vendredi 2 novembre 2007

Les Quotidiennes: portrait d'homme

Les Quotidiennes m'ont demandé une série de huit portraits d'hommes que j'aime...

24 septembre 2007: Pascal Bruckner aime la Suisse

« Faire l’amour et travailler jusqu’au dernier jour »
Picasso


Pascal Bruckner, le plus glamour, drôle et gentil des intellectuels français – un intellectuel « dégagé » - a vécu, enfant, quelques années en Suisse - et l’amour de notre pays, la fascination pour sa beauté, ses montagnes et ses montres sont restés très vivaces. L’arrivée à Paris est un éblouissement qui se concrétisera très vite en un premier succès retentissant avec la publication, avec Alain Finkielkraut, du Nouveau Désordre amoureux – un succès suivi de quelques années difficiles, avant la reconnaissance internationale actuelle. Mais aujourd’hui, à Genève, quand on a besoin d’un intellectuel, d’un débataire, d’une référence, de glamour - un nom, toujours le même : Bruckner. Bruckner qui m’a fait l’amitié de rédiger la quatrième de couverture de mon dernier livre, Handicap entre différence et ressemblance, dans laquelle il parle de « la richesse inépuisable de l’altérité ». Pour Pascal Bruckner, l’autre c’est notamment la femme. Inépuisable.


Pascal, tout d’abord, à quel groupe te sens-tu appartenir ?
Aux bobos du centre ville, éventuellement une partie de l’intelligentsia parisienne.

Tes trucs pour réussir ?
Dormir le plus possible, faire ce qui me plaît, me préserver des importuns. Et bien sûr, travailler…

Tes rencontres déterminantes ?
Les femmes d’abord, les rencontres amoureuses, le grand choc existentiel. A l’âge de 16 ans, je me suis trouvé dans un dortoir de filles à la Clusaz, on a passé la nuit à se caresser avec ma petite amie, dans le silence attentif des autres filles, moi seul au milieu de ce gynécée… ce fut une découverte assez bouleversante. Je suis sorti à 5h du matin par la fenêtre avec l’intuition d’une différence absolument fondamentale entre jouissance féminine et la jouissance masculine, fondatrice des différences entre hommes et femmes, une intuition qui a pris le caractère d’une obsession.

Et Alain Finkielkraut, avec lequel j’ai vécu à la post adolescence une vraie fusion intellectuelle qui a duré pendant 15 ans.

L’une de tes plus grandes fiertés ?
Ma fille. Elle est belle, intelligente et drôle et elle m’enchante en permanence. C’est une fierté un peu puérile et narcissique, mais elle n’est pas négligeable… En tant que femme je lui donne les armes pour se défendre dans se monde, je lui apprends à grandir et à se protéger, car le corps féminin, à tout âge, est beaucoup plus exposé à la violence que le corps masculin, c’est une vraie découverte. Quand on est une petite fille, le problème de la sécurité est prépondérant !

Et la dernière action dont tu es fier ?
J’ai sauvé une petite souris de l’écrasement. Tout le monde voulait la tuer, on l’a sortie de l’appartement avec ma fille et j’a été très fier de la sauver de la fureur des humains - évidemment j’aurais bien voulu être un vrai héros, mais l’opportunité ne s’est pas présentée…

Une nécessité ?
Travailler et écrire tous les jours, passer un certain nombre d’heures à lire à écrire à travailler - travailler consistant à lire et à écrire - sinon je deviens fou je coule comme c’est une passion je ne peux pas m’en passer – et éviter tout ce qui est administratif perte de temps et dispersion.

Ta valeur prépondérante ?
Profiter de la vie jusqu’au dernier jour, ne renoncer à rien, surtout pas aux rêves de l’enfance - éviter toute « sagesse de l’âge » qui me paraît un autre nom du renoncement dont je ne veux à aucun prix.

Ta recommandation pour tous ?
Ne vous résignez pas à votre sort, osez toujours, et ne mettez pas tous vos œufs dans le même panier.

