dimanche 1 juillet 2007

L’art et la culture au chevet de la consommation

Lorsque la mode devient prescriptrice de valeurs, le vêtement ou l’objet ne peuvent plus se résumer à une valeur d’usage. Ils doivent se charger de sens et contribuer à situer l’individu dans son environnement social. Ainsi, la valeur culturelle du produit semble aujourd’hui bien plus importante que le produit lui-même. Il ne s’agit plus de vendre tel ou tel produit, mais bien de promouvoir tout un langage culturel, toute une grammaire comportementale. Pour définir ce langage, cette grammaire, les marques font de plus en plus souvent appel aux artistes d’aujourd’hui.

On n’achète plus un sac Longchamp, mais un objet d’art créé par Tracey Emin - artiste anglaise tellement people que même les clochards, dans les rues de Londres, l’appellent par son prénom - et sur lequel elle a brodé ce message intemporel: «Always Me». On n’achète plus une simple valise Louis Vuitton, mais une mise en scène artistique plus ou moins complaisante de la nudité féminine sous toutes ses formes et toutes ses couleurs, réalisée par Vanessa Beecroft, star incontestée des «tableaux vivants» selon ses propres termes. On n’achète plus seulement une robe de Piazza Sempione – mais une critique intellectuelle de l’esthète le plus pointu d’Italie, Stefano Arienti, distillée par la plus belle, la plus désincarnée et la plus intemporelle des modèles qui lui furent proposées.
La recherche de sens, constante chez l’humain depuis la nuit des temps, se nourrit donc désormais de la philosophie des marques. Plus celles-ci sont puissantes, plus emblématiques seront les personnalités auxquelles elles font appel pour répondre à la demande de leurs clients-consommateurs-amateurs de sens. Le monde de la mode n’a aucune difficulté à vampiriser les artistes auxquels il offre non seulement une visibilité inespérée mais aussi des moyens de production hors de la portée de l’immense majorité des lieux artistiques et culturels.

En même temps qu’il devient prescripteur, le commerce de luxe devient donc, par nécessité, également intelligent et cultivé, voire provocateur. Cette «cérébralisation» de la mode s’étend d’ailleurs, au-delà du produit, au lieu de vente, qui lui aussi doit être porteur de sens. Le décloisonnement des espaces est l’une des manifestations de cette évolution. On mange chez Armani, on lit à St. Martin’s Lane, on n’entre plus chez Helena Rubinstein mais dans une «beauty gallery». A Paris, Colette est un modèle du genre: on vient certes acheter des produits qui ne sont en vente nulle part ailleurs, mais aussi boire du jus de gingembre et manger des légumes santé, utiliser le réseau wifi, et surtout découvrir les dernières oeuvres video des artistes à la mode.

Finalement, cette nécessité de sens ne concerne pas seulement la mode, mais aussi le monde de l’alimentation. Si les artistes sont peu appelés à la rescousse du marché des légumes ou des laitages, la culture environnementale est par contre souvent promue pour vendre les salades. Il est désormais indifférent qu’elles soient bonnes, pourvu qu’elles procèdent de la contre-culture bio, dont l’objectif final, comme le soulignent Heath et Potter (Révolte consommée, le mythe de la contre-culture, 2005) reste la consommation. La culture, artistique ou bio, définit un art de consommer qui justifie à lui seul la poursuite de la consommation.

Publié dans L'AGEFI, 2006

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