We don’t need another hero, titrait l’immense affiche de l’artiste américaine Barbara Kruger, sur laquelle on voit une petite fille aux tresses blondes poser son index sur le biceps gonflé d’un petit garçon (1987). Rien n’est moins sûr : l’Amérique en veut encore, des héros, des virils, des hommes des vrais. Des John McCaine donc. Pas des Obama. « Too elite, too effete, too easy to defeat » (Trop élitiste, trop efféminé, trop facile à battre - avec les rimes en plus). L’investiture démocrate ayant écarté la femme, la voilà qui revient malgré tout : ses adversaires ne pouvant pas, même sur la toile, critiquer ouvertement Obama parce qu’il est noir - ils le critiquent parce qu’il est efféminé - et très mauvais au bowling. Or, le bowling, comme le rappelle Eric Fassin, est une métaphore politique de l’Amérique profonde, dont les valeurs viriles sont un vrai refuge du lien social « genré ». Il paraît qu’ « Obama joue au bowling comme une fille ! » Or les Américains veulent que leur président, si c’est un homme, soit un vrai homme. Etre intellectuel et perdre au bowling sont des offenses parallèles à la virilité nationale américaine. « Je suis peut-être vieux jeu », commente tel anonyme sur internet, « mais je pense toujours que le commandant en chef de l’armée la plus puissante au monde devrait être un vrai homme ». Et si la guerre est une affaire d’hommes, alors le retrait militaire d’Irak signerait la fin de la virilité américaine.
Heureusement, McCaine veille au grain viril. Il a survécu au pire, c’est donc un vrai homme. Il souffre cependant d’une autre tare – ou peut-être au contraire, possède-t-il encore un atout supplémentaire : s’il n’est ni femme ni noir, il est par contre, vieux. Selon Adam Nagourney (NYTimes 15 juin), « Age becomes the new race and gender », nouveau critère d’exclusion ou de félicitation, à choix et alternativement : les « vieux » votent, comme les femmes, comme les noirs, et qui sait s’ils ne seront pas assez nombreux pour faire pencher la balance. Il est intéressant de souligner d’ailleurs que Obama ne traite jamais McCaine de « vieux » – il dit simplement, « c’est moi qui suis le facteur du changement » – sous entendu, et non McCaine.
La guerre des symboles fait donc rage, entre minorités et majorités. Mais au-delà des symboles, essentiels dans toute élection et encore plus dans une élection américaine, il est malgré tout une constante non symbolique : même les chauffeurs de taxi de Washington, républicains pour la plupart, sont unanimes, we don’t need another Bush. L’Irak, l’image catastrophique de Amérique dans le monde, le déficit démocratique rampant, les mensonges de l’administration Bush ? Tout cela n’a pas vraiment d’importance. Non, ce qui compte, c’est ce qui se compte : « Bush nous a fait perdre la valeur de notre argent ». Tous les chauffeurs de taxi vous le diront, même sans que vous ne posiez la question. Et du coup, Obama, qui affirme que son programme économique est meilleur que son bowling (et heureusement !), se place très exactement au nord de la brèche la plus profonde créée par Bush. Obama garde de ce fait une chance d’être élu : même s’il n’est ni assez noir pour certains, ni assez viril pour d’autres, il représente néanmoins, pour la plupart, la rupture bénéfique, notamment économique, tant attendue par les USA - cowboys exclus - comme d’ailleurs par le monde entier, ou presque.
Publié dans l'AGEFI, le 24 juin 2008
mardi 24 juin 2008
vendredi 20 juin 2008
Des Parisiens sous l'Occupation
L’exposition « Des Parisiens sous l’Occupation » présente, à la Bibliothèque historique de la ville de Paris, au cœur du Marais, le travail d’André Zucca, photo-journaliste français correspondant de Signal (revue propogandiste de l’Occupant), en 270 photographies couleur, prises à Paris entre 1941 et 1943. Le traumatisme de la deuxième guerre mondiale est loin d’être épuisé et continura longtemps encore à susciter questions sans réponses, tentatives de rationnalisation, travaux de mémoire.
