mardi 29 juillet 2008
Au delà du kiosk, la fraîcheur de l’été
Une exposition légère, dans le meilleur sens du terme, et pour de multiples raisons, même si elle présente plusieurs centaines d’œuvres sur papier, documents stratégiques soigneusement sélectionnés dans tout ce qui nous parle d’art, d’édition et de graphisme.
Alors, pourquoi légère ?
Tout d’abord, parce que Christophe Keller (le commissaire de l’exposition) l’est lui-même, léger, par rapport à lui-même, puisqu’il est à la fois éditeur, fondateur des éditions Revolver (Archiv für Aktuelle Kunst), graphiste et curateur notamment de sa propre collection très impressionnante de monographies d’artistes, de catalogues d’expositions, de textes d’artistes, de fanzines, de revues, de disques.... et agriculteur. Christophe Keller nous démontre ainsi de la plus concrète des manières que la vie est certes faite de mots mais aussi d’actions quotidiennes aussi simples qu’indispensables à notre survie. Il joue à la fois avec les mots et la vie - la culture avant tout : celle de nos terres, celle de notre esprit ; nourritures terrestes, nourritures célestes.
Ensuite, parce que c’est essentiellement voire exclusivement l’édition indépendante qui l’intéresse: et quoi de plus léger que l’indépendance ?
Et enfin, parce que les textes rassemblés vous réservent, en parallèle à des textes de haute tenue intellectuelle, les surprises les plus drôlatiques : je n’oublierai pas le texte que j’avais sous les yeux, pendant la conférence de présentation de l’exposition : Piss down my back and tell me it’s raining ! Une pluie tiède, en plein été, derrière le kiosk, au Centre d’Art Contemporain… à ne pas manquer.
Publié dans lextension.com le 29 juillet 2008
vendredi 25 juillet 2008
PME et politique : une question à rebours
A tous les niveaux, la grande économie prend le pas sur la démocratie. Si l’Amérique perd en liberté, c’est pour des raisons économiques bien plus qu’idéologiques : le marché des armes comme celui du pétrole, dictent leurs lois à la politique - y compris à la politique culturelle d’ailleurs. Par respect de l’argent du pétrole, on voit disparaître peu à peu la figure humaine, le sexe et le sang dans une certaine forme d’art officiel… Si la Suisse n’adhère pas à l’Europe politique, c’est parce que les intérêts de sa place financière vont à l’encontre d’une telle option. Si la globalisation touche le travail bien plus que les marchés, c’est que les revenus de la délocalisation du travail sont prépondérants sur ceux de l’ouverture des marchés.
Dans ce combat inégal, les PME, pour petites ou moyennes qu’elles soient, ont à remplir un rôle d’arbitre, voire de modèle, absolument crucial. Qui peut affirmer aujourd’hui la prépondérance du capital humain sur le capital inhumain? Qui sait ce que bonne gouvernance veut dire, sur le terrain même de la vie entrepreneuriale? Qui est en mesure d’implémenter concrètement et sans dogmatisme les principes du développement durable? Qui sait évaluer réellement les besoins d’immigration et les besoins sécuritaires, et distinguer au mieux les régulations indispensables de celles mortifères? Et qui sait vraiment, ce que libéral veut dire?
Ma réponse est claire: ce sont les PME, et avec elles, leurs centaines de milliers de collaborateurs. Parce que dans les PME, le pragmatisme prime, les niveaux hiérarchiques sont quotidiennement effacés par la recherche d’efficacité, le meilleur de chacun constamment requis, le respect de tous indispensable au fonctionnement de chacun. Et si notre pays reste un modèle de démocratie, c’est bien parce que le tissu des PME est serré et ce n’est que dans les domaines où ce tissu se défait et laisse place à des superstructures molles que la démocratie est en péril.
