vendredi 14 mai 2010

Le rêve est dans le bois,...

Genève Ma Plage, vous connaissez? Il est un projet tout en bois... enfin disons, à 80% en bois...

Et Gstaad, vous connaissez? Oui bien sûr. Le village de rêve des skieurs du monde entier, le snobisme et la simplicité, les chalets et le luxe, la musique et le tennis... Mais pas seulement. Dans le style très haut de gamme, Gstaad va encore plus haut en décidant d’ouvrir un centre culturel, «Les Arts Gstaad». On aurait pu craindre un machin pompeux, sans authentique ancrage culturel contemporain. Eh bien non: en choisissant parmi vingt et un projets pour les Arts Gstaad le projet de l’architecte français Rudy Ricciotti, Gstaad s’assure un centre forcément culturel et qui ose la beauté. Et en s’habillant de bois, Les Arts Gstaad soulignent que Gstaad, malgré sa population migrante, reste essentiellement rural et montagnard...
Rudy Ricciotti
Rudy Ricciotti? Beaucoup font la moue en entendant son nom. Ricciotti a pourtant des liens anciens avec la Suisse et Genève, où il a étudié en 1974 à l’Ecole d’Ingénieurs avant de poursuivre ses études d’architecture à Marseille. Mais s’il est indubitablement admiré pour son travail d’architecte (il a notamment été le lauréat du Grand Prix National d’Architecture en 2006), il est parfois détesté pour son caractère et sa langue plus que bien pendue et il est vrai que son indépendance forcenée ne va pas sans un certain goût pour la discorde... Passionné par nature, qu’il s’agisse de son métier, de politique ou de poésie, l’homme est amant de l’esthétique - mais non de l’esthétisme - des coups de gueule plus souvent qu’à son tour, mais aussi des coups de cœur. N’a-t-il pas sauvé récemment la maison d’édition Al Dante, qui publie entre autres folies de la poésie expérimentale, poésie-sonore et poésie-action, un investissement dont on ne saurait imaginer qu’il soit rentable?

Esprit créatif
Parmi les projets exceptionnels de Rudy Ricciotti, plusieurs salles de spectacle, dont le Pavillon Noir conçu pour le ballet Preljocaj à Aix en Provence, mais aussi, en collaboration avec le groupe gênois 5 + 1 AA, qui se réclame quant à lui du réalisme magique, le futur Nouveau Palais du Cinéma du Lido de Venise: un bateau échoué, à l’envers, sur la plage du Lido... L’idée de l’ensevelissement, d’une architecture en partie invisible, souterraine, a poursuivi son chemin dans l’esprit créatif de Ricciotti. Mais pour Gstaad, celui qui n’a de cesse de s’énerver contre les exigences environnementales parfois absurdes dans la construction d’aujourd’hui - lire à cet égard son brûlot HQE, les Renards du Temple, selon l’auteur lui-même, «un pamphlet en réponse au diktat imposé par les technocrates à l’heure de l’environnement prétexte. Un cri de colère et de révolte, une remise à plat, sans faux plis, de l’expertise environnementale et de ses génuflexions serviles» - pour Gstaad donc, Rudy Ricciotti a pris en compte l’environnement de la meilleure des manières: en privilégiant l’effacement. Le bois dans la forêt... Oui, le projet Ricciotti invite au rêve dans la montagne, qui va accueillir une vraie sculpture, intégrée dans le paysage: Les Arts Gstaad seront en effet constitués d’un volume majestueux, habillé de bois, contenant une salle de concert aménagée comme une grotte de cristal, alors que les autres espaces (salle d’exposition, foyer...) seront souterrains et de ce fait invisibles. Une fois n’est pas coutume, voilà un aménagement ménageant la topographie et l’environnement villageois, tout en introduisant, dans ce lieu qui ne s’y attendait pas, une vraie intensité théâtrale. Le théâtre, Ricciotti connaît...
Ecoutons celui qui remet le bois au sommet de la montagne, rencontré sur la plage de Marseille le mois dernier: «J’ai gagné Gstaad parce que je n’ai pas eu peur du récit, de la narration. Le projet parle de la géographie d’un territoire. Je suis allé puiser l’inspiration dans les croyances anciennes, dans la montagne, dans l’onirisme... J’ai mis toute mon énergie au service de l’esthétique, des signes et des principes de beauté.»
Nous ne pouvons qu’espérer qu’à Genève, les principes de la beauté guident toujours ceux qui construisent pour nous notre monde de demain.


Libre livre La Grande Peur dans la Montagne, de Ramuz

Le roman le plus mystérieux de Ramuz, le plus obscur aussi, l’homme face à lui-même, dans la nuit de la montagne, une allégorie onirique parfois cauchemardesque de la rencontre de l’existence avec elle-même et sa propre fin. Cela se passe à Sasseneire, un pâturage de haute montagne que les gens du village avaient laissé à l’abandon pour une vieille histoire de maladie et de mort dont le souvenir fait encore trembler les vieux du village. Mais faut-il perdre tant de bonne herbe par crainte d’un prétendu mauvais sort alors que la commune est pauvre ? Le clan des jeunes finit par l’emporter : en été, le troupeau monte à l’alpage, à 2 300 mètres d’altitude, sous la garde du maître fromager, son neveu, quatre hommes et un jeune garçon. Mais les vieilles craintes ne sont pas mortes, et la montagne et la nuit, garantes toutes deux des forces trop souvent ignorées de la nature, les ravivent plus aigues que jamais. La montagne comme la nuit, n’existent que pour elles-mêmes, comme d’une certaine manière, le livre magnifique de Ramuz. La Grande Peur dans la Montagne, une allégorie de l’existence. Je ne sais pas si Ricciotti a fait le voyage de Sasseneire, mais sa sculpture habillée de bois, elle aussi, est pour être.

Et... La Plage
La Plage, un récit de Cesare Pavese, dont je vous avais déjà recommandé la lecture (Le métier de vivre). C’est l’été, la lumière flotte au-dessus du sable, réfraction onirique elle aussi, mais les sensations de solitude de l’homme sont différentes. Le narrateur observe un couple, qui semble se déliter doucement dans la moiteur de l’été, dans le farniente de la plage, dans la mer, alors que ce devait être le dernier été de jeune fille de Clelia... «La compagnie de la mer me suffit. Je ne veux personne. Dans la vie je n’ai rien à moi. Laissez-moi au moins la mer.» Des solitudes si différentes, face à la montagne, ou face à la mer. Inquiétante et fondamentale, dans la montagne. Solitudes partagées, à l’italienne, sur la plage... A vous de choisir!




Publié dans l'Extention, le 14 mai 2010

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