L’exposition s’intitulait initialement « Les Parisions sous l’occupation ». Tollé, non sans raison : comme si tous les Parisiens, sous l’occupation, profitaient tranquillement de l’existence dans un Marais ensoleillé et souriaient sans arrière-pensée aux étoiles jaunes brodées sur les vêtements de leurs voisins. Sous l’objectif de Zucca, alors que les croix gamées flottent sur leurs bannières à la rue de Rivoli, la vie se poursuit comme si de rien n’était. Il nous montre un Paris accomodant et accomodé, dans lequel les gens – des gens – vont au café, achètent des fleurs, se promènent, s’amusent, admirent la beauté du monde : on y voit même Madame Zucca, posant souriante et satisfaite d’elle-même sous l’objectif du correspondant de Signal - un « détail » qui à lui seul en justifie un autre : changer une lettre du titre de l’exposition. « Les » Parisiens sont devenus « Des » Parisiens. Et les débats se poursuivent, parfois de haut niveau, parfois acharnés, autour de la question, fallait-il montrer les photographies de Zucca et si oui, comment. L’un des plus passionnés aura sans doute été celui organisé par la Ligue des Droits de l’Homme, dont on connaît le combat constant pour la liberté d’expression : «fictionnaliser» la vie étant une activité essentielle de l’homme, tout doit pouvoir être dit et montré dans ce cadre. Mais pas sans ce cadre, justement. Celui de l’exposition Zucca ? Un cadre explicatif, des notices, des cartels. Contre lesquels s’élève avec justesse l’historienne et historienne de l’art Laurence Bertrand Dorléac (auteur notamment de L’Art de la Défaite 1940-1944, Seuil, 1998): elle qui use des mots avec tant de dextérité, les traite de « prothèses de l’image ». On se souviendra de Barthes « l’image aura toujours le dernier mot ». L’historienne, constamment à la recherche de la plus grande précision, aura analysé par elle-même les commentaires des visiteurs laissés dans le livre blanc de l’exposition : ces commentaires ne diffèrent en rien, avant et après l’adjonction des notices explicatives. « Une exposition, cela se regarde, cela ne se lit pas. Les explications sont secondaires ». Alors ? En fait, ce qu’il aurait fallu faire, c’est confronter l’image à l’image. Pour chaque photographie de Zucca, rechercher une photographie du même lieu, ou du même moment, mais prise dans une autre perspective : le Paris souffrant et résistant. A côté des photos du Marais qui se veulent presque gaies, montrer ce que le Marais recelait vraiment, de souffrance, de mépris et d’horreur. Ce n’est qu’au prix d’un tel effort que le Paris de Zucca aurait pu trouver sa place dans une exposition au demeurant plus historique qu’artistique (à voir jusqu’au 1er juillet).
L'Extension
L’exposition s’intitulait initialement « Les Parisions sous l’occupation ». Tollé, non sans raison : comme si tous les Parisiens, sous l’occupation, profitaient tranquillement de l’existence dans un Marais ensoleillé et souriaient sans arrière-pensée aux étoiles jaunes brodées sur les vêtements de leurs voisins. Sous l’objectif de Zucca, alors que les croix gamées flottent sur leurs bannières à la rue de Rivoli, la vie se poursuit comme si de rien n’était. Il nous montre un Paris accomodant et accomodé, dans lequel les gens – des gens – vont au café, achètent des fleurs, se promènent, s’amusent, admirent la beauté du monde : on y voit même Madame Zucca, posant souriante et satisfaite d’elle-même sous l’objectif du correspondant de Signal - un « détail » qui à lui seul en justifie un autre : changer une lettre du titre de l’exposition. « Les » Parisiens sont devenus « Des » Parisiens. Et les débats se poursuivent, parfois de haut niveau, parfois acharnés, autour de la question, fallait-il montrer les photographies de Zucca et si oui, comment. L’un des plus passionnés aura sans doute été celui organisé par la Ligue des Droits de l’Homme, dont on connaît le combat constant pour la liberté d’expression : «fictionnaliser» la vie étant une activité essentielle de l’homme, tout doit pouvoir être dit et montré dans ce cadre. Mais pas sans ce cadre, justement. Celui de l’exposition Zucca ? Un cadre explicatif, des notices, des cartels. Contre lesquels s’élève avec justesse l’historienne et historienne de l’art Laurence Bertrand Dorléac (auteur notamment de L’Art de la Défaite 1940-1944, Seuil, 1998): elle qui use des mots avec tant de dextérité, les traite de « prothèses de l’image ». On se souviendra de Barthes « l’image aura toujours le dernier mot ». L’historienne, constamment à la recherche de la plus grande précision, aura analysé par elle-même les commentaires des visiteurs laissés dans le livre blanc de l’exposition : ces commentaires ne diffèrent en rien, avant et après l’adjonction des notices explicatives. « Une exposition, cela se regarde, cela ne se lit pas. Les explications sont secondaires ». Alors ? En fait, ce qu’il aurait fallu faire, c’est confronter l’image à l’image. Pour chaque photographie de Zucca, rechercher une photographie du même lieu, ou du même moment, mais prise dans une autre perspective : le Paris souffrant et résistant. A côté des photos du Marais qui se veulent presque gaies, montrer ce que le Marais recelait vraiment, de souffrance, de mépris et d’horreur. Ce n’est qu’au prix d’un tel effort que le Paris de Zucca aurait pu trouver sa place dans une exposition au demeurant plus historique qu’artistique (à voir jusqu’au 1er juillet).
