Ce corps qui est le seul endroit ou chacun de nous vit tous les jours, l’architecture intime de nous-mêmes. Une architecture qui selon Shusterman peut toujours être améliorée : le philosophe-thérapeute se situe ainsi clairement dans la ligne de la pensée pragmatique et mélioriste et croit à la plasticité somatique – dans la limite des contraintes corporelles.
Shusterman convaincu par ailleurs que l’esthétique du corps du philosophe lui-même - le “style somatique” de celui qui professe - est aussi importante, dans la transmission de ses idées, que les idées elles-mêmes. “Même chez les philosophes, nous dit Shusterman avec modestie, la pensée passe par un comportement somatique : il s’agit de convaincre logiquement et de séduire esthétiquement...
L’apparence donne beaucoup de pouvoir aux idées : le philosophe est comme un acteur, a performing artist, et la distance qu’il y a entre convaincre et persuader est comblée - ou non - par le corps.” Shusterman se réfère, entre autres, à Wittgenstein, dont les élèves décrivaient abondamment l’allure impériale, le regard souvent féroce, la personnalité très “physique”... Une somaesthétique très palpable aussi, dans l’abécédaire de Deleuze par exemple, dans les cours de Roland Barthes aussi.
Le “style”, ainsi, qu’il soit la présentation physique de soi-même ou l’expression parlée ou écrite, implique un choix. Il peut être, de manière plus ou moins inconsciente, l’expression du caractère ; il peut aussi être travaillé, jusqu’à l’excès – mais dans tous les cas, le style est un choix. De manière intéressante, le terme même de “style”, si on se réfère à l’écriture, ne vient pas de la physicalité des mots (la bouche, les cordes vocales, la respiration) mais du geste corporel d’écrire – de graver, avec un “stylet”... Le style est donc contextuel, en relation avec les instruments utilisés pour écrire. Le “traitement” de texte induit d’autres formes stylistiques que l’antique machine à écrire et réécrire, avec ses contraintes et ses marges... La plasticité du langage ET le choix du style rejoignent la plasticité somatique et le choix de son corps, ceci dans la limite des contraintes de base liées tant au corps qu’à l’écriture d’une époque donné. Il y a une “stratégie du style” (selon Laurent Jenny ) comme il existe une “stratégie somaesthétique”. Le style a affaire à de “l’étrange” dans la langue – à de l’étrange dans le corps peut-être aussi – étrange, étranger à l’autre et propre à soi-même.
Publié dans les Quotidiennes, le 10 mai 2010
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