Et un mot pour les femmes ?
Bienvenue !


http://www.lexpress.fr/mag/arts/dossier/proust/dossier.asp?ida=333306




24 septembre 07: Philippe Nantermod, jeune il est vrai… mais

« Le monde a fait de moi une pute et je ferai du monde un bordel »
La visite de la vielle dame, Dürenmatt

J’ai connu Philippe quand il avait tout juste 17 ans. Il était écolier et chef d’entreprise. Il a participé à un forum de start-up’eurs que j’avais organisé, le 19 septembre 2001. Le prix du meilleur participant : un voyage au Swiss House à Boston. Ils avaient tous été excellents, je ne savais à qui donner le prix. Alors j’ai demandé : qui aimerait aller à Boston ? Et ils ont été seulement deux à lever la main, Philippe et Pascal Perez, 17 ans lui aussi. Ils sont partis tous les deux… et je me suis dit, pour gagner, vraiment, il faut d’abord le vouloir et ensuite oser le dire… et depuis, Philippe de m’a jamais déçue. Il s’occupe de mes ordinateurs – c’est-à-dire de moi - la nuit et le week-end, entre deux meetings politiques, trois examens, quatre copines, cinq voyages, six clients et quelques rêves… le bordel, en somme.

Philippe, tout d’abord, à quel groupe te sens-tu appartenir ?
J’appartiens au groupe des jeunes radicaux-libéraux, auquel j’ai adhéré il y a 6 ans et que j’ai pu en partie façonner. C’est avec ce groupe que je peux m’épanouir dans ce que j’aime, à savoir la contestation politique – changer les choses à l’intérieur de règles strictes…

Tes trucs pour réussir ?
La passion d’abord, surtout dans un monde comme la politique, les choses prennent du temps, sont couronnées de succès de manière très aléatoire, il faut une tête de mule, et plus encore que de la patience, une vraie passion.

Et puis l’apprentissage – tous les apprentissages - il faut être malléable - cela ne veut pas dire être une girouette - mais savoir se remettre continuellement en question, en jeu face à l’autre, se rendre compte qu’on peut avoir tort. Le meilleure apprentissage: celui des échecs personnels…

Et enfin, la famille : la mienne, d’un côté, me remet constamment les pieds sur terre – et de l’autre, elle me perd la tête dans les nuages - les nuages de la vie et de l’amour.

Tes rencontres déterminantes ?
La première, c’est Jean Christophe Conticello, membre du team directeur de Oven Digital. En 1999, j’avais 15 ans, j’avais pu accéder à la partie conférence de la grande messe Telecom, j’étais assis à côté de lui, on a bavardé et hop, je l’ai suivi, je suis parti trois mois à New York - un petit changement de mon village de 600 habitants – plouf dans le bain de l’informatique, toute ma vie à ce moment là… mais surtout, plouf dans cette fantastique dimension humaine et sociétale de la grande ville la plus passionnante du monde, une dimension qui manque dans l’informatique…

La deuxième, virtuelle d’abord - par le biais des media – un vrai déclic - Pascal Couchepin, personnage assez particulier que depuis j’ai rencontré souvent en vrai et qui m’a par son franc parler m’a fait apprécier la politique.

L’une de tes plus grandes fiertés ?
L’initiative sur le droit de recours. Un projet lancé en 2003, que j’ai défendu devant mon parti, j’avais 19 ans, cela a pris beaucoup de temps - je ne suis qu’un des auteurs bien sûr – mais c’est tout de même la seule initiative radicale qui ait jamais abouti sur le plan fédéral ! Et en 2009 toute la population suisse va devoir voter sur ce texte: preuve que même à 19 ans tout est possible-

Et la dernière action dont tu es fier ?
Cet été, j’ai emmené mes deux petits frères en voyage, l’occasion de passer du temps avec eux, juste nous trois, de resserrer les liens entre nous, on avait grandi tout de même depuis les dernières vacances ensemble…

Une nécessité ?
Parler à mon père, au moins deux minutes, tous les jours. J’ai vécu longtemps seul avec lui, nous sommes restés très proches et je reste extrêmement sensible à ses critiques mêmes mineures !

Ta valeur prépondérante ?
Ma liberté.

Ta recommandation pour tous ?
« Tous », ce sera les moins de 20 ans, je me vois mal faire des recommandations à mes aînés… Avant tout, crochez aux études. Ne lâchez jamais prise même dans les passages à vide… Et puis, réaliser que sans chaînes, il n’y a rien à briser : j’ai toujours aimé les règles, pour les contourner quand j’étais ado – pour les changer désormais.