L'Extension
jeudi 19 juin 2008
Cellules souches du sang de cordon : une nouvelle question éthique
L’utilisation de cellules souches embryonnaires aux fins de recherche et, à terme, de thérapeutique, a soulevé des questions fondamentales qui n’ont pu être résolues en Suisse que par l’édiction de lois restrictives, qui, comme toutes les lois de ce type, finissent par restreindre les champs de la recherche au lieu de les encadrer. Et pourtant, pour être éthique, la recherche se doit d’abord être de qualité, avant que d’être réglementée.
Un nouvel espoir apparaît aujourd’hui : plutôt que d’utiliser des cellules souches embryonnaires, pourquoi ne pas utiliser les cellules souches du sang du cordon ? Oui pourquoi pas en effet : le sang du cordon est en général jeté dans les grandes poubelles des déchets biologiques, et utiliser ces cellules pour la recherche et les traitements actuels et futurs des maladies concernées par ces approches paraît une solution idéale. Deux points sont particulièrement intéressants à soulever dans ce contexte : le rôle irremplaçable de la recherche dite « dure », et les problèmes éthiques toujours renouvelés que posent les nouvelles découvertes.
Premièrement, faut-il le rappeler, sans recherche sur les cellules souches embryonnaires, jamais il n’aurait été envisageable de remplacer ces cellules souches embryonnaires par les cellules du sang du cordon. Comment montrer que ces dernières sont comparables en termes d’efficacité, préférables peut-être en termes de compatibilité, en l’absence d’une recherche activement engagée sur les premières ? Seul un engagement constant pour le recherche de pointe peut permettre, le cas échéant, de vrais progrès, y compris éthiques. Dans ce contexte, la création récente, à Paris d’une part, d’un consortium international pour fédérer la recherche sur les cellules souches du sang de cordon et à Genève d’autre part, d’un centre de thérapies cellulaires regroupant des chercheurs dans des domaines de pointe comme la transplantation de cellules souches sanguines, sont particulièrement encourageantes. Comme le dit la chercheuse Marisa Jaconi à propos des cellules souches du sang du cordon : « A travers leur étude, un but possible serait de pouvoir redonner le même potentiel aux cellules souches adultes… et il est essentiel de poursuivre la réflexion scientifique et éthique dans ce sens. »
La réflexion éthique doit se poursuivre elle aussi en effet, car si l’utilisation du sang du cordon pourrait résoudre certains problèmes comme celui de la nécessité d’utiliser des embryons, elle en pose d’autres, notamment dans le rapport entre public et privé. Faut-il conserver les cellules souches de son bébé pour lui-même, au cas où il pourrait en avoir besoin, en cas de maladie grave, ou faut-il le donner au monde ? La Fondation Cellules souches du sang n’y va pas par quatre chemins et affirme que « La valeur d’une unité de sang de cordon dans une banque publique est supérieure à celle d’une banque privée du fait que cette unité est à la disposition de tous les patients du monde. » Carine Camby, directrice de l’Agence de Biomédecine française, va quant à elle jusqu’à suggérer que «l’escroquerie intellectuelle» d’établissements privés tel CryoGenesis en Angleterre pourrait «décourager le don altruiste». Le don « altruiste » « gratuit » et contrôlé par l’Etat, meilleur vraiment que le don payant et à but familial ? Est-il vraiment éthique d’affirmer ainsi sans nuances ni discussion, la supériorité « éthique » du groupe sur l’individu ? La question ne peut être écartée avant d’avoir été posée.