Concrètement, les politiciens, plutôt que de se demander, louablement certes, comment faire pour soutenir les PME, feraient mieux d’aller sur leur terrain pour apprendre les équilibres fondamentaux entre patrons et collaborateurs, de manière à s’en inspirer lorsqu’ils auront à gérer ces mêmes équilibres à d’autres niveaux, économiques, administratifs, ou globaux. Concrètement encore, les PME, même si elles croulent déjà sous leurs responsabilités, devraient lever la tête avec plus de fierté encore et prendre la parole plus souvent qu’à leur tour, non pas pour réclamer de l’aide, mais pour se poser en modèle de gestion humaine, éonomique et démocratique.
Publié dans l'AGEFI le 25 juillet 2008
Archi-émouvant : l’architecture émotionnelle
L’architecture en effet est à l’honneur en ce moment, en France et ailleurs, de Lézigno à Valenciennes, de Gênes à Genève, de Londres à Biarritz, à la croisée des chemins entre art et politique, entre qualité maximale et désastres environnementaux, entre rêves et réflexions, rires et émotions - tout cela pendant que l’architecture suisse, elle, s’exporte sans complexe, à Pékin et Calcutta, archi-local et archi-global.
Archi-émouvant : l’architecture émotionnelle
Architecture émotionnelle? Vous ne trouvez pas, vous, que cela suffit, la structure, la hauteur, la perspective, la performance, la technique, la forme, le style? Oui oui, c’est très bien tout cela, mais… et la beauté b…?
Luis Barragan, Prix Pritzker 1980, affirmait déjà qu’ «il est très important que l’architecture puisse émouvoir par sa beauté.» Barragan se référait à Mathias Goeritz, concepteur de l'architecture émotionnelle (Manifeste pour une architecture émotionnelle, 1953) : «J’ai travaillé en totale liberté pour réaliser une œuvre dont la fonction serait l’émotion: il s’agit de redonner à l’architecture son statut d’art». L’architecture d’aujourd’hui, dit encore Goeritz, semble avoir effacé de son vocabulaire non seulement la beauté, mais aussi l’inspiration, la magie, l’envoûtement, l’enchantement, ainsi que les concepts de silence et d’étonnement: autant de causes et d’effets de l’architecture émotionnelle. Poème plastique, introspection, l’architecture émotionnelle, selon le critique et écrivain français Michel Seuphor (Seuphor, rien moins que l’anagranne d’Orpheus), renvoie l'observateur à ses sensations intimes.
Et si l’architecture émotionnelle n’est pas (encore) un large mouvement architectural, elle pourrait bien s’avérer être l’architecture de demain. Elle est en tous cas celle des architectes italiens 5+1AA. 5+1 ? Cinq Terres et une forme. Les Cinq Terres, classées «paysage culturel», se retrouvent, dans le catalogue des projets de 5+1AA, en bordure d’un champ de maïs, en plein été: une femme assise dans l’herbe tient dans son giron, une forme. Et les mots? Foin de concept, de structure, de fonction– l’âme italienne est bien au-delà de ces nécessités. Alfonso Femia et Gianluca Peluffo utilisent d’autres mots: réalisme magique, émerveillement et effroi, contexte versus cynisme, sensorialité et sensualité. Il s’agit d’inventer des bâtiments, affirment-ils, qui deviennent des instruments de perception et de connaissance d’une identité qui ne saurait être que plurielle.
L’architecture émotionnelle est aussi celle d’un Rudy Riciotti, même si les émotions de l’enfant terrible de l’architecture française ont d’autres sources que la nostalgie des brumes du Po ou l’élégance de la Cité des Doges: il s’agit pour Riciotti de violence et de passion, d’excès, voire de brutalité, de révolte toujours, kalachnikov si nécessaire. Le célèbre Stade de Vitrolles que certains ont paraphrasé, le Stade au Vitriol, n’est que l’une des réalisations passionnelles de ce militant sans répit.
L’architecture émotionelle, celle de demain donc? En tous cas celle du futur Nouveau Palais du Cinéma du Lido de Venise. Conçu par qui? Par Rudy Riciotti et 5+1AA. Un projet qui, selon eux, unit métaphysique et sensualité. Le septième art, celui d’écrire le mouvement, aura inspiré une architecture en adéquation: aussi émouvante que la volonté humaine toujours renouvelée de raconter la vie. Jamais sans émotion, et toujours en beauté.
