Le Président Nicolas Sarkozy tout comme les Etats-Unis somment Laurent Gbagbo de se retirer de sa présidence usurpée en Côte d’Ivoire et le secrétaire général de l’ONU rejette la demande du même Gbagbo de retirer les forces internationales de son pays. L’idée est évidemment de préserver la démocratie – le vote majoritaire – mais aussi de prévenir la violence. Deux objectifs hautement louables et partagés, surtout en cette période qui se voudrait pacifique envers et contre tout.
Mais les moyens sont-ils les meilleurs ? Peut-être convient-il d’abord de se poser à nouveau la question des déterminants de la violence. Le premier toujours, la question du pouvoir, intimement liée à celle de l’argent. Ce que nous apprenons aujourd’hui du rapport de Dick Marty de ce qui s’est passé au Kosovo souligne une fois de plus, les possibilités illimitées du pouvoir, lié à l’argent, de révéler et se faire exprimer la capacité infinie de l’homme de perpétrer le pire sur d’autres hommes. La volonté de pouvoir, la jouissance du pouvoir, qu’elles soient légitimées ou non par le vote majoritaire, sont elles aussi sans limites. L’humanité est encore loin d’avoir trouvé les moyens de contenir ces puissances sombres, même si l’Europe y travaille activement et avec une efficacité certaine sur ses propres territoires, mais une efficacité qui n’est qu’en devenir hors de ses limites territoriales.
Soit dit en passant, alors que l’on entend tant de critiques – autocritiques surtout d’ailleurs – de l’Europe – « un continent vieilli, à l’agonie, sans démographie, sans avenir, sans projet, sans développement, ruiné, avec une monnaie en déréliction » – j’affirme personnellement que l’Europe est aussi l’avenir du monde, d’un monde équitable, d’un monde aussi « social » (« social » compris comme favorisant l’équité sociale) que possible, grâce à ses modèles, ses intellectuels, ses recherches, ses débats, sa recherche sans fin d’équilibres. Elle est et sera encore l’avenir du monde si tant est qu’au lieu de se flageller dans sa position « pensive », elle affirme avec force cette position comme l’une des voies – oui, d’avenir.
Au-delà de la propension à la violence - qui aime prendre pour prétexte, toujours, les différences ethniques, claniques, sociales, religieuses, politiques, comme cible de rassemblement – il y a les armes. Les armes qui permettent de perpétrer la violence. Certes, les hommes se sont depuis toujours construit des armes. Ils continuent. Mais aujourd’hui, le pouvoir et l’argent se conjuguent dangereusement à l’intérieur du marché des armes. Si la Côte d’Ivoire n’était pas si bien approvisionnée en armes diverses, le risque de violences serait bien évidemment réduit. Certes, les machettes peuvent faire des ravages, mais qui sont sans commune mesure avec les armes que les hommes de Côte d’Ivoire ont aujourd’hui à disposition. Alors réfléchissons un peu, et calculons. Si le marché des armes était mieux contrôlé et mieux réglé, le risque actuel de violences en Côte d’Ivoire serait réduit d’autant. Calculons : combien va coûter ce qui risque de se passer ? Pourquoi les bénéfices du marché des armes n’est-il jamais mis en regard avec les coûts encore bien plus énormes et durables qu’il engendre, au niveau mondial, dans un marché mondialisé ?
Trois commentaires encore. Tout d’abord, une libérale qui s’oppose au marché libre des armes et propose la régulation, une nouvelle hérésie ? Non en fait quand on réfléchit à l’individu d’abord. Le libéralisme, c’est bien d’abord le respect de l’individu, de sa liberté et de sa vie. Le libéralisme, c’est aussi la prévention de la dégradation, la protection contre la déréliction. Dans l’équilibre entre la protection du marché et celle des droits humains, la première ne prime que si elle sert la seconde.
Deuxièmement, le risque de violence en Côte d’Ivoire ne doit pas nous occulter les risques plus globaux. L’expiration, en décembre 2009, de l’ancien traité Start (traité de contrôle des armements nucléaires entre la Russie et les USA), et par conséquence, l’absence de mécanismes de vérification mutuelle de leurs arsenaux nucléaires respectifs est très préoccupant. L’urgence de signer un nouveau traité est immense !
Et finalement, parmi les questions qui restent à investiguer, celle très provocatrice de la question de l’esthétique du pouvoir et des armes ne devrait pas être ignorée plus longtemps. La guerre est épouvantable. Oui. Mais si elle perdure malgré ses horreurs, c’est qu’elle exerce sur l’humain un attrait qui déborde certainement les prétextes politiques qui la déclenchent en général. Encore un sujet d’analyse, vierge encore, pour l’Europe.
Nous espérons tous que le retrait de Laurent Gbagbo soit imminent, sans trop y croire encore. La menace de sanctions, les sanctions elles-mêmes, exerceront-elles les effets escomptés ? A l’avenir, les meilleures sanctions – ou mieux, actions - que l’Union européenne devra mettre en œuvre pour soutenir la démocratie et prévenir les violences, les plus efficaces aussi, seront certainement préventives et probablement régulatrices. Que l’Europe se donne donc pour mission supplémentaire de convaincre le marché des armes de cette nécessité : ne pas armer sans contrôle, sans réflexion, sans calculs prospectifs des coûts, les pays à risque.