« Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous. »
Paul Eluard
Le 14 juillet 2008 fut jour de chance : nous avions tous rendez-vous avec Jenny Mannerheim. Le 15 juillet aussi : j’ai rendez-vous, dans quelques instants, avec Christophe Fluder. Christophe est ce que l’on nomme pudiquement un homme de petite taille. Il avait défilé pour John Galliano et je l’ai trouvé si beau dans ses habits d’apparat, avec ses yeux brillants d’intelligence et son sourire moqueur, que je l’ai mis, avec son accord (celui de John, pas de Christophe), en couverture de l’un de mes livres.
Il arrive. En retard, comme d’habitude. Qu’il s’agit d’une habitude, cela, je ne le saurai que plus tard. Il s’assied. Nous sommes alors, les yeux dans les yeux. Elégant et cool, T shirt et pantalon kaki, ses petits pieds chaussés de petites baskets blanches. Ses grands yeux brillants d’intelligence. Il me raconte la chance d’être différent. Différent de qui, de quoi ?
Christophe est différent parce qu’il est noir. Noir vraiment ? Mais non, il ne cumule pas à ce point-là… Mais un jour, alors qu’il allait entrer « à la grande école », son père a pensé qu’il devait lui parler, lui expliquer, les choses, la vie…
« Bibi, approche, j’ai quelque chose à te dire ! Maintenant tu es un grand garçon, tu viens d’avoir six ans, demain tu vas entrer à la grande école. Tu vois ton copain Mamadou, Mamadou M’Boundé, lui par exemple il n’est pas pareil, il est différent. »
Christophe : « Ben oui ! »
« Bon eh bien toi c’est pareil, tu es différent. «
Christophe : « Ah bon. »
Et son père de lui expliquer pourquoi il est différent, comment, et que ce n’est pas grave, puisque d’autres aussi sont différents. Et à la fin il lui demande s’il a bien compris.
Christophe l’assure que oui : « Ben oui, je suis noir, et alors ! »
Christophe Fluder joue ses propres textes : son baptême de saut en parachute par exemple, avec ses trois amis, qui est en fauteuil roulant, qui malvoyant – avec son chien bien sûr - et qui n’a qu’un seul bras. Et sur scène, en parachutiste, il s’adresse au public : « Eh mais attention j’ai pas toujours eu ce corps ! Ca c’est grâce au sport … ».
« Monter sur scène, c’est un rêve qui était le mien bien avant que je n’aie réalisé que j’étais… noir. Ma chance, c’est de pouvoir, par le prisme de ma condition d’homme de petite taille, aborder des problèmes propres à ce que je suis mais dans lesquels tout le monde peut se reconnaître, et démontrer que nous partageons tous nos petites méchancetés, nos jalousies, nos mesquineries, nos difficultés à trouver notre juste place dans le monde, nos complexes, nos inhibitions. Je mélange les clichés, j’entretiens le quiproquo avec le public. Ma chance, c’est cette transversalité, les interactions qu’elle entraîne. Le fait d’être de petite taille m’a contrait à voir le monde autrement, de plus bas, et c’est encore une chance : je vois les choses avec une acuité que je n’aurais pas eue si je mesurais 1m80. »
Et ma chance à moi en cet été 2008 ? D’avoir désormais pour ami l’homme que j’avais choisi pour la couverture de mon livre. Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous.
Publié dans NUKE, décembre 2008
lundi 1 décembre 2008
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