Et un mot pour les femmes ?
Je les voudrais devant, des leaders, et pouvoir les suivre – sans attendre.

www.nantermod.com




1er Octobre 2007: Cent dîners avec Frédéric Chaubin

« The first day of the rest of your life »
Jean Baudrillard


Frédéric Chaubin est rédacteur en chef de Citizen K, magazine glamour français, support haut de gamme incontesté de la pensée et de l’image, qui appartient désormais à Edipresse. L’image ? Notamment celle de l’architecture soviétique des années 1980 que Chaubin, qui est aussi photographe de génie, documente de manière inédite et presque compulsive sous le titre de CCCP, Cosmic Communist Constructions Photographed. Vous retrouverez avec CCCP, publié à plusieurs reprises dans Citizen K et exposé à Paris, Tokyo, New York et en Lituanie, un monde déjà oublié auquel Frédéric redonne vie et passion…

Frédéric est aussi mon meilleur ami depuis plus de dix ans, nous avons dîné ensemble à Paris plus de cent fois… et à chaque fois, il me parle de son dernier voyage à l’est, de sa dernière blonde de l’est, de ses dernières lectures et de ses dernières trouvailles… Et moi j’écoute et je prends des notes, car il sera un personnage clé d’un de mes prochains romans !


Frédéric, tout d’abord, à quel groupe te sens-tu appartenir ?
La vie est une aventure individuelle. Je n’appartiens à aucun groupe. Je n’aime pas les chapelles. J’ai une énorme tendresse pour les modestes, les idiots et les enfants à lunettes – même si cela ressemble à une posture de dire cela.

Tes trucs pour réussir ?
Je ne suis pas carriériste. Je n’ai jamais prémédité quoi que ce soit, je suis incapable de définir et de suivre un plan de carrière. C’est certainement le secret d’une liberté d’action et de manœuvre qui me permettent de me singulariser. Et puis, je suis un dilettante… j’ai l’intelligence du texte aussi bien que celle de l’image, alors que le secret de l’époque, c’est précisément le décloisonnement. Et finalement – ou plutôt d’abord – mon éducation : en fait j’ai été à la fois bien et mal élevé - mal élevé parce que l’on ne m’a jamais appris l’importance de l’argent – et très bien élevé dans la mesure où l’on m’a appris à considérer le monde de la manière la plus passionnée et respectueuse qui soit.

Tes rencontres déterminantes ?
La première rencontre c’est celle du père, la seule personne qui m’ait jamais aimé de manière inconditionnelle - or l’amour est fondateur… Ce père était dans l’extrême à tout point de vue, d’une humanité vertigineuse. Un grand chirurgien, un virtuose de l’esprit et du geste, à la fois dans la démesure la plus absolue et dans une maîtrise de soi extrême, une complexité paradoxale qui m’a constitué. Il est mort en me laissant la prunelle de ses yeux: une bibliothèque de 5000 livres. Mon seul malheur c’est son absence – mais il a fallu qu’il disparaisse pour que je me mette à exister.

Et puis, Jean Baudrillard. Gourou de mon adolescence, le seul qui ait offert un décryptage lumineux du modernisme finissant. Je l’ai rencontré par le biais du magazine. N’ayant jamais su être ponctuel, je suis arrivé chez lui avec une demi-heure de retard… et me suis trouvé face à un homme d’une liberté d’esprit absolue, avec quelque chose de très oriental dans l’attitude et la pensée, une extrême sympathie adossée à une distance totale – et ce monumental personnage avait la voix de Pierre Perret !

L’une de tes plus grandes fiertés ?
D’avoir réécrit pour Citizen K l’un des textes de Baudrillard et d’avoir obtenu son aval pour publication.

Et la dernière action dont tu es fier ?
J’ai rendu un service à un ami d’enfance qui m’a maintenu autrefois à bout de bras. Il avait besoin dans l’heure d’une importante somme d’argent. La spontanéité avec laquelle je l’ai tiré d’affaire m’a moi-même surpris. Je suis fier d’avoir concrétisé ce lien… le monde manque de liens…

Une nécessité ?
L’ordre et la propreté. Je suis un maniaque intégral. A ma manière, je suis plus Suisse qu’un Suisse !

