vendredi 2 novembre 2007

Cet obscur objet du design

J’ai participé à la conférence AC*DC et admiré l’expo du Centre D’art Contemporain Wouldn’t it be nice – faites de même, cela vaut la peine.


AC*DC, Art Contemporain*Design Contemporain : dans la foulée du colloque international organisé par Jean-Pierre Greff, le directeur de HEAD (Haute Ecole d’Art et de Design), les 26 et 27 octobre derniers, n’oubliez pas de visiter le Centre d’Art Contemporain, ce haut lieu de l’art créé à Genève par une femme d’exception, Adelina Von Fürstenberg, et dirigé aujourd’hui par une autre femme d’exception, Katya Garcia-Anton, organisatrice de l’exposition Wouldn’t it be nice autour de laquelle foisonnent questions, accords et désaccords: art et design, faut-il vraiment les conjuguer au présent composé, ou au contraire, au conditionnel exclusif ?

Au milieu de toute une jouissance de fertilité créative, de convergences soigneusement cultivées et d’un syncrétisme euphorique, ce questionnement s’est concrétisé, au cours du colloque AC*DC, en trois critiques ultra du design. Premièrement, le design n’est pas de l’art. Deuxièmement, le design n’est pas démocratique. Et troisièmement, le design n’est pas humain.

Le design n’est pas de l’art : l’art est objet symbolique qui s’adresse à la pensée et le rôle des artistes est de démonter les idées reçues esthétiques et sociales du moment. Le design quant à lui crée des objets d’usage, dont la valeur de signe est certes importante et qui habillent nos vies, mais dont la fonctionnalité reste prépondérante. En témoigne Design and Crime de l’Américain Hal Foster, historien de l’art et du design, qui soupçonne ce dernier d’être «la revanche du capitalisme sur la postmodernité».

Le design n’est pas démocratique. La démocratie : un homme, une voix. Pour être démocratique, le design devrait donc proposer: un homme, une forme. Mais ce n’est pas le cas et le design se situe en fait du côté du capital, des forces de domination et d’aliénation, et non de celui de l’individu démocratique, libre et autodéterminé. C’est en tous cas l’argumentaire développé par Paul Ardenne, historien d’art et écrivain français, qui va plus loin même.

Le design n’est pas humain. Il met nos vies en scène, mais n’éclaire pas le rapport de chacun à sa propre existence. Il contribue au contraire «à l’accentuation du simulacre universel», éloigne l’individu de l’expérience vraie du monde et de ce qu’Ardenne appelle «la vie nue». La seule qui vaille la peine d’être vécue et pensée.

En toute logique, Katya Garcia-Anton, partenaire privilégiée de Jean-Pierre Greff dans l’organisation d’AC*DC, s’oppose violemment à cette vision du design, pour privilégier une position ouverte, fluide, utopique et joyeuse, pour valoriser l’esthétisation du quotidien de chacun et pour rêver, à l’unisson des étudiants en design de HEAD, que leur champ d’étude conserve le potentiel de réenchanter notre monde et de rassurer ses habitants du futur par sa contribution à l’ordre et la beauté.

AC*DC : selon Jean-Pierre Greff, au-delà de Art Contemporain*Design Contemporain : circulation et courant d’énergie, alternatif ou contenu dans cet obscur objet du design... Laissons-lui donc le dernier mot : circulation d’énergie.


Publié dans les Quotidiennes, le 2 novembre 2007

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