mercredi 2 janvier 2008

Ils ont tué Benazir

C’est volontairement que je l’appelle par son prénom. Qui se souvient du prénom de Gandhi, de Kennedy, si ce n’est à cause de JFK, ou de Adenhauer? Mais Benazir était une femme. Quelle souffrance, ce verbe au passé. Je l’appelle par son prénom parce que les femmes, même les plus grandes, portent toujours leur prénom: il nous reste collé à la peau de l’intimité intérieure. Parce qu’une femme publique, ce n’est pas la même chose qu’un homme public, et qu’aujourd’hui encore, une femme publique est avant tout une femme, fût-ce la première et la meilleure dans son domaine. On a eu Clinton, on aura – peut-être – Hillary. Notre prénom, comme une marque de fabrique.

C’est pourquoi je dis ils ont tué Benazir. Ils n’auraient pas dû tuer Benazir.

Ils ont tué, cette fois-ci, à l’intérieur. A la fois l’un des leurs et l’une des leurs. A la fois le représentant de l’opposition pakistanaise et une femme de pouvoir. Ils n’ont même plus l’excuse – même s’ils n'est jamais aucune excuse – ils n’ont même plus la moindre pseudo tentation de justification fumeuse que certains avaient bien voulu leur trouver à l’époque – de vouloir lutter contre l’ennemi de l’extérieur, l’impérialiste américain, le poison des civilisations, le tueur à grande échelle. Benazir était des leurs. Ils ont voulu faire d’une balle des millions de coups et démontrer que les femmes ne sont pas des leurs. Ils ont essayé de tuer la démocratie dans l’oeuf. Bien sûr, ils n’y arriveront pas, à tuer la démocratie: mais cette affirmation procède aujourd’hui d’une volonté absolue bien plus que d’une certitude acquise.

Axel Kahn, vous qui m’avez appris, il y a longtemps, que le développement de la science et celui de la démocratie vont de pair et que les deux sont indissociables de la présence des femmes, aux côtés des hommes, dans les laboratoires comme dans les parlements et vous tous, Messieurs, qui croyez en la démocratie, vous tous qui portez la conviction qu’”islam” se conjugue au féminin avec “démocratie”, levez-vous, maintenant, tout de suite, et encore, en masse, partout, et dites-leur, haut et fort, non, vous n’auriez pas dû tuer Benazir, car il faut aussi que vous vous disiez cela entre vous, d’homme à homme, pour que plus jamais, dans les années à venir, on ne tue Benazir.


Publié dans les Quotidiennes, le 28 décembre 2007

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