Ta valeur prépondérante ?
La liberté reste la valeur absolue, unique.

Ta recommandation pour tous ?
La seule chose qui paie de façon imparable et objective, c’est la prise de risque et l’action continuelles, le fait de mettre un pied devant l’autre.
Pour moi à priori plutôt contemplatif, le monde a commencé à bouger le jour où je m’y suis attaqué…

Et un mot pour les femmes ?
Un peu moins de violence, s’il vous plaît.


http://www.french-wave.com/art/cosmic_communism.html



9 Octobre 2007: Kris Van Assche, le nuage en pantalon


« Avoir une idée, c’est une fête »
Gilles Deleuze


Entre mes mains, une invitation à un défilé. Kris Van Assche. A part Hussein Chalayan, je ne vais pas souvent aux défilés, mais Kris Van Assche, cela chantait du nord, cela faisait rêver, le carton était beau et j’étais à Paris ce jour là… Emerveillement absolu. Pure poésie. L’élégance comme en rêve, entre modernité et nostalgie. Je venais de publier mon livre sur la Beauté des Hommes et je préparais une exposition sur le même thème : Handsome. Après le défilé, je suis allée féliciter Kris, et je l’ai invité à participer à Handsome. Il a tout de suite accepté et préparé un travail magnifique. Déclaration d’admiration : il est l’un des hommes les plus concentrés que je connaisse. Et son dernier défilé m’aura inspiré le thème d’une prochaine exposition, Working men, en mars 2008, dont Paul Ardenne sera commissaire. Cela lui va bien, à Kris, qui est désormais aussi responsable de la mode homme chez Dior : working man.


Kris, tout d’abord, à quel groupe te sens-tu appartenir ?
Je reviens de vacances… et sur la plage, je voyais comment tout ce beau monde essayait désespérément de faire partie d’un groupe, les sorteurs, les consommateurs en tout genre, les tatoués, les gays… aucun à qui m’identifier vraiment. J’aimerais penser que je fais partie d’une génération créative – mais d’aucun groupe ni mouvement, et paradoxalement, certainement pas du monde de la mode.

Tes trucs pour réussir ?
Le travail. Mon travail est ma liberté. Et puis, une évidence : je n’ai jamais eu l’impression d’avoir le choix, je ne voyais pas ce que je pouvais faire d’autre que de réussir. A l’arrivée, à l’Académie (la Royal Académie
d’Anvers), nous étions 150 – au final sept – il était évident qu’il fallait faire partie de ces sept-là. Et puis, le succès, c’est toujours le prochain défilé, jamais le précédent… La réussite est constamment repoussée et c’est ce qui nous fait avancer.

Mais avant même le travail, pour réussir en tant que créatif, il faut avoir l’idée… tu peux avoir une équipe de 100 personnes mais si l’idée n’est pas là personne ne bouge. Personne ne sait exactement comment elles viennent, les idées… Je collectionne le plus d’images possibles, je les colle contre le mur, elles commencent à vivre entre elles, les liens se créent, il faut être très réceptif, très concentré… la concentration, elle m’accompagne toute la journée, c’est très naturel - le vrai effort, c’est de me déconnecter !

Tes rencontres déterminantes ?
Ma grand mère d’abord : une vraie esthète. Elle m’a appris la différence entre manger et dîner à une jolie table, entre mettre des vêtements et se faire beau. Pour elle, l’effort supplémentaire de répondre constamment à l’exigence esthétique était indispensable, et c’est devenu l’histoire de ma vie : je ne suis que dans l’effort supplémentaire.

L’autre rencontre déterminante, c’est celle de l’Académie. Pas un professeur en particulier, mais l’Académie dans son ensemble. J’avais 18 ans et c’était la première fois que j’étais bien, c’est comme si finalement j’étais arrivé au bon endroit…

L’une de tes plus grandes fiertés ?
De ne jamais avoir renoncé à mon rêve, et de ne pas avoir « pété les câbles ». Toutes ces années de pétage plausible tout de même, dans mon village, les premières années à Paris dans une chambre de cafard, les premières années d’assistanat dans la cage dorée de Dior…

Et la dernière action dont tu es fier ?
D’avoir invité, cet été, mes parents et mes amis dans une maison de vacances, d’avoir mélangé famille et amis pendant une semaine …

Une nécessité ?
D’être fier de soi

Ta valeur prépondérante ?
La même que ma nécessité : être fier de moi à la fin de la journée. Pour cela, il faut faire toujours le choix du cœur, qu’il s’agisse de politique, d’argent, de vie sociale… le choix du cœur. La liberté absolue, c’est de pouvoir faire ce genre de choix.