Publié dans les Quotidiennes, le 25 juillet 2008
vendredi 18 juillet 2008
Archi-rire: de la beauté des latrines
L’architecture en effet est à l’honneur en ce moment, en France et ailleurs, de Lézigno à Valenciennes, de Gênes à Genève, de Londres à Biarritz, à la croisée des chemins entre art et politique, entre qualité maximale et désastres environnementaux, entre rêves et réflexions, rires et émotions - tout cela pendant que l’architecture suisse, elle, s’exporte sans complexe, à Pékin et Calcutta, archi-local et archi-global.
Archi-rire: de la beauté des latrines
La beauté des latrines? Le signe même de la civilisation et la preuve irréfutable que le progrès existe. Quoi d’autre que les latrines établit définitivement la suprématie de l’Italie sur l’Angleterre? A Rome, elles étaient aussi nombreuses que somptueuses: murs en marbre, mosaïques, peintures, rien n’était de trop. Récemment, les foires d’art internationales ont elles aussi été cotées, non sans raison, en fonction de la qualité de leurs latrines. Dignité oblige. Et à Genève, qui ne se souvient de Christian Ferrazino et de ses treize millions (à savoir, tout de même, 380.000 francs pièce) pour améliorer l’état des toilettes publiques de la ville? Le Conseil municipal de l’époque avait fait merveille en termes de bons mots (retrouvés dans les archives de la Tribune de Genève): «Je ne vous demande pas un vote sur le siège!» avait déclaré Ferrazino lui-même, suivi par Pierre Maudet, «Cette proposition répond à un réel besoin», puis Hélène Ecuyer, «Je suis pour ma part d'accord pour le renvoi en commission», alors que Roberto Broggini se refusait à «entrer en matière» et que selon Eric Ischi «Nos toilettes sont un véritable calvaire: on se dépêche, on fait à côté et on en ressort comme on peut», constat qui l’amena à plaider pour le modèle turc «où l'on se rend avec plaisir». «Allons-y tous ensemble!» avait-il conclu pour obtenir un vote massif en faveur du concept – et il fut entendu. Mais la rue du Stand prit le pas sur Ferrazzino et les latrines genevoises passèrent aux oubliettes…
Dommage… mais heureusement, d’autres ont repris la flamme. Robert Latour d’Affaure notamment, architecte basque, qui a investi ses convictions et son âme de créateur dans la construction d’exceptionnelles toilettes publiques en bord d’océan. Son concept? L’opération esthétique provient aussi bien du haut, l’essence, que du bas, la matière; il s’agit d’allier référé conceptuel et stimulus sensible; l’architecture ne se comprend pas seulement avec le cerveau ou les yeux: elle se vit avec le corps. C’est ainsi que Latour d’Affaure a réalisé «Miroir ancré» sur le Paeso Nuevo à Saint Sebastien, «miroir ancré» signifiant à la fois l’ouverture au monde: le miroir; et le caractère identitaire: l’ancrage. Une architecture de la révélation du paysage, selon ses propres mots: «Miroir ancré se fond dans la roche basque. Il fait partie intégrante de la montagne. Il suscite un sentiment d’appartenance au lieu: la matière même de la roche devient un élément du langage architectural.»
