mardi 20 janvier 2009

Question de genre

Docteur en sciences, leader mondial de la génétique du développement et de la compréhension de l’évolution des espèces, lauréat de nombreux prix parmi lesquels le Grand Prix de Biologie Léopold Meyer de l’Académie Française des Sciences, le Professeur Denis Duboule dirige le Département de zoologie et de biologie animale et assure la direction du Programme de recherches «Frontiers in Genetics». Une vraie star des sciences à Genève, mais pas seulement des sciences, et pas seulement à Genève: il a aussi été élu en 2006 meilleur enseignant de l’année par les étudiants en sciences et technologie du vivant de l’EPFL.


La différenciation des genres est tardive

Il se bat pour un savoir sans a priori, une recherche fondamentale libre de toute opinion préalable - un combat particulièrement difficile en ce temps du politiquement correct qui tend à vouloir imprimer son empreinte sur tout et en particulier sur ce qui ne le concerne pas… par exemple, la question de la différenciation des genres. Du point de vue du biologiste, la différence des genres est tardive et relativement malléable. L’embryon est indifférencié, d’ailleurs on ne parle jamais d’embryonne – encore qu’on peut s’attendre à ce que les élus fédéraux se penchent sans tarder sur cette lacune honteuse de la féminisation des noms! Mais à ce jour, l’embryon est épicène, et pour le biologiste du développement, la question du genre, du sexe, de la sexitude, ne se pose pas avant la morphogenèse des organes génitaux; et ce sont d’autres biologistes qui étudient cette morphogenèse des gonades, des traîtres de la confusion des genres… Heureusement, la culture, elle, veille au grain, et stipulera bientôt très clairement et définitivement à quel camp on appartient: fœtus ou fœtuse? Quand bien même la quantité de testostérone du liquide amniotique dans lequel baigne le (ou la) fœtus peut varier de 1 à 50, culturellement, la forme prime sur l’hormone!

Confronté au quotidien à cette question passionnante, Duboule le libre esprit s’énerve du «ramollissement des choses, de l’écrêtage, du fait de tout émulsionner… j’ai horreur des émulsions et de la cuisine moléculaire sans goût et sans extrêmes!» et se passionne pour les travaux de philosophie expérimentale de Beatriz Preciado. Chercheuse à l’Université de Princeton aux Etats Unis, elle s’intéresse elle aussi aux limites du genre – et conduit sur elle-même des expériences protocolées par elle et pour elle seule. Elle s’est notamment appliqué de la testostérone sur la peau pendant presque un an, signifiant ainsi que «mon genre n’appartient ni à ma famille, ni à l’Etat, ni à l’industrie pharmaceutique» (citée par Cécile Daumas). Une approche concrète qui éclaire et repousse d’une nouvelle manière les stéréotypes de la masculinité et de la féminité. Pour les résultats et les détails, lisez Testo Junkie: Sexe, drogue et biopolitique (Grasset, 2008). Un internaute commente: «Le corps de Beatriz Preciado au service d'une expérience transgressive qui s'inscrit dans la lignée des plus grands écrivains. Les limites du dicible sont repoussées… et la preuve est là, toujours et encore: l'écriture est vitale!»

Et la recherche aussi. Denis Duboule met désormais en oeuvre l’intelligence collective: «Je ne comprends plus vraiment ce que font mes collaborateurs, mais comme je dois comprendre malgré tout, je dois accepter d’avoir l’air bête (remarquez que si l’air bête c’est ça, pourquoi pas). La stimulation de l’intelligence collective permet de générer un environnement dans lequel la somme d’intelligence est supérieure à l’addition. Et j’essaie de promouvoir le retour d’un siècle des lumières, de tourner le dos au Moyen-Age des croyances, de ne jamais penser ‘comme si on savait’». Et en partant – l’entretien a eu lieu dans ma galerie, en guise d’au revoir: «C’est un luxe incroyable de pouvoir travailler dans le monde de l’art…». Question de genre…

Publié dans les Quotidiennes

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