Ta recommandation pour tous ?
Identifier son propre rêve et savoir que rien n’est impossible. Une fois identifié ce qu’on veut faire, il faut juste le faire… Ma mère me disait, « ça va être tellement dur, comment tu vas faire » - mais en fait, c’est ne pas faire ce dont on rêve qui est dur.

Et un mot pour les femmes ?
Les habiller représente pour moi un défi particulièrement intéressant - celles qui m'intéressent sont les femmes de 40 ans plus que celles de 14 ans, de vraies femmes, avec leurs formes de femmes, et inspiratrices de liberté.


www.krisvanassche.com


13 Octobre 2007:
Samuel Schmid, l'homme derrière le conseiller fédéral

«La richesse suprême, pour un être humain, et la clé de son bonheur, a toujours été l’accord avec soi-même »
Jean Claude Michéa



Samuel Schmid est Conseiller fédéral UDC chargé du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports, il sera réélu cet automne et changera probablement de département. Il n’est peut-être pas le chouchou des médias, et pourtant… savez-vous que cet homme, quand il travaillait, au Conseil des Etats, sur notre nouvelle constitution, était allé consulter Jeanne Hersch à Genève, convaincu que la philosophie doit être à la base même de la pensée et de l’action politiques? Elle n’était pas vraiment de droite, mais Samuel Schmid a l’intelligence de privilégier l'intérêt intellectuel et philosophique aux intérêts partisans. Savez-vous qu’il reçoit – et écoute – les meilleurs connaisseurs de l’islam, avant de se prononcer sur les questions musulmanes? Savez-vous que celui qui se plaît à dire que l’Etat n’embrasse pas est quelqu’un de très attentif aux autres, qu’il aimerait rencontrer Pascal Bruckner et qu’il est plein d’humour ?

Samuel, tout d’abord, à quel groupe te sens-tu appartenir?

Au groupe des citoyens. Je viens de la classe moyenne. Je peux parler avec (presque) tout le monde.

Tes trucs pour réussir ?
Il faut d’abord définir le but, puis suivre les processus de près, et parfois faire confiance au hasard... Personnellement, je pratique l’analyse permanente, la fidélité aux principes et la tactique qui veut qu’on peut gagner en perdant. Ce n’est pas toujours une catastrophe si l’on perd… ce n’est pas forcément parce qu’il y a erreur, simplement ce n’était pas (encore) le moment… En politique, il faut savoir laisser mûrir les fruits: les succès qui prennent du temps sont en général plus durables que les succès vite acquis.

Tes rencontres déterminantes?
La plus décisive, celle avec mon père mort. J’avais 14 ans, sa dépouille était chez nous à la maison, c’était la tradition à l'époque, et pendant une heure je me suis trouvé seul avec lui, dans cette chambre, une rencontre fondamentale, avec la vie, avec la mort – avec sa mort, avec ma vie.

Et puis, la rencontre avec ma femme. Nous sommes mariés depuis plus de 35 ans, et pendant tout ce temps, elle a assuré la formation de nos trois garçons et toute notre vie familiale.

Et puis, bien sûr, mes rencontres avec des hommes politiques, Ariel Sharon par exemple, qui m’a dit quand on s’est rencontrés, «enfin un soldat avec lequel je peux parler». Avec des enfants handicapés aussi : pendant mon année présidentielle, j’ai eu l’opportunité de faire du sport avec des enfants handicapés, je me souviens de ce jeune garçon aveugle, à Zoug, qui m’a battu… et finalement, avec tout le monde. Il suffit de garder les yeux ouverts.

De quoi est tu fier ?
Des choses qui durent. La constitution bernoise, la modernisation de l’armée aussi, même s’il y a encore des résistants, la réduction des effectifs de l’administration militaire. A un niveau plus personnel, je suis fier d'être resté moi-même, d'avoir gardé mon sens de l'humour et une certaine modestie.