Publié dans l'AGEFI le 19 juin 2008
Un nouvel espoir apparaît aujourd’hui : plutôt que d’utiliser des cellules souches embryonnaires, pourquoi ne pas utiliser les cellules souches du sang du cordon ? Oui pourquoi pas en effet : le sang du cordon est en général jeté dans les grandes poubelles des déchets biologiques, et utiliser ces cellules pour la recherche et les traitements actuels et futurs des maladies concernées par ces approches paraît une solution idéale. Deux points sont particulièrement intéressants à soulever dans ce contexte : le rôle irremplaçable de la recherche dite « dure », et les problèmes éthiques toujours renouvelés que posent les nouvelles découvertes.
Premièrement, faut-il le rappeler, sans recherche sur les cellules souches embryonnaires, jamais il n’aurait été envisageable de remplacer ces cellules souches embryonnaires par les cellules du sang du cordon. Comment montrer que ces dernières sont comparables en termes d’efficacité, préférables peut-être en termes de compatibilité, en l’absence d’une recherche activement engagée sur les premières ? Seul un engagement constant pour le recherche de pointe peut permettre, le cas échéant, de vrais progrès, y compris éthiques. Dans ce contexte, la création récente, à Paris d’une part, d’un consortium international pour fédérer la recherche sur les cellules souches du sang de cordon et à Genève d’autre part, d’un centre de thérapies cellulaires regroupant des chercheurs dans des domaines de pointe comme la transplantation de cellules souches sanguines, sont particulièrement encourageantes. Comme le dit la chercheuse Marisa Jaconi à propos des cellules souches du sang du cordon : « A travers leur étude, un but possible serait de pouvoir redonner le même potentiel aux cellules souches adultes… et il est essentiel de poursuivre la réflexion scientifique et éthique dans ce sens. »
La réflexion éthique doit se poursuivre elle aussi en effet, car si l’utilisation du sang du cordon pourrait résoudre certains problèmes comme celui de la nécessité d’utiliser des embryons, elle en pose d’autres, notamment dans le rapport entre public et privé. Faut-il conserver les cellules souches de son bébé pour lui-même, au cas où il pourrait en avoir besoin, en cas de maladie grave, ou faut-il le donner au monde ? La Fondation Cellules souches du sang n’y va pas par quatre chemins et affirme que « La valeur d’une unité de sang de cordon dans une banque publique est supérieure à celle d’une banque privée du fait que cette unité est à la disposition de tous les patients du monde. » Carine Camby, directrice de l’Agence de Biomédecine française, va quant à elle jusqu’à suggérer que «l’escroquerie intellectuelle» d’établissements privés tel CryoGenesis en Angleterre pourrait «décourager le don altruiste». Le don « altruiste » « gratuit » et contrôlé par l’Etat, meilleur vraiment que le don payant et à but familial ? Est-il vraiment éthique d’affirmer ainsi sans nuances ni discussion, la supériorité « éthique » du groupe sur l’individu ? La question ne peut être écartée avant d’avoir été posée.
Publié dans l'AGEFI le 19 juin 2008
dimanche 1 juin 2008
Working-men: rendez-vous avec Paul Ardenne
Date: 01.06.08 à 18H
Lieu: CCSP (Centre culturel suisse de Paris), salle de spectacle
Objet: Le travail dans l'art contemporain
Working Men, Débat-Projection avec Paul Ardenne, cinéma
Le critique d'art Paul Ardenne propose une discussion et des extraits vidéos des travaux inclus dans l'exposition Working Men qu'il a conçue avec Barbara Polla à la galerie Analix (Genève). Au-delà du seul champ de l'art contemporain, ce projet souhaite questionner les nombreuses résonances géopolitiques, psychologiques, culturelles du travail à l'heure actuelle. Avec la participation du designer Kris Van Assche et des extraits vidéos de Julien Prévieux, Mario Rizzi, Ali Kazma, etc.
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