Tribune libre de Barbara Polla
Le modèle italien, forever !
L’Italie est à la mode, toujours. Ou plutôt, l’Italie est « in style ». Ancrée dans le passé mais créative en diable. Certains définissent l’élégance comme quelque chose qui a été – mais l’élégance italienne, elle, a été et sera. L’art, le design, la mode, la beauté des objets, de l’architecture et des véhicules de toute sorte, y décorent la vie et rendent le quotidien plus viable que partout ailleurs. Avec le soleil, le sourire et la dolce vita en prime…
Mais au-delà de leur style et de leurs climats intimes, les pays se définissent aujourd’hui avant tout par leur langue. Et la langue italienne continue de faire battre le cœur de l’Italie plus que toute autre relique de l’Histoire ou création de demain. L’écrivain Valeria Parrella le dit de Naples : « Naples est une langue ». Et « le seul exercice possible pour l’écrivain est l’écoute ». Valeria Parrella vit à Naples, écoute et écrit dans la langue de Naples et ce qu’elle donne à lire est invariablement situé à Naples…
Pour ce peuple d’immigrés que sont les Italiens, la langue est et reste quoiqu’il arrive un lien « supra national » : elle définit non pas une « nation » mais un pays - une culture, donc - et souligne à la fois l’élasticité actuelle des racines (elles peuvent être plantées partout dans le monde) et leur unicité : « Sono un Italiano vero… » peut se chanter à Paris ou à Buenos Aires mais ne saurait se chanter en espagnol ou en français.
L’Italie donc, existe, palpite, aime, crée, parle, chante, écrit et reste au cœur de la mode – mais aussi, en crise permanente – oh pas celle que vous croyez, non, la crise permanente de l’Italie, c’est sa politique si souvent calamiteuse… une politique que la vie économique et créative tend cependant à ignorer. Et même aujourd’hui, à Milan - Milan qui à elle seule représenterait la 28ème puissance mondiale si on l’élisait État indépendant - quand vous interrogez un chauffeur de taxi sur la crise, il vous répond : « La crise ? Mais non ! Nous avons les meilleurs designers, les meilleurs créatifs, la crise ne les empêche pas de continuer de créer et de vendre ! ». Et quand vous reposez cette même question sur les effets de la crise aux entrepreneurs, ils vous répondent, comme Mariano Pichler, « impreditore » profondément impliqué dans la culture milanaise : « le tissu des petites entreprises est tellement serré ici qu’il résiste bien à la crise » (au contraire de l’Angleterre et de la France, qui basaient leur richesse sur de grandes structures bancaires respectivement de grands groupes de luxe) ou encore comme cet autre entrepreneur et collectionneur d’art qui me confie : « J’ai 600 employés (en italien on dit, dipendenti) et je ne veux pas – je ne vais pas - en licencier un seul. Alors pour l’instant, j’arrête de collectionner : priorité à mon entreprise ! ».
L’Italie est donc bien le pays le plus libéral qui soit - si tant est que le libéralisme requiert un état faible, le plus faible possible, là nous y sommes ! et - est-ce un ecause ou une conséquence de la faiblesse de l’état ? - le pays de l’économie toujours florissante et de la responsabilité entrepreneuriale déterminante. Le pays, aussi, qui a le mieux compris l’évolution du capitalisme productif vers le capitalisme cognitif. Le capitalisme cognitif ? Mais oui : quelle la valeur se vend le mieux aujourd’hui, le produit industriel parfait ou l’idée créative géniale ? L’idée, bien sûr, mais celle qui aboutit, car en Italie plus que partout ailleurs, les idées appartiennent à ceux qui les réalisent. D’où le fourmillement incomparable d’entreprise, de créations, d’engagements de compétitions et de partages, productifs et culturel, et ce mix inégalé entre capitalisme de production et capitalisme de création.
Ce qui manque ? Des institutions pour l’art contemporain, bien sûr. Mais là encore, les individus, les passionnés, les entrepreneurs et les industriels remplacent : la Fondazione Sandretto Re Rebaudengo, la Fonazione Ratti, le musée Pecci à Prato, Prada, Trussardi, Furlà, et tout récemment à Milan le Lambretto Art Project, ils sont tous là et ouvrent même des Académies, comme les frères Cabassi à Milan la « Nuova Accademia di Belle Arti Milano ».