La dernière action dont tu est fier ?
D’être parmi les personnalités célèbres interviewées par Barbara Polla -j’aimerais beaucoup, par exemple, pouvoir parler avec Bruckner…

Ta valeur prépondérante ?
Rester soi-même et être crédible. Etre en accord avec soi-même.

Une recommandation pour tous ?
Restez vous-mêmes et ayez confiance.

Et un mot pour les femmes ?
Restez vous-mêmes. Le monde a besoin de vous, restez vous-mêmes !
Quand on est la couronne de la création, il ne faut pas démonter cette couronne !




21 Octobre 2007: Marc-Olivier Wahler: un brillant Suisse à Paris

« Breast in piece »
Epitaphe du Sun en hommage à Lolo Ferrari


Marc-Olivier Wahler est philosophe, historien de l’art, commissaire d’expositions et fondamentalement critique. Après avoir remué ciel et terre en Suisse romande pour y faire vivre l’art contemporain, il part à New York pour diriger pendant cinq ans le Swiss Institute – Contemporary Art. En 2006, MOW comme on l’appelle est nommé à Paris à la tête du Palais de Tokyo – site de création contemporaine – Paltok pour les amis - l’un des centres d’art contemporain les plus visités d’Europe. Sa référence? Tyson, pour la vitesse et l'effet de surprise. Sa prochaine exposition? Carte blanche à un artiste suisse, Ugo Rondinone. Son artiste préféré? Un autre suisse international, Gianni Motti. Vous voulez soutenir cet homme aussi drôle que compétent, aussi beau qu’intelligent? Adhérez à l’Association suisse des Amis de Palais de Tokyo, email barbara.polla@vtx.ch, présidente !


Marc-Olivier, tout d’abord, à quel groupe te sens-tu appartenir?
A aucun vraiment. Mais je suis attiré constamment par ceux qui passent par la marge - toutes les marges, parce que, comme disait Godard, ce sont les marges qui font tenir les lignes. On essaie constamment de les ignorer, mais sans les marges il n’y a rien. Pas de ligne, pas de vie.

Tes trucs pour réussir ?
Ceux qui pensent qu’il y a des «trucs» ne réussiront jamais. Ce n’est pas de trucs dont on a besoin, mais de passion, de sincérité avec soi-même, de persévérance et de modestie. Beaucoup de persévérance: les choses peuvent ne pas fonctionner pendant trente ans… mais si on a la passion et la conviction dans ce qu’on fait cela finira bien un jour par porter ses fruits. Quant à la modestie, elle génère la reconnaissance et contribue à l’hygiène de l’esprit. Cette même hygiène d’esprit, cet instrument de survie que m’apporte aussi l’art contemporain.

Tes rencontres déterminantes ?
Maradona, le meilleur joueur de l’histoire, le seul qui t’arrache des larmes, ce n’est pas seulement un footballeur, c’est un vrai danseur - et le skieur Franz Klammer, parce qu’il était le seul descendeur à gagner des secondes lorsqu’il se mettait en situation de chuter. Les gens qui savent chuter en savent plus sur la vie que les autres. Maradona et Klammer ont habité chez moi pendant longtemps…

Et puis Marcel Duchamp, le premier qui a compris que pour aborder l’art dans son essence il fallait l’aborder par un biais complètement différent, c’est à dire par le biais de la physique, de la science, des jeux d’échec, qu’il fallait pointer en dehors de l’art les nouvelles façons de faire. Une fois qu’on a compris Duchamp, on comprend les mutants, la transfiguration et même l’eucharistie: le passage d’un état à un autre, le passage du pain à la chair.

Et surtout Eveline Steinmann, ma muse, ma compagne depuis 26 ans, celle qui a accompagné la gestation de toutes mes idées et initiatives, la personne qui dans ma vie compte le plus aussi bien au niveau amoureux qu’au niveau intellectuel.

L’une de tes plus grandes fiertés ?
Le strudel aux pommes. Je fais le meilleur strudel du monde, je suis le spécialiste incontesté du strudel et d’ailleurs j’écris le guide mondial du strudel avec une interview exclusive de Maradona sur le sujet.

