"A Paris, sur les Champs Elysées. Pas vraiment Ailleurs ? Contournez le magasin
Louis Vuitton pour entrer par derrière, rue Bassano. Il faut commencer par prendre un ascenseur obscur. Dépaysement garanti. L’ascenseur est d’
Olafur Eliasson.
En sortant de l’ascenseur, dans la pénombre encore, vous vous trouvez face à une œuvre de Paul Gauguin, pionnier de l’ailleurs. Sur votre gauche, l’ailleurs est dans un bateau de pauvre facture, qui n’arriva jamais, ou alors vide – il était pourtant In Search of the Miraculous. L’artiste hollandais
Bas Jan Ader aura payé de sa vie son engagement artistique total. Selon André Rouiller, “Aussi inquiétante soit-elle, la démarche de cet artiste hollandais exprime la force d'une volonté tendue vers l'absolu, absorbant à la fois l'art et la vie comme s'il portait à son paroxysme la logique nietzschéenne de l'enivrement de l'expérience artistique. L'ailleurs ici est un voyage vers un horizon aussi grandiose qu'indéfini, perdu dans l'immensité océanique.”
In Search of the Miraculous est repris par l’artiste Joanna Malinowska : elle aussi recherche le miracle. Le miracle pourrait bien exister, nous suggère Malinowska, dans la musique notamment, tout comme dans notre ferveur à l’écouter, à nous laisser «prendre», hypnotiser par elle. Les Genevois se souviendront peut-être que Joanna Malinowska avait présenté à Analix Forever son célèbre Concerto pour deux violons, deux violoncelles et un cadavre... Pour l’exposition Ailleurs, c’est une Joanna Malinowska toujours aussi fascinée par la musique qui monte vers le Nord aussi loin qu’elle le peut, non sans un Sony fonctionnant à l’énergie solaire. L’objectif de l’artiste : écouter les Variations Goldberg là même où Glenn Gould aurait voulu les jouer, prétend-on. Mais dans la vidéo que réalise l’artiste, on entend surtout le vent du grand nord, dans le flux duquel quelques notes, parfois, s’égrènent. Mystérieuse sonorisation culturelle d’
un espace naturel lointain et glacé et la question qui nous vient elle aussi portée par le vent : le Sony fonctionne-t-il encore ?
Fernando Prats, artiste chilien travaillant à Barcelone, qui représentera d’ailleurs le Chili à la prochaine Biennale de Venise, lui, il noircit de fumée charbonneuse des papiers, puis laisse la nature peindre pour lui. Il dispose ou suspend ses papiers enfumés au bord de l’océan par exemple, ce dernier se chargeant alors de faire le reste. “Le papier se nourrit de la vie naturelle et de ses aléas en fonction du site auquel l’artiste le soumet. Il devient empreinte et palimpseste d’une nature sans cesse en progrès et au travail” lit-on dans le catalogue de l’exposition.
Et le parcours continue – comme un parcours initiatique - jusqu’à la lune : le traîneau fantastique de l’artiste suisse
Luc Mattenberger aura traîné la lune jusque dans cet ailleurs... N’oubliez pas, d’entrer dans la rotonde, de vous coucher sur le sol comme l’architecture du lieu vous y invite, et de regarder passer cette lune qui semble descendue des montagnes valaisannes... seize artistes exposés en une chaîne circulaire dans cet espace – l’un d’entre eux, Yann Dumoget, grand voyageur, messager de l’Ailleurs, insiste sur le fait que ce sont les pas du nomade qui définissent le territoire de l’ailleurs et que le déplacement le plus important, c’est ce mouvement en soi-même et les rencontres qu’induit le déplacement géographique. On devient un autre soi-même grâce aux gens qu’on rencontre et “vivre, c’est changer de lieu”, disait George Perec.
Yann Dumoget distribue aux spectateurs de l’exposition de billets de banque chinois. On se demande, où et comment il va repartir...
Et nous, où aller maintenant ? A la Maison Rouge. Tous cannibales. Suite demain."