E viva l’Italia alors, son énergie vitale toujours en mouvement, son élégance et sa créativité – et rendez-vous à Venise en juin pour la prochaine Biennale d’art contemporain – ou pour les défilés de mode à Milan, selon votre préférence… ou encore, fin mai, à cette rencontre « aux carrefours des civilisations », à Venise (http://www.incrocidicivilta.org/), qui réunira, entre autres, intellectuels, écrivains et poètes tels Shalman Rushdie, Yves Bonnefoy et Ornela Vorpsi pour n’en citer que quelques-uns. Ornela Vorpsi ? L’auteur de mon libre livre de ce mois…
Libre livre
Ornela Vorpsi, Vert Venin
La narratrice est albanaise – comme Ornela Vorpsi – et vit à Paris, encore comme elle. Elle répond à l’appel de son ami Misrad, et part pour Sarajevo, où elle a rendez-vous avec la nostalgie, la pluie, le raki et le byrek et ces vielles femmes omniprésentes qui sentent la terre natale mais préparent des soupes qui guérissent les moribonds... un voyage sans but dans un présent antérieur au cœur des Balkans, au cœur d’elle-même.
Un chemin de vie, aléatoire, hésitant, odorant, poussiéreux, bordés d’autant de paroles que de secrets, un chemin sur lequel on erre avec la narratrice, à la fois « chez nous » et étrangers, non pas tant au monde qu’à nous-mêmes…
Oui, Ornela Vorpsi est albanaise, et ce venin de voyage qu’elle s’administre à elle-même avant de nous le faire goûter la ramène près des sources de sa mémoire. Mais Ornela Vorpsi est aussi et peut-être avant tout, italienne, parce qu’elle écrit en italien. Et le fait qu’elle vive à Paris n’y change rien… Immigrée adoptée par cette Italie dont elle a fait profondément sienne la langue miraculeuse qui lui permet à la fois de jouer avec les mots, de les tordre à son image, de les torturer parfois, elle explique «C'est la langue qui vient quand j'écris. Peut-être ai-je besoin de la distance que cela implique, écrire dans une langue étrangère... ». Comment devient-on l’un des écrivains les plus en vue de « son » pays (le récit précédent d’Ornela Vorpsi, Le pays où l’on ne meurt jamais, a été distingué par tous les plus grands prix littéraires italiens) en écrivant dans une langue qui n’est ni maternelle ni apprise dans l’enfance, mais acquise par immigration ? Une question culturelle fondamentale, qui une fois de plus, définit le pays, bien au-delà de ses frontières. Dis-moi dans quelle langue tu écris, je te dirai qui tu es… La langue d’Ornela Vorpsi, originale comme elle, ombrageuse et charnelle, dure et drôlatique tout à la fois, la définit telle qu’elle est, telle qu’elle écrit, et telle qu’elle nous emmène, en voyage avec elle, à contre-cœur… un contre-cœur que le lecteur ne quitte plus, car même une fois le livre refermé et Paris retrouvé, le vert venin de cette langue si belle coule encore dans ses veines…
Selon Ornela Vorpsi, « Vert Venin n’est pas orthodoxe. J’ai essayé d’en faire une composition graphique,… un livre de voyage contre le voyage. J’ai pensé Vert Venin, comme un voyage horizontal, entre Paris-Sarajevo, Sarajevo-Paris, entrecoupé par des voyages dans les réminiscences, les souvenirs. les gens aiment voyager, car les voyages leur permettent d'espérer qu'ils trouveront dans un autre pays, sous un autre climat, dans une autre langue ce dont ils sont dépourvus chez eux. Les amis qui partent ont souvent l'air de s'échapper d'une prison. Car la liberté est toujours de l'autre côté. Et ce, jusqu'à ce que cet autre côté devienne leur demeure. ».
La liberté de voyager par la lecture, elle, par contre, est toujours en nous-mêmes.
Publié dans l'Extension, juin 2009.
lundi 22 juin 2009
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