image : le Christ crucifié. Les représentations du « bien » ne deviendraient-elles donc séduisantes que quand elles sont associées à la souffrance, au masochisme du sujet, au sadisme du regard ? Mat Collishaw en tous cas ne se lasse pas d’explorer l’appétit compulsif des humains pour la corruption et « the Master of Illusion », comme on le surnomme, n’aurait su ignorer les snuff. En s’inspirant d’images de groupes s’activant à dégrader le corps d’une victime qui lutte pour sa survie, Collishaw découpe, recolle, inscrit un crucifix, le décore de fleurs, découpe encore, arrange les corps, luttant, comme la victime du snuff, pour sa propre survie - sa survie d’artiste en l’occurrence, qui dépend, elle, du plaisir qu’il saura, ou non, apporter à nos yeux. Quand la forme prend le pas sur la dégradation. Mat Collishaw se positionne dans la joie nietzschéenne de la reconnaissance du monde dans sa réalité la plus crue et l’affirmation de la vie dans sa pleine richesse, sans rien en exclure, fût-ce la mort et son obscène contemplation. Mat Collishaw : Inlaw. Avec la beauté en partage.
Quant à moi, je n’ai jamais regardé un snuff. Et l’ignorance alors : inlaw ou outlaw ?
mardi 1 septembre 2009
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