A Lézigno 2008, où Latour d’Affaure présente son travail dans le cadre de la conférence intitulée Inopportunismes, le lyrisme de l’architecte laisse les auditeurs sans voix, si ce n’est pour se demander si le titre de la conférence ne fut pas choisi tout exprès pour lui? L’objet architectural est magnifique, le miroir reflétant l’Océan, la conception spatiale, l’intégration au paysage, les plages sauvages de Saint Sébastien auxquelles les vagues donnent de la hauteur: des toilettes comme une dune avec une porte en miroir, qui se déplace, telle l’entrée d’un grotte magique, et nous laisse nous glisser à l’intérieur de cette pure merveille de style, béton, végétation et acier, ou comme le dit encore Latour d’Affaure, «champ ouvert de perceptions sensorielles». Tout cela, non pas pour un lieu de spiritualité, que Latour d’Affaure eût aussi bien pu réaliser, mais pour la Matière avec un grand M, pipi-caca donc… depuis, je ne vais plus aux toilettes. Pipi debout devant le lac, ou rien. En attendant que les toilettes de la rade deviennent dignes de palaces anciens, avec des miroirs qui de l’extérieur réfléchiraient notre magnifique jet d’eau, pour en capter d’autres, plus prosaïques, à l’intérieur. Nous voulons Robert Latour d’Affaure à Genève, de toute urgence – et nous graverons dans nos esprits et dans la pierre, les vers de Bernardo Atxaga avec lesquels il conclut sa conférence: «Sur ce miroir mille yeux se poseront, (et le monde), des miroirs, eux aussi… le miroir de tant d’autres mondes». Des yeux sans lunettes, à coup sûr!
Publié dans les Quotidiennes, le 18 juillet 2008
jeudi 17 juillet 2008
Comme une idée de liberté
Et aujourd’hui ? La crainte, exprimée par Tocqueville, que si ses citoyens n’y prêtaient pas attention, l’Etat démocratique pourrait dans certaines circonstances former le lit même du despotisme, semble se réaliser. Les Américains, distraits par 9/11, ont laissé l’administration et l’Etat américains occuper une position inadmissible en regard de l’idée américaine. Il ne s’agit pas seulement de Guantanamo, qui fait enfin réagir même les plus distraits – mais aussi des innombrables contrôles administratifs progressivement mis en place, notamment les contrôles d’identité. Même l’emblématique Patriot Act, censé permettre une lutte plus efficace contre le terrorisme, constitue en réalité un nouvel instrument de lutte contre les criminalités de tout ordre, y compris les pseudo-criminalités, et bafoue allégrement le principe fondamental de Benjamin Franklin (1759) qui veut que «ceux qui sont prêts à abandonner des libertés essentielles contre une sécurité illusoire et éphémère ne méritent ni liberté ni sécurité.» Je ne suis pas certaine qu’ils ne les « méritent » pas, mais une chose est certaine, c’est qu’ils ne les obtiennent pas. La preuve, l’Amérique d’aujourd’hui. Moins libre et moins sûre.
En regard, l’Europe et la Suisse semblent prendre le relai de la défense des libertés individuelles, de l’initiative personnelle et de la limitation des pouvoirs de l’Etat et assumer cette responsabilité fondamentale des Etats démocratiques que représente la protection des libertés de leurs citoyens. Pressée par les siens, l’Union européenne sans cesse sur le métier remet l’ouvrage d’une Constitution de liberté, pour laquelle elle ferait bien de s’inspirer de la nôtre, modèle de l’idée américaine, qui protège la liberté et les droits du peuple, souligne que tout être humain a droit à la liberté personnelle et de mouvement et que sont garanties les libertés de conscience et de croyance, d’opinion et d’information, de la langue, de la science, de l’art ; la liberté de réunion, d’association, d’établissement ainsi que les libertés économique et syndicale. Et si le monde entier tend aujourd’hui à vouloir voter pour Obama, c’est probablement avant tout pour le rétablissement, en Amérique aussi, de cette idée-là, la plus précieuse : l’idée de liberté.
Publié dans l'AGEFI le 17 juillet 2008
vendredi 11 juillet 2008
Archi-politique: heureuses coïncidences
L’architecture en effet est à l’honneur en ce moment, en France et ailleurs, de Lézigno à Valenciennes, de Gênes à Genève, de Londres à Biarritz, à la croisée des chemins entre art et politique, entre qualité maximale et désastres environnementaux, entre rêves et réflexions, rires et émotions - tout cela pendant que l’architecture suisse, elle, s’exporte sans complexe, à Pékin et Calcutta, archi-local et archi-global.
