dimanche 1 juillet 2007

New York la verticale, Los Angeles l’horizontale : ambition et post-ambition


Les villes ressemblent à la géographie des lieux qui les ont vu naître, et les structures sociales comme les interactions humaines, culturelles et créatives, ressemblent à leur tour aux villes qui les font vivre. Les architectes qui construisent ces villes, profondément marqués par les sociétés dont ils sont issus, reflètent dans leurs constructions les règles précises qui régissent au même moment ces interactions sociales. A Manhattan, seul le ciel est sans limites: on construit donc toujours plus haut. Plus dynamique aussi, plus grand, plus léger, plus proche du ciel, mieux que les autres, avec une volonté toujours plus forte de réussir, de sortir de l’ombre des rues, de marquer l’époque, d’exister aux yeux du monde. Debout. New York est le symbole même de la puissance verticale, une puissance que l’ouest tend à remettre en cause.
Car de l’autre côté du pays, Los Angeles l’horizontale s’étire sans fin le long de l’océan et à l’intérieur de terres autrefois désertiques. L’organisation de la ville se reflète dans ses moeurs: on passe ici davantage de temps à communiquer, à échanger, à générer la culture du futur en imaginant d’autres formes de vie, de sociétés et d’expressions culturelles, qu’à se positionner plus haut que les autres. Rencontres permanentes, même en l’absence de lieux de rencontre physiques: selon Dana Gioia, poète best-seller (un oxymoron qui n’est viable qu’aux Etats-Unis), qui connaît bien la côte ouest puisqu’il y a grandi, une nouvelle forme de bohème est en train de naître ici. Des communautés virtuelles en transit permanent, définies par les affinités culturelles de leurs membres, se déplacent et vivent par le truchement d’internet, de la microédition et d’autres technologies en invention permanente. En parallèle, la capitale du sud californien, subtil mélange d’une Amérique auto-admirative et d’une Amérique avant-gardiste, revient aujourd’hui sur le devant de la scène, non seulement du cinéma, mais aussi du multimédia, de la culture et du high-tech. Troisième cité hispano-américaine après Mexico et Buenos Aires, Los Angeles abrite aussi le plus grand nombre d'entreprises hispano-américaines des Etats-Unis: rien à voir avec une soi-disant paresse de sombrero!
Et pourtant, on parle désormais ici de position, ou d’attitude, post-ambitieuse. La post-ambition n’a rien d’une sous-ambition, elle ne correspond ni à une critique, ni à une soustraction d’ambition. Il s’agit d’une autre approche, ambition au-delà de l’ambition, plus personnalisée et plus éclatée à la fois. Chacun et chacune définit avec acuité ses propres objectifs, individuels et de groupe, hors des sentiers battus, sans contrainte et sans critères. Une libre ambition collective. L’attitude post-ambitieuse suppose en effet la rencontre de l’autre, la prise en compte de son potentiel, les échanges constants, l’effacement des distances réelles par la proximité virtuelle, le reconnaissance du rôle des collectivités. Comme le dit encore Dana Gioia, qui tout en écrivant ses poèmes a longtemps travaillé dans des entreprises de cette côte ouest qui l’inspire, «J'ai appris dans ce milieu des choses que les écrivains ne découvrent pas nécessairement dans la pratique de leur art, comme l'esprit d'équipe, et le fait qu'on peut accomplir beaucoup plus de choses si on crée une situation dans laquelle, en collaborant pour atteindre des objectifs communs, tout le monde pourra réussir.» L’esprit d’équipe s’accommode peu de la hiérarchie verticale. Mais à l’ouest, tout le monde crée. Ensemble. Couchés au soleil. Beyond ambition.

Publié par L'AGEFI, 2006

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