La ville est ma patrie. Je préfère les hommes aux arbres. Et il me plaît que l’immense majorité des humains préfèrent comme moi habiter les villes, pour être proches des autres humains, le plus proches possible. Quitte à réduire leur espace vital à presque rien – pourvu que l’on soit avec les autres, avec l’Autre. Qu’importe alors, la qualité urbaine souvent déplorable en terme d’habitat, de logements, de transport. L’important est ailleurs : dans la parole échangée, dans la stimulation de la pensée, dans la créativité fourmillante. Dans le rapport à l’Histoire, à sa permanence, ou à l’illusion que l’on pourrait faire partie de celle qui est en train de s’écrire. Dans la solitude partagée avec le plus grand nombre.
Seule la culture permet de pardonner aux villes d’être ce qu’elles sont. De pardonner voire d’oublier leur urbanisation aberrante, leur segmentarisation, l’externalisation des derniers arrivants, la mise des marges à la marge. Elle seule permet d’intégrer la perte permanente, de ce qui est et qui l’instant d’après, n’est plus, déjà remplacé par autre chose. Seule la culture… mais - laquelle au juste ? La culture humaine bien sûr, pas celle de l’herbe sur mon balcon – la culture qui, selon l’Unesco, dans son sens le plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société, un groupe social ou un individu. C’est pour tout cela très précisément que nous aimons les villes : pour ses traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs. La question de la place de la culture dans la politique urbaine trouve sa réponse dans le fait que la politique urbaine n’est rien d’autre que l’une des multiples émanations de la culture.
Sans hésitation : la culture est primordiale. Elle est la vi(ll)e même. Toute politique urbaine qui souhaite endosser ce nom ne peut être que culturelle. Il n’y a pas d’alternative. Et dans la mesure où la parole, création permanente, universelle, toujours en activité - songez un peu, combien de mots se disent, chaque jour, dans une ville digne de ce nom, simultanément et dans toutes les langues - dans la mesure où cette parole est bel et bien la manifestation la plus spécifique de l’activité culturelle humaine et le vecteur du savoir, la politique urbaine se doit de lui donner une place toute particulière. Lui offrir par exemple des lieux alternatifs, des marchés noirs de la connaissance (Blackmarket of Useful Knowledge and Non-Knowledge, http://www.mobileacademy-berlin.com/englisch/2006/schw_be06.html) comme d’immenses écrans urbains sur lesquels la MobileAcademy projetterait en plein air, au milieu de la nuit, au coeur d’une Genève palpitate, des débats de philosophie plus fréquentés que toutes les star académies. Lui rendre, à la parole, et à celle poétique de préférence, les espaces publicitaires, ces espaces carnivores, et tous les espaces intermédiaires, que les artistes de rue tels Robert Montgomery, Banksy ou ZEVS utilisent subrepticement pour nous émouvoir ou nous surprendre.
La culture, l’activité humaines, sont donc la source et le cadre de toute politique urbaine. Reste la question corollaire de savoir, quelle politique urbaine va satisfaire l’homme de la ville ? La réponse n’est en fait pas la même, selon que cet homme habite durablement la ville en question, ou n’y soit que de passage. Un certain délabrement, la vétusté, le désordre, la place laissée à l’énergie vitale, l’hétérogène, l’étranger, l’intriguant, le trouble, le spectaculaire – toutes caractéristiques culturelles qui vont fasciner l’homme de passage. Mais la fascination pour cette vi(ll)e-là prend fin au seuil des dortoirs. Là où l’homme dort nuit après nuit, mange, regarde la télévision et élève ses enfants, il préfèrera le calme, la propreté, l’ordre voire l’ennui mortifères, garants d’un semblant de sécurité. Mais en réalité,
When we are
Sleeping,
Aeroplanes
Carry memories
Of the horrors
We have given
Our silent
Consent to
Into the
Night sky
Of our cities, and
Leave them there
To gather like
Clouds and
Condense into
Our dreams
Before morning
Robert Montgomery
Mais concrètement alors, comment et où habiter?
Dans la hauteur, toujours. Le sol est terriblement limité, l’espace l’est beaucoup moins dans sa verticalité. La hauteur n’a pas de propriétaire. Elle appartient à la ville et à ses habitants. Détruisons donc les villas, vite, et élevons haut les plafonds ! La ville sera verticale ou elle ne sera pas. Los Angeles est une aberration écologique, New York proche de la perfection.
Aucune politique urbaine ne saurait se passer de la hauteur.
Barbara Polla, Galeriste / Analix, Genève
Publié dans les Urbanités, le 7 octobre 2008