Archipolitique n’est pas toujours archi-crime. Il ne s’agit pas seulement de détruire en banlieue parisienne certains désastres architecturaux et sociaux comme ceux de Sarcelles - non, la France construit aussi des liens, des réseaux, riches et productifs, entre politiciens, artistes, intellectuels et entrepreneurs. «Heureuses Coïncidences», le Colloque de Lézigno, organisé par Luciana Ravanel (lien Quotidiennes Ravanel), en collaboration avec Paul Ardenne, spécialiste de l’art en espace public, draine chaque année vers le sud non moins de deux cents participants et génère les interactions les plus éclectiques et les plus riches.
Tout ceci et grâce à la volonté, à l’intelligence et au soutien financier et logistique d’Agnès Jullian, jeune femme hors du commun qui a repris du jour au lendemain la direction de l’entreprise familiale Technilum, spécialisée dans l’éclairage public, et en a fait non seulement une entreprise florissante, mais une entreprise engagée - heureuse coïncidence s’il en est entre entreprise familiale et mécénat culturel!
Au colloque de Lézigno, cette année, on n’aura pas seulement entendu les plus grands architectes – même Kengo Kuma était là, le prince japonais de l’architecture organique – mais aussi, de manière plus inattendue, quelqu’un comme Laurent Fachard (Eclairagistes Associés) qui s’attache notamment à illuminer les prisons (l’esthétique lumineuse de la prison comme facteur de réhabilitation) – ou encore le maire de Valenciennes.
Mais pourquoi donc, le maire de Valenciennes? Parce que Dominique Riquet a fait le pari périlleux que la culture pouvait devenir un véritable instrument de réhabilitation de sa région déclarée sinistrée (26% de chômage en moyenne). Et pour symboliser la réussite apparente de son approche, le maire a confié à Jean-Bernard Métais, artiste, la résurrection du beffroi de sa ville après que le projet de l’artiste a été plébiscité par la population comme par les politiques.
Pourquoi le beffroi? Parce que ce clocher, depuis le 11ème siècle, marque l’autonomie et la puissance des communes libres. Comme une flèche de lumière et de murmures qui s’élève désormais sur la place en direction de l’avenir, le beffroi résonne des mots des 7000 personnes qui ont participé au projet et apporté leurs réponses à des questions comme «Qu’est-ce que c’est que Valenciennes»? «Que représente le Nord»? «Quel a été votre premier sentiment de liberté»? Le beffroi de Valenciennes est devenu cette rumeur sensible de la ville, une liberté partagée, qui appartient à chacun.
Une telle architecture poétique pourrait-elle faire revivre par exemple les terres détruites de Sarcelles? Peut-être faudrait-il y inviter de toute urgence le maire Riquet?
samedi 5 juillet 2008
Parfum de père
J’aime ma maman parce qu’elle sent bon. Parce que c’est la meilleure odeur, celle que je connais depuis toujours. Les hommes aiment les femmes parce qu’elles sentent bon et les femmes s’aiment elles-mêmes pour la même raison. Parfum de femme, toujours si proche de celui que nous avons tous respiré au premier cri de notre vie. Et moi j’aime mon bébé, ce tout petit moi-même, parce que son parfum dérive du mien. Ah les délices du mélange de nos odeurs, quand il tète, le minuscule : celle du lait, celle de sa peau, celle de notre sueur, la mienne et la sienne qui perle délicatement en microgouttes à sa mesure sur sa lèvre supérieure et dans sa nuque lorsqu’il accomplit cet effort majeur : manger pour vivre, pour grandir, pour devenir, pour être, pour faire, pour voir, entendre, sentir, sentir surtout...
Papa ! Et toi ? Jetons, vite, tous nos bébés dans leurs bras. Dès la première minute, déshabillons les pères, qu’ils prennent au creux d’eux-mêmes nos tous petits, les nôtres, à eux et à nous. Que les bébés hument leur parfum masculin à travers les poils de leur mâle poitrine, leur haleine fraîche du matin et leur haleine du soir, l’odeur du savon à barbe, le tabac, le musc, le vent, les épices du sud et de l’est, romarin, basilic, gingembre et cumin... Qu’ils dorment dans les bras de leur père, qu’ils se baignent ensemble, que chaque occasion soit une source de bonheur olfactif partagé : ma fille, mon fils, mon papa… J’aime mon papa parce qu’il sent bon. Une autre odeur que celle de ma maman, un autre ressenti : un parfum différent, qui colle à une peau différente, associé à une voix différente - mais aussi délicieux, aussi rassurant, aussi évocateur, aussi puissant, aussi inoubliable. La diversité olfactive dès le berceau est désormais un must : pour chaque parfum de femme, un parfum de père.