Et la dernière action dont tu es fier ?
J’ai bien dormi cette nuit et je me suis levé content d’avoir bien dormi, comme tous les matins d’ailleurs (ou presque).

Une nécessité ?
Le strudel.

Ta valeur prépondérante ?
Le doute positif.

Ta recommandation pour tous ?
Mangez du strudel et ne faites pas comme les autres.

Et un mot pour les femmes ?
La valeur essentielle c’est l’intuition. Malheureusement pour nous c’est une vertu qui vous appartient entièrement, à vous les femmes, et j’en suis très jaloux.

http://www.palaisdetokyo.com


29 Octobre 2007: Jean Revillard,
"Les lignes droites de A à Z, ce n’est pas pour moi"

« La mer "existe". On peut la toucher. En même temps, l'eau n'a pas de forme propre, c'est à dire qu'elle les prend toutes. Cette double nature de la mer, matérielle et informe, explique pourquoi tant de cosmogonies placent un océan à l'origine des origines" »

Erik Orsenna, Portrait du Gulf Stream

Jean Revillard, c’est Rezo à Genève, la meilleure agence de photos de presse de Suisse. Après avoir étudié la photographie à Vevey, puis l’histoire de l’image et du cinéma à Dublin, Revillard revient à Genève et commence par portraiturer les politiciens dont j’étais à l’époque, puis monte un magnifique projet de mémoire vivante : il photographie tous les habitants de Cartigny et expose leurs portraits en plein air, devant chez eux ou dans les champs qui entourent le village. Je l’ai accompagné avec passion, aussi quand il s’est mis à suivre les traces des animaux, en ville (les sangliers descendent en hordes du Parc Bertrand, la nuit, pour aller s’ébrouer dans les glaises du bord de l’Arve, en pleine ville) et au bord des autoroutes, dans ce «tiers paysage» protégé parce que les oiseaux de proie ne s’y risquent pas. La photographie représente pour lui ce lieu de rencontre privilégié et d’interactions continuelles avec l’autre, un espace de liberté que surpasse seulement la mer. C’est pour cet espace-là que Jean Revillard le marin disparaît parfois, pendant des mois ou des années, pour revenir ensuite, buriné, caméra au poing et pellicule dans la poche, rôder entre Plainpalais et les Pâquis.


Jean, tout d’abord, à quel groupe te sens-tu appartenir??
A celui des aventuriers.

Tes trucs pour réussir ?
Toujours tenir compte de la 3ème dimension. D’ailleurs, plutôt que de réussir, je dirais que je me déplace dans l’espace: je ne vais jamais de A à Z sans dévier, donc d’une certaine manière je ne réussis jamais rien, en tous cas pas par rapport à mon objectif de départ - mais j’ai par contre un vrai espace d’existence. Les lignes droites de A à Z, ce n’est pas pour moi. C’est pour cela que j’aime la mer: tu ne vas jamais en ligne droite, tu es dans un espace virtuel, la réussite c’est quand à l’arrivée, tu n’es pas mort. Ceux qui nourrissent par trop l’obsession de la réussite linéaire finissent par tourner en rond.

Et puis, je fonctionne de manière empirique, je trouve des solutions, je me mets en disponibilité par rapport aux autres. Par exemple, tu arrives chez moi et tu me demandes, il est où le vent quand il ne souffle pas, et tout de suite, j’abandonne tout ce que je suis en train de faire et je me passionne pour ta question…

Tes rencontres déterminantes?
En fait, enfant, j’ai eu beaucoup de familles, toutes de très grande qualité : il n’y avait pas une personne, une famille en particulier, mais tous ces gens qui s’occupaient de moi, dans ce village très intéressant qu’est Dardagny… Je me nourris de chaque rencontre, au quotidien : Luc Chessex, Paul Bowles, des livres aussi, Kerouac, London, Slocum, et finalement, la mer. Toujours déterminante.


De quoi est tu fier ?
En fait, je commence tout juste à être fier, par exemple de Rezo, mais aussi de ce que je pense ou dis, d’oser désormais exprimer des avis personnels, de pouvoir combattre et convaincre. Et je suis fier de ma relation avec Flora, de notre construction amoureuse et de la séduction perpétuelle qui nous lie…

La dernière action dont tu est fier ?
Trois fois par an je vais à Calais pour suivre des migrants afghans dans leur quête pour passer en Angleterre, un travail photographique qui me fait renouer avec ce que j’avais fait à Cartigny.

Ta valeur prépondérante ?
La disponibilité d’esprit. Oublier le calcul.

Une recommandation pour tous ?
Pour vivre heureux, il faut se créer son propre univers, cultiver son originalité, avoir et parfois réaliser des idées folles, mais surtout les partager… se poser des questions en permanence et rester fidèle, à ses amis, à ce qu’on pense, à soi-même.

Et un mot pour les femmes ?
J’aimerais que vous soyez plus authentiques, plus en accord avec vous-même et que vous osiez davantage sortir de votre propre plan. Si souvent, vous êtes à la limite de faire un truc génial mais vous n’osez pas, pour les plus mauvaises raisons. Il faudrait que vous soyez plus solidaires avec celles d’entre vous qui osent, justement. Et puis, lâchez, lâchez prise…


5 novembre 2007: David Hiler, l’épaisseur humaine
«A l'éternelle triple question toujours demeurée sans réponse : "Qui sommes-nous ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ?" je réponds : "En ce qui me concerne personnellement, je suis moi, je viens de chez moi et j'y retourne."» Pierre DAC

Quand je suis entrée dans la députation genevoise, David Hiler fut d’emblée l’un de ceux qui m’impressionnèrent. Par son intelligence et sa culture, son ouverture aux autres conjuguée à une grande fermeté d’idées, par sa connaissance de l’histoire genevoise qui n’avait d’égale que ma propre ignorance, par son humour. Avez-vous remarqué que David Hiler se mordille constamment la lèvre inférieure pour ne pas éclater de rire ? Impressionnée aussi par l’épaisseur humaine, la stature de l’homme quand il intervenait sur les budgets, comme s’il défendait déjà sa chose, et cette sorte d’intelligence du cœur de ceux qui savent ce que décalé veut dire. Une manière d’interagir avec les femmes sans préjugé certes, mais sans complaisance non plus. Une personnalité, en somme, moulée par une enfance à double face, académique et populaire. Adolescent, le plus important c’était le match de foot aux Charmilles. Aujourd’hui, David Hiler est Conseiller d’Etat, avec café et cigarettes, mais sans cravate. Les finances genevoises se sont mises au vert.


David, tout d’abord, à quel groupe te sens-tu appartenir?

Au groupe des verts : je m’y sens en sécurité et entouré d’amis. A priori, j’ai plutôt tendance à créer le groupe autour de moi que de m’y fondre et je me sens fortement lié à ceux avec qui je travaille, que ce soit au Conseil d’Etat ou dans mon propre département. Je me sens aussi très proche de la communauté d’origine de ma femme, les Kosovars de Genève, la vraie vie.


Tes trucs pour réussir ?

C’est très simple : il faut travailler (sans travail on ne saurait réussir quoi que ce soit), suivre ses intuitions et faire ce qui vous intéresse vraiment. Pour décider il faut de l’intuition… alors mieux vaut la suivre et se tromper parfois, que de ne pas décider - et se consacrer à ses vrais intérêts plutôt qu’aux contingences.

Tes rencontres déterminantes?
Chaque rencontre amoureuse - elles ont toutes été importantes - m’a fait évoluer comme seule la relation amoureuse peut le faire, en profondeur, du fait de la remise en cause et de la souffrance, cette nécessaire souffrance qui te fait avancer.

La rencontre avec les antinucléaires, en 1975, à l’époque où ce que mai 68 avait eu de fondamentalement novateur – la liberté derrière les revendications – était en train de périr dans le retour des grands dogmatismes. Erika Sutter-Pleines, par ailleurs amie de ma mère, Monique Bauer-Lagier, Robert Cramer, Erika Deuber, René Longet, les Petitpierre… m’ont fait évoluer vers une vraie philosophie de gauche, ni marxiste ni productiviste, qui me porte encore aujourd’hui.

Et Anne Marie Piuz, seule femme professeure de la faculté des SES, qui m’a

donné le goût de l’histoire locale et économique et m’a fait confiance malgré mon côté rebelle. Elle a représenté pour moi une référence féminine intéressante, à la fois autoritaire et modeste, et m’a toujours soutenu...



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