Et quant aux papas, après avoir humé cet entêtant parfum d’extrasmall, ils ne pourront plus s’en passer. Nous devrons réclamer notre tour, pour pouvoir encore porter nos tout petits dans nos bras…
Barbara Polla, médecin, écrivain, mère de quatre filles.
Extra Small, été 2008
vendredi 4 juillet 2008
Archi-filles: désertons les maisons de poupées!
L'architecture est à l'honneur, de Lézigno à Valenciennes, de Gênes à
Genève, de Londres à Biarritz, à la croisée des chemins entre art et
politique, entre qualité maximale et désastres environnementaux, entre
rires et émotions. Pendant ce temps, l’architecture suisse, elle,
s’exporte de Pékin et Calcutta, archi-local et archi-global.
Architecture ? Art de concevoir et de construire des édifices. Structure, ossature, style, à la fois présentation et représentation du monde, de ses formes, de son sens, agencement et ordonnencement de l’espace dans lequel l’homme va vivre, interagir (ou non), avec les autres hommes, ouverture et projection onirique de futurs possibles. Selon Nicolas Schöffer, l’un des art-chitectes les plus importants de la deuxième moitié du 20ème siècle, « l’art de concevoir, de combiner et de disposer - par les techniques appropriées, des éléments destinés à constituer les volumes protecteurs qui mettent l’homme, dans les divers aspects de sa vie, à l’abri».
Mais encore ? L’architecture, c’est aussi des contraintes économiques carnassières, un emprisonnement politique erratique, contre lesquels devraient s’élever les contre-propositions la plus audacieuse, les tours les plus hautes, le béton le plus pur. A défaut de quoi, selon l’architecte «sudiste», inspiré et militant Rudy Riciotti, il ne reste que la kalachnikov : pour les villas, pour les banlieues à l’architecture mortifère (c’est en cours à Paris qui détruit ou réhabilite les pires d’entre elles) et pour l’architecture HQE (haute qualité environnementale, mensonges en rapport) dont le bataille majeure devrait être, justement, l’élimination des villas au profit des villes.
Dans ce contexte ravageur, les architectes deviennent des stars aussi bien politiques qu’artistiques : les expositions et biennales d’architecture fleurissent partout dans le monde. Mais c’est à Londres que nous nous arrêterons. La Hayward Gallery, étrange ensemble de béton brut qui reste aujourd’hui encore une provocation dans la ville et un laboratoire d’exploration perceptuelle, fête ses 40 ans avec Psychobuildings, une exposition conçue par Ralph Rugoff, directeur du lieu, inspiré quant à lui par les rapports complexes qui existent entre espace public et espace privé.
Rugoff a pris soin d’inclure une femme dans son exposition, et pas des moindres puisqu’il s’agit de la grande Rachel Whiteread. Mais hélas, trois fois hélas, Whiteread, qui a visiblement oublié de lire Ibsen, n’a rien trouvé de mieux que de nous présenter un archétype de la famille bourgeoise: des maisons de poupées. Une centaine de maisonnettes, dans la pénombre, fenêtres illuminées, comme une ville un soir de Noël.
Et tout le monde d’applaudir, «How nice, how cute» ! How pathetic, plutôt, que même une Witherhead n’ait rien trouvé de mieux que de nous représenter ces prisons à femmes que sont les maisonnettes, au lieu de nous encourager à sortir, à quitter les abris, de toute urgence, avec ou sans plan de route, mais avec la détermination d’aller voir ce qui se passe dans le vaste monde, et notamment, dans le monde vertical. Nous n’en sortiront pas sans mal, du stéréotype de la maison de poupée – mais une chose est sûre, le plus vite sera le mieux !
Publié dans les Quotidennes le